Récit de la course : Embrunman 2000, par ironcyril
L'auteur : ironcyril
La course : Embrunman
Date : 15/8/2000
Lieu : Embrun (Hautes-Alpes)
Affichage : 3920 vues
Distance : 233km
Objectif : Pas d'objectif
3 commentaires
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Mon Embrun man
Récit de course en long en large et en travers : Triathlon longue distance
Embrun 2000
pour tous ceux qui veulent comprendre ce qui pousse à faire cette course, comment l'appréhender et comment s'y préparer (pour un simple sportif amateur comme moi que vous êtes...)
Préambule
Après avoir vécu quelques mois à la montagne à Voreppe, mon retour sur Paris me laisse un goût amer : il y a comme un vide. Sous l’impulse d’un collègue qui pratique le triathlon longue distance, je prends la décision de m’inscrire au mythique Embrun-man : l’entraînement et l’enjeu de cette épreuve va me permettre pendant 6 mois de me fixer un objectif ambitieux et de tirer un trait sur ma vie à la montagne. Je remercie Franck pour la motivation qu’il m’a apporté et pour les bonnes paroles qu’il a eu afin de démystifier cette épreuve et de croire tout simplement que « c’est possible ». Car en regardant mon passé sportif, on ne pouvait pas dire que je ferais l’épreuve les doigts dans le nez : seulement des triathlons courte distance, 2 marathons au compteur, quelques raids à la journée, et puis c’est tout !
Alors enchaîner 3,8km de natation, avec 188 km en vélo en marathon au profil vallonné, le tout sous une température caniculaire, cela avait de quoi faire tourner la tête ; qui plus est franchir le col de l’Isoard, pour terminer par un triathlon dont la réputation et surtout le parcours font de lui « le triathlon le plus dur au monde ».
Mais bon ! C’est l’an 2000, j’ai 26 ans et besoin de tester mes limites sportives, tout en conservant un rythme de travail intact, et en assumant ma vie familiale. Si je l’ai fait d’ailleurs, car effectivement l’histoire dit que je l’ai terminé, je pense que tout le monde peut y arriver : et voici quelle a été ma méthode pour atteindre un tel objectif.
Préparation
Je débute donc mon entraînement spécifique en avril : cela me laisse peu de temps, mais j’ai derrière moi un peu de foncier à vélo (habiter au nord de Grenoble m’a permis de découvrir les reliefs du Vercors et de la chartreuse : du pur bonheur ces sorties matinales pour en prendre plein les cuisses et plein les yeux).
Malgré tout, c’est surtout l’épreuve cycliste que j’appréhende pour le jour de la course, car je n’ai jamais fait de sorties de plus de 120 bornes (si ce n’est 2 rando-cyclos de 350 km pour le téléthon en 1998 et 1999 : Mont St Michel – Paris), ni franchi de col en hors-catégorie. Il me paraît donc important de me concentrer sur cette discipline, et d’insérer de longues sorties vélo au cours de ma préparation. J’en exécute 2 à 3 par semaine dont 1 longue en augmentant la distance chaque semaine, ainsi que des petites séances qualitatives matinales sur home-trainer. J’ajoute aussi dans ma préparation un WE à la montagne début juillet pour effectuer 2 sorties en altitude : une première dans la région d’Annecy sur le Semnoz, et la seconde plus corsée avec l’ascension des cols du Glandon et de la Croix de Fer. A l’approche de l’épreuve lors de mes sorties les plus longues, j’enchaîne jusqu’à 150 km, et effectue en moyenne 200 km par semaine (le maximum allant jusqu’à 400 km). Pour le vélo, je me sens donc prêt à la veille de la course.
En ce qui concerne la natation, je me contente de capitaliser sur mes acquis et n’effectue que 2 séances par semaine (à l’heure de la pause du midi). La priorité est surtout axée sur l’endurance : peu d’exercices de techniques de nage et de fractionnés, pour se concentrer exclusivement sur des longs enchaînements, et quelques longues séances avec combinaison (bien qu’on ait vite très chaud en piscine avec 5mm d’épaisseur sur le dos !). Je me fais plaisir avec des séances allant de 1500 à 4000 mètres, jusqu’à 10 semaines de l’épreuve… car …
Malheureusement, lors d’une sortie en course à pied, je me fais une entorse à la cheville, qui m’empêche de nager pendant 4 semaines ! La poisse : je coupe donc tout entraînement pendant une semaine afin de récupérer au plus vite, tout en suivant les séances d’étirements et d’électro-stimulation avec mon kiné. Je reprends donc la natation seulement à 6 semaines de la course, car c’est en nageant que la douleur se fait le plus sentir, alors que je m’autorise de remonter sur le vélo peu de temps après l’entorse, faisant bien attention d’écouter mes sensations : à la moindre alerte, je ne force pas sur la douleur.
Enfin, pour la course pieds, je n’avais pas un gros entraînement de prévu, et je savais que je serai juste pour le jour J. Cette entorse n’a rien arrangé et finalement mon handicap de départ qui était le vélo devenait de plus en plus la course à pieds : 2 semaines de coupure sans chausser les runnings, ce sera d’autant plus dur le jour de l’épreuve, et c’est surtout dur à supporter moralement. Le doute s’installe et on se demande si on va pouvoir faire la course : mais à ce moment là, l’inscription est déjà effectuée et on s’imagine pas faire machine arrière. Donc en avant toute ! En moyenne 3 sorties course à pieds par semaine avant l’entorse, il me reste 4 semaines après la coupure pour reprendre un petit rythme CAP (entre 30 et 40 km/sem). Je n’ai pas assez de temps pour pouvoir courir sur de longues séances en foncier, et je dois dire que ça m’arrange bien. J’aime pas vraiment ces sorties, qui sont usantes moralement, contraignantes pour les articulations, et pour les quelles il me faut au moins une journée pour récupérer : j’estime à ce moment là que les longues séances de vélo (jusqu’à 7 heures en solitaire sur la selle) vont me suffire. Sans doute une erreur, vu le temps qu’il va me falloir pour effectuer le marathon le jour de la course…
Bilan à la veille de la course
Les jours précédents la course nous profitons des congés avec ma femme et ma fille pour passer une semaine à la station des Orres : cela permet de se mettre dans l’ambiance, reconnaître une portion du parcours vélo, et surtout de se reposer et se faire un moral de « finisher ».
L’objectif est bien entendu de terminer la course et de faire parti du cercle des embrun-men.
Tout un symbole pour un simple tri athlète comme moi, qui passe malheureusement plus de temps au travail qu’à faire du sport. Alors réussir ce défi, tout en ayant une activité professionnelle prenante et en se consacrant à sa famille, cela doublait pour moi la difficulté.
Comment je me suis organisé …
Pendant mes 2 jours de repos hebdomadaires, je concentrais mes entraînements fonciers : soit 2 sorties vélo, ou bien 1 vélo et 1 CAP. Les jours de travail, je pratiquais 2 à 3 entraînements les midis (natation essentiellement et parfois CAP), et me levais régulièrement à 6 heures pour faire une séance de home-trainer ou de course à pied pendant 1 heure avant le travail.
Cela me permettait d’être disponible pour me consacrer à la famille, au travail, et aux travaux de notre nouvelle appartement. J’avoue qu’avec du recul j’aurais du mal à reprendre un tel rythme. Mais les enjeux personnels permettent à chacun de se surpasser, pourvu qu’on y croit et qu’on se donne à 100% dans sa quête. Alors pourquoi se contenter de terminer la course ? J’ai du coup le secret espoir de faire moins de 14 heures.
Prêt ou pas prêt ? Le jour J arrive et c’est maintenant que tout se décide.
La course vécue de l’intérieur
Les préparatifs
Après une soirée au calme, je me sens bien et malgré la pression de l’enjeu je trouve le sommeil et dors plutôt bien. Réveil très matinal pour se rendre à Embrun et arriver au parc à vélo à 5h30. Tout le monde s’active et prépare son petit stand dans son coin. Il y a du sacré matériel et de sacrés athlètes : on se sent bien petit au regard de ce qui se passe autour de soi, en tout cas bien impressionné le Cyril. Raison de plus pour se surpasser et montrer de quoi tu es capable. Je prépare tout le matériel, sachant qu’à mes prochains passages je ne serai pas forcément lucide pour penser à tout, encore que je compte bien prendre le temps utile lors de chaque transition.
A 6h du matin, tout est prêt, les vérifications effectuées : je suis en pleine concentration et m’imagine déjà en train de franchir la ligne d’arrivée, avec ma fille dans mes bras. L’album Play de Moby est diffusé tout au long des préparatifs et le morceau « Natural Blues » passe au moment où je visionne mentalement mon arrivée. Les odeurs de camphre que j’inhibe me transportent dans un état second à cet instant précis : je m’en souviens encore comme si c’était aujourd’hui. Si je devais retenir un moment fort de cette journée, celui-là est sans doute le plus riche que j’ai vécu en terme de sensations : angoisse d’aller vers l’inconnu, enthousiasme de vivre un moment fort, joie de participer à une épreuve dans un cadre aussi magnifique, crainte de vivre un incident qui m’empêcherait de terminer, euphorie de partir pour être dans l’action, et enfin la fierté d’être là fin prêt avec, ne l’oublions pas, tant de préparatifs et de sacrifices.
Après avoir enfilé ma combinaison, il est tant de rejoindre le plan d’eau pour effectuer quelques mouvements et réveiller l’organisme. La température de l’eau me paraît parfaite, alors qu’il fait encore nuit et qu’on ne distingue pas grand chose. A 5’ du départ tout le monde se regroupe derrière la ligne de départ et pour une fois, je ne me positionne pas aux premiers plans (comme sur un courte distance, ou pour ne pas prendre trop de coup il faut mieux être à l’avant). Je préfère partir à mon rythme et ne pas me laisser déborder par l’esprit de compétition.
Avant que ne retentisse le coup de départ, tous les triathlètes se mettent à s’encourager tous en cœur en tapant dans les mains: encore un grand moment ! Tout le monde tapant au même rythme, on se sent tous unis, et à ce moment là, on n’a pas vraiment l’impression de faire un sport individuel. On va tous en baver, les premiers comme les derniers, les pros comme les amateurs, les célébrités comme les anonymes : et à tout moment on sait qu’on pourra s’épauler ou s’appuyer sur un partenaire de course dans les moments difficiles (et effectivement j’en aurai …).
La natation
A 6h30 coup de départ : c’est parti pour 3800 mètres de nage. Il fait encore nuit et c’est impressionnant de s’élancer parmi ces 900 athlètes.
Il faut plusieurs tours de bras avant de se retrouver dans le bon rythme et trouver les bonnes sensations de glisse. Contrairement aux courses habituelles, on ne prend quasiment pas de coup : cela rend beaucoup plus serein et on se concentre plus facilement sur sa nage. Finalement ce n’est pas trop difficile de nager de nuit : on est bien guidé par des faisceaux lumineux à chaque bouée, et par les canoës qui nous suivent. Je me sens bien et à l’approche de la fin du premier tour, le soleil commence à se lever : cet instant est magique, pour ne pas dire féerique.
Moi qui adore contempler l’aurore à la montagne lors de mes randonnées matinales, sur ce coup-là je suis bluffé d’avoir le même effet vu de l’eau en plein effort ! Je profite de ce moment là et en oublie vraiment à certains moments que je suis en train de nager : c’est sans doute bon signe sur mon état de forme et ma technique de nage. Le deuxième tour se passe tout aussi bien et je suis même surpris de la rapidité avec laquelle passe cette première épreuve : 59’ de passées et je m’extirpe de l’eau pour rejoindre en trottinant le parc à vélo, bien content d’être aux avant-postes (on m’annonce dans le top 100).
Je ne me précipite pas pour autant dans le parc à vélo, prenant le temps de me sécher, de mettre mes chaussettes et mes gants (j’aime pas les ampoules), et de vêtir une tenue complète (maillot + sous vêtement respirant) afin de ne pas avoir trop froid dans les premiers reliefs. En effet, à 7 heures du matin il fait quand même encore bien frais sur les hauteurs d’Embrun. Et c’est parti pour 188km à vélo :
Le cyclisme
Je pars donc dans de bonnes conditions, même si j’ai perdu pas mal de places rien que sur cette transition. Mon copain Franck en a profité pour me passer à ce moment là. Sur ses bons conseils je m’engage prudemment dans ce début de parcours à vélo : en effet, on nous met tout de suite dans l’ambiance du parcours avec une première côte sèche dans la ville, puis on embraye ensuite la première montée le long du lac de Serre-Ponçon. Par moment il y a de beaux panoramas, et je profite de ce paysage : cela permet aussi de ne pas trop se focaliser sur l’enjeu et de garder un rythme qui est celui qu’on a déterminé au cours des longues sorties d’entraînement. Je sais bien qu’en terminant la natation en bonne position, les costauds vont me doubler pendant la première partie du parcours vélo : alors pour ne pas me laisser influencer et tenter d’en suivre, je jette régulièrement un œil sur mon compteur et surtout sur la cadence de pédalage. Afin de ne pas trop forcer, j’essaie de ne pas être en dessous des 80 tours minutes, rythme que j’ai pris surtout avec les séances de home-trainer. Et finalement ça le fait bien : je suis même surpris de rattraper Franck dans les lacets de cette première montée. Il me rappelle de ne pas aller trop vite : je suis ses conseils ce qui ne m’empêche pas de filer à l’avant, sachant que je le reverrai sans doute plus loin, par exemple dans l’ascension de l’Isoard. Il fait encore un peu frais à ce moment là, bien que la journée s’annonce chaude, même très chaude. C’est maintenant la descente qui mène au pont de Savines : encore une belle vue sur le lac. Traversée de Savines et retour sur Embrun, pour se diriger ensuite sur Guillestre. Puis nous traversons les gorges du Guil, un des rares endroits où le cintre se révèle bien utile. Mais j’ai fait le choix de ne pas en mettre afin de privilégier la légèreté du vélo, donc je regarde me passer pas mal de concurrents, en position aérodynamique ! La prochaine fois (il y aura bien une occasion de le refaire) je pense que j’en mettrai un : mon vélo à l’époque était déjà bien assez lourd pour ne pas rajouter de poids. Gentiment, l’inclinaison de la route commence à se faire sentir et il faut commencer à monter les pignons dans la Combe du Queyras (400m de dénivelés + en 10 km).
Puis nous arrivons à Arvieux (alt 1500 m), d’où nous pouvons contempler une bonne partie de l’ascension du hors catégorie : au programme une dizaine de kilomètres pour arriver à 2366 m d’altitude. A ce niveau de la course, les places se stabilisent pour moi : je roule avec des gars de mon niveau et certains commencent à montrer des signes de fatigue. Dans les lacets de l’ascension, je ne regrette pas mon 28 dents à l’arrière : il m’est bien utile, là où certains coureurs posent même le pieds à terre. Il fait très chaud en cette fin de matinée et je pense bien à m’hydrater régulièrement : je compte bien mettre toutes les chances de mon côté pour réussir le parcours vélo sans y laisser trop de plumes. La nutrition fait partie des points importants à ne pas négliger : au réveil j’ai donc pris mon gâteau sport, et tout au long du parcours je pense à boire à intervalles réguliers tout en prenant des barres énergétiques. Encore un effort et en haut de l’Isoard je retrouve ma femme et ma fille : elles ont pour moi plein de bisous en réserves, mais aussi un bon sandwich au gruyère. Là encore j’ai suivi les bons conseils de Franck et je dois dire que c’est le genre de détail qui compte.
En effet, à force d’avaler des barres, du gel et autres sucres rapides, il arrive un moment où on a envie de quelque chose de plus gustatif. Je franchis ainsi cette partie finale, sans forcer car le parcours est loin d’être fini, un peu déçu tout de même de ne pas pouvoir profiter de ce paysage lunaire : celui que j’ai tant admiré toute les fois où je regardais le tour de France à la télévision.
Je prends malgré tout le temps de faire une longue pause une fois au col : gros câlin aux filles (surtout à ma chérie qui fait aussi sa course de son côté avec notre fille de 18 mois afin de m’encourager à différents passages), dégustation du casse-croûte, et petit pipi avant de repartir (y’a rien à faire : je n’arriverai jamais à faire en roulant comme les pros !). Au final je reste tout de même au moins 5 bonnes minutes au sommet, le temps de voir passer à nouveau Franck. Il n’a pas l’air en grande forme, et effectivement je le doublerai un peu plus loin, chose à laquelle je ne m’attendais pas.
Allez c’est parti pour une longue descente sur Briançon : la descente est relativement facile et c’est du bonheur de se laisser aller sur cette portion qui dure une bonne vingtaine de kilomètres au soleil. Nous voilà à plus de moitié de parcours et on m’avait averti que le plus dure n’était pas forcément l’Isoard. Effectivement il faut encore passer quelques vallons, et surtout 2 terribles côtes, dont celle du Pallon, et l’ascension finale à l’approche de l’arrivée qui nous fait passer sur le haut d’Embrun. Dans la première, j’arrive à passer sans poser le pied à terre, mais les concurrents qui marchent n’avancent pas beaucoup moins vite que moi ! Certains supporters ne s’y trompent pas : c’est l’endroit qu’ils ont choisi pour nous encourager : je n’hésite pas à les remercier, car ça fait tellement du bien.
Avant d’arriver dans la seconde je commence à trouver le temps long, et d’autant plus que je suis seul avec personne en vue ni devant, ni derrière. Avec 150 kilomètres au compteur, on a beau se dire qu’il n’en reste qu’une trentaine, cela commence à devenir lassant et on a envie de poser le vélo pour repartir en courant : les fesses commencent à crier au secours ! Mais il faut encore trouver l’énergie pour franchir la dernière difficulté du parcours cycliste : la côte du Chalvet. Une fois ce raidillon franchi, on peut enfin rouler jusqu’au parc à vélo où les supporters nous attendent.
Arrivé à mon stand, je pose la machine et commence ma longue séance de changement. Sans pudeur aucune (on n’a plus envie de penser à ce genre de détail), je retire la peau de chamois et enfile ma tenue de course, ainsi que mes Asics. Et là je commets mes plus grosses erreurs. D’abord, j’avais fait un mauvais choix sur les chaussures : confort impeccable mais beaucoup trop lourdes, et les grammes en trop je vais rapidement en faire les frais. Ensuite, j’ai profité du passage d’une élève kiné pour me faire masser les cuisses : je ne pense pas que ça m’ait fait du bien, j’ai même plutôt l’impression du contraire, au regard de la lourdeur de mes jambes sur les premiers kilomètres. Enfin, j’oublie de m’asperger de crème solaire, et ça aussi ça ne pardonne pas sous le soleil à 16h. Enfin ! cela ne m’empêche pas de partir plutôt confiant à ce moment de la course.
La course à pieds
C’est parti pour 42,2 km, sous une chaleur à l’image de l’aridité qui règne dans la région, et sur un parcours qui me réserve son lot de surprises. La première source de plaisir vient de mes chéries qui m’encouragent pour cette dernière étape : et ça c’est ce qu’il y a de plus important pour terminer ce genre de course. Maintenant c’est le moral qui va me mener à la réussite, ou bien à l’échec. J’ai du mal à prendre un rythme et la première côte n’aide pas dans ce cette recherche. Passage dans le centre ville, et là c’est plutôt agréable : les gens nous regardent passer et certains sont accoudés à une table en train de siroter une bière. On s’assoirait bien volontiers avec eux ! Ensuite une descente un peu casse pattes qui nous mène sur les bords de la Durance et là c’est le cruel passage : un aller-retour de 4 km où l’on se croise entre concurrents. Ca n’a l’air de rien, car c’est plat et il n’y a aucune difficulté. Mais que c’est dur moralement, d’autant plus qu’au moment du demi-tour, on est proche de l’air d’arrivée. J’entends même le speaker annoncer l’arrivée des premiers concurrents ! Pour moi ce sera bien plus tard… Ensuite on enchaîne sur une bosse d’environ 1km, pour ensuite contourner des habitations et des campings : coin très sympa où les habitants et les touristes ne retiennent pas leur souffle pour nous encourager. En plus ils ont la liste des concurrents avec leur dossards : de les entendre vous encourager par votre prénom, ça fait encore plus plaisir.
Un « merci » s’impose et taper dans les mains des gamins qui vous la tendent c’est gratuit, ça ne mange pas de pain : alors j’y vais de bon cœur, même si je n’en ai pas trop la force. Le manque de jus se fait largement sentir … et je n’en suis qu’au premier tour, dont je ne vois pas la fin. Finalement un grande ligne droite nous ramène sur Embrun. Au ravitaillement, je ne sais plus quoi prendre : j’ai des crampes abdominales et j’ai l’impression que mon estomac n’accepte plus rien. Hors de question d’avaler du sucré : je m’en suis gavé au premier tour de course. Alors j’essaie d’ingurgiter une tomate avec un peu de sel. Je trottine et au moment de repartir pour ce second tour l’idée m’effleure l’esprit d’abandonner. C’est trop dur de se remettre à tourner les jambes, et je ne vois pas comment courir encore plus de 20 kilomètres. La seule consolation qui me pousse à essayer, c’est de savoir que d’autres ont encore plus de mal que moi derrière. Et d’ailleurs Franck en fait partie : lui qui est un habitué de ces courses connaît de grosses difficultés. Des problèmes digestifs lui aussi mais bien plus importants que moi, puisqu’il n’a pas réussi à avaler quoi que ce soit depuis le vélo. Ma deuxième motivation vient de ma chérie qui me trouve les bons mots au moment où l’on se croise : « tu ne t’es pas entraîné pendant six mois pour abandonner si prêt du but, allez tiens bon ».
Mais c’est qu’elle a raison ! Alors je repars même si mes jambes aimeraient bien le contraire, et tout mon organisme aussi d’ailleurs. Et du coup je dois affronter une nouvelle fois toutes les difficultés rencontrées au premiers tour. Sauf qu’au deuxième tour c’est deux fois plus dur. J’arrive malgré tout à passer la première bosse en courant, car un autre concurrent qui me remontait me motive à l’accrocher. Du coup je sais pas comment mais j’arrive à faire avec lui au moins 5 kilomètres et trouvant même des ressources pour bavarder avec lui. C’est dingue de voir comment le corps réagit en fonction du moral. Et parlons-en du moral. Dans la partie le long de la Durance on croise des gars dans un salle état : il y en a même un qui est allongé par terre assisté par la Croix-rouge. C’est vraiment un passage de torture : l’endroit où tout les organismes ont décidés de se mettre en hypoglycémie. Quelle idée de nous faire croiser au moment du passage du « mur » ? Voilà encore une explication au fait que cette épreuve est vraiment corsée. Je n’échappe pas à l’hypo : elle me pendait au nez depuis pas mal de temps et je me vois contraint de marcher jusqu’au prochain ravito, laissant partir mon compagnon de course. Arrivé à la table je me bourre à nouveau de sucres en morceaux : j’en prends un grand nombre et serais bien incapable de dire combien tellement j’étais mal.
Je me résigne à ne pas traîner malgré tout de peur de ne plus pouvoir partir définitivement. J’embarque avec moi un bouteille d’eau dans laquelle j’ai pris soin de mettre plein de morceaux de sucres : impossible de courir pour le moment. Je marche en espérant que le sucre va avoir un effet bénéfique.
Mais que c’est long et que le soleil cogne : je regrette depuis le début du parcours de ne pas avoir mis de crème solaire, particulièrement sur les cuisses qui ont pris un méchant coup de soleil. Insolation plus hypoglycémie = cocktail détonant, qui m’oblige à marcher pendant plusieurs kilomètres, et ce n’est qu’en arrivant à hauteur des campings et des encouragements que j’ai pu repartir. Ah public quand tu nous encourages … l’énergie refait son apparition. Je peux donc en finir ainsi avec ma course à pieds, à un rythme très bas certes, sans doute 8 km/h, mais un rythme tout de même. Et à l’approche de l’arrivée, mais qu’est ce qu’il m’ont pas fait ! Voilà qu’ils nous font faire une boucle autour de l’étendue d’eau. Par chance, c’est à ce moment qu’un concurrent se met à ma hauteur, et je suis bien motivé pour le tenir car ses enfants sont avec lui. Quelle belle image : les enfants ont l’air fiers de leur papa. Alors moi aussi je vais terminer dignement ! Je repars de plus belle : je ne sais pas d’où vient cette force, mais elle est bien là et je ne m’en prive pas. Je serais bien incapable de décrire l’état dans lequel je me trouve à ce moment là : en tout cas dans un état second. On ne sent plus ses jambes, on ne sent même plus son corps. Et j’entrevois à cet instant la ligne d’arrivée ; ça y est. Je suis focalisé sur cette ligne et je ne vois absolument rien autour de moi. Je ne me souviens même pas avoir vu ma femme m’encourager : la preuve, j’en ai oublié de prendre ma fille pour franchir l’arrivée, instant que j’aurai tant aimé immortaliser, comme prévu. Ce sera pour la prochaine fois !
L’après course
Une fois la ligne franchie, j’ai bien du mal à me tenir debout et je ne suis plus vraiment lucide. La preuve en est : aujourd’hui je ne me souviens quasiment plus de rien en ce qui concerne les minutes qui ont suivi la course.
Les deux souvenir dont je me souviens clairement sont deux moments douloureux. Le premier n’était pas désagréable au départ puisque je le passais dans les douches mobiles installées spécialement pour les concurrents. Malheureusement j’ai du mettre l’eau un peu trop chaude et je suis tombé dans les pommes pendant quelques courtes secondes. Suffisamment courtes pour avoir un bon réflexe et me rattraper au vol pour ne pas tituber, mais suffisamment longues pour oublier où j’étais et me remettre lentement de mes émotions. Le second n’était pas plus gai puisque qu’il se passait au moment de rejoindre l’appartement aux Orres. Les lacets de l’ascension ont été fatals à mon estomac : je vous épargne la suite !
Finalement l’arrière course ne me laisse pas de bons souvenirs, malgré la joie d’avoir accompli cette épreuve. Je garde donc des détails très précis de la préparation de course, de son déroulement, mais très peu de l’après.
Je constate avec du recul que le plaisir de faire une telle épreuve réside dans sa préparation, et son accomplissement, mais très peu dans sa concrétisation. Une fois réalisé, il y a comme un vide : « qu’est ce que je vais bien pouvoir faire maintenant ? »
La récupération
La semaine qui suit c’est repos complet et récupération. Je ne reprends le vélo et la course à pieds que deux semaines après et de manière très épisodique. Et petit à petit un sentiment étrange s’installe : partagé entre la fierté d’être finisher (et d’avoir le tee-shirt emblématique) et la déception d’avoir mis plus de 14h, la joie de pouvoir profiter d’avantage de ma famille et la nostalgie de mes longues heures d’entraînement. Un vrai vide s’installe et l’automne s’annonce moralement difficile. Je traverse même une période de désintérêt pour tout ce qui m’entoure, limite dépressive. La motivation était tellement intense avant la course, qu’une fois réalisée, je n’avais plus d’objectif qui mobilisait mon intérêt. Il y avait une réelle dépendance qui s’était installée. Il a fallu plusieurs semaines avant de retrouver un rythme « normal », d’apprécier le goût des choses simples de la vie, et de se mobiliser sur d’autres objectifs plus raisonnables.
Ma conclusion personnelle
Une question me vient à l’esprit : à quoi ça sert ? Autant la réponse est claire pour un tri athlète averti et habitué par ces épreuves, autant cela est beaucoup moins évident pour un amateur comme moi, qui se dit un jour « pourquoi pas ». Qu’est ce qui nous pousse à oser ce pari ?
Et tant d’autres interrogations qui s’enchaînent : quel intérêt et quelle satisfaction peut on avoir à réaliser une telle course ? Qu’est ce que ça apporte ? N’est ce pas une folie ? Le corps n’y laisse t’il pas des plumes ? Pourquoi tant de sacrifices ? …
Et bien ce qui me plaît dans le fait d’avoir accompli cette épreuve, c’est que je n’ai pas de réponse établie pour chacune de ces questions. J’ai toujours été admiratif devant la volonté des hommes à accomplir des défis et à pousser ses propres limites : franchir l’Everest, atteindre le pole nord, traverser un océan sur un canoë ou à la nage…
Parfois il y a un intérêt scientifique, parfois un intérêt humanitaire, parfois un intérêt commercial, et parfois aucun intérêt !
Pour ma part, je garderai plein d’émotions intenses de cette épreuve et j’en sors grandi. Une fois de plus je me suis accompli dans l’action et aucune parole, aucun commentaire ne pourra m’apporter plus que ce que j’ai vécu intérieurement avant, pendant et après cette épreuve.
En poussant ses limites, on se rend compte que l’on est plus fort qu’on ne peut le croire spontanément : du coup on ose beaucoup plus de choses, on lève plus facilement les freins psychologiques que l’on a toujours eu.
Je me sens plus fort intérieurement depuis, mais cela ne remplacera jamais le regard admiratif que ma femme porte sur moi.
Je lui dédie cette victoire.
3 commentaires
Commentaire de augustin posté le 11-08-2005 à 17:16:00
CANON!
J'ai aussi la chance d'être un Ironman (au même age) et ai frissoné en lisant ton récit, une multitude de détails sur l'avant, le pendant et l'après et qui ont leur importance.
Bravo, bel exploit en tout cas!
Commentaire de cigaloun dupuy posté le 24-08-2005 à 14:19:00
Salut ironcyril
quel beau CR, il n'y a pas à dire, Embrun est magique.
J'ai rencontré récemment dans mon village quelqu'un qui l'avait fait il y a quelques années, et il en avait encore des frissons et des larmes aux yeux rien que d'en parler.
Bravo, bravo, bravo à toi, (et à ta famille aussi car ce n'est pas facile aussi)
moi ça m'a tellement plus en 2003 que j'ai remis ça cette année.
Commentaire de Louis_Savoyat posté le 02-11-2017 à 16:43:45
Beau récit, superbe conclusion.
J'ai vécu exactement le même sentiment pour la période de "l'après Embrunman". Cette course vous prend tellement aux tripes que lorsque celle-ci est passée, vous n'avez plus goût à grand chôses... et il faut effectivement un certain temps avant de passer à la suite tellement vous vous-êtes accomplis !
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