Récit de la course : La Ronde nocturne des 4 heures de la Sentinelle 2004, par romook

L'auteur : romook

La course : La Ronde nocturne des 4 heures de la Sentinelle

Date : 9/10/2004

Lieu : La Sentinelle (Nord)

Affichage : 602 vues

Distance : 44.8km

Objectif : Pas d'objectif

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Ronde Nocturne des 4h00 de la Sentinelle

La Ronde Nocturne des 4 heures de la Sentinelle

Rappel des épisodes précédents :

Ayant repris la course à pied de manière intensive depuis le mois de juillet, je me retrouve avec cette épreuve devant la première grande étape de mon plan d'entraînement qui devrait cesser au mois de décembre avec ma participation à mon premier 24h. Ayant réalisé la difficulté qui m'attend au travers des divers CR (et ayant un objectif ambitieux d'atteindre les 200 km), j'ai décomposé le tout en plusieurs étapes afin d'aborder l'épreuve le mieux préparé possible. Tout d'abord, le semi marathon de Lille pour franchir la barre psychologique des 17 kms de mon adolescence "officiellement" (c'est-à-dire hors entraînement). La seconde étape correspond à cette première course horaire. 4h00, c'est peu, mais c'est aussi beaucoup. Je n'ai jamais dépassé les 30 km, ni les 2h30 de course (mon temps d'entraînement sur 30 km). 4h, c'est une frontière qui me paraît plus psychologique que physique. J'ai appris à très bien récupérer, je me nourris correctement et je n'ai eu aucun problème de monte en charge kilométrique. Mes amis commencent à s'inquiéter pour moi. Je les rassure : 280 kms parcourus entre le 22 août et le 22 septembre, donc je suis entraîné… L'effet escompté n'est évidemment pas celui là: ils sont encore plus inquiets. Il faut dire que je cumule les activités (4 à 5 heures de squash / badminton par semaine en sus) et l'entraînement du club d'athlétisme, ce qui me fait parfois faire un semi le matin et 2h00 d'exercice de course le soir dans le club... En plus, mon rythme de vie n'est peut-être pas adapté à une vie sportive aussi intense. La troisième et dernière étape est celle des 100 kms du spiridon catalan. La course de 4h est donc très importante pour moi. Elle me permet d'appréhender ce que je risque de rencontrer comme problème physique, psychologique ou mental sur une épreuve "longue". Par ailleurs, n'ayant jamais couru de marathon, il y a là un premier enjeux, le courir, mais aussi acquérir la possibilité de m'adosser psychologiquement le sigle UFO. Objectif avoué : courir 48 km (un petit rêve vers 50…). Ca fait 12 km/h de moyenne, ça ne devrait pas être trop dur je pense…

Quoiqu'il en soit, j'applique à mon corps ma devise intellectuelle : "toujours plus haut, toujours loin". Explication de texte : intellectuel depuis ma plus tendre enfance, je m'efforce de me donner des défis difficiles à tenir, voire irréalisable. Dans les mathématiques, l'informatique, le droit, je conçois la réalisation intellectuelle comme une performance sportive. Tel problème irrésolu, en combien de temps vais-je le résoudre ? Peut-on trouver un outil conceptuel permettant d'analyser et d'expliquer les systèmes des familles de Common Law et romano germaniques… Généralement, je mets en place des plans de bataille que je ne suis pas et mon intuition me permet de trouver un chemin rapide et efficace pour réussir. Avec le sport, je me retrouve face à un adversaire redoutable que je ne connais pas bien : le temps. Le temps d'entraîner le corps, le temps de construire les muscles nécessaires. C'est écrit partout, il faut laisser le temps de la récupération au corps. Je vais devoir être humble dans mes objectifs, ma progression. Une belle leçon de vie en perspective et qui commence à porter ces fruits. Néanmoins, il est vrai que j'ai beau savoir qu'il faut du temps, des fois j'ai envie d'aller plus vite, de trouver ma progression trop lente… "toujours plus haut, toujours loin", on verra bien ;-)

Contexte de l'épreuve :

Après le semi marathon de Lille (4 / 09 /, que j'ai couru n'importe comment à cause d'un départ en fin de peloton (voir mon CR sur kikourou), j'ai pris 3 jours sans course. Il paraît qu'il faut récupérer mais, là, j'ai vraiment la sensation d'en avoir besoin. Je voulais le courir comme à l'entraînement (1h40) et c'est le temps que j'avais fait. Néanmoins, arrivé au 4ème kilomètre en 26', j'avais tout remonter jusqu'au 21ème pour finir en 1h40. Résultat : bien fatigué le reste de la journée et le lendemain, j'étais toujours aussi fatigué. Bref, rien avant d'aller faire des côtes au Luxembourg pendant 45'. Ce jour-là, pas de problème particulier, ni de fatigue spécial. J'ai repris l'entraînement tranquillement de ce fait. Tout va bien jusqu'au 16 septembre : date de mes écrits à l'examen d'entrée à l'école d'avocat. Révision intense les 14 et 15. La nuit du 15 au 16, je ne dors pas à cause du volume important de thé bu dans la journée. Pas de course à pied non plus pour ne pas me fatiguer inutilement. Le 16, jour de l'épreuve, j'ai la sensation d'avoir bien réussi. Je sors de l'épreuve avec le sentiment d'être le maître de l'univers, même si je sais que ce n'est pas parfait… J'ai envie de courir, mais la nuit courte me fait dire que ce n'est pas une bonne idée. Petite sieste dans l'après midi. Le soir, je fête la fin de l'épreuve chez des amis (comme ça, on fête quelque chose quand même ;-) ). Je rentre chez moi vers minuit, heure à laquelle je décide qu'il est temps pour moi de courir : j'en crève d'envie depuis deux jours. Oublier la nuit blanche, l'alcool bu pendant la soirée… Et puis, je n'ai pas couru depuis 3 jours, le corps est forcément reposé, allez hop! On s'habille et on va en profiter pour voir ce que ça fait de courir la nuit, le ventre plein… Dans la perspective du 24h, je me persuade même que c'est la situation idéale d'entraînement… Dieu qu'on peut être c.. quand on est jeune ;-)

Habillé pour la nuit, voici donc un jeune homme de 28 ans qui traverse les rues de Lille à minuit et demi, avec son brassard lumineux clignotant, et qui, un peu comme une étoile filante va dérouler une petite quinzaine de kilomètres de bitume… Tout va bien, sensations géniales, je croise des gens qui - visiblement - sont inquiets de me voir (me considère-t-il comme un type prêt à les agresser ou comme un fou échappé de l'asile ?). Mais les trottoirs de Lille ont ce charme d'être toujours penché et en empruntant une partie du Boulevard Vauban, je me rappelle qu'au semi, j'avais éprouvé une douleur qui aurait pu se transformer en tendinite si je n'avais pas eu la bonne idée de courir sur le milieu de la route et d'alterner les trottoirs pour changer d'inclinaison. A 4 km de la fin, je cours depuis un peu moins d'une heure, je sens une mauvaise sensation à la cheville gauche, voire au tendon d'achille gauche. Je ne m'en inquiète pas puisque, dans quelques minutes, je suis chez moi. Mon arrivée me fait dire que finalement, c'était une très mauvaise idée d'aller courir le ventre plein, sans avoir bu une goutte d'eau depuis 18h, largement remplacé par l'alcool qui est un déshydratant magnifique, sans avoir véritablement dormi depuis plus de 48 h, hormis la sieste d'une heure... Douche et dodo : on verra demain.

Lendemain matin horrible, la cheville gauche ne veut plus descendre l'escalier. C'est très douloureux. Je ne comprends pas la douleur : tendinite, fatigue de l'articulation, contracture ? La douleur est tellement diffuse que je n'y comprends rien. Je m'impose trois jours de repos total. 3 jours plus tard, je cours 7 km pour faire un petit test : j'ai mal, mais moins. Le lendemain, j'y retourne. 7 km toujours. Je cherche une foulée extrêmement rasante. Je n'ai pas mal, mais je préfère m'arrêter : je n'ai pas confiance. Je penche vers une petite tendinite. Demain piscine. Le surlendemain, je fais 14 kms (en 1h04). Au bout de 45', j'ai une légère douleur. Je m'inquiète car dans quinze jours, je fais les 4h… Décision sage, je ne cours pas pendant huit jours + anti-inflammatoire + pommade anti-inflammatoire. On verra bien après.

Le 1er octobre, je cours 13,5 kms dans un terrain vallonné en 1h01'. Aucun problème. Le lendemain, je vais récolter du miel dans mes ruches.. Plusieurs heures debout à transporter des hausses de 10 / 15 kg. Je considère que c'est suffisant et je ne vais pas courir le dimanche. Le lundi, 9 kms en 41', terrain vallonné. Toujours aucun problème. A la fin de la semaine la course. Je me sens mieux physiquement, mais pas trop rassuré tout de même intellectuellement. 3 jours plus tard, histoire de me rendre plus confiance, je vais courir 21 kms (1h42'). Je découvre avec effroi que mes jambes sont lourdes et font mal. En fait sur 15 jours, j'ai couru l'équivalent d'un marathon… Ca m'inquiète. Résultat: la veille, je vais courir 14 kms pour vérifier que sur une "petite" distance, mes jambes ne font , elles font la tête. Dommage, c'est le cas. Avant j'étais angoissé sans savoir. Maintenant, c'est mieux, j'ai de bonnes raisons d'être angoissé. Courir 4h00 en s'étant fatigué la veille, y a des claques qui se perdent… Ah! Angoisse quand tu nous tiens…

Préparatif :

Bon, j'ai préparé mes affaires : 1 maillot manches longues, 1 débardeur, 1 paire de chaussure, 1 paire de chaussette, 1 cuissard mi-long moulant, le sparadrap et les ciseaux pour le découper, le cardio, 1 coupe-vent, 1 bonnet, 1 paire de gant, 1 Gore-tex, 1 ceinture porte-bidon, 3 litres de boisson énergétique (pour pendant l'épreuve), 1 litre d'eau minérale (après l'épreuve), 2 pâtes de fruit, la vaseline.

L'épreuve se déroule de 17h30 à 21h30. Il risque de faire très frais. Arrivée devant l'église, je vais chercher mon dossard puis m'habille dans ma voiture. Sparadrap sur les tétons et sur les orteils susceptibles d'avoir des ampoules. Vaseline au creux des cuisses. Puis tout le matériel sauf le bonnet et les gants que je dépose à la table de ravitaillement avec mes boissons… J'ai la sensation d'être un peu "bêbête" avec ma ceinture porte-bidon alors que le ravitaillement est présent à chaque tour (1,350 mètres), mais bon, je ne veux pas perdre de temps au ravitaillement.

L'organisation est sympa, les gens charmants. Il y a une estrade avec un animateur "plein d'humour" (je n'ai pas ri au début, mais au bout de deux heures, je dois avouer que c'est sympa, sûrement un effet secondaire de la fatigue…). Il y a une table pleine de ravitaillement divers (eau, café, orange, chocolat). Il y a possibilité de déposer le sien, j'en profite tout de suite ;-)

Echauffement rapide des articulations (genou, cheville). Il est déjà l'heure de se mettre en ligne. Il y a 12 individuels. Le reste est en équipe. Je veux faire 48 kms, soit 12 km/h de moyenne. Je règle le cardio sur 155 bpm max (120 bpm min auquel je ne touche pas), avec un bip de rappel à l'ordre. Evidemment, je suis à 85. Résultat, il se met à bipper tout de suite. Tout le monde me regarde : je me sens ridicule.

Départ :

Top départ. Comme je l'avais prévu, la plupart des coureurs partent en trombe. Hors de question de me mettre à leur rythme. Pour être sûr de ne pas me tromper dans ma vitesse, je porte mon attention sur le temps que je dois mettre au tour. Je calcule en découvrant le circuit. J'en arrive à la conclusion que ce doit être vers 7' / tour. Premier tour en 5' 30. Et ça fait "bip", "bip"… On a un peu l'impression que j'ai sur moi un émetteur pour éviter de me perdre dans la nuit, mais il fait encore jour… Les concurrents que je double ont l'air surpris d'entendre ce "bip". Je me doutais que le premier tour se serait n'importe quoi alors je ne m'étonne pas… 166 bpm, bon, ben faut ralentir…

Le circuit est une boucle démarrant devant l'église et tout en sinuosité dans un pâté de maison. Il y a de tout. C'est sympa. Premier virage à droite : 90°. 3mètres plus loin à gauche, 90°. C'est sympa, ça casse bien le rythme. Ensuite, un tronçon de route (double virage) avec un dos d'âne. Puis une petite montée qui mène vers l'arrière d'un terrain de basket. C'est un petit chemin de gravier. Au bout, virage à droite de 90°, puis 5 mètres environ et re-virage à gauche de 90°. Ligne droite de 100 mètres environ avec deux dos d'âne. Puis, virage à gauche (90° encore!) puis montée pendant 10 mètres avant le virage à droite (à 90° évidemment). Tout droit pendant 50 mètres avant le virage à droite de nouveau (devinez combien de ° …) puis une vraie ligne droite pendant 250 mètres avant un petit virage sur la droite (obligé de traverser un monticule de terre plein d'herbe). Là, on déboule sur un parking où il y a un signaleur qui m'a fait dès le premier tour un sourire génial et n'a pas cessé jusqu'à la fin (merci à lui!). On tourne à droite et on fonce vers l'église qui est à 300 mètres, sauf que 50 mètres avant on tourne à droite et on grimpe 50 mètres dans des graviers avant de redescendre dans un morceaux de lotissement où l'on enchaîne dans un virage à 90°, sur la droite, un dos d'âne puis une série de garage dans un virage sur la gauche avec le trottoir très incliné de gauche vers la droite (exactement l'inverse de ce qu'il faudrait pour un cycliste ou un coureur). Ensuite, on continue 50 mètres de descente puis virage à gauche et direction la place de l'église. En arrivant, il faut éviter – à cause de l'élan – de trop prendre la corde du virage vers la droite (90°) à cause du trottoir et des plantes qui débordent, mais vu qu'il y a deux mètres maximum avant la route, de se vautrer dans les barrières également. Et là, triomphal, glorieux, vous êtes admiré par une foule en délire composée essentiellement des coureurs par équipes qui attendent le relais et vous reprenez le tour encore, et encore, et encore… Bref, beaucoup de passage qui casse le rythme. Courir d'une manière régulière était difficile du fait des "obstacles" du parcours (virage peu pratique et très court).

J'essaie de ralentir, mais la machine est lancée et ne veut pas s'arrêter. Au bout de 20 minutes de "bip", "bip" intempestif. Le choix de la raison s'impose. Je passe le cardio à 165 bpm. Cool, il ne dit plus rien. Résultat, je vais sûrement courir trop vite. Il faut que je me surveille. Jeune étalon fougueux, j'ai toujours envie d'aller plus vite, ce qui n'est vraisemblablement pas une bonne idée dans ce genre d'épreuve… Et puis, comble de l'idiotie, choisir de mettre le cardio plus vite alors qu'on l'avait mis pour éviter de courir plus vite… Y a encore des claques qui se perdent ;-)

Ca fait trente minutes de course, j'entends deux coureurs, qui discutaient entre eux, dire que le tour fait 1,8 km. Le doute s'insinue dans mon esprit. Une ou deux minutes plus tard, mes cuisses me crient qu'hier elles ont couru 14 kms. "Ah bah, ça commence bien" Des douleurs a à peine une demi-heure de course et un premier tour de 1,8 km en 5'30, je vais pas durer longtemps comme ça… La course, c'est 4h00 alors je leur explique que c'est pas la peine de râler, je ne m'arrêterai pas. Je serai ferme sur cette décision, pas de négociation possible. Un des signaleurs du parcours m'a fait cette plaisanterie : "Allez, courage, c'est bientôt la fin, plus que trois heures trente!" J'ai bien ri… On est bon public quand on commence à avoir mal aux jambes et qu'on devrait pas..

1H00 : 13,5 km

Au bout d'une heure de course, en remplissant mon bidon de 0,5 litre, je demande que l'on me dise combien est le tour (1,350 km) et le nombre de tour que j'ai fait. Au tour suivant, on m'annonce 10 tours, soit 13,5 km/h de moyenne. Je me dis que je suis bien. Cardio : 160 bpm. Chevilles : OK. Cuisses : OK. OK?! Ben oui, elles ont arrêté de m'embêter sans que je m'en aperçoive. D'ailleurs, la première heure est passée vite. J'ai essayer de repérer les concurrents individuels au milieu des personnes qui courent comme des flèches en équipe. Il y avait même une jeune et jolie femme. J'ai eu le plaisir de la découvrir par derrière la première fois, lorsqu'elle m'a doublé… Il y a comme ça des visions dans une course que l'on a du mal à oublier. Bref, site à mon passage au ravitaillement, je décide de baisser le rythme sérieusement. Ce qui me fait peur, c'est qu'il n'y a pas de fin de parcours, puisque la fin c'est un temps. Il faut que je m'économise plus en espérant qu'il ne soit pas trop tard… J'arrive progressivement à faire descendre mon pouls à 155 bpm. La nuit commence à tomber, et il fait de plus en plus frais. Par chance, le parcours est très bien éclairé. J'avais pensé qu'une lampe de poche aurait pu être utile, mais j'avais oublié de l'emmener ;-) Deux femmes sur le dernier tronçon du circuit encouragent tous les coureurs, elles resteront là plus d'une heure. Quelle courage dans le frais de la nuit qui tombe! Au bout d'une heure trente environ, c'est le moment où l'animateur nous prévient que la musique va déferler "dans nos zoreilles". C'était sympa, mais on en profitait qu'en passant au ravitaillement sur la Place de l'église… J'ai bien pensé à prendre mon lecteur MP3 pour me distraire mais, en fait, le parcours était tellement torturé, que l'on avait pas le temps de trop penser ou de s'ennuyer. Seul le petit plan incliné dans l'avant-dernier virage, près de la série de garage, m'ennuie car je n'ai toujours pas trouvé un moyen de le négocier sans me faire mal…

2h00 : 25 km

Je profite du ravitaillement pour demander mon nombre de tour. Au tour suivant, on m'annonce 25 km. J'ai fait mon tour à 12 km/h. Cool, je suis dans mon rythme. Je suis bien et je n'ai pas peur de rentrer dans les territoires inconnues du au-delà de 2h30… J'ai mis mes gants. D'ailleurs, je m'interroge sur le pourquoi de l'existence du "mur" du marathon. Est-ce parce que les réserves du corps s'épuisent pour tout le monde à ce moment –là ? Est-ce parce que les sorties les plus longues des marathoniens qui rencontrent ce mur est d'environ 30 / 35 km ? Est-ce une barrière psychologique de la presque fin de course ? Vais-je le rencontrer ? Pourquoi, dans les CR de 100 km ou de 24h, on ne le voit pas ? Bref, je commence à me poser des questions. J'ai échangé quelques mots avec un marcheur. Je l'ai doublé un certain nombre de fois et on s'encourage mutuellement. Parfois, je croise des coureurs que j'encourage lorsqu'il me semble qu'ils peinent plus que moi. Au moins, ceux-là, je suis sûr qu'ils sont en individuels. En fait, je m'apercevrais à la fin que ce n'est même pas vrai… Je regarde ma montre, 2h30 de course. Je dois être à peu près 30 km de course. Je vais passer le marathon en 3h30, voire moins, c'est cool… Des petites douleurs normales aux jambes se manifestent, rien d'alarmant. Je suis détendu tout va bien. Au ravitaillement, je m'arrête prendre un carré de chocolat. Je repars en marchant quelques mètres, puis redémarrage… 2h45 de course, plus rien ne va dans ma tête. Le corps est ok, mais je commence à me dire que c'est idiot de tourner en rond comme ça. Et puis, avec la nuit qui est tombée, on se sent seul. Déjà que nous étions peu nombreux, l'animation étant faite essentiellement par les coureurs par équipes, ceux-ci ont l'air d'avoir disparu. Je salue une dame à une fenêtre qui montre à un petit garçon, les rares fous qui traverse sa route en quête d'une course contre une horloge, course perdue d'avance… 2h55, un coureur qui a une foulée aérienne me lâche "Accroche toi mon gars, il reste plus qu'une heure cinq!". Je lui souffle un "Ca devient dur" que je trouve idiot car il fait la même course que moi. Par ailleurs, en me doublant, il a dû voir que j'étais en difficulté sinon il ne m'aurait peut-être pas dit ça. Je lui emboîte le pas et essaie de l'avoir à l'œil. Je tiens deux tours comme ça.

3h00 : 35 km

Au passage des trois heures, une des compteuses de tour m'encourage et me crie que j'en suis au 35ème km. Mon esprit est embrouillé, je n'arrive pas à savoir si je suis encore capable de faire 48 km dans le temps qu'il reste. Je bois. J'ai mangé des pâtes de fruit à 2h45 de course environ. Je me dis que mes amis ont raison : je suis fou de faire ça. Mes jambes ne font pas vraiment mal, mais elles se dandinent. Elles avancent sans que j'ai l'impression de les contrôler. Les dos d'âne sont des buttes gigantesques et le petit dénivelé de la fin me paraît être le Mont Everest. Quant au plan incliné, c'est ma bête noire. Je n'ai pas mal, mais j'ai peur de me tordre la cheville. En plus, le noir rend le parcours incertain ce qui, avec le trouble dans lequel mon esprit se trouve par moment, rend des virages dangereux… Je tourne sans trop me poser de questions. En fait, je m'aperçois que plus les minutes passent et plus je retrouve du courage pour avancer. A 3h45, on m'annonce que j'ai fait le marathon. Plus rien ne va. Toutes mes émotions enfouies de ces derniers mois ressortent d'un seul coup. Le pourquoi de ma course… Mes échecs… Les décisions que j'ai prise dans ma vie personnelle… Les personnes que j'ai rencontrées… Les larmes sont sur le bord des yeux et j'ai grand peine à ne pas pleurer comme un bébé. Tout tourne et un dos d'âne arrive. Je me concentre pour le passer. J'ai totalement oublié que je voulais faire 48 km. J'avance, c'est tout. J'ai envie que ça cesse. En même temps, j'ai envie que ça continue sans fin. Je ne sais plus qui je suis. Je ne sais pas où je vais. La nuit est étoilée. Je cours. Je suis triste. Je suis heureux. Tout est mélangé. Un tour et on m'annonce que je repars pour le dernier. Si j'arrive après la fin, il ne sera pas comptabilisé. J'ai 8'30 pour le faire. Je ne me pose pas de question j'avance. En fait, je ne me suis pas aperçu que j'étais si lent. A 200 mètres de la fin, on me crie "plus qu'une minute!". Alors, je sprinte. Incroyable, mais on y arrive. Certainement pas du Carl Lewis puisque j'ai passé la ligne d'arrivée au moment du décompte des trois dernières secondes. J'ai fait 33 tours, soit 44,8 kms (mais quand je fais 1,350 x 33, j'obtiens 44,55 kms, je ne comprends rien...). J'ai fait mon premier marathon et je suis UFO, deux petits récompenses qui compensent les non-48 kms parcourus. Je suis aussi le dernier à être arrivé.

Direction la salle en face du poste de ravitaillement. Un bol de soupe chaude dans lequel on glisse du fromage rapé et trempe des bouts de baguette beurrés… Je m'assieds et savoure. Puis, un second bol. S'asseoir et se lever de la chaise représentent des efforts importants pour les cuisses… Direction : les douches. C'est bon, ça fait du bien. Remise des prix rapide. Je suis content car je suis 5ème sur 12. Le premier a fait 50 km. Je n'ai plus mal aux jambes déjà. La course est finie depuis 1 heure environ. C'est incroyable la vitesse à laquelle on récupère. Je reprends ma voiture, direction dodo. 1 heure de route. La voiture connaît le chemin toute seule. Demain, j'ai une partie d'échecs, je ne serai probablement pas trop fatigué pour jouer. Ca me rassure. Effectivement, le lendemain, j'ai gagné ;-) Sinon pas de courbature, juste un petit mal aux jambes: j'ai fait un léger footing de 3 km en 18'. Juste pour "sentir"… Tout allait bien. Rien le surlendemain de la course. Hier, 14 km en 1h10'. Au bout de 7 km, j'ai senti que j'avais quand même couru récemment ;-) Aujourd'hui, rien. Demain, un semi pour vérifier et reprendre l'entraînement. Y a le 100 km qui me tend les bras le 6 novembre... C'était une course sympa, les organisateurs sont très sympa. Les gens qui encadraient la course étaient tous très souriants. C'était vraiment une ambiance super. Le seul regret est finalement que la course se soit terminée si vite… Quand je me suis arrêté de courir, ça m'a fait étrange et j'avais envie de repartir…

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