Récit de la course : Grand Raid du Golfe du Morbihan - 175 km 2022, par marathon-Yann

L'auteur : marathon-Yann

La course : Grand Raid du Golfe du Morbihan - 175 km

Date : 1/7/2022

Lieu : Vannes (Morbihan)

Affichage : 1708 vues

Distance : 175km

Objectif : Pas d'objectif

3 commentaires

Partager :

Ca passe !

"Bienheureux celui qui a appris à rire de lui même, il n'a pas fini de s'amuser" Jacques Folliet

 
Troisième sommet sur les cinq que j'ai décidé de gravir pour mes cinquante printemps, cet ultramarin est le seul que j'ai déjà affronté. C'était en 2018, et malgré la canicule, cette course était restée gravée dans ma mémoire comme un merveilleux souvenir. J'y retourne donc avec confiance et décontraction, d'autant que cette fois nous y allons en famille pour un avant goût des vacances.
 
Confiance et décontraction, disais-je. Nous allons manger au Bono le vendredi midi, et faisons une petite balade l'après-midi sur le sentier côtier où je dois repasser quelques heures plus tard. Mon épouse me conduit ensuite à Vannes. Vu l'heure, je lui demande de s'arrêter en double file devant une entrée de garage, me change dans le coffre de la voiture, décide au dernier moment de ne pas m'embêter avec un sac de délestage, et embrasse tout le monde, chien y compris. Puis je cours après la voiture. Mon dossard, j'ai oublié mon dossard !!!
 
Je retrouve sur les quais Augustin, avec qui je discute gentiment en attendant le départ, donné avec 5 minutes de retard. Je lui annonce mon objectif, faire moins que 24h. Le sien est encore plus ambitieux, ce que je comprendrai en lisant son récit. Nous sommes 1200 coureurs, auxquels s'ajoutent 180 équipes de relais qui partiront un quart d'heure après nous.
 
18h05, le départ. Depuis que j'ai plus d'autonomie que ma montre, je n'utilise plus la fonction GPS au début de mes courses, la préservant pour le count down final. Un coureur me dira tout à l'heure que je suis tordu, mais cette stratégie qui m'oblige à courir la plupart du temps au feeling plutôt qu'à calculer me convient bien.
 
Filons au feeling! La première partie de la course ne sera que du bonheur.
 
Quelques km après le départ, je retrouve Augustin, avec qui nous discutons de la difficulté de cette course. Sur le papier, 175 km et 1500 m d+ peuvent se faire assez rapidement, pourtant seule une centaine de coureurs finissent en moins de 24h, ce que nous avons du mal à comprendre à ce moment. Je comprendrai plus tard que malgré l'absence de côtes et la nature praticable du sentier côtier que nous empruntons, cette course reste un trail, nous obligeant à adapter chaque foulée aux pierres, racines, marches et autres pièges , ce qui, ajouté au départ en soirée, induit une  fatigue supplémentaire.

 
une belle brochette de kikous

 
 
Mais je ne me plains pas des sentiers côtiers, au contraire ! Les mots me manquent pour décrire la beauté des lieux. Entre les maisons coquettes, les massifs d'hortentias imposants, les conifères majestueux, les paisibles bateaux qui semblent nous attendre sur l'eau, les détours sur les plages, que demander de plus ? Cette course est définitivement l'une des plus belles que je connais, je sais déjà que j'y reviendrai.
 
Km 15. La plage que nous empruntons est recouverte par la marée montante. Sans réfléchir, je fonce. Si la fraîcheur de l'eau n'est pas désagréable, le sable qui vient me gratouiller les pieds me fait immédiatement regretter de ne pas avoir enlevé mes chaussures puis rincé mes pieds . C'est un coup à attraper des ampoules, surtout que l'eau de mer a du nettoyer la Nok dont je m'étais badigeonné les pieds, et déposer du sel qui viendra aussi m'irriter ! Le douloureux spectre des ampoules de l'ultr'Ardèche s'agite déjà devant moi. Un coureur local me dira que si nous étions passé 5 minutes plus tôt, nous aurions évité cet inconfort, et nous repensons aux 5 minutes de retard au départ. Un autre coureur local m'explique que c'est la faute de la famille M. qui n'a pas voulu que nous passions devant chez elle.

 
 
Qu'importe ! Cette première partie est celle de tous les plaisirs. La température est idéale, la lumière magique, l'allure confortable. Je reconnais certains passages, d' autres me surprennent, sans que je sache s'il s'agit de nouveaux sentiers ou si ma mémoire me joue des tours. Les ravitaillements s'enchaînent, parfois conséquents, parfois une simple rampe d'eau sans le moindre bénévole. Arradon, Port Blanc, le Bono, autant de lieux de vie que je retrouve avec bonheur.



 
 
La nuit est tombée. Je me fie aux dépassements pour me rassurer sur mon allure. Quand je double, hourra, je suis dans la course ! Quand je suis doublé, hourra, je ne vais pas trop vite !
 
J'arrive à l'embarquadère de Locquemariater vers 3h00 le matin. La traversée est magique. Sur l'eau tranquille et noire, sous le ciel étoilé, bercé par le modeste clapotis des vagues sur notre barque, je suis tellement détendu que je suis à deux doigts de m'endormir.
 
Je repars avec papy le kikou.  Sa femme nous estime autour de la 130e place, m'annonce t-il. "Pourquoi tu me dis ça ? Maintenant, si je finis 300eme, je serai déçu de ma gestion de course ! "
Cette réflexion spontanée résume bien ce que mon esprit n'a pas forcément réalisé : je suis fatigué, et à partir de maintenant, je vais bien ralentir. C'est le début de la deuxième partie de ma course, celle de tous les doutes.
 
Je retrouve Augustin à Arzon. Il semble dans le même état d'esprit que moi, bien fatigué. On se dit qu'avec le lever du jour, l'énergie va revenir. Je repars avant lui, persuadé qu'il va bientôt me rattraper.
 
Car je n'avance plus. J'alterne le trot à faible allure et la marche, pas très efficace. Loin de me donner un regain d'énergie, le lever du jour s'accompagne d'un gros coup de bambou. Je me fais dépasser de toute part, et ne rattrape plus personne. Certains coureurs m'encouragent "tu tiens le bon bout", "mange un peu, ça t'aidera à lutter contre le sommeil". Ces paroles me réconfortent vraiment.
 
Nous sommes sur une des nouveautés de cette année, le chemin longe l'océan du coté de Saint Gildas-de-Ruy. Bien qu'au fond du trou, je trouve ce chemin absolument magnifique, et très différent de celui qui longeait le golfe. Mais je n'avance plus, je m'assied même sur un banc, avant qu'un coureur ne trouve les mots pour me faire repartir.
 
Sur les chemins, je titube comme un boxeur ko debout. Il m'arrive d'avancer les yeux fermés. Je suis décidé à m'accorder une pause pour dormir un peu, ce que je n'ai jamais fait en course, mais aujourd'hui je n'ai pas le choix. La seule chose qui m'empêche de me coucher là, dans l'herbe accueillante, est la certitude d'être réveillé par tous les coureurs qui passent qui ne manqueraient pas de s'inquiéter pour moi. Je dois donc me traîner jusqu'au ravitaillement suivant.
 
Je ne sais pas comment on dit désespoir en breton. Peut-être Point S ? Comme l'enseigne de la grande surface devant laquelle je me trouve, quand je réalise que je me suis perdu. Je vérifie sur la trace gpx sur mon téléphone, peut être un km de trop, ce qui est d'autant plus vexant que ce km a été fait à la marche, très lentement. A force de dormir en marchant, pas illogique que je loupe une bifurcation. Demi-tour donc, et cette fois, piqué par cette mésaventure, je ne dors plus ! Mieux, pour remonter le temps, je me remets à courir sur les 4 km qui me séparent du ravitaillement de Sarzeau.
 
Deuxième coup de fouet ici. Un écran indique mon temps de passage : 15h42 de course, 92eme. 92eme après tous les dépassements que j'ai subi ? Ou bien j'étais vraiment très haut dans le classement, ou bien ces coureurs étaient dans leur immense majorité des relayeurs, ou il y a eu beaucoup d'abandons, ou je n'y comprends rien. Je retiens cette dernière option.
 
Je repars donc, bien réveillé, avec un moral tout neuf. Il reste 57 km. Ce sera la dernière partie de la course, celle de la renaissance.
 
J'ai maintenant un objectif plus précis. Je sais que je mettrais plusieurs heures de moins qu'il y a 4 ans, ce qui n'aura de valeur que si je conserve un classement honorable. Pourquoi ne pas rester dans le top 100 ? Bien aidé par des sentiers plus larges et plus roulants, je recommence à alterner 15 minutes de trot et 5 de marche.
 
Progressivement, je ne suis plus que rarement dépassé, il faut dire que le gros des relayeurs est déjà devant. À mon tour, je commence à faire quelques dépassements, d'abord des morts, qui ne peuvent plus que marcher, puis un peu plus à la loyale, des coureurs qui avancent encore. Je rattrape même une relayeuse. Un petit démon sur mon épaule me pousse à la prévenir en  criant "relais", comme le font les relayeurs rapides pour qu'on s'écarte depuis hier soir. Un petit ange sur l'autre épaule me l'interdit, ce ne serait pas respectueux. Je vous laisse imaginer lequel j'ai écouté...  
 
Je ne dis pas que tout est devenu facile. Au contraire, je dois convoquer le souvenir d'ultras passés, où j'ai appris l'intérêt de courir même lentement plutôt que marcher, et où j'ai su aller chercher la force de le faire, même quand je pensais que c'était impossible. Mais ça marche, et j'en éprouve un réel plaisir.  
 
Km 150. Surprise, mon ado avec un bob à carreaux me guette. Ma famille, chien inclus, est venu me voir. Je ramasse deux compotes au ravito et m'assois à l'ombre pour discuter quelques minutes avec eux. C'est important pour moi de savoir qu'ils passent une bonne journée, qu'ils ont fait les soldes. Je leur annonce mon objectif tout neuf et très ambitieux : faire moins de 24h (les lecteurs attentifs relèveront que c'était mon objectif initial, mais je l'avais oublié pendant ma période si difficile).
 
Et c'est reparti. Un peu de bitume dans mon souvenir, ce n'est pas pour me déplaire. Des spectatrices m'applaudissent, et me demandent d'encourager leur copine Coco, juste devant. Je m'exécute, à la grande surprise de cette dernière.  
 
Dernier ravito, il reste 13 km. J'allume la fonction GPS de ma montre et entame le compte à rebours final. Survolté par la perspective de finir en moins de 24h, je ne marche presque plus, je trottine à la vitesse stupéfiante de 8 ou 9 km/h. J'encourage les quelques coureurs que je rattrape, bravo, on l'a fait, les moins de 24h sont possibles, souviens toi, il y a les 5 minutes de retard et le temps de la traversée en bateau, on a jusqu'à 18h20 pour arriver.   
 
Dernier km. Ma famille m'attend de nouveau, mon fils en short a prévu de courir le dernier km avec moi. Il en aurait bien fait plus, mais nous avons décidé de respecter le règlement à la lettre. Qu'importe, ce km en vaut 10, il en vaut 100. Sur les quais du port, slalomant entre les vannetais qui nous applaudissent, nous partageons quelque chose d'immense. Le speaker annonce : "Voilà Yann, dossard 540,  accompagné de... euh, de quelqu'un !". Je vois de la joie dans les yeux de mon fils.

 
 





Épilogue  
 
Ce n'est qu'après la course que je regarderai de près les chiffres.   

J'ai atteint mes deux objectifs du jour : je voulais finir en moins de 24h et dans les 100 premiers : j'ai mis 23h23, et j'ai fini 78eme. Il y a 4 ans, sous la canicule, j'avais mis 27h52, et j'avais fini.... 78eme. Plus de 4h de gagnées pour finir à la même place !   

Si je regarde l'évolution de mon classement, je retrouve de façon beaucoup plus nuancée les trois phases ressenties pendant la course : alors que je navigue autour de la 90ème place (+/- 10) sur les 90 premiers kms, je fais un modeste bond à la 69ème place à Arzon, avant de me retrouver 110e 30 km plus loin, pour me reprendre et finir 78eme. Au niveau de l'allure, c'est plus visible : 10 km/h sur les 50 premiers km, ma vitesse tombe à 6 km/h juste avant d'arriver à Sarzeau (vitesse faussée car je me suis perdu), pour remonter à 8km/h et même 9 sur les 2 derniers km. Comme quoi, c'est délicat de se fier à ses sensations !    

3 commentaires

Commentaire de augustin posté le 12-07-2022 à 09:45:19

Génial! merci pour ce récit, qui retranscris bien les états par lesquels tu passes pendant la course. Une belle gestion pour un beau chrono, je suis très admiratif de toutes tes courses réalisées pour ce demi-siècle, quelle année!!!! A bientôt camarade!

Commentaire de marathon-Yann posté le 13-07-2022 à 17:36:18

A bientôt ! en relisant ton récit, j'ai regretté de ne pas t'avoir attendu en repartant d'Arzon, je suis sûr qu'on aurait fini tous les deux (et que je ne me serais pas endormi en marchant)

Commentaire de jazz posté le 23-07-2022 à 18:43:57

merci pour le récit ; encore une belle aventure.
si un jour je fait un 100 miles, ça sera celui là !

Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.

Accueil - Haut de page - Version grand écran