Récit de la course : Swiss Jura Marathon 2006, par Cerium

L'auteur : Cerium

La course : Swiss Jura Marathon

Date : 9/7/2006

Lieu : Genève (Suisse)

Affichage : 1743 vues

Distance : 350km

Objectif : Pas d'objectif

2 commentaires

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Swiss Jura Marathon



Histoire Belge
Version "on va pas en faire un fromage"


Vous avez les yeux brillants, les paumes moites, le cœur qui cogne, les genoux tremblants ? Normal vous êtes amoureux ; ou alors vous avez lu dans le guide des courses " Swiss Jura Marathon, 7-tage-lauf Genf Basel, 323 km (+/-8400m HD)."
En clair, une invitation à joindre le Rhône au Rhin par les crêtes du Jura. Quoi ? Ça ne vous fait pas cet effet ? Il faut vous soigner, ça doit être hormonal !

Bref, comme moi je ne suis pas malade, je me lance dans un entraînement progressif et varié, avec pas mal d'endurance, un peu de vitesse en côte, quelques compétitions et même une course d'orientation. Seule particularité : une semaine de sorties "matin et soir" de plus en plus longues, pour tester la répétition des efforts ainsi que le ravitaillement prévu. Et histoire de faire des facéties du style "raid des trois lacs" (Léman-Jonc-Lussy) ou étudier du haut du Mont-Pèlerin la ligne horizontale du Jura. Surtout qu'il aurait été dommage de ne pas profiter du bel été qu'il y avait ce printemps !
Tout ça pour me retrouver début juillet à Genève, en compagnie des régionales et toujours jeunes Alice Ludi et Yvette Durgnat ainsi que de quelques 135 autres sportifs. Une folle envie d'échanger son inscription contre un six-pack de bière et un jeu de cartes se devine au fond de quelques pupilles. Pensée vite oubliée une fois que chacun y soit allé de son petit pipi sur la pelouse du quai du Mont-Blanc, face aux hôtels les plus prestigieux.

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°étape. Genève - St-Cergue : 45km +1200m / -534m
Départ plat, coureurs inconnus, forme impeccable, l'idéal pour s'élancer sur un rythme trop élevé, occasion que la plupart saisissent hardiment, moi y compris. Et, c'est accompagné d'un Belge, fabricant artisanal de fromage de chèvre et accessoirement fonctionnaire au ministère des finances, que je déboule sur les quais, puis après quelques ambassades et villas aussi blindées que cossues, par un charmant chemin forestier le long de la Versoix. Un peu de musique dans une clairière, quelques zombies attardés, un concert au Bois de la Bâtie a vécu, et nous nous retrouvons sous un soleil éclatant dans la campagne, à se dire que nous allons trop vite. On prend juste le temps de ralentir pour mieux relancer l'allure cinq minutes plus tard en faisant plus ample connaissance. L'antenne de la Dôle nous nargue sur son crèpon et, à La Rippe, l'assaut est donné. La route monte régulièrement, enchâssée dans les arbres. Mais pas d'ombre, le soleil est à la verticale. Malgré la chaleur écrasante, je continue de courir, à la limite de la zone rouge. Enfin le chalet de la Dôle et la descente sur St-Cergue, dans les premiers pâturages et parmi les premières vaches, selon un scénario qui promet de devenir classique : on grimpe toute la journée pour finir en descente, souvent vertigineuse, le tout en 3 h 57' 11''.
Rassemblement dans la salle de gym. Le premier arrivé réserve la "zone francophone", huit matelas suffisent -5 Romands(es) et 3 Belges- le reste du peloton se composant de 64 Allemands, 43 Suisses-Allemands et d'une poignée d'Américains, Bulgares, Hollandais, Danois, Italiens et Péruvien. La plupart ne courent que des épreuves de longues distances, enchaînant les courses de 24 h, 100km ou Marathons alpins. C'est l'occasion d'échanger des propos sur l'agriculture, l'entraînement, les "Toblerones" qui jalonnent le paysage ou la différence entre une "Gueuse Blanche" et une "Chimay Blonde". Bref, on tente de refaire le monde puisqu'on a 7 jours devant nous.

2
° étape. St-Cergue - Vallorbe : 47 km +730m / -1021m
La météo matinale permet une démonstration des angoisses existentielles des coureurs de fond : une grosse averse : un concurrent s'habille en "long", tout le monde suit. Un quart d'heure après, un autre entrevoit l'éclaircie et, l'air confiant, enfile son débardeur: changement général de tenue. Au moins, les averses ont le mérite de rafraîchir l'atmosphère, et nous nous élançons gaiement dans les pâturages humides, où trois équipes de baliseurs nous ont précédés, attachant régulièrement des banderoles ; trois autres les ramassant après. Le ravitaillement est également assuré de manière impeccable. Des caisses numérotées permettent de déposer boissons ou habits et les bénévoles remplissent la gourde pendant qu'on se désaltère. Un tracé très agréable : suite de petites montées dynamiques, de légères descentes entre les murets de pierres blanches, les plants de gentianes et les "bovistops" nous mène à la Crète de la Neuve, d'où le point de vue ne donne que sur le brouillard. Quelques enfilades de vallons secrets, de forêts silencieuses et nous voici derrière une vilaine cabane recouverte de tôle. Le temps d'en faire le tour et le Marchairuz est franchi. La descente nous entraîne dans des vues de cartes postales : pâturages verdoyants, sapins et fermes isolées. Plus bas s'étale le lac de Joux, scintillant au soleil qui daigne réapparaître. Descente rapide sur L'Orient, et j'enchaîne par le tour du lac, toujours à un rythme soutenu malgré le fort vent de face. Au Pont, l'orage m'arrose pendant que je franchis la dernière grosse bosse, puis plus que 8 km de descente interminable au pied de la Dent de Vaulion pour atteindre Vallorbe, en 4h05'11''. C'est jour de lessive, et après s'être sustenté, douché et stretché, on imite Christo en couvrant de tenues de course les clôtures et talus avoisinants. Avec 140 paires de basquets alignées, c'est assez surréaliste comme tableau !

3
°étape. Vallorbe - Fleurier : 37 km +1380m / -1389m
A nouveau, la météo nous joue des tours. Les orages nocturnes ne laissent place qu'à une timide éclaircie, mais il en faut plus pour arrêter un troupeau de coureurs. Et c'est reparti pour la difficile montée (ou escalade ?) du Suchet. J'ai bien fait de souffrir pour grimper jusque là ; car la splendide vue sur le plateau Suisse, du lac Léman à celui de Neuchâtel, me réconforte, d'autant plus que la descente qui suit est fort scabreuse : rochers mouillés, racines affleurantes et c'est un exercice où j'excelle. J'en profite pour mettre un peu d'air avec les concurrents directs puisque maintenant on commence à se connaître. L'allure est toujours aussi rapide. D'ailleurs, je "tourne" sur les temps de référence d'un coureur qui est normalement plus rapide que moi, c'est un peu inquiétant non ? A bon!, merci de vous faire du souci pour moi ! Les prés et les collines, avec leurs hauts et leurs bas, continuent à s'aligner sous mes pas, un peu lourds aujourd'hui.
Pas le temps de visiter Ste-Croix. Sitôt le col des Etroits passé, il faut attaquer la grimpée du Chasseron par un sentier mi boue - mi beuse. L'horreur, vraiment pénible! La caillasse parsemée d'herbe de la crête n'est guère plus accueillante et, de plus, un vent violent à se retrouver dans la clôture, amène un rideau de brouillard. Il paraît pourtant que l'endroit est spectaculaire quand on voit sur quoi domine les falaises de roches blanches. C'est le moment choisi par un fameux coup de barre pour me tomber dessus. A force d'aligner des efforts intensifs au-dessus de mes capacités, ça devait arriver. Mais que c'est pénible ! Le ravitaillement me permet de reprendre un peu de tonus pour la descente dans les pâturages creusés du pas des vaches. La route de terre jaune qui ondule au loin vers la métairie de Beauregard, ne m'inspire rien de bon. Effectivement, si elle n'est pas dénuée d'un certain charme romantique, elle est particulièrement longue et pénible à parcourir avec les jambes en coton. La chute finale, terriblement raide, est encore plus pénible car non seulement on ne voit pas l'objectif, mais je ressens une douleur à une cuisse. Ouf, 3 h 51' 37'' et un bain de jambe dans la fontaine de Fleurier. Il me reste à restaurer mes forces pour demain.
L'alimentation est essentielle dans une telle épreuve. Il s'agit de fournir un maximum d'énergie à l'organisme en un temps qui est physiologiquement trop court pour retrouver le niveau maximum. Premier principe: économiser en course en allant moins vite. Ah bon, fallait y penser avant. Deuxièmement: consommer beaucoup de sucre rapide sur la fin des étapes et dès l'arrivée, puis compléter avec des glucides lents dans l'heure qui suit. La manière d'y parvenir va des corn-flakes aux spaghetti en passant par les pains au chocolat, la roulade framboise et les tartines de pain d'épices au lait condensé. Miam! Double portion dès maintenant! Les poudres restent un complément et ne dispensent pas d'un repas solide, sans oublier une réhydratation intensive et continue. Le souper du soir est plus équilibré, et quand on a ingurgité une énorme assiette, il vaut mieux encore avaler trois tranches de pain. Ces règles sont assez bien respectées par le peloton, à la surprise des Belges qui eux sont plutôt tendance "moules - frites - bières", véridique! Le plus étonnant, ce sont les jours d'après course, où l'organisme ne réalise pas tout de suite qu'il n'a plus besoin de 6000 calories pour faire de la chaise longue.

4
°étape. Fleurier - La Chaux-de-Fonds : 42 km +1028m / -773m
Pas de stress ni échauffement au départ. Chacun discute tranquillement avant de s'élancer, la routine en quelque sorte. L'Areuse donne le rythme pour les 14 km les plus plats du parcours. Surprise à Couvet: le boucher traiteur qui s'occupe de la subsistance durant toute la semaine y a son commerce et tout le personnel nous fait une haie d'honneur. Pour une fois on a un public enthousiaste. Le Val-de-Travers finit abruptement à Noiraigue, laissant la place à une nouvelle montée de dingue. Les crêtes boisées qui conduisent à la Tourne ont subi le passage de Lothar, et j'ai l'impression d'être un lilliputien dans un mikado. A gauche, à droite, dessus, dessous, dans ces conditions, progresser à 6 km/h est un exploit qui n'a aucun rapport avec la Vo2max. On a droit au Camel Trophy en Amazonie sans les crocodiles. Quelques regards en arrière me rassurent. On est bien dans le Jura, ils n'ont pas le Creux du Van là-bas! Ce gymkhana cesse à l'approche du Mont Racine, mais réveille la douleur contractée la veille et c'est en clopinant que je dois me résoudre à laisser partir mes concurrents directs. Chose d'autant plus pénible que je ne peux même plus suivre en descente. J'arrive quand même à dépasser le coureur le plus original : marchand de fromage en Belgique, il a pris 6 mois de vacances pour devenir gardien d'alpage en Gruyères. Porter les boilles à lait, ce n'est pas l'idéal pour affûter sa forme et malgré le bon air, il a "un peu" de peine. Heureusement, la catégorie "finisher" qui part 2 h plus tôt le matin, lui laisse plus de marge pour boucler l'étape. Il finira en 53 heures et pas mal de souffrances. Une banderole à l'entrée de la Sagne marque la mi-parcours. Maigre consolation, on a dorénavant plus vite rejoint Bâle que Genève. Ma femme est venue me rendre visite et m'y attend pour m'accompagner sur les 10 derniers km. Elle a vraiment choisi le bon jour! Je n'ai pas l'allure triomphante mais de la peine à la suivre. Ça va être dur de la convaincre que je fais ça pour le plaisir! Encore deux collines et une combe à franchir les dents serrées et nous voici à la Chaux-de-Fonds. 4h 21' 05''
Problème: Si je m'arrête là, vous n'aurez plus qu'à faire des dessins dans les pages blanches, alors allons trouver le médecin de course, pour voir s'il a des crayons… Il pratique une "médecine de guerre" plutôt simple: douleurs aux articulations ou aux tendons: risque de séquelles, donc arrêt de la course. Douleurs musculaires: on s'arrêtera bien tout seul quand on aura assez mal. 15 secondes de "consultation" et le verdict tombe: inflammation du quadriceps. Un flacon de spray anti-inflammatoire en guise de gomme et c'est reparti pour la…

5
° étape. La Chaux-de-Fonds - Bienne: 53km +1340m / -1890m
Conséquence de mes souffrances de la veille, j'adapte la tactique de course à ce qui me reste de capacité, dans le seul but d'arriver à Bâle, ce qui était d'ailleurs l'objectif premier, avant la performance chronométrique. On oublie vite dans le feu de l'action! Donc, départ au petit train, marche dès que le terrain s'élève et relance au plat pour la plus longue des étapes. Ça me permet d'atteindre la Vue des Alpes sans trop m'exténuer. L'enchaînement du Mont d'Amin est même fort agréable, le regard perdu sur les montagnes scintillantes à l'horizon. Et c'est tout surpris que je rattrape mes compagnons de route habituels sitôt la descente du Pâquier amorcée. Ils sont peut-être aussi "cuits" que moi! Je retrouve un autre Belge, qui travaille dans une fabrique industrielle de fromage (ils le font exprès, je vous dis !). Et voilà qu'en échangeant des propos sur fond d'accent chantant, on en oublie la fatigue et on tire des relais durant toute la descente. Et une pincée de minute de prise, une! L'esprit de compétition refait déjà surface. La remontée à la marche sur le Chasseral ne leur permet pas de revenir, bien au contraire, ils doivent pratiquer de la même manière. Pâturages fleuris, soleil, vue extraordinaire sur 250 km de majestueux sommets alpins d'un côté; les Franches Montagnes, ses maisons basses, ses sapins et ses vallonnements de l'autre; le Chasseral se mérite, mais ça regonfle le moral de s'imprimer tout cela dans la rétine. Pause photo au sommet, attaque de la descente: Un dernier regard sur les éoliennes du Mont Soleil, et voilà que j'en fais un magnifique, de soleil. Atterrissage sur le ventre, je sauve l'essentiel, les jambes ne touchent pas le sol. Il va falloir rester attentif. Les pâturages et les passages en sous-bois s'enchaînent, les chevaux m'accompagnent en gambadant. Un troupeau de veaux s'égaille à l'approche d'une barrière, et je me retrouve face à un taureau! Pas le temps de lui demander ses intentions. Dans un style qui rendrait Gail Devers verte de jalousie, je passe la haie, record du monde de l'accélération battu! Heureusement qu'il n'y a pas de contrôle pour le taux d'adrénaline! Le temps de retrouver mon calme, la montée d'Orvin passée, et voici les premières maisons d'Evilard. Ouf ! il ne doit plus rester très long. Soudain le balisage m'attire hors de la pente directe et remonte dans la forêt. Drôle de plaisanterie! Le chemin conduit dans la falaise au-dessus du port de Bienne: Le coup d'œil sur l'Artéplage est vraiment splendide, merci Urs (c'est le grand ordonnateur de tout ce binz), mais une carte postale m'aurait suffit. Un dernier escalier et je peux plonger dans le lac après 5h 23'26''. En définitive, cette étape que je craignais après les souffrances endurées la veille, se termine plutôt bien grâce à une gestion plus économique des efforts et mon poursuivant immédiat se retrouve avec 30min. de retard.

6
°étape. Biel - Balsthal: 49 km +1634m / -1590m
Le sommeil avait de la peine à venir hier soir. Certainement le résultat d'un début de surcharge de fatigue et de la consommation à haute dose de boisson énergétique chargée de vitamine et caféine depuis 5 jours. Ce n'est pas tellement les paupières lourdes qui me gène. Mais durant le sommeil, l'organisme se régénère mieux.
On est arrivé de Suisse Romande avec le soleil, on repart en Suisse Allemande avec pluie, veste, pull, casquette et petit sac à dos. Remontée au-dessus de la ville et gorges du Taubenloch en apéro. Le sentier monte et redescends constamment. Il faut à chaque fois déployer un immense effort de volonté pour recommencer à courir, puis pour allonger la foulée. Et dire qu'il y a peu, je parlais de "petites montées dynamiques", ce n'est pas la topographie qui a changé mais les jambes ! Je regrette amèrement les dépenses d'énergie des premiers jours. De plus, j'ai mal au diaphragme, ça m'empêche de bien respirer. Fatigue musculaire ou trop d'air en me ravitaillant? Si quelqu'un a une suggestion…? 1h 30 pour me mettre en train, dur le démarrage. Mais la foulée se décrispe enfin, le soleil revient, même chaudement. Je dépose tout mon matériel à un poste de ravitaillement. Le leader de l'épreuve y dépose les plaques, lui. Une place de gagnée pour tous. Le Jura se fait tabulaire, les crêtes perdent leurs rondeurs, se font plateaux. Les parois escarpées dégagent la vue sur la plaine où l'Aar serpente mollement. Et toujours l'alternance de terrain: route, chemin, sentier, sente, bord de clôture, en terre, pierre, caillasse, herbe, racines éparses. Chacun poursuit sa route à son rythme. Les rencontres se font au gré des coups de barre ou du retour de forme. D'ailleurs voilà un Péruvien, annoncé parmi les favoris. Il est à l'agonie, trottinant à petites foulées. La course est dure pour tout le monde et 200 km d'entraînement hebdomadaire ne sont pas une garantie de succès. La consonance des fermes traversées devient étrange: Wäsmeli, Brüggli, Althüsli, et le chemin de plus en plus acrobatique. Il vaut mieux ne pas trop laisser vagabonder son regard du haut du Weissenstein si l'on ne veut pas faire un détour par Soleure. Je préfère Balmberg, sa descente vertigineuse, son orchestre venu soutenir un concurrent régional et sa petite montée. Petite montée, mon œil! Le sentier est si raide qu'il n'est même pas question de marcher vite, et il se finit par un escalier taillé dans la roche que je monte à quatre pattes sans me pencher! Elle mérite bien son nom, la Höllchöpfli (petite tête de l'enfer). Et comme d'habitude, il reste à plonger sans trop de retenue ni parachute sur l'arrivée. Petite surprise désagréable aujourd'hui. Il reste encore deux km de plat pour traverser Balsthal. Relancer le moteur, c'est dur après 5h 32' 05''. Ça commence à faire des étapes conséquentes !

7
° étape. Balsthal - Basel: 50 km +1100m / -1330m.
Encore une nuit trop courte, mais ce n'est pas grave. Ça l'est plus pour le Belge du premier jour. Une tendinite sur le pied et c'est fini, malgré tous les efforts consentis jusque là. C'est d'ailleurs la principale cause de la trentaine d'abandons, avec 4-5 entorses. Le ciel est plombé lorsque nous nous élançons sous les ruines du château de Neu-Falkenstein. Chacun observe ses "voisins", comparant l'état de forme à l'aune des écarts. La route s'élève régulièrement. Il fait frais. Je monte mieux que d'habitude et ne risque pas trop de surprise de l'arrière. La surprise vient plutôt de la météo: au premier col, le vent s'engouffre et amène une pluie glaciale. Les chemins creusés par les vaches deviennent glissants, impraticables. Je joue au funambule sur les mottes d'herbe. Ces conditions prétéritent surtout les plus rapides qui ne peuvent allonger le pas. Heureusement, les pâturages laissent place à la forêt, la pluie devient bruine, estompant le paysage, mais pas les difficultés. Une dernière crête, une clôture, et une longue descente boueuse à souhait. Chic alors! J'apprécie, les autres un peu moins. Ils sont vraiment piètres descendeurs. Retour à la terre ferme; le Jura s'arrondit, les collines se couvrent de cerisiers, les frimas s'atténuent mais je n'ai pas le temps de me perdre en rêveries. La course continue et la route devient plus régulière, forçant la foulée à la monotonie du mouvement. La fatigue ressort. Je doit tirer chaque pas. J'en viens à souhaiter des montées pour marcher sans remords! Plus que 20 km. Encore 20 km. Les 300 premiers étaient faciles à côté de ceux-là. J'avance comme un automate, la foulée courte, la tête vide, le blanc des yeux doit me couler sur les joues ! Enchaînement de chemins forestiers en solitaire. Enfin la Birse, des bruits de moteurs, des toits d'immeubles qui dépassent les arbres, la ville, l'arrivée sûrement. Non, la longue ligne droite de St-Jakob étale sa pelouse, rien. Certainement sur les quais du Rhin ? Non plus. Les passants étonnés se font plus nombreux, provoquant un effort inconscient pour allonger le pas, relever le torse, presque esquisser un sourire. Montée en ville, des rues à traverser avec la priorité accordée par les policiers en factions, le bouquet de fleur qui attend la première dame, un dernier virage, un nom dans le haut-parleur et enfin l'arrivée ! 5h 17'17'' Je suis épuisé, vidé, cuit, lessivé. Un spectateur dira avoir vu sur notre visage la délivrance d'une femme qui accouche. En tout cas, j'en ai presque la larme à l'œil!
En vrac : Une expérience extraordinaire, une course démesurée et certainement pas très physiologique mais néanmoins fabuleuse, des rencontres avec des gens de tous horizons, un flacon d'anti-inflammatoire liquidé, une intensité d'effort élevée même si la vitesse baisse, un appétit féroce, presque escaladé et redescendu l'Everest (+8412m /-8527m), les mollets et les pieds enflés 3 jours et un gros besoin de sommeil ! C'en est fini de la course en montagne la plus longue en Europe. Et je promets de ne plus dire que le Jura, c'est plat.
Cérium
Classement final :
Hommes: 18° Maillard P-A 32h 27' 51''
Femmes: 5° Durgnat Yvette 44h 31' 47'' 6° Ludi Alice 46h 25' 22''

2 commentaires

Commentaire de serge posté le 17-03-2006 à 23:20:00

bravo pour ce CR, il ne te reste plus qu'à faire la course dans 4 mois.

la grande traversée des Alpes de Thonon à Nice est plus longue.

Commentaire de akunamatata posté le 18-03-2006 à 06:06:00

Respect.
avec un grand R.

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