Récit de la course : Sur les Traces des Ducs de Savoie 2023, par Grego On The Run

L'auteur : Grego On The Run

La course : Sur les Traces des Ducs de Savoie

Date : 29/8/2023

Lieu : Courmayeur (Italie)

Affichage : 273 vues

Distance : 145km

Objectif : Pas d'objectif

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TDS 2023 : Le froid, la pluie, la neige ; mais que du bonheur.

Récit écrit 5 jours avant la TDS 2024 à laquelle je participe aussi.

Pour les photos il faut aller là :

https://firstquartilerunners.wordpress.com/2024/08/19/tds-2023-le-froid-la-pluie-la-neige-mais-que-du-bonheur/

Des conditions climatiques compliquées : On vous avait prévenu !

J'ai rejoint Chamonix samedi matin avec toute la famille. Nous avons loué un appartement au Majestic, ancien palace de l'entre-deux-guerres transformé en copropriété. Les couloirs me font penser à ceux de l'hôtel qui sert de décor au film Shining de Stanley Kubrick, avec le grand Jack Nicholson qui déambule avec sa hache pour trucider son fils et sa femme. Ambiance. C'est froid !

"Froid", c'est ce qui nous est annoncé dès la veille de la course. Nous recevons un SMS indiquant que le kit "grand froid" est activé et que le parcours de repli contournant le Passeur de Pralognan est également en vigueur. Je suis maudit, Stephen King m'a jeté un sort et, dans son scénario, il ne veut pas que je passe par ce col !

Kit grand froid : Cela signifie que les gants, le bonnet, et la super Gore-Tex sont requis. Heureusement, je n'ai pas oublié ma Gore-Tex à 450 g (et autant en euros), qui va encore une fois me sauver la mise sur cet Ultra, comme elle l'a déjà fait sur le Tor des Géants en 2021. Cette Gore-Tex Arc'teryx est l'un de mes meilleurs achats ! De même que mon pantalon imperméabilisé de marque Décathlon, acheté pour l'UTMB 2017, qui m'avait déjà sauvé la mise à l'époque.

Nous sommes le lundi 28 août 2023, il est 21 heures. Il fait déjà nuit, il pleut, et il commence à faire froid. Je déambule à pied dans Chamonix pour rejoindre le parking des navettes en partance pour Courmayeur.

23 heures : Courmayeur. Toujours un bonheur d'être là. J'adore Courmayeur. Je n'y ai que des bons souvenirs. C'est le départ du Tor des Géants. Et cette année, la TDS partira exactement du même endroit, avant ce fameux rond-point. Le speaker nous annonce que le départ est retardé car toutes les navettes ne sont pas encore arrivées. Nous restons assis sur le bitume, et, oh surprise, Mme Catherine Poletti elle-même fend la foule pour nous saluer et serrer la main à ceux qui le souhaitent. C'est sympa. Je n'ose pas, je ne saurais pas quoi lui dire. Pour tout vous dire, je commence à vraiment me geler assis par terre.

Top départ à minuit 40

Enfin, nous partons sur une musique qui n'est plus celle de Gladiateur (édition TDS 2021), dommage car j'ai tellement écouté ce titre que je suis un peu déçu, c'est sûr ! Je crois que nous entendons la musique du film Pirates des Caraïbes (à confirmer, mais je n'aime pas ce nouveau choix). La température n'est pas celle des Caraïbes en tout cas. Après la grande traversée de Courmayeur, ce n'est pas le col de l'Arp qui nous attend (clin d’œil à ceux qui connaissent), mais une autre pente, de ski celle-là. Mes sensations ? Elles ne sont pas terribles sur cette piste de 4x4. Je me fais dépasser par des coureurs plus en forme que moi. En fait, je n'ai pas le même tonus qu'en 2021, où je montais comme une balle en plein soleil (le départ était donné l'après-midi) après avoir avalé mon cappuccino à Dolonne (lieu de départ à l'époque).

Je ne m'inquiète pas trop. En fait si, mais je ne me l'avoue pas ! La température baisse assez brutalement, et je commence à avoir des petits problèmes de "j'ai très mal à mes phalanges malgré mes gants de ski". J'arrive à 2h55 du matin à l'arête du Mont Favre en 672e position. C'est déjà dur, mais le plus dur est à venir.

Sur le faux plat qui longe le lac Combal, je n'arrive pas à suivre le rythme. J'alterne tout petit trot avec marche rapide. Je me fais doubler par paquets. Je pointe en 803e position à 3h36 du matin au ravito du lac. Il se met à neiger maintenant et le froid est intense.

La neige s'invite pour la montée vers le col Chavannes

J'assiste à un spectacle surréaliste. Au pied de la montée du col Chavannes, des coureurs sont déjà complètement frigorifiés. Certains se font frictionner pour être réchauffés. Cela dit, je suis surpris par leur équipement : une seule couche et une Gore-Tex à la Mickey (sac poubelle). La montée se passe mieux pour moi. Mais mes phalanges, sous mes gants de ski, commencent à me brûler de froid. Il neige assez fort, et on se croirait en plein hiver lors d'une SaintéLyon, sauf qu'en l'espèce, nous sommes à 2500 mètres d'altitude. J'apprendrai plus tard qu'à ce moment précis de la course, le ressenti était de -10 degrés. Il me tarde d'atteindre le sommet pour redescendre et me réchauffer. Nous sommes toujours à la queue leu leu. Il est 4h49 du matin quand je bascule de l'autre côté du col ; je pointe en 677e position.

C'est long ce nouveau parcours jusqu'au Petit Saint Bernard !

Il s'ensuit une très longue descente, hyper roulante, longue, longue, mais très longue, et plutôt casse-gueule la nuit tellement elle est monotone et qu'un moindre faux pas peut vous envoyer dans le décor.

Je ne reconnais pas le parcours, que je trouve beaucoup plus long qu'en 2021. Il ne neige plus, c'est déjà ça. L'aube est là et je suis toujours très loin du col du Petit Saint Bernard. J'arrive poussivement, fatigué et affamé, à 7h28 du matin, en 761e position. Il fait froid, je ne peux pas m'arrêter longtemps de peur de me transformer en glaçon. Je file très vite pour me réchauffer dans la descente en direction de Bourg-Saint-Maurice.

Le plus vite possible vers la vallée

Plus de souvenirs sur cette descente, qui ne présente aucun intérêt, si ce n'est celui de se réchauffer.

Le plat dans la vallée est très usant. Mais il fait presque chaud et c'est déjà ça de gagné. Je ne m'attarde pas dans cette base de vie ; je suis contrôlé pour le matériel obligatoire. Je suis surpris de ne pas être capable de changer ma batterie pour ma frontale Stoots ; je demande donc l'aide de ma contrôleuse d'équipement pour ce faire, car j'ai toujours les doigts engourdis par le froid de la nuit terrible que je viens de passer. Je sors de BSM à 9h58 en 689e position.

Parcours de repli et retour vers le futur... froid

Après une montée assez sèche, j'emprunte le parcours de repli, qui sera d'un ennui patenté. Je cours (enfin, je trotte) en grande partie sur le bitume sous un ciel hyper gris, avec un crachin qui nous accompagnera toute la journée, à l'exception de 15 minutes de grâce (j'y reviendrai).

Que dire de plus sur cette matinée ? J'ai froid, je suis mouillé ; sur la dernière portion de route, je suis contraint de courir pour ne pas me refroidir jusqu'au Cormet de Roselend à 13h43, lieu que j'avais imaginé plus magique et que je découvre avec tristesse, tellement en décalage par rapport à ce que j'avais projeté. Le directeur du Tour de France considère que c'est le plus beau passage du Tour... Faudra le faire en vélo alors... et non en chaussures de trail.

Enfin le moment de grâce !

Il ne faut pas croire, tout arrive sur un Ultra. Et ce moment de grâce va arriver sur cette portion de parcours creusé le long d'une falaise à quelques encablures de La Gittaz. Et franchement, cela valait le coup de vivre tout ça... pour ça. Des rayons de soleil percent le plafond de nuages pour éclairer de manière magique un paysage venant tout droit du Seigneur des Anneaux. Magique ! Est-ce cet endroit que l'on nomme le chemin du curé ? C'est magnifique, cette lumière post-orage.

Mais cela ne va pas durer.

Je pointe à La Gittaz en 603e position et il est 15h47.

La piste de boue qui glisse, l'estomac qui brûle

Le parcours en descente est hyper boueux, à un point tel qu'il est dangereux. Les chaussures de trail, même avec des crampons de 30 mm, ne peuvent pas accrocher et il n'y a absolument rien dans ce paysage d'alpage pour se tenir à quoi que ce soit. Je cours sans bâtons, comme d'habitude, mais je ne suis pas certain qu'ils seraient d'une quelconque utilité dans ce single track glissant comme une patinoire. Il ne faut pas tomber, sinon on se relève complètement crotté, sans vêtements de rechange, surtout les gants !

Et puis vient la descente plus sèche en direction de Beaufort ; le temps est un peu plus clément. Mais je fais une erreur qui va me coûter cher. Juste avant l'amorce de la descente, je trouve sur la table du pointage une barre de Naak ; je la dévore en 2 minutes. Hélas, je ressens des brûlures d'estomac qui vont m'accompagner durant la quasi-totalité de la descente jusqu'à Beaufort. Je cherche un petit pré pour m'allonger sur le côté, pour faire passer cette brûlure. J'enlève mes gants, j'essaie de masser au niveau de l'estomac. Rien n'y fait, je me tords pour essayer de faire passer. Je vais me faire dépasser par de nombreux coureurs. Je donnerais n'importe quoi pour faire passer la douleur. Mon sac de change pour un soulagement de ma douleur à l'estomac. Je fulmine contre le fabricant, sponsor de l'événement, pour avoir conçu des barres qui passent si mal.

Et puis cela passe sans trop savoir ni quand ni comment.

La nuit tombe lorsque je suis au niveau du sous-bois.

J'arrive à la base de vie de Beaufort à 20h35, j'en ressors à 21h04 en 567e position.

Deuxième nuit, de mal en pis

Beaucoup de coureurs abandonnent à Beaufort en raison des conditions climatiques qui les ont rincés. Ils n'ont pas de regrets à avoir selon moi. Car en ce qui me concerne, la deuxième nuit sera plus "frigorifiante" que la première.

J'apprécie cette portion du parcours, car je me rapproche d'un sentier très familier, que j'arpente en hiver lorsque je réside au col des Saisies, au-dessus d'Hauteluce. Il s'agit du "chemin de crête" le long du Mont Clocher, qui passe à quelques dizaines de mètres du restaurant d'altitude appelé Le Patafan, qui a une vue exceptionnelle sur le Mont-Blanc. D'accord, c'est la nuit et on ne voit absolument rien, mais ce sentier me réconforte car il m'est familier.

Alerte rouge

Il est 1 heure du matin. Le sentier est boueux, j'ai les pieds mouillés, il fait très très froid. Curieusement, ma Gore-Tex et mon pantalon imperméabilisé ne jouent plus leur rôle. L'hypothermie se rapproche dangereusement ; dans ma tête, le mode panique se met en marche. Sur une échelle de 1 à 5 (5 étant l'alerte maximale, "allo l'hélico !"), je dépasse le niveau 4. Il faut impérativement que j'arrive au prochain ravito, dont j'aperçois les lumières, là-bas tout au loin. Comme un phare. Sauf qu'il est encore assez loin. Je cours, les jambes à mon cou sur ce sentier pour 4x4. Tout là-bas, c'est le refuge de la Remontée du Signal. Vite, vite, il faut que j'arrive pour me réchauffer impérativement.

Enfin, j'y suis. Je pointe à 2h48 en 334e position. Il y a de la lumière, il fait chaud - un peu - il y a de la chaleur humaine, même si les têtes des coureurs sont en berne. Un peu une ambiance fin du monde. Je mets une polaire, tout ce qu'il me reste dans mon sac. Et vite, je repars pour la descente vers les Contamines ; seul moyen de vraiment me réchauffer, c'est de changer d'altitude.

Descente vers les Contamines en mode combat

Finalement, je vais me réchauffer assez vite.

Dans le sous-bois, j'ai quelques hallucinations. Je vois des nains de jardin dans les arbres. Ne me demandez pas comment cela est possible.

Le faux plat est très très long, je ne relance pas vraiment. J'ai besoin de souffler un peu.

L'arrivée est très belle. Il y a une belle lumière, des lanternes au sol.

J'entre dans le ravito, assez rasséréné, à 4h40 en 331e position.

La fin est proche, car je sais qu'il ne reste qu'une seule vraie difficulté. Une histoire de col du Tricot. Mais bon, on n'en fera pas toute une machine à coudre.

Last one

Je trouve finalement que cette première montée n'est pas si difficile que cela.

Hélas, en fait la vraie difficulté de ce col de Tricot, c'est après la cuvette. On doit redescendre dans un trou avant de devoir monter cette muraille dont je vois toutes les frontales jusqu'à son sommet.

Pas simple, cette montée.

J'ai décidé de ne pas relever la tête et de monter en suivant un rythme de sénateur. On ne va pas lâcher si près du but.

L'aube est là.

C'est beau, alors profitons-en.

Les derniers hectomètres sont difficiles, car très boueux ; j'ai du mal à terminer sans glisser et reculer dans la pente. Je dois m'accrocher à des herbes pour ne pas tomber en arrière.

Et puis c'est la libération, une fois le col passé à 7h15 ! Terminées les difficultés ! Ce col de Tricot à l'aube, c'est comme un "petit" Malatra. Je ressens une vraie décharge de dopamine. J'exulte.

Le reste, ce n'est que du bonheur.

Que du plaisir pour terminer

Le reste du parcours jusqu'aux Houches est juste magnifique. C'est sauvage, alpin, minéral, et puis le ciel s'éclaircit avec un magnifique soleil. Quelle belle récompense.

J'arrive aux Houches à 9h12 en 284e position. Et je décide de prendre mon temps pour complètement me changer : enlever le pantalon et la Gore-Tex à 450 g, qui ne sont plus appropriés étant donné les nouvelles conditions climatiques. Presque la canicule ! J'appelle la famille pour leur dire "j'arrive, tenez-vous prêts !". Si j'ai fait tout cela, c'est pour la photo finish que je rêve de voir sur mon piano à Paris. Je vais arriver à 10h37 après 33h57 minutes de course, en 301e position.

Et bien, la voilà, la photo finish. "Tout un Ultra Trail pour une photo !"

Quel bonheur.

  
 

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