Récit de la course : Nove Colli Running 2024, par marathon-Yann

L'auteur : marathon-Yann

La course : Nove Colli Running

Date : 11/5/2024

Lieu : Cesenatico (Italie)

Affichage : 269 vues

Distance : 202km

Objectif : Pas d'objectif

5 commentaires

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Seul avec du monde autour

Adieu Twitter, Insta', Snap', dommage, j'vais rater quelques mèmes


Mon ami Pierre M m'avait parlé avec enthousiasme de la Nove Colli. Plus que les 200 km et les fameux neufs cols, plus que la découverte d'une grande classique des ultramaratons, c'était la perspective de courir une nuit dans la montagne, hors du bruit du monde et hors du temps, qui m'avait attiré. Et les fraises aux ravitaillements, bien sûr.


Mais comme on n'est pas toujours conséquent, j'ai pris mon billet d'avion retour pour le dimanche à 20h à Bologne, à plus d'une heure de route de l'arrivée. Avec un rassemblement à 10h le samedi matin et un cut off à 30h, ça me semble largement jouable, jusqu'au moment où je découvre en relisant le règlement que le départ de la course n'a lieu qu'à midi. Vais-je avoir mon avion ? Si je cours en 27h ça semble jouable, meme si en consultant le classement de l'an dernier cela me placerait dans les 10 premiers. Pour ce qui est de courir hors du temps, c'est mal parti !


Et que ferons-nous entre 10 et midi ? D'abord, un long briefing en italien, dont je ne comprendrai pas un mot, dans la belle salle climatisée du musée de la marine. Puis, un peu après 11h, les coureurs vont se placer une dizaine de mètres derrière la ligne d'arrivée. Là, nous sommes appelés un par un, et sous les applaudissements aléatoires du public nous allons saluer l'organisateur, qui en profite pour allumer notre balise GPS. Un bien beau rituel de départ. Et comme nous sommes en Italie, le rituel se poursuit avec le prêtre du village, qui vient non seulement nous bénir mais prier pour nous, et prier avec nous. Spectacle inédit pour moi de voir un peloton réciter un Notre Père avant de s'élancer dans les montagnes, comme des soldats avant de monter au front.


Autre particularité de cette course : les premiers kms sont courus derrière un pace-maker, un vélo qu'il est interdit de dépasser. L'idée est de garder un peloton assez groupé dans la circulation pour des raisons de sécurité. Finalement, c'est 20 kms d'échauffement et seulement 180 de course , sourit Balazs. On avance cependant assez vite, à plus de 10 km/h, ce qui est rapide pour une course de 200 km. Et pour ce qui est de s'échauffer, le thermomètre d'une pharmacie affiche 30 degrés... J'arrive dans les premières places d'un peloton assez étiré au ravitaillement du km 20. Je finis ma petite assiette de pâtes, quand on m'annonce : "départ dans 1 minute " . Décidément, cette histoire de pace maker aura duré longtemps !

Enfin ! Nous attaquons le premier des neufs cols, que j'attaque avec curiosité. Et je dois dire que je ne suis pas déçu. Les premiers pourcentages sont sévères, et je suis l'un des premiers à marcher. Mais le jeu en vaut la chandelle, les paysages sont déjà magnifiques, nous bénéficions d'un peu d'ombre, et peu après le sommet nous passons devant une église où des convives endimanchés s'apprêtent à célébrer un mariage. Sympa. Je lâche les chevaux dans la descente et suis heureux de découvrir sur la table de ravitaillement du km 30 les fameuses fraises. À partir de maintenant, on m'en proposera jusqu'à l'arrivée. On ne m'avait pas menti.


Nous parcourons ensuite une douzaine de km dans la plaine. Sous le soleil qui tape dur, ce ne sont pas les kilomètres les plus faciles, et je dois me résoudre à marcher avant même le premier marathon. Heureusement, je trouve quelques fontaines publiques pour me doucher un peu, et je finis de me remettre dans le deuxième col, où je n'hésite pas à marcher ni à m'arrêter pour faire des photos du magnifique paysage.


Je discute un peu avec Marco, un ultracoureur italien qui est fier de me montrer ses tatouages de courses que je ne connais pas. C'est fascinant de voir comme ce qui est si cher (ou si chair dans ce cas) à quelqu'un peut être inconnu à d'autres. Je ne lui en dis rien, bien sûr, et le félicite pour son palmarès que je ne comprends pas.


Troisième col, déjà. Je ne sais compter que jusqu'à 10. Trois cols sur neuf, 8 km avant le prochain ravitaillement ou le sommet, je ne me concentre que sur des nombres à un chiffre. Ce doit être vers ce moment que nous passons devant la source du Rubicon, que nous aurons l'honneur de franchir dans quelques heures. Arrivé au ravitaillement, que nous trouvons generalement au sommet des cols, Mario, l'organisateur francophile, m'annonce que je suis 7eme mais, me dit il, deux coureurs devant moi sont sur la Quattro Colli, sur la Nove Colli je suis 5eme. Ce n'est pas mon niveau, je lui réponds, j'ai du partir trop vite, maudit avion. 

Deux kilomètres plus loin, à peine, un ravitaillement "sauvage", un père et ses deux enfants offrent à boire et un grand saladier de fraises aux coureurs qui passent devant chez eux.


Mon point fort, c'est la descente. Je ne suis qu'à moitié surpris de rattraper et dépasser un concurrent dans la descente de ce fameux troisième col. C'est plus surprenant, par contre, de doubler Marco, l'homme aux tatouages, dans la quatrième montée. Vu leur numéro de dossard, le calcul est simple : je suis à ce moment sur le podium virtuel de la Nove Colli. 


Ça c'est la bonne nouvelle. La mauvaise, c'est qu'au sommet de ce quatrième col, je n'arrive plus à manger. L'eau passe encore, mais pour le reste... Au moment où je repars dans la nuit, je me demande si je ne me suis pas brûlé les ailes avec cette histoire d'avion et de podium provisoire.


Mais la magie de la Nove Colli opère. Comme Pierre me l'avait raconté, je vois flotter au milieu de nulle part la Cité de San Marino, qui brille au milieu de la nuit. Spectacle inoubliable .Pierre m'avait aussi parlé de vols d'essaims de vers luisant qu'il avait traversé en apnée, je ne les vois pas mais je vois de temps en temps des insectes crépiter silencieusement dans le halo de ma frontale. Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse de vers luisant, mais ça ajoute à la magie de la nuit.


Adieu Twitter, Insta', Snap', dommage, j'vais rater quelques mèmes. Ça y est, je cours hors du temps et hors du monde comme je le voulais, et tant pis si je n'arrive plus à manger. Je suis content d'avoir occupé la troisième place, mais les voitures qui accompagnent les concurrents qui me suivent ne sont pas loin, elles me dépassent souvent, un peu comme les motos du tour de France qui ne veulent pas s'intercaler entre les concurrents trop proches. Je lutte contre le sommeil à l'aide de ma barre caféinée que je mange par tout petits bouts.


A cause de la fatigue ou d'une signalisation assez légère, je m'égare dans un village. Heureusement, une voiture de l'organisation passe à ce moment précis et klaxonne furieusement pour me remettre dans le droit chemin. Cinq cent mètres plus loin, je me retrouve de nouveau comme une poule devant un couteau à un carrefour : où aller ? La même voiture m'embarque et me remets rapidement sur le droit chemin, j'étais sorti de piste. Maintenant, c'est tout droit jusqu'au haut du sixième ou septième col, j'ai perdu le compte.


C'est un vrai soulagement quand en haut de ce col, tôt, très tôt même, je vois les premières lueurs du jour pointer derrière San Marino. De jour, je n'ai habituellement jamais sommeil, le corps humain est une belle et étrange machine, ce sera un problème de moins à gérer. Je repars du ravitaillement au moment où la concurrente suivante arrive. Comme j'avais vu deux voitures jouer avec moi depuis des kilomètres, je me dis ma belle troisième place est en sursis.

Je vous ai dit que mon point fort, c'est la descente ? Alors que je m'attends à me faire rattraper rapidement, j'ai la surprise de voir une silhouette devant moi. C'est le second, qui n'arrive visiblement plus qu'à trottiner en descente. Alors que je m'attendais à passer cinquième, je me retrouve second, c'est dingue.

Je le resterai un peu de temps encore.  Puis je serai repris, lors d'un bio break, par la coureuse avec qui je resterai jusqu'au 100 miles. On discute un peu, on se soutient mutuellement, ce sont des kilomètres agréables. La chaleur est revenue cependant et je n'arrive plus à boire, ça devient compliqué, cette histoire.

Adieu Twitter, Insta', Snap', dommage, j'vais rater quelques mèmesJ'travaille mes sons, j'travaille mon shoot, j'travaille mon couple, j'travaille mes textes C'est fou, j'travaille tout l'temps, mais c'est les vacances dans ma tête

C'est fou, je cours tout l'temps, j'ai de violentes nausées, mon corps crie son désespoir, mais c'est les vacances dans ma tête. Dernier col, déjà, il est terrible, raide et sans l'ombre d'une ombre. Je l'aborde seul, à mon rythme. Les cinq bénévoles du ravitaillement  sont venus à ma rencontre, mais je ne peux répondre qu'avec un faible sourire à leur gentillesse. J'essaie de boire un verre de coca mais il ne passe pas. Du calme, du calme, me dit un bénévole je ne sais pas dans quelle langue alors que je suis en train de vomir dans un buisson. J'écoute son conseil, me pose quelques minutes sur une chaise, et repars. Il ne reste que 30 km .


Nous avons passé la nuit sur des routes où il n'y avait pas une voiture, c'était bien agréable. Pour ce dernier tronçon, ce sera un peu plus vivant. D'abord, des cyclistes, très nombreux en ce dimanche matin, qui nous 'encouragent à coups de "Grande" et "Complimenti". Dans la région de Marco Pantani, la Nove Colli est d'abord une course cycliste très connue, et j'ai l'impression que ces sportifs connaissent et respectent la version pédestre. 


Pas de course cycliste aujourd'hui, mais un triathlon qui a perturbé la circulation. La petite route qui devait nous ramener gentiment à Cesenatico sert de déviation, elle est empruntée par de nombreuses voitures qui roulent à vive allure, ou qui se serrent pour se croiser. Dans les deux cas, je dois m'écarter dans le talus. Je me demande si je ne me suis pas encore égaré. Je regarde ma trace sur l'application de la course, c'est bon. Mais j'en profite pour vérifier où sont mes concurrents, j'ai l'impression qu'ils sont deux pas loin derrière moi. C'est la pire configuration, qu'ils s'entraident ou qu'ils se tirent la bourre pour viser la troisième place masculine, ils peuvent revenir sur moi et me laisser au pied des podiums, général et masculin.

 
Pas question de finir tranquillement, en alternant course et marche. Un podium sur la Nove Colli se mérite, je me battrais jusqu'au bout pour aller cueillir cet honneur dérisoire. Alors que je suis toujours accablé par la chaleur, la bouche sèche jusqu'à la nausée, je trottine le plus possible. A cause de la déviation, le dernier ravitaillement n'est pas à l'endroit attendu. Je ne suis pas certain du kilométrage, m'étant égaré une fois. Mais enfin, je vois l'immense plage sur laquelle sera jugée l'arrivée. Je me retourne, personne derrière moi. Devant moi, les organisateurs tout sourire. C'est gagné.


Adieu Twitter, Insta', Snap', dommage, j'vais rater quelques mèmes. J'travaille mes sons, j'travaille mon shoot, j'travaille mon couple, j'travaille mes textes. C'est fou, j'travaille tout l'temps, mais c'est les vacances dans ma tête. Faut croire que la vie est belle, j'vais pas t'cacher qu'la vie est belle

Je finis donc cette Nove Colli second garçon, à la troisième place au scratch, en 24h50. Après une petite sieste sur la plage et une glace roborative, j'ai encore l'énergie de conduire jusqu'à l'aéroport de Bologne. Pour découvrir que mon vol a été annulé.


Adieu Twitter, Insta', Snap', dommage, j'vais rater quelques mèmes. J'travaille mes sons, j'travaille mon shoot, j'travaille mon couple, j'travaille mes textes. C'est fou, j'travaille tout l'temps, mais c'est les vacances dans ma tête. Faut croire que la vie est belle, j'vais pas t'cacher qu'la vie est belle


Seul avec du monde autour. Seul avec du monde autour. Seul avec du monde autour

(merci à Orelsan)

 

5 commentaires

Commentaire de Badajoz posté le 21-05-2024 à 20:15:36

Quelle aventure incroyable ! Félicitations pour ta belle course.

Commentaire de marathon-Yann posté le 23-05-2024 à 17:32:18

tu emploies le bon terme, ce genre de courses c'est toujours une aventure. Merci de ton message

Commentaire de philkikou posté le 22-05-2024 à 19:58:01

Ce commentaire en écoutant et découvrant cette chanson d'Orelsan ;-) Belle course contre l'avion, hors du temps, où tu as ramené ta fraise pour monter sur le podium !! Bravo chapeau !!! Une première sur une telle distance ?...

Commentaire de philkikou posté le 22-05-2024 à 19:59:25

Spartathlon et d'autres petites coursettes, ça va l'Ultra tu connais :-)

Commentaire de marathon-Yann posté le 23-05-2024 à 17:31:27

Merci philkikou ! J'espèr que tu as apprécié la chanson d'Orelsan ! Deux vers de cette chanson m'ont traversé l'esprit pendant la course, et j'ai trouvé qu'elle traduisait bien mon état d'esprit du moment

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