L'auteur : marathon-Yann
La course : Grand Raid du Golfe du Morbihan - 175 km
Date : 29/6/2023
Lieu : Vannes (Morbihan)
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Distance : 175km
Objectif : Pas d'objectif
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"Ah, tu accélères". Il reste 500m, et mon fils qui cours avec moi depuis quelques hectomètres me fait remarquer que j'augmente mon allure. Porté par la foule et la perspective d'arriver, enfin. Encore 400 m, et je vois mon épouse dans le public nombreux et enthousiaste. Un petit bisou, et je franchis la ligne, acclamé par mon frère, sa copine Céline et mon neveu Victor. Je leur tombe dans les bras. En ce 1er juillet, alors que démarre le tour de France, j'ai fini ma grande boucle.
C'est le principe des boucles, tout a commencé ici même, la veille. Alors que je passe mes derniers instants tranquilles avec mes supporters, on nous annonce que finalement, il n'y aura pas de sas. Mince, moi qui voulais me placer vers l'avant pour partir assez vite, j'ai peur de me retrouver en fond de peloton et d'être pris dans le trafic sur les premiers sentiers qui nous attendent. Heureusement, les organisateurs ont la bonne idée de nous faire faire une boucle dans Vannes, sous les acclamations d'un public déjà nombreux, histoire de laisser au peloton le temps de s'étirer. Quand nous abordons les premiers sentiers, après le pont de Kerino, nous avons chacun trouvé notre place et je peux courir sans restriction. Pour atteindre mon ambitieux objectif, moins de 24h si les astres sont alignés.
Et pour le moment, ils semblent alignés. La météo est clémente, loin de la canicule de 2018, plus fraîche encore que l'an dernier. Pour ma troisième participation, il y a une modification importante : nous tournons dans l'autre sens. Main droite, comme on dirait sur une piste d'athlétisme. Je verrai enfin de jour certains paysages que je traversais de nuit. Pour le moment, je parcours surtout à un bon rythme des endroits où je me traînais lamentablement lors des autres éditions, étrange distorsion du temps et de l'espace. J'arrive très vite au premier ravitaillement à Séné, où mes supporters sont là. Un verre de coca, et je repars.
Nous sommes toujours sur le chemin des douaniers. Je discute un peu avec un coureur prénommé Olivier. "C'est beau " "oui, et ça va être comme ça jusqu'au bout". J'exagère à peine. Le Golfe est magnifique, et je suis pleinement heureux de le parcourir à nouveau. Même le crachin breton qui nous rafraîchit n'entame pas mon optimisme. J'arrive pourtant au ravitaillement du Hézo (km 42) trempé, et je prends le temps de m'habiller en sortant ma frontale. Un petit marathon en 4h, je me promets de ralentir.
Et pour ça, rien de mieux que la méthode Cyrano, je commence à mettre en place l'alternance course/marche. Pour le moment, j'alterne 25 min de course et 5 de marche, et je m'attends à faire évoluer ce ratio avec la fatigue. Nous remontons vers Sarzeau (km 57) et Saint Gildas du Ruys (km 70), en coupant dans les terres à travers la nuit qui est tombée. De l'an dernier, Je me souviens d'une côte magnifique, d'un chemin un peu technique, et d'une énorme envie de dormir. Cette année, l'ambiance est différente. La nuit est noire, le vent souffle, nous entendons l'océan mais je le devine à peine. Le chemin me semble moins difficile, a t-il changé ou est-ce parce qu'il arrive plus tôt dans la course ? Je mets mes pas dans ceux d'un coureur qui avance bien, dans la nuit et sur ces chemins étroits, il m'est d'une aide précieuse, mais je pense que la seule chose que je reconnaîtrais de lui serait sa paire de mollets (très balèzes d'ailleurs) sur lesquels se concentre le halo de ma frontale. C'est l'inconvénient de ces chemins où nous avançons en file indienne, ils laissent peu de place à la discussion.
Apres les sentiers, nous prenons une route plus large pour rejoindre la base de vie d'Arzon (km 87). Est-ce en raison du faible éclairage, des sacs de délestage qui remplissent la moitié de l'espace, de la fatigue que l'on voit sur les visages des uns et des autres (nous sommes presque à mi-course) ? Il règne ici une atmosphère un peu tristounette. Je me pose une dizaine de minutes, essaie sans succès d'avaler un bol de soupe, et repart dans la nuit, excité par la perspective de prendre le bateau qui ne doit plus être très loin.
Direction le port. Je voulais y arriver avant le jour, c'est gagné. Une bénévole m'aide à enfiler un pancho en plastique et un gilet de sauvetage. Il y a devant moi une bonne douzaine de coureurs, ça m'arrange bien, je peux souffler en attendant notre navette, assi sur la jetée. Je suis un des derniers à embarquer, il ne reste que la place debout à côté de la capitaine. C'est génial. "Attention, on va prendre des morceaux de mer en sortant du port" me prévient -elle. Effectivement, nous sommes secoués et je suis vite douché d'une eau salée qui me brûle à des endroits improbables. C'est surprenant mais vivifiant.
Plus surprenant encore : alors que je débarque sur la jetée déserte, à 4h du matin, j'entends "Yann, Yann". Je sais bien qu'il y a beaucoup de Yann en Bretagne, mais c'est bien à moi que s'adressent ces appels : mes supporters se sont levés pour venir m'encourager et m'accueillir sur "leur" côté du Golfe. Incroyable.
J'entame la deuxième moitié de la course, le moral gonflé à bloc. N'ayant pas vraiment étudié le parcours, je commence à regarder l'application de la course, non pour le classement mais pour savoir où se situe le prochain ravitaillement. Une vingtaine de km chaque fois.
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Me voici au Crac'h (km 105). Je m'y arrête rapidement. Trop rapidement : j'en oublie de remplir mes gourdes. Avec ce système de rampes à eau situées à la sortie ou à l'entrée du ravitaillement, et avec la fatigue, ça devait arriver. Je ne m'en rends compte que quelques kilomètres plus loin, et alors que le jour se lève, je cherche désespérément une fontaine que je ne trouverai jamais. J'ai un certain espoir en arrivant au magnifique port de Sarzeau, mais les bars et épiceries sont encore fermées. Je me prends à rêver d'un Ice Tea glacé.
Je n'ai pas de douleur particulière, mais toujours ces problèmes d'alimentation, et cette sensation de nausée pénible. Les gels n'y ont rien changé. Ça gacherait presque mon plaisir, je me demande si je suis vraiment fait pour ces longues distances. J'ai peut-être l'endurance pour les affronter, mais si c'est pour se sentir mal la moitié du temps, quel intérêt ? L'heure des doutes.
J'arrive enfin au Bono (km 120). J'y retrouve mon épouse, qui me voit dans un état proche de l'Ohio. C'est pas la grande forme, à cause du manque d'hydratation. Mais sa présence me fait du bien, et après avoir rempli (et vidé, et rempli) mes gourdes, je repars revigoré.
Nous passons ensuite devant le cimetière du Bono. Je ne l'avais jamais remarqué, car nous passions devant de nuit, mais c'est un endroit émouvant, un petit bois dans lequel des souvenirs reposent au pied des arbres. Parfois la maquette d'un bateau, parfois une stèle, souvent une chaise pour permettre aux visiteurs de passer un peu de temps avec leurs disparus. Un bel endroit.
La journée est bien avancée maintenant. Le moral revient doucement. A ma grande surprise, je suis toujours à mon rythme 25 min de course, 5 de marche, mais je cours de moins en moins vite. J'ai le plaisir d'être dépassé par mon copain Sylvain, avec qui je discute un peu. Nous passons à 2 km de la maison de Céline. Comme promis lors de mon inscription, j'y retrouve mes supporters qui m'offrent une glace (même deux) ainsi que l'Ice Tea qui m'a tant fait rêver. Je fais des jaloux.
Après avoir été doublé toute la nuit par les coureurs du relais, ce sont maintenant ceux du 56 qui me dépassent. Augustin en fait parti et s'arrête pour discuter avec moi, c'est gentil. Ils sont tellement nombreux qu'au ravito suivant, à Lamor Baden (km 135) je ne vois presque pas la table de ravitaillement masquée par la foule nombreuse des accompagnateurs. De toute façon, je ne mange plus depuis longtemps. Mais je pense à remplir mes gourdes !
Je retrouve mes supporters, pour une nouvelle visite. Ça fait toujours aussi plaisir, on marche un peu ensemble. Il reste cependant un bon bout de chemin, le prochain ravitaillement n'est qu'à 22km, à ce moment de la course c'est un sacré morceau. Nous sommes sur des chemins que je reconnais, le long des plages. Le dernier ravitaillement arrive enfin, Arradon (km 157) j'essaie de prendre un peu d'eau, et c'est parti pour les 20 derniers km. Nous passons à travers les terres, dans de jolis bois que je ne reconnais pas.
Plus que 10 km, j'alterne maintenant 800 m courus et 200 marchés. Je pense arriver largement en moins de 24h, l'objectif sera atteint, je savoure. Plus que 1,7 km, mon fils est venu à ma rencontre. Plus de marche, je cours avec lui jusqu'à être porté à l'arrivée. Je fini la grande boucle en 22h59.
J'ai 10 ans et je viens de jouer au foot toute l'après midi. A bout de souffle, épuisé, je ne sais que répondre à l'interrogation anxieuse de ma mère : "mon pauvre Yann, pourquoi tu te mets dans des états pareils ?" . 40 ans plus tard, allongé sur la première pelouse trouvée en sortant de l'aire d'arrivée (devant des poubelles), j'essaie péniblement de reprendre mon souffle. Je n'ai toujours pas la réponse. Mais j'ai gardé mon âme d'enfant.
1 commentaire
Commentaire de augustin posté le 21-08-2023 à 16:00:07
Génial! quel plaisir de te croiser sur le parcours et de pouvoir échanger ensemble! en tout cas chapeau bas, une course rondement menée, une expérience de l'ultra qui n'en finit pas de s'étoffer, quelle rigueur!
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