Récit de la course : Ultra Velue Voie des Verriers 2023, par marathon-Yann

L'auteur : marathon-Yann

La course : Ultra Velue Voie des Verriers

Date : 14/7/2023

Lieu : Saverne (Bas-Rhin)

Affichage : 483 vues

Distance : 284km

Objectif : Pas d'objectif

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La bête des Vosges

La bête des Vosges. 284 km (bien lire : deux cent quatre-vingts quatre kilomètres). 5 6000 m de dénivelé positif. Un ravitaillement tous les 24 km. 22 doux illuminés prêts à prendre le départ. Un parcours velu à souhait dans les Vosges, et plus encore.


Comment affronter un tel monstre ? En mode "warrior", le couteau entre les dents ? Pour ma part, je ne vois qu'une seule solution pour survivre à un tel défi : y aller en mode "balade". Marcher dès que possible. Prendre le temps de se poser aux ravitaillements. De s'offrir des boissons fraîches au premier café ouvert. Encore échaudé par les 175 km de l'ultra marin finis dans un drôle d'état il y a moins de 2 semaines, je n'ai qu'un seul mot d'ordre : éviter de monter dans les tours.


Et pour ça, le départ toujours très calme sur ce genre de courses doit m'aider. Je retrouve mon copain Guillaume, qui m'annonce qu'il a prévu de courir au début avec moi. C'est parfait. Après quelques mots de Christophe, l'instigateur de cette boucherie, nous nous lançons dans l'aventure. Doucement d'abord, à l'exception de Mikael que nous perdons de vue après 1 km et qui finira en à peine 34h. Nous reprenons avec Guillaume notre discussion entamée sur l'u2b il y a deux ans. Nous faisons au départ le yoyo avec David, qui nous racontera comme il s'est beaucoup "promené" sur le Spartathlon (pour David le belge, promener veut dire marcher). Nous discutons avec Karine, qui nous sèmera dans la première côte où je me mets à marcher. Nous plaisantons avec Philippe. Et nous prennons déjà beaucoup de plaisir à courir sur ces petites routes Vosgiennes qui nous semblent réservées. Nous arrivons ainsi au premier check point (CP1, km 22), où je mange avec plaisir un mélange de melon et de saucisson. Il paraît que les melons et pastèques sont là à ma demande, et j'en profite bien ! 


Le second tronçon nous emmène dans les bois. Ça monte souvent, de nombreuses côtes plus courtes que celles qui nous attendent demain. Nous sommes régulièrement dépassés par les véhicules des accompagnateurs des autres coureurs, que nous reconnaissons très vite. Puis ils se garent, nous encouragent, attendent leur coureur, et nous repassent devant pour un nouveau saut de puce. Jusqu'au moment où nous serons trop espacés. Au CP 2 (km 45), nous partageons avec Guillaume une Tourtel, une vraie découverte pendant ces courses.


Nous courons maintenant sous la chaleur. Très vite je vide ma première gourde, puis la seconde. Heureusement, les suiveurs de David, puis Patrick le patrouilleur, nous ravitaillent en eau. Avec Guillaume, nous faisons la haie d'honneur à Julia qui nous dépasse (et qui finira... 12h avant moi). Nous passons devant le musée des verriers, qui a donné son nom à cette course. Philippe nous rattrape et nous raconte que Lapinou, qui tenait le CP2, lui avait dit que Tic et Tac n'étaient pas loin devant. Enfin ! Enfin je me suis fait un (sur)nom dans le monde de l'ultra endurance ! À choisir, j'aurais préféré "le magnifique" ou "l'intrépide", mais Tic ( ou Tac), c'est déjà quelque chose !


Je repars un peu avant Guillaume du cp 3 (km 71). Guillaume a l'habitude de s'arrêter plus longtemps que moi, et même si j'ai allongé mes temps de pause, je suis pressé de retrouver ma femme, ma fille et notre copine Virginie avec qui j'ai rendez-vous quelques kms plus loin. Petit frisson car le téléphone ne passe pas là où je pensais les retrouver, puis nouveau frisson -de plaisir - quand je les vois. Nous discutons un peu, le temps de leur annoncer fièrement que j'ai fait 84 km et qu'il ne m'en reste que 200, et nous nous retrouverons plus confortablement dans la vallée. Entre-temps, je retrouve Guillaume qui a un coup de moins bien, et nous finirons ensemble jusqu'au cp4 (km 96).


Grand seigneur, Guillaume me laisse la dernière Tourtel, et m'annonce qu'il va dormir une demi heure. J'entame seul l'immense descente qui suit, et j'ai l'impression de bien bombarder dans cette partie, c'est grissant. Plus sympa encore, je retrouve en bas ma femme et ma fille pour une visite surprise. Après plus de 12h de course, nous sommes en fait tout près du départ, le géographe Christophe n'a pas choisi le chemin le plus court pour relier Saverne à Munster !


Après quelques kilomètres le long d'un canal, nous remontons dans les bois. Le moment d'allumer ma frontale. Une voiture s'arrête à ma hauteur : il s'agit de Pierre qui, avant de prendre poste à son cp, remonte le peloton pour nous saluer.
"- tu veux quelque chose ?
- tu as de la glace ?
- mais qu'est -ce que tu crois ?", me réponds il en ouvrant sa glacière.
C'est ainsi qu'au milieu de nulle part, j'ai mangé la meilleure glace de ma vie, apportée par Saint Pierre en personne.


Alors que je repars seul dans la nuit, une voix m'interpelle "Yann, c'est toi ?". C'est Guillaume, à qui il a fallu moins d'une heure pour combler le retard pris pendant sa sieste. Nous finirons ensemble jusqu'au cp5 (km 118), mais nous ne sommes plus sur la même dynamique.


Nous prenons un bonne pause au cp5, que nous quittons alors que minuit sonne au clocher. Malgré cela, je n'arrive plus à suivre Guillaume, y compris dans les descentes,  c'est le moment de nous séparer. Il me l'a répété, il a couru plus lentement avec moi que si il avait été seul, et il va maintenant en récolter les bénéfices (il va remonter à la 3eme place, 9h avant moi !). Pour ma part, les arrêts plus longs pris en sa compagnie ont sans aucun doute contribué au fait que je cours maintenant depuis plus de 16h sans ressentir la moindre nausée, ne ressentant que le plaisir d'avancer. Un arrangement de gentleman, et si c'était ça la tactique de Tic & Tac ? 


Seul, c'est cependant plus difficile de lutter contre le sommeil. Comme je suis décidé à poursuivre sur le mode balade qui m'a si bien réussi pour le moment, je m'accorde le droit de dormir 20 min au cp suivant (km 142). Allongé sur un transat, sous le chaud duvet prêté par les bénévoles, je fais dans la nuit douce et étoilée la meilleure sieste de ma vie. Je repars sans bruit pour ne pas réveiller les bénévoles, mais je constate assez vite que cette sieste ne m'a pas vraiment fait du bien, je suis aussi fatigué et j'ai autant sommeil qu'avant. Mais Dieu que c'était agréable !


Heureusement, le jour n'est pas loin. Je suis surpris de voir des postes de télé allumés dans le centre de soins devant lequel je passe, pour d'autres aussi la nuit a du sembler longue. Puis le ciel s'éclaircit, et le jour s'installe.


Il y eut un soir, il y eut un matin, ce fut le premier jour de course. 


Le deuxième jour commence assez difficilement. Il faut dire que le col de Donnon est passé par là. Heureusement, alors que je commence à tituber de fatigue, je trouve une boulangerie ouverte. Je m'y arrête pour m'acheter des boissons fraîches, et à la façon dont le boulanger me demande si je fais la course du Donnon, je comprends que je ne suis pas le premier à m'arrêter.


Commence ensuite la longue montée vers le camps du Struthof, sur 12 km. Alors que je traverse des forêts paisibles et magnifiques, le crime de ces camps me semble tellement incompréhensible. Pourquoi cela, pourquoi ici ? L'heure est au recueillement. Je me permets cependant de profiter des sanitaires impeccables du mémorial pour me refaire une fraîcheur. Car je sais que juste en sortant, je vais retrouver ma femme et ma fille, auxquelles je peux maintenant fièrement annoncer qu'il ne me reste que 100 km de course. 


Et je replonge dans ma course solitaire.


Ça a commencé comme un jeu. Un peu comme lorsque l'on s'amuse à reconnaître des formes dans les nuages, je commence à chercher des formes dans les tâches de goudron qui zebrent la route. Puis progressivement, ces tâches s'imposent d'elles mêmes, et bientôt j'ai l'impression de courir sur un tapis de dessins très fins, des chiens à lunettes qui fument la pipe et autres vieillards tirant un caddi. C'est tellement perturbant que je n'ose plus regarder où je pose les pieds, me forçant à poser mon regard loin devant moi. Mimi, à qui j'en parle au cp8 (km 190) me dit qu'il est fréquent d'avoir des hallucinations sur ce genre de courses. Le mots m'interpelle.


S'en suivent quelques kilomètres sur un plateau, et une longue descente dans laquelle je retrouve la force de courir. Deux événements marquent cette descente : la 5eme rencontre avec mes supporters, et le fait que je rattrape Karine, qui est dans un moment un peu difficile. Dans la vallée, nous traversons un joli village, et je m'offre une glace framboise café absolument fantastique. Ça peut sembler anecdotique, mais rester en mode balade est important pour moi. D'autant que je n'ai toujours pas de nausées.


J'arrive au cp 9 (km 213) en même temps que Karine, et nous marquerons tous les deux une belle pause. Je prends soin de mes pieds, bois une Tourtel, et mange de bon appétit un demi sandwich et de la pastèque. Je repars le moral gonflé à bloc avec Karine, prêtant à peine attention au villageois qui nous demande si nous n'avons pas peur de la pluie qui s'annonce. Bien sûr que non ! Dans la longue côte qui suit, nous parlons sans nous arrêter, principalement de course à pied, allez savoir pourquoi. Après presque 19h à avancer seul, ça fait du bien !


Je prends un peu d'avance dans la descente qui suit, sans m'en inquiéter, Karine est plus rapide que moi dans les montées, elle me rattrapera vite. Dans la vallée, quelques gouttes de pluie me rafraîchissent, je mets mon coupe vent en même temps que la frontale. Puis il se met à pleuvoir franchement et le coupe vent est déjà inutile. Plus un poil de sec ! Je cours sans m'arrêter pour me tenir chaud. Au moment où j'arrive à Sainte Marie, c'est un véritable déluge. l'Apocalypse. Que faire ? Je me planque contre une maison, mais la pluie ne faiblit pas, et j'ai peur d'attraper froid. C'est littéralement marche ou crève. Je serre les dents,  et me remets à courir en espérant être dans la bonne direction, que faire d'autre ? Un moment dantesque.


Je me cale de nouveau sous un porche pour sortir mon téléphone. L'application Soluchrono qui suit la course m'indique que je suis à 1,5 km du prochain CP. Je rassemble ce qui me reste de courage et me remets en route. À peine 100 m plus loin, une voix m'interpelle : "Yann ?" C'est le cp tant espéré, devant lequel j'allais passer sans même jeter un regard !


Merci ! Merci aux bénévoles d'avoir été si attentifs, et d'être si prévenants ! On me donne une polaire, des vêtements secs, du thé chaud, je revis doucement. J'hésite cependant à ressortir : et si je restais dormir deux heures dans le van en attendant que la pluie s'arrête ? Malgré un essai, je suis trop éveillé par la douche reçue et le stress subi pour dormir et me remets en route.


La pluie tombe moins fort, et j'ai maintenant un pancho bien imperméable à défaut d'être chaud. Au programme : l'ascension du Bonhomme, un beau morceau après 240 km de course.À peine deux kilomètres après avoir quitté le cp, je dois lutter contre le sommeil : les bâillements à s'en décrocher la mâchoire, le champs visuel qui se rétrécit pour se confondre avec le halo de ma frontale, la trajectoire de moins en moins assurée, au point que j'évite de marcher trop près du bord de la route de peur de tomber dans un ravin. Et soudainement, comme si j'avais appuyé sur un interrupteur, tout revient. 


Ce qui revient avec une force inconnue, un peu plus tard, ce sont les hallucinations. Il peut arriver de confondre une feuille morte avec une grenouille, ou des branches avec des crocodiles, mais maintenant les rochers se transforment en nounours géants, les souches en sangliers hilares, les arbres en monstres bienveillants. Tandis qu'une partie de mon cerveau croit dur comme fer en ces visions, une autre partie les analyse. Je me félicite d'avoir un imaginaire si bienveillant, aucune de ces formes ne fait peur, il ne s'agit que d'animaux sympathiques et rieurs.Je comprends que si je prenais pour des vaches qui dansent en se tenant la main de simples poteaux réfléchissant la lumière de ma frontale, c'est parce que mon cerveau n'arrive plus à compenser mon propre balancement de coureur et pense que ce sont les reflets qui bougent en cadence. Mais je continue à m'indigner que des petites filles restent dehors à 3h du matin dans la montagne déserte, avant de réaliser qu'il s'agit d'un panneau Stop. Que celui à qui ce n'est jamais arrivé me jette la première pierre !


Avec le jour, ces visions s'estompent. J'arrive au lac Blanc, dernier CP avant l'arrivée (km 260). Patricia et Eric prennent soin de moi, quand je leur demande s'ils ont pu dormir, ils me répondent que oui, 3h la première nuit et 1h la seconde. Les héros n'ont pas tous un dossard.


À ma grande surprise, je vois arriver Muriel, la femme d'Éric, qui vient demander un café pour son coureur de mari. Eric, qui avait plus de 8h d'avance sur moi, a préféré dormir dans son van plutôt que s'engager dans les bois sous l'orage. D'une façon aussi spontanée qu'ingenue, je lui propose de finir ensemble. Mais il vient de passer une vraie nuit de sommeil quand je luttais contre mes visions, après une sympathique discussion, dont un amusant : "-je n'ai jamais vu autant de chevreuils que sur cette course, regarde, il y en a un là ! - Yann, c'est un buisson", nous nous séparons. Je fini seul la dernière ascension vers le col de Linge pour un hommage silencieux aux soldats de la première guerre mondiale. Il ne reste qu'à descendre sur Munster.


Il y eut un soir, il y eut un matin, ce fut le deuxième jour de course.

Le troisième jour, je peux le dire, n'a été que du plaisir. Dans la descente, Je galope sans autre douleur qu'une brûlure sous la plante des pieds, tellement j'ai tapé le sol. Je crois que je n'ai pas marché, ou alors pas beaucoup, ou bien j'ai oublié. Les derniers kilomètres sont délicieux, les derniers hectomètres, avec mes supporters, vraiment émouvants. J'arrive après 49h et 38 minutes d'une aventure que je ne suis pas prêt d'oublier. Christophe me demande ce que je ressens, je lui réponds sincèrement que j'ai l'impression que j'aurais pu faire 100 km de plus, tant il est vrai que quand les bornes sont franchies, il n'y a plus de limite.

J'ai peur aujourd'hui qu'il m'ait pris au sérieux.

 

 

1 commentaire

Commentaire de CROCS-MAN posté le 04-08-2023 à 20:16:54

Félicitations Yann,tu as encore assuré, comme d'hab :)
À la prochaine camarade Ultra

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