L'auteur : Pastisomaitre
La course : Ultra-Trail du Puy Mary Aurillac - 105 km
Date : 18/6/2022
Lieu : Aurillac (Cantal)
Affichage : 2407 vues
Distance : 105km
Objectif : Pas d'objectif
Partager : Tweet
Le contexte
« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait », j’aime me rappeler cette citation que j’affectionne particulièrement et qui est représentative de beaucoup de choses dans la vie. Alors bien sûr, rien d’impossible sur le papier sur cet UTPMA, c’est certes un ultra, mais il en existe des bien plus longs et plus difficiles. Par contre, l’impossible réside ici dans la force que j’ai puisée dans des contrées inconnues de ma personne pour passer le moment le plus difficile que j’ai pu rencontrer sur une course, et là je ressens réellement le fait d’avoir bravé l’impossible.
Cette course, je l’ai cochée dans mon agenda depuis novembre 2021, et me suis empressé de m’y inscrire à l’heure H début décembre pour être sûr d’avoir mon dossard, elle représentera le graal de mon année 2022, l’accomplissement de mon entrainement qui aura pour but de passer la barre des 100 kilomètres en course pour la première fois de ma vie et, de mon point de vue d’amateur, c’est un sacré gros morceau.
Nous arrivons à Aurillac le vendredi après-midi avec Isa et Sand, qui ont accepté de m’accompagner, ce qui leur faisait à priori plaisir. Je ne sais pas à quel point c’est étonnant, mais accepter de faire assistance sur ce genre de course n’est pas forcément synonyme de plaisir pour l’assistant, qui va en général en baver à attendre des heures après s’être payé la route jusqu’aux différents points de passage, tout cela pour voir en coup de vent un mec à la mine déconfite, transpirant suite à des heures de course, et qui en a oublié toutes règles de politesse. Mais toujours est-il, je me dis que l’on va leur laisser découvrir cette joie.
C’est dans l’émotion que je récupère mon dossard et effectue la photo souvenir avec ce dernier devant la pancarte de la course, vous savez cette photo sur laquelle on se sent tellement fort d’être inscrit à un ultra, tellement hors norme par rapport au commun des mortels ! Pourtant à ce stade nous ne sommes qu’inscrit, et ça n’importe qui peut le faire.
Un Perrier Citron (j’aurai préféré une bière), une découverte rapide du centre-ville, et nous retournons au camping manger un tas de pâtes (j’aurai préféré une pizza), habituel plat d’avant course.
Je me prépare tout doucement dans la soirée en suivant, ce qui me met dans tous mes états, la défaite du Stade Toulousain en demi-finale du top 14, et nous prenons la route du centre-ville pour préparer ce départ tant attendu, ou redouté je ne sais pas très bien en fait, en me disant que je ne devais pas subir la même déconvenue que mon club de rugby de cœur.
C’est parti
Nous y sommes, je ne sais pas quoi dire, pas quoi penser, le regard dans le vide, je sais ce qui m’attends, ou du moins pas tout à fait. Quasiment 110 kilomètres sont annoncés finalement, cela en fait 25 de plus que ma plus grande distance. De toute façon, psychologiquement parlant, je sais qu’il faut faire le vide et ne penser qu’à l’étape suivante, la fin étant bien trop éloignée pour s’en faire une image.
Je suis dans le SAS de départ, j’aperçois Isa et Sand une dernière fois, et c’est parti. Musique à fond… Feu d’artifice ! Du monde partout sur le bas-côté pendant un bon kilomètre, ce n’est que le début mais l’émotion est énorme, indescriptible, de part cette délivrance, cet objectif encore inatteignable mais à portée de main désormais.
C’est parti, il faut tout donner pour ne pas rendre inutile ces longs mois de préparation. En suis-je capable ? Oui. Ou pas d’ailleurs. En fait je n’en sais rien, c’est très difficile à décrire. Je me sens bien. Ou peut-être ai-je déjà des douleurs. Au premier kilomètre ? Non pas possible. En fait je me sens bien. Ou peut-être pas. Je ne sais pas. Allez, on pose le cerveau.
Minuit vient juste de passer, la nuit est devant nous, la journée suivante aussi, et peut-être aussi un morceau de la nuit d’après.
Nous sortons d’Aurillac sur une montée, puis nous basculons sur les sentiers. La haute montagne est encore relativement loin mais ce n’est pas le dénivelé qui manque par ici à priori.
Sur cette première portion d’environ 16 kilomètres, il y a une série de montées et de descentes, pas bien compliquées en soi mais rendues plus techniques sur les habituelles erreurs de début de course qui font que l’on est en forme et que l’on a envie de courir. Donc ça monte un peu, mais je trottine, je me sens bien. Rapidement, je fais en sorte de ralentir le rythme, la route est très longue, allons à l’économie, reprenons une partie du cerveau pour apporter un peu d’intelligence.
Je suis assez impressionné de trouver, sur ces heures aussi tardives, du public un peu partout, à chaque route, chaque croisement, certains sont sages mais d’autres mettent le feu, c’est très agréable et réconfortant.
Une partie des sentiers est très poussiéreuse, la masse de coureurs devant moi remue cette poussière qui se transforme en brume, cela devient irrespirable. Je tousse.
La nuit s’écoule doucement et j’arrive au premier ravitaillement à Velzic en un peu plus de 2 heures de course, tout va bien à cet instant, je prends un verre de Coca, un peu de soupe, un peu de salé, du sucré, et je vais dehors me poser 5 minutes le temps de manger. Il fait chaud, même la nuit.
Je repars tranquillement vers les premières difficultés.
Les premiers reliefs
Ça monte, ça y est nous y sommes.
Dans cette première longue montée, je commence à avoir mon premier coup de moins bien. Sur ce genre de course, je sais que l’on passe par une quantité d’états différents, physiques ou psychologiques, et là je sens que c’est le début des montagnes russes.
Je monte tant bien que mal et je commence à apercevoir des coureurs assis, voire couchés sur le côté, j’entends que certains se plaignent déjà de fortes douleurs, de problèmes de digestion. La journée va être rude et cela commence déjà, espérons que je sois épargné, ou que j’arrive à m’épargner en trouvant la force nécessaire pour.
Je continue à grimper mais je n’en peux déjà clairement plus. La nuit est compliquée, je m’endors en marchant, je pense que je n’aurai aucun mal à faire une sieste peu importe le confort précaire que je trouverai le long du chemin.
Je décide de finir cette montée et de faire une pause de 10 minutes environ, ce n’est encore que le début et je dois vraiment m’économiser, mais je suis assez mécontent de cet état dans lequel je me trouve.
Je m’écroule sur le côté et enlève le sac le temps de souffler. J’ai froid, même très froid, un vent glacial vient évaporer la transpiration derrière mon sac ce qui fait un terrible effet de climatisation. Jamais je ne l’aurai cru utile, mais j’enfile ma veste. Juste pour rappel, on est alors au beau milieu de la nuit, l’ambiance est étrange à cet endroit précis.
Je souffle et reprends mes esprit, je vais y arriver, je prends mon temps. Je mange un peu, gestion de course oblige, il ne faut surtout pas que mon estomac se noue car je sais par expérience qu’il est difficile de le retrouver ensuite et cela est quasiment éliminatoire. Je ne suis pas seul, je vois encore pas mal de coureurs en difficulté, il y aura à priori 75 abandons au prochains check-point, soit au 32ème kilomètre, c’est énorme.
Je repars terminer le travail sur cette portion, je grimpe sur un sommet à proximité, et je me sens bien mieux, j’ai retrouvé les jambes et le moral qui va avec, ouf.
J’ai du mal à profiter de l’ambiance, de la lune, des étoiles et du paysage, mais je suis happé par le paysage en haut de la difficulté suivante, l’aube pointe peu à peu le bout de son nez ce qui éclaire légèrement l’horizon, nous pouvons apercevoir certains sommets environnants dont j’ignore les noms, ainsi que les lumières dans la vallée, c’est somptueux.
J’ajoute à cela le serpentin de lumières de frontales dans mon dos depuis le début de la course, un sacré air de Saintélyon. Magnifique.
Plus haut, je peux apercevoir un sommet assez impressionnant de par sa proéminence, il est majestueux vu d’ici et comporte une file de frontales jusqu’à son sommet, ces dizaines de coureurs déjà bien plus en avance que moi.
J’ai très peu de perception des distances avec la fatigue et le lever du jour, j’entends dire par d’autres coureurs qu’il s’agirait du Plomb du Cantal, la principale difficulté de la course, mais selon moi il est anormal qu’il y ait déjà autant de coureurs sur ce sommet, qui apparait plus tard dans la course, puis il me parait un peu trop proche.
Finalement, il s’agit simplement de la prochaine difficulté, qui vient juste après une jolie descente dans les bois, l’Elancèze.
Je me souviens avoir grimpé ce sommet assez aisément, c’est de bon augure pour la suite. Une descente sans difficulté m’amène au ravitaillement du col du Perthus. Un air espagnol tout de même ce col…
Environ 32 kilomètres, 1700 mètres de dénivelé. Je me ravitaille aussi bien que je peux, mon estomac se porte bien, il est 6 heures du matin et 2 accordéonistes sont sur place et mettent une ambiance guinguette, très sympathique, et courageux de leur part.
Les choses sérieuses
Je repars assez serein, sans trop penser à la suite, car je sais que la principale difficulté m’attends d’ici peu. Il est 6h du matin environ et je pense à plein de choses, je pense à mes enfants qui dorment tranquillement, je pense au soleil qui se lève alors que dans ma tête j’ai l’impression d’être en plein après-midi, je pense aux tomates chez moi qu’il faut arroser. Je divague un peu, surement dû à la nuit blanche. Mais ça fait du bien de divaguer, étrangement. Allez, je détache de nouveau le cerveau.
Une portion de « presque plat » s’en suit, un enchainement de petites montées et descentes qui nous amènent en direction d’un sommet à très forte proéminence devant moi, je me demande si c’est le fameux Plomb du Cantal. Le Puy Mary peut-être ?
Je m’en approche puis, finalement, tourne autour sans grimper à son sommet. Cela n’a l’air de rien mais c’est un sacré soulagement à ce moment de la course.
Je verrai plus tard, sur un panneau indiquant le chemin vers son sommet, qu’il s’agit du Puy Griou.
Puy Griou, je ne te connais pas mais je ne suis pas fâché de faire connaissance un autre jour.
Un peu plus tard, je commence à comprendre. La vallée en contrebas est splendide, mais ce qui fait sa splendeur est la domination de la crête qui se trouve de l’autre côté. Je peux apercevoir sur cette crête un bâtiment ressemblant à une arrivée de télésiège ou de téléphérique, je comprends alors que ce sont les hauteurs du Lioran, et que le Plomb du Cantal est forcément un des sommets de cette crête, surement le plus haut.
Le chemin descend droit dans la vallée en passant par un hôtel, des gens sont attablés sur une petite terrasse donnant directement sur cette vallée décrite plus haut. Alors certes je suis en pleine course, qui plus est la course de ma saison, mais je me demande à ce moment-là si je ne serais pas mieux à leur place, attablé à la fraiche avec cette vue et un bon café. Là encore, il faut faire preuve de force mentale pour rester dans sa course.
Arrivé en bas de la vallée, je constate que j’ai toujours mes jambes, je me sens bien, pas de trace d’ampoule et de douleur particulière, je suis dans un « haut » comme je me rappelle à décrire les montagnes russes des émotions sur ce genre de course.
Cependant, en levant les yeux, il faudrait être dupe pour ne pas voir ce qui m’attend, la crête est en haut, tout en haut, et c’est peu de le dire, et à ce moment précis, je sais qu’il n’y a pas d’échappatoire, il y a une difficulté majeure sur le papier, la plus compliquée de la course, et je suis à son pied, alors autant l’aborder sur un « haut », mais je ne sais pas combien de temps il va durer.
Sur les hauteurs, sur la crête, plusieurs centaines de mètres de dénivelé plus haut, je peux apercevoir une file de coureurs, toujours en direction du sommet qui se trouve bien plus haut. L’organisation de la course est vraiment au top, les bénévoles sont extraordinaire et rien n’est laissé au hasard, mais à ce moment précis, quand on voit ce que l’on a déjà dans les jambes et ce qui arrive incessamment sous peu, on ne peut s’empêcher de lâcher un petit « les enfoirés… », accompagné d’une grimace, avec tout le respect que l’on a pour eux.
De toute façon, il n’y pas d’autre option, il faut y aller. La montée commence en forêt sur un chemin sinueux, il faut s’accrocher mais les jambes sont encore là, peu à peu je sors de la forêt et me retrouve presque de suite sur un semblant de crête en direction du sommet que je ne vois pas, le soleil est présent mais sans trop taper. J’aperçois une sorte de col un peu plus haut avec des gens qui y sont assis et décide de grimper jusque-là et d’y faire une pause de 5 à 10 minutes, pensant arriver au sommet. Cependant, arrivé à cette crête, je m’aperçois que l’on est loin du sommet et j’aperçois une autre crête similaire un peu plus haut, je serre les dents et me refais la même réflexion, je dois y arriver et j’y ferai une pause. Même cas de figure, la côte continue après la crête.
Je n’en peux plus, je rentre à nouveau dans un « bas » et ce n’est pas le bon moment, sachant que la chaleur n’est même pas arrivée et que la mi-course semble encore bien loin.
Je décide de pousser une troisième fois jusqu’à la crête suivante, et vois que cela continue encore après. Stop, je suis à bout de force, je jette mon matériel par terre et me couche à mon tour, il me faut récupérer. Il est environ 8h30, je ne perds pas le moral, ou du moins je m’efforce de le conserver intact, et je repars quelques minutes plus tard en faisant en sorte que mes pensées aillent dans le sens du terrain, c’est-à-dire faire en sorte que je trouve désormais normal d’apercevoir une suite systématique à cette montée interminable après chaque crête.
Peu à peu, après un effort considérable à ce stade de la course, j’aperçois la suite et la fin du programme sur cette ascension, une petite série de crêtes est encore à faire avant d’arriver au pied de la dernière proéminence du Plomb du Cantal, que l’on ne peut finalement pas rater de ce point de vue.
Je serre les dents, un pied devant l’autre, et j’arrive à son sommet, il y a ici énormément de vent mais je décide tout de même de refaire une pause, largement méritée.
Je perds la notion du temps, je connais les barrières horaires, j’en suis encore très loin, je sais qu’il est un peu plus de 9h du matin, mais j’ai l’impression que l‘on est dans l’après-midi, je me dis qu’il ne fait pas si chaud et que l’on a échappé à la canicule, alors que cette dernière est à venir. Etrange sensation.
Je ne suis pas au mieux, complètement lassé par cette ascension interminable, je ne suis pourtant pas complètement cuit mais je ressens de temps à autre une lassitude mentale, largement entrainée par un gros effort physique.
Je me relève et repars, je fais en sorte de courir le plus possible mais cela est parfois difficile, j’ai un peu mal au dos, aux cuisses. Mais je m’efforce d’y arriver.
On peut apercevoir toute la station de ski ici, excepté la partie du Lioran qui semble être sur l’autre versant.
Je m’attends à n’avoir plus que de la descente jusqu’au tant espéré ravitaillement du Lioran, symbole de la mi-course et du sac d’assistance, premier endroit de la course sur lequel je pourrai avoir la joie de retrouver mes très précieuses assistantes de courses, mais je lève les yeux et m’aperçois que les coureurs passent tout en haut du petit sommet voisin, sommet que je vais donc devoir gravir. Alors certes il est proche et pas très haut, mais il est également très dur pour le moral, et c’est peu dire à ce stade de la course où les émotions commencent réellement à entrer en jeu.
J’oublie tout et je monte, puis vient la descente vers le Lioran. Une descente qui parait tellement bienvenue pour les jambes qui ont encaissé ce gros morceau qu’est le Plomb du Cantal, mais il s’avèrera que cette descente sera très compliquée, je ne saurai dire si elle sera aussi difficile que la montée, mais le contexte la rend tout particulière pénible.
Il y a tout d’abord l’excitation d’arriver à la mi-course, cela rends la descente interminable et demande un effort mental pour rester concentré sur ses pieds. Ensuite il y a les pieds eux-mêmes, il faut faire attention à chaque caillou sur ce chemin, c’est sec et ça glisse beaucoup, on aurait vite fait d’y laisser une cheville et ce serait vraiment dommage. Les pieds, encore eux, ont la vie dure sur ce genre de descente, car le pourcentage de la pente est conséquent et je suis obligé de freiner pour ne pas prendre trop de vitesse, le résultat est que les orteils se tassent sur le fond de la chaussure et cela est très douloureux.
Je regarde ma montre en me disant que je pourrais être en avance sur mes prédictions, j’avais annoncé aux filles une arrivée entre 10 heures et 11 heures au Lioran, il n’est pas encore 10h et je vois que je suis presque arrivé, je prends cela clairement pour un exploit ce qui est un plus important pour le mental.
Finalement, je descends en continue mais je vois que la station en contrebas n’a pas l’air de se rapprocher, ce qui est très décourageant. De plus, j’ai l’impression que je longe la station, voire que la dépasse, et cela sans effectuer de virage à gauche pour la rejoindre, cela est encore très décourageant.
Alors bien sûr, ce n’est que du ressenti à ce moment-là, le contexte général dans lequel je me trouve m’entrainant à ce moment-là des pensées assez négatives.
Tant bien que mal, je rejoins une piste de ski, qui a l’air de ne jamais se terminer, et je commence finalement à apercevoir des bâtiments. Je checke un panneau tenu par une fillette, sur lequel il est écrit « tape dans la main si tu veux être finisher », tout petit moment de course qui remonte le moral, voire donne la larme à l’œil, puis j’aperçois la patinoire au loin.
Je cours aussi vite que je peux à ce moment-là, c’est-à-dire pas trop vite, et j’aperçois Isa et Sand au loin. L’émotion est palpable, il est finalement 10h20 environ, donc autant d’heures de course dans les jambes, et j’arrive enfin à la mi-course, moment que j’attendais comme une finale de top 14, et je retrouve qui plus est les filles, dont Isa qui est ma tante, ce qui me procure de vives émotions incontrôlables engendrées par énormément de paramètres, ce qui s’entend dans ma voix tremblotante.
Je les prends dans mes bras et nous nous dirigeons vers la base de vie, je récupère mon sac d’assistance, à boire et à manger et décide m’arrêter longuement, peut-être 30 minutes.
Nous discutons de tout ce qui s’est passé jusqu’à ce moment, je me restaure et me change grâce à mon sac d’assistance, je m’enfile un paquet de chips d’apéritif ce qui étonne Sand, qui se demande s’il est bon de manger ce genre de choses sur une épreuve sportive, je lui réponds que ce sont mes chips préférées ce qui est excellent pour le moral, j’y pensais déjà depuis des heures, puis c’est rempli de sel, ce qui compense les pertes en transpiration.
Je change mes chaussettes et m’aperçois que la différence entre la couleur de mes jambes et celle de mes pieds est considérable, je suis couvert d’une quantité affolante de crasse, surement due à la poussière remuée sur les chemins.
Ce moment au Lioran fut riche en émotions et très largement nourrissant en tous points, je repars le moral requinqué, mais les jambes complètement absentes. Il reste plus de 50 kms et je sais que les difficultés ne viennent que de débuter, il y encore autant de dénivelé que sur la première moitié de course, et le paramètre canicule n’est pas encore entré en considération.
C’est une autre course, comme si je commençais un 50 kilomètres juste après en avoir fini un.
C’est le cas en fait.
Ça fait peur.
C’est parti.
La traversée du désert
Je commence à reconnaitre quelques têtes autour de moi, ce flot de coureur, comme dans toutes les courses, que l’on peut apercevoir de temps en temps, on se double mutuellement et on se croise aux ravitaillements, sans forcément se parler, mais nos niveaux sont similaires à peu de choses près et on se côtoie donc pendant plusieurs heures.
C’est le cas ici, j’aimerai bien dans ces moments-là pouvoir retenir leurs numéros de dossards pour connaitre leurs résultats à l’arrivée, mais je suis incapable d’une telle performance de mémoire visuelle.
Une petite piste de ski, avec peu de pourcentage de pente, et très peu de dénivelé, est la première difficulté en partant du Lioran. Malgré sa petitesse, elle me semble être une difficulté majeure, mes jambes sont absentes depuis le départ de la base de vie et j’ai l’impression d’en baver plus que d’habitude pendant les premières minutes. Peu de temps après, la descente sur l’autre versant intervient, très courte mais également très compliquée.
Finalement, mon corps chauffe et je me remets en route pour, cette fois, la montée vers un massif inconnu à mes yeux, ayant pour dessert le Puy Mary dont j’ai pas mal entendu parler.
Je retrouve peu à peu un « haut ». La base de vie et les retrouvailles avec Isa et Sand m’ont fait du bien, mon corps a apprécié la pause et le changement de t-shirt et de chaussettes grâce au sac d’assistance, et la venue du soleil est également bonne pour le moral après une nuit compliquée.
Je grimpe donc sans trop me poser de questions, c’est dingue comme le moral peu transformer un important dénivelé en quelque chose de facile, et bien c’est le cas ici et j’apprécierai que ça le soit plus souvent.
Arrivé en haut, je croise un bénévole de la course qui m’encourage, comme tous les bénévoles sur cette course qui sont toujours souriants et serviables, un vrai bonheur. Je suis encore en pleine forme et discute quelques secondes avec lui le sourire aux lèvres, c’est un des bons moments de la course et cela fait du bien.
Je lui demande lequel des sommets environnants est le Puy Mary, il m’indique évidemment le plus pointu et impressionnant, assez éloigné qui plus est, et avec une monotrace clairement tracée de bas en haut droit dans la pente. Je lui réponds avec le sourire que je vais aller voir ça de plus près. Je suis de bonne humeur, mais la suite de la compétition est toute tracée, et je ne suis pas sûr que cela reste une partie de plaisir, d’autant que la chaleur monte très sérieusement.
Je suis sûr d’être passé en haut du Téton de Vénus, dénomination assez drôle pour un sommet ce qui est assez bon pour le moral, on se contente de peu dans ce genre de moment, puis le chemin semble partir en slalom, car je l’aperçois partir largement à gauche, avant de repartir à droite en remontant, mais je le revois au loin repartir dans l’autre sens. Bref, je sais que je vais faire pas mal de crochets dans ces hauteurs, sans une once de végétations, sous un soleil de plomb.
Sur la petite portion qui mène au premier col de cette partie montagneuse, je ressens clairement l’effet de la chaleur, il doit être aux alentours de 12h30 et j’ai très, très chaud, je bois beaucoup d’eau depuis le Lioran d’autant que j’ai déjà attaqué ma deuxième gourde de 750 ml, je bois régulièrement dans cette dernière ce qui ressemble à de l’eau tiède à goût plastifié, pas terrible mais chaque gorgée me fait quand même du bien, mais je ressens un effet de soif juste quelques secondes après avoir avalé une gorgée. Je ne me déshydrate pas au point d’en faire un malaise, mais je commence réellement à ressentir l’effet de la déshydratation.
Arrivé au premier col, il y a un parasol, le fameux ravitaillement en haut installé sur les hauteurs. Cependant, plus d’eau, le bénévole est dépité et donne la même réponse à tout le monde. Un 4x4 est garé plus loin sur une piste, je ne sais même comment il a réussi à monter jusque-là, et un autre bénévole est en train de refaire le plein d’eau dans une source proche. Soit il faut attendre ici, soit il faut atteindre le ravitaillement du Pas de Peyrol après le Puy Mary, ce qui est clairement trop loin pour moi qui n’ai même plus une demi gourde de disponible. Je n’y arriverai pas.
Finalement, le bénévole nous indique la présence d’une source potable proche sur le parcours, alors je décide de repartir dans sa direction, en espérant que l’info soit fiable car, le cas contraire et sous ce soleil, je ne vais pas aller loin.
Je grimpe jusqu’au col suivant et bifurque dans une autre portion du slalom, mais je ne vois toujours rien et commence à désespérer, d’autant que cette portion grimpe jusqu’à un autre col assez lointain. Finalement, j’aperçois deux coureurs devant moi au loin qui s’arrêtent dans un coin du chemin en ayant l’air de remplir quelque chose, j’ai l’impression d’y arriver et ressens du soulagement.
Arrivé sur place, il y a bien une source mais difficilement exploitable, un bol d’eau est stocké entre deux rochers et un filet d’eau glisse le long d’une pierre. Qu’il en soit ainsi, je plonge une partie de ma gourde dans la réserve d’eau entre les rochers, je récolte une eau claire et très fraiche avec quelques « morceaux » dedans, et je la bois en entier comme si ma vie en dépendait, et c’était en fait finalement un peu le cas. Dans ces moments-là, on se rend compte à quel point les besoins primaires sont si importants dans la vie, cette eau était aussi bonne qu’un Bourgogne grand cru.
Tant bien que mal, je colle mes 2 gourdes sur le filet d’eau le long du rocher et arrive à les remplir, je trempe allégrement ma casquette dans l’eau et repart bien requinqué.
Je termine ce col dans la douleur, je bois régulièrement mais ressens tout de même une insuffisance dans mon hydratation, et je sens le besoin de boire par soif, mais je ressens aussi le fait que mon estomac a du mal à n’accepter que du liquide, il commence à se nouer légèrement.
En haut du col, j’aperçois deux ou trois petits sommets avant d’attaquer une ligne droite vers le pied de l’impressionnant Puy Mary.
Je suis en souffrance mais je gravis les difficultés et il ne me reste alors que la ligne droite, mais c’était sans compter sur les surprises offertes tout au long de la course par les organisateurs, et l’heureuse élue est ici la Brèche de Rolland ! Une sorte de crevasse dans laquelle il faut descendre pour remonter de l’autre côté en escaladant directement la paroi. Un superbe endroit que je n’ai malheureusement pu apprécier à sa juste valeur comme on pourrait s’en douter.
J’arrive au pied du Puy Mary, il y a des bénévoles qui m’encouragent et contrôlent que l’on n’utilise pas du tout les bâtons durant toute la montée, pour préserver la biodiversité du site. Je commence à grimper, c’est très raide et je suis clairement en souffrance, je rêve du ravitaillement au prochain check-point, juste après le sommet.
Je me pose quelques dizaines de mètres plus haut pour récupérer un peu, et vois un coureur demandant à faire le tour de la montagne par un autre sentier car veut rejoindre le ravitaillement sans effort pour abandonner, purement et simplement. Dur pour le moral, il faut que je tienne le coup, ne pas penser à tout ce qu’il reste à faire, la route est très longue, il fait chaud, beaucoup de paramètres sont décourageants mais je dois me concentrer sur l’essentiel : finir cette étape.
Je m’accroche, un pas après l’autre, j’escalade les portions compliquées et fini par arriver en haut. Il parait que la vue y est extraordinaire, mais je dois m’excuser de ne pas du tout y avoir prêté attention.
Désormais, il faut redescendre autant de dénivelé jusqu’au ravitaillement en contre-bas, une descente en théorie facilitée par le chemin en escalier en béton désactivé pour faciliter l’accès au sommet à tout le monde depuis le col, seulement cette descente est un calvaire après 14h de course, car elle est raide et le terrain accroche beaucoup, ce qui encore une fois permet au pied de s’écraser au fond de la chaussure.
Je suis exténué, mais j’arrive au Pas de Peyrol, pas de ravitaillement solide ici, mais je fais le plein d’eau dans les gourdes et sur tout mon corps, et je vais ouvrir le paquet de cacahuète pour tenter de réconforter mon estomac, qui l’encaisse, mais sans réel plaisir non plus. Je somnole légèrement en restant assis, je tire de partout et regarde à côté de moi quelqu’un de l’assistance en train de compter la pile de dossards qu’il a entre ses mains, chaque dossard étant un abandon sur ce check-point. Un coureur arrive à côté de moi et lui en tend un de plus, la mine déconfite… 52 abandons ici.
Jamais l’idée d’abandonner ne m’a traversé l’esprit jusqu’à maintenant, je suis complètement dans le dur, clairement dans un « bas » qui a du mal à s’évacuer, j’ai chaud et soif en permanence même après avoir bu, mais je reste très fort mentalement.
Environ 60 kms de course. Il ne faut pas penser à ce qu’il reste.
Je me lève, je ramasse les affaires, je mouille la casquette, je fronce les sourcils, et je pars le torse bombé et plein de confiance. Heu non, plutôt vouté et d’un air chancelant en fait. Peu importe.
La fin des haricots
Je rejoins un coureur le long du parking, et nous discutons le temps de quelques centaines de mètres, sur la difficulté de la course, le nombre d’abandons. Dur de garder la motivation, mais il faut le faire.
Je sais en quoi consiste cette étape, et je sais que tout est annoncé comme étant un calvaire sur le papier.
Je vois des coureurs descendre presque au fond d’une vallée, remontant ensuite en deux temps sur un haut sommet de l‘autre côté. A ce moment précis de la course, je n’ai pas vraiment envie de m’y coller, mais je ne réfléchis pas.
Le sentier descendant au fond de la vallée est très souvent en plein soleil, il fait vraiment une canicule incroyable surement proche des 40 degrés à l’ombre, j’essaie de courir le plus souvent possible, mais mes pas ne sont pas toujours surs et j’ai tendance à mal les poser et risque de me blesser à force, alors j’alterne marche et course.
Bientôt, arrivé tout en bas, la montée commence, et je sais qu’elle va être longue, alors j’y vais doucement, je me préserve et assure un rythme suffisant pour y arriver.
Je commence à penser barrières horaires mais j’en suis encore très loin, j’ai bien 2h d’avance.
Arrivé en haut du premier col, un ravitaillement en eau est disposé, c’est de très bon augure et, surtout, deux bénévoles s’affairent à asperger de grandes quantités d’eau sur les coureurs. Quand je suis arrivé à eux, je me suis fait asperger de la tête aux pieds plusieurs secondes et ai ressenti un bien-être comme rarement on peut en ressentir, cette sensation de rafraichissement était plus jouissive que n’importe quelle piscine en dehors d’une course, un pur bonheur.
Je fais le plein d’eau et repars, non pas en meilleure forme, mais assez rafraichi pour me sentir bien mieux.
La deuxième partie du col comporte une surprise comme on a pu en rencontrer plusieurs fois sur cette course, j’aperçois une crête qui me semble clairement être le sommet de la montagne, que j’apercevais déjà depuis le ravitaillement précédent, mais il se trouve que ce n’était pas le cas. En effet, le Puy Chavaroche, véritable destination de cette montée, était encore plus haut et plus loin, et ce n’est qu’arrivé en haut de cette illusion de sommet que l’on voyait la suite du travail.
Comme à mon habitude, je profite de cette désillusion pour jeter mon matériel à terre et pour me poser quelques minutes pour ruminer ma rage.
Je repars finalement sur ce chemin qui nous mène tout en haut du sommet, avant ce qui s’annonce sur le papier comme une très, très longue descente, dont je me souviendrais toute ma vie.
Cette descente me semble avoir duré des heures, le chemin descend en continu pendant des kilomètres, peut-être 5, 6 ou 7 je ne saurais dire, mais mon état général n’a pas arrêté de s’empirer tout au long de ces kilomètres.
Au fur et à mesure que j’avance, chaque pas devient une torture, mon corps entier me fait mal, mon estomac s’est complétement noué, j’ai soif en permanence et chaque gorgée bue ne me soulage aucunement et me provoque instantanément une envie de vomir. J’essaie malgré tout d’alterner marche et course, mais tous les paramètres en place, chaleur, fatigue extrême, maux d’estomac, déshydratation, douleurs générales, premier sentiment de découragement complet, perte totale du mental, ce qui ne me ressemble pas, qui fait que chaque pas que je fais n’est plus sûr, j’ai l’impression de me cogner à chaque racine, chaque caillou, je sens que ma cheville peut partir à tout moment. J’ai environ 15 heures de course au moment de cette descente, et tout semble être contre moi, je ne ressens absolument plus aucun plaisir, plus aucun sentiment positif quel qu’il soit. La fin de la course, l’échec, les pensées noires, un moment des plus atroces.
Pour résumer, cette descente aurait dû représenter la fin des haricots, l’abandon, si mon esprit avait écouté les signaux de mon corps et de mon cerveau, aucun des deux ne m’apportant plus une once de motivation.
J’arrive en bas de la descente, marquée par une dernière descente des plus horribles, mais j‘aperçois en contrebas Isa et Sand, toujours au rendez-vous, qui m’acclament, m’encouragent et m’accompagnent sur les derniers mètres. A ce stade, je pense qu’elles ont plus eu affaire à un zombie à moitié mort qu’à un être humain, je devais avoir une tête absolument atroce, des couleurs morbides, un regard vide et des yeux jaunes, la perte d’eau a dû me faire maigrir et je ne suis pas sûr que je sentais très bon.
Ce ravitaillement, c’est celui de Mandailles, un endroit à priori superbe, traversé par la Jordane, tout aussi belle. Cependant, de mes souvenirs personnels, ce fut l’enfer sur terre. Je ne sais pas combien de temps j’y suis resté, 30 minutes peut-être, ou plus. Je me suis étalé par terre, je crois que j’ai dormi un peu, à même le sol, que j’ai trouvé tellement confortable, je me suis senti extrêmement mal tout le temps de ma pause, une terrible envie de vomir, incapable d’avaler quoi que ce soit, malgré une grosse soif. Isa et Sand étaient à mon service, prêtes à aller me chercher n’importe quoi, mais moi je pense avoir été tellement désagréable, vidé de toute énergie et de toute envie, incapable de faire le moindre mouvement.
Peu à peu, des coureurs arrivaient et repartaient, tous autant détruits par les kilomètres que moi, je me demande même si certains n’étaient pas pires, ce qui est une belle performance.
Isa me propose quelque chose à manger, c’était au-dessus de mes forces. J’ai tenté quelques quartiers d’orange, qui sont passés et tant mieux.
Sur un coup de tête, je décide de me lever, de me préparer avec l’assistance des filles qui n’était pas superflue, et j’ai tenté de reprendre le chemin. A ce moment-là, je m’en sentais absolument incapable, sachant que la portion suivante était extrêmement difficile sur le papier, la Cabrespine, un monstre de 800 mètre de dénivelé à gravir à ce moment-là de la course ce qui me paraissait totalement insurmontable. Je me lève et décide de partir, mon corps et ma tête me l’interdisent mais mon esprit, mon mental, me force à continuer, et est finalement plus fort que tout. Malgré tout, je ne suis pas encore au plus bas, mais cela je ne le sais pas encore.
Mandailles, je me souviendrai longtemps de cet endroit, le nom ne me rappelant que l’atrocité de ce que j’y ai vécu. 73 kilomètres, 4300 mètres de dénivelé environ, 16h30 de course et encore 46 abandons ici, énorme.
Le pouvoir insoupçonné du corps humain
Isa et Sand m’accompagnent dans ma déambulation de zombie, je suis en pilote automatique et n’ai plus une once d’énergie, mais je dois avancer, c’est indispensable. J’ai cette étrange sensation de savoir que je ne pourrais pas aller au bout, que je ne pourrais d’ailleurs même pas rallier l’étape suivante, même pas monter une portion du sommet suivant, je le sais, mais ce qui est le plus en fort en moi à ce moment-là est la petite voix qui me force à continuer, comme si ma vie en dépendait. Et cette voix, je ne sais pas d’où elle vient.
Je traverse un pont, il y a la Jordane en-dessous, elle devait être très belle mais je n’y ai pas prêté attention. La seule chose que j’ai remarqué ici était ce groupe de gens dans la rivière, assis sur des rochers, ou sur le bord, les pieds dans l’eau, je me souviens les avoir regardé, admiré même, je crois même en avoir fait la remarque à Isa et Sand, peut-être plusieurs fois, en leur disant qu’ils avaient trop de chance, que j’aimerai vraiment trop être à leur place. Mais non, j’ai continué.
Je marche, d’autres coureurs me rattrapent, Isa et Sand sont toujours avec moi, je parle très peu, totalement dans le brouillard, mais j’ai dû accélérer inconsciemment la cadence et les filles m’ont dit qu’elles me laissaient là. Je leur ai dit que c’était OK, qu’elles m’attendent à l’étape suivante, que je risquais de mettre très longtemps, bien que j’étais complètement conscient que je n’en étais pas capable et qu’au fond de moi je savais que j’allais les rappeler sous peu pour venir me ramasser sur le bord de la route, mais ma petite voix continuait de me tirer.
C’est parti, ça monte. Je plante les bâtons, je pose un pied, puis un autre, et je m’arrête souffler. Je continue ainsi, alternant petits pas et pauses. Plus je monte et plus les pauses sont longues et plus je m’étale par terre.
Je suis au bout du rouleau, et j’ai de réelles envies d’abandon, pour la première fois de toutes les courses que j’ai fait. Je pense à l’abandon, je ne pense qu’à ça tout le temps, je réfléchi comment je vais l’annoncer, comment je vais redescendre. Je sais que je vais m’arrêter, mais je continue à faire quelques pas.
Tout à coup, le chemin vire à gauche et redescend. Cela m’a marqué car j’ai pensé un instant que l’ascension était terminée, qu’elle était plus courte que prévu. Puis je me suis dit que c’était stupide et qu’elle allait repartir de plus belle, que j’attendais de trouver une intersection pour redescendre vers l’abandon.
Je trouve cette intersection, le balisage part à droite en plein dans la pente, et un autre chemin part à gauche pour surement redescendre vers la route. Je regarde cette intersection, je suis dans l’expectative. Je dois avoir un air totalement stupide à ce moment-là à regarder ces 2 chemins avec ma posture aléatoire et mon air fatigué. J’avais clairement l’impression d’être dans Matrix et de devoir choisir entre la pilule bleue et la pilule rouge, d’autant que j’ai déjà croisé plusieurs coureurs redescendre vers Mandailles car eux avaient décidé d’abandonner, mais je n’ai jamais cédé.
Finalement, sans trouver la moindre explication, je décide de prendre à droite et de continuer à monter un peu, je me dit que je dois tout donner et au moins tenter de terminer cette étape, que je serai hors délai au prochain check point et que ce serait finalement plus honorable que d’abandonner. De toute façon, vu comment c’est parti, je ne vois pas comment je pourrais arriver dans les délais.
Je grimpe et m’arrête encore et encore, la même rengaine, les mêmes réflexions, toujours la petite voix qui me fait prendre le chemin de la montée plutôt que celui de l’appel à ma tante.
Je me fais doubler pas plusieurs coureurs, chacun d’entre eux me demande si je vais bien, je réponds que ça va, que je suis juste crevé. Chacun a un mot d’encouragement qui va dans le sens de ma petite voix, c’est une bonne chose mais je sais que cela ne suffira pas, pourtant cela me nourrit. Mais je n’ai plus du tout les jambes et, surtout, plus du tout le mental pour terminer, c’est trop tard.
Petit à petit, le long de mes pauses et de mon bras de fer avec l’abandon, les coureurs continuent à me doubler et ont de plus en plus l’air d’être également au bout du rouleau, j’échange quelques mots avec certains qui me confirment que c’est le cas, mais ils continuent également, il ne reste que les guerriers à ce stade, et surtout aussi proche de la barrière horaire.
Je me demande d’ailleurs combien il en reste derrière moi, je suis tellement lent sur cette portion que je ne devrais pas être loin du dernier.
Néanmoins, je monte, doucement mais je monte, mais le mental est parti, complètement. Mais je m’accroche.
C’est la fin d’après-midi, et au détour d’un chemin, en entrant dans la forêt qui me semble légèrement plus sombre, je la vois, ça y est, ma première hallucination. Cela m’est déjà arrivé sur d’autres courses, mais bien moindre. Là, j’ai accumulé une nuit blanche, énormément de fatigue, une déshydratation, beaucoup d’émotions et mon cerveau déraille.
Dans la forêt, j’aperçois un bus. Un superbe bus flambant neuf, garé ici, le bord du chemin. Je le regarde les yeux écarquillés, il est bien là, j’ai beau secouer la tête mais je le vois toujours. Quelle étrange sensation.
M’approchant peu à peu, ce « bus » disparait au profit d’arbres et de branchages, je vois que mon cerveau m’a joué des tours. C’est une étrange sensation, mais ce ne sera pas la dernière avant la fin de la course.
Mais étrangement, ce n’est pas du tout dérangeant, j’avais déjà lu beaucoup d’articles sur ce phénomène, tout à fait normal dans ce sport, le vivre est très étrange, indescriptible, mais pas dérangeant, au contraire.
De fil en aiguille, j’aperçois presque la sortie de la forêt, marquant le passage proche des crêtes, et donc du sommet, ce n’est pas gagné mais je m’en approche, mais je ne suis pas pour autant de retour aux affaires. A ce moment précis, un coureur arrive en redescendant et s’assoit par terre l’air dépité, je lui demande si ça va et il me répond que non, qu’il n’en peut plus du tout, qu’il ne peut même plus tenir debout et qu’il n’est vraiment pas bien. Il me dit qu’il a appelé l’assistance pour être secouru. Je lui donne mon ressenti, lui explique que je suis moi aussi au plus bas, et il me propose de rester avec lui pour que l’on se fasse secourir ensemble.
La tentation est grande mais ma petite voix a pris le contrôle de la parole et a répondu directement, sans réfléchir, que j’allais essayer de terminer tant bien que mal cette étape, puis je suis parti.
Plus haut, je suis arrivé à quelques centaines de mètres de ce qui semble être la crête proche du sommet, et je suis de nouveau arrêté, par terre, comme sur mes innombrables pauses depuis Mandailles, et je vois arriver un coureur qui me demande si ça va, je lui explique un peu ma situation en lui disant que j’hésite à monter et à finir, ou à descendre pour ne pas prendre de risque, et je n’ai jamais été aussi sérieux qu’à ce moment-là.
Bizarrement, ce coureur précisément me fera grand bien, je lui explique qu’un de mes arguments est que je n’ai presque plus d’eau, il me propose de m’en dépanner et m’explique qu’un point d’eau est présent juste en haut, tout près. De plus, il a l’air également cuit, mais n’a pas l’air lui aussi de vouloir s’arrêter. Enfin, je constate l’air ébahi qu’une personne arrive derrière ce coureur, une personne en tenue de randonnée, le pas sûr, qui s’arrête près du coureur comme s’ils se connaissaient déjà.
Je pense comprendre à ce moment-là que cette personne n’est autre que le serre file, et que mon nouveau copain est donc tout simplement le dernier.
Je ne sais pas pourquoi, mais ce concours de circonstances, cette dernière rencontre, le fait de me retrouver collé à un serre file pour première la fois de ma vie, que le sommet soit proche, que de l’eau soit en haut, que les paroles de ce coureur m’aient réconfortées plus que d’autres sans savoir l’expliquer, tout cela a engendré en moi un sursaut d’orgueil, déjà il était hors de question que je sois accompagné du serre-file, mais également car je sentais que cette étape semblait, contre toute attente, tout à coup faisable, et cette sensation est indescriptible, j’aurais du mal à mettre des mots dessus.
Cependant, ce n’est pas fait, loin de là.
J’ai alors trouvé un peu de force pour accélérer le pas et éviter une nouvelle pause avant d’être arrivé tout en haut, je passe un « portail à vache », ce genre de passage pour humain permettant de basculer de l’autre côté d’une clôture, et je me rends compte que l’on ira pas vraiment jusqu’au sommet, mais que le chemin redescend à gauche en direction d’une sorte de refuge, je pense alors immédiatement au point d’eau.
Je cours. Jamais je ne m’en serai cru capable quelques minutes plus tôt. Je cours et j’arrive au point d’eau.
Les bénévoles sont d’une humeur extraordinairement bonne ici, comme partout d’ailleurs mais l’ambiance est particulière ici. Je demande un peu d’eau et la personne en face de moi se plie en quatre pour remplir mes gourdes avec l’eau la plus fraiche possible, un autre bénévole m’explique en détail le parcours qu’il reste avant d’arriver dans la vallée au prochain ravitaillement, ce bénévole me redonne le sourire de par sa gentillesse, et par le fait qu’il me décrive le parcours comme passant sur le col avant de redescendre, et non sur le sommet, et cela me booste considérablement le moral.
A ce moment précis, il y a eu un électrochoc en moi, quelque chose de totalement indescriptible et inimaginable, je ne sais absolument pas mettre mot sur cela. Les évènements de ces dernières minutes, à partir de la rencontre avec le serre file jusqu’à l’explication du bénévole de ce point d’eau, ont eu le rôle d’une étincelle qui a complètement ravivé la flamme qui était en moi. J’ai réfléchi à toute vitesse, j’ai calculé rapidement le chemin restant jusqu’au check point suivant, j’ai calculé le temps que j’avais pour respecter la barrière horaire, et je me suis rendu compte que oui, c’était encore faisable. C’est énorme et c’est peu de le dire. Cependant, il va falloir cravacher mais c’est dingue de le dire, je sens que j’ai les jambes, elles sont revenues. Incroyable.
Ce coup de moins bien, coup de mou, « bas » ou tout autre nom que l’on eut lui donner, aura duré plusieurs heures, je dirai pas loin de quatre, mais à priori il est terminé, et je n’arrive toujours pas à comprendre comment ma petite voix intérieure a pu me trainer jusque-là.
Cependant, il reste facilement 25 ou 30 kilomètres, c’est encore très long, mais je me surprends à y croire.
Je repars du point d’eau en laissant en plan les quelques coureurs qui s’y trouvaient, ainsi que le serre-file, et je file aussi vite que je le peux. Je ne les reverrai plus.
Le chemin monte, puis devient plat, il passe ensuite quelques « portes à vache » avant de repiquer doucement dans la vallée. Sur la descente, j’aperçois un coureur, que je double, puis un autre, que je double également, il y en aura une quinzaine comme ceci. Je suis en pleine forme, jamais je n’aurai cru me retrouver dans cet état.
Je passe dans une forêt absolument magnifique, que je prends même le temps d’admirer, je cours sans m’arrêter en faisant en sorte de ralentir à chaque fois que je double un coureur pour prendre le temps de demander si ça va.
Quelques kilomètres plus bas, je bascule dans une vallée ombragée par les rochers et la végétation, une rivière somptueuse y coule, et j’arrive bientôt dans un endroit complètement aménagé sur et dans cette rivière : ponts, filets, passerelles. La rivière et le décor sont à tomber par terre, vraiment un endroit insoupçonnable que j’apprécie pleinement à ce moment de la course.
Cet endroit dure un certain temps, je dirai un bon kilomètre, avant de remonter un escalier assez raide, que je me surprends à monter en courant, puis j’arrive à une cabine faisant office d’entrée dans cette superbe vallée, il s’agit en fait des gorges de la Jordane, dont l’entrée est payante, mais qui vaut largement le coup.
Je continue un bon kilomètre et j’arrive au ravitaillement de Lascelle qui, contrairement à l’enfer sur terre de Mandailles, sera lui mon paradis.
Je retrouve Isa et Sand, qui doivent être ébahies par ma forme et mon sourire à ce moment de la course, alors que j’ai mis un temps incroyable long à boucler les 15 derniers kilomètres depuis Mandailles.
Je suis heureux et je ne m’en cache pas, je leur décris tout ce que j’ai vécu dans une vive émotion, et vais prendre quelques minutes pour me ravitailler correctement avant de m’envoler dans les 20 derniers kilomètres qui semblent plus simples sur le papier, et qui me paraissent tellement simples désormais.
Je croise ici quelques coureurs qui ont déposé les armes, ce que je trouve un peu dommage tant la fin du parcours semble plus accessible. Ce ne sera pas mon cas, le mental est de retour et il est désormais hors de question que lâche quoi que ce soit, je suis en mode guerrier et mon corps suivra, il n’a plus le choix.
Qu’espérer de mieux ?
Il est 21h30, il reste 15 minutes avant la barrière horaire, la portion suivante fait 12 kilomètres mais comporte presque 500 mètres de dénivelé, c’est assez peu comme ça, mais sur une distance assez courte, cela peut sembler être un ratio très élevé, et il faut que je sois bien certain de respecter la barrière horaire suivante, soit 00h45. Certes, 12 kilomètres en 3 heures est chose aisée pour n’importe quel coureur, mais j’ai tout de même 85 kilomètres et une nuit blanche dans les jambes, il y a encore une étape au ratio compliqué qui arrive, et je n’ai que 15 minutes d’avance, il ne faut rien lâcher.
Je repars avec un petit groupe de coureurs avec qui je reste sur une longue ligne droite et nous entamons une portion à très fort dénivelé, sur laquelle je m’accroche pour ne pas baisser l’allure. C’est très raide et je sens que je passe dans le rouge, mais j’arrive finalement en haut et décide de doubler le seul coureur qui restait devant moi, je pars seul en tête du petit groupe que je ne reverrai pas.
Un peu plus loin, la nuit devient noire et la frontale indispensable et j’attaque une très, très longue montée, je suis exténué et je reste dans le rouge la plupart du temps pour ne pas lâcher une minute sur la barrière horaire. Cette montée n’en finit pas, je commence à me rendre compte que je suis extrêmement fatigué, physiquement certes, mais également mentalement. Pas le mental qui permet de ne rien lâcher, mais celui qui demande une pause pour continuer à y voir clair. La distance aurait été plus longue et j’aurai ici décidé de faire une sieste le long du chemin, à même le sol, mais ce n’est pas d’actualité et je continue à serrer les dents. Cette arrivée, je la visualise et c’est tellement inespéré que cela me donne la larme à l’œil.
Les hallucinations vont bon train et c’est vraiment étrange, je ne sais combien de chats je suis persuadé d’avoir vu sur le chemin, j’ai eu beau les regarder, j’étais persuadé que c’était un chat, je suis même sur d’en avoir vu bouger, mais ce n’est qu’arrivé à 1 ou 2 mètres que je me rends compte que ce n’est que de simples rochers. J’ai vu également plusieurs fois une sorte de tente de camping aux couleurs militaires, une posée par terre, l’autre sur un rocher, des tentes de petite taille, toutes petites. Néanmoins, elles étaient magnifiques, je ne sais expliquer pourquoi. En m’approchant, je me rendais compte que ce n’en était pas, mais je ne saurais dire ce que c‘était en réalité tant ma « vision » est restée dans le flou. J’ai vu également une grande antenne téléphone, je la voyais tellement bien, ces longues barres de fer soudées les unes aux autres, c’était parfaitement clair pour moi. En m’approchant, tout cela s’est transformé en arbre.
Tout à coup, j’ai entendu un animal courir dans les feuilles sur le côté, je me tourne et suis sûr d’avoir vu les feuilles bouger à son passage. Je me suis arrêté et ai cherché quelques secondes en tapotant avec mon bâton… Rien.
Je n’ai pas tout raconté mais c’est réellement une étrange sensation, mais encore une fois pas du tout dérangeante, presque satisfaisante, utile pour passer le temps.
Le chemin redescend et j’arrive à proximité d’un village dans lequel j’entre, je suis tellement soulagé d’en avoir fini car, autant j’ai totalement fait abstraction des douleurs ressenties par tout mon corps, autant je suis très fatigué psychologiquement et ai envie d’en finir.
Le chemin traverse le village et ressort, puis repart de nouveau dans les bois, je suis désespéré. Le coureur devant moi explique que nous sommes à Rouffiac, et que le ravitaillement est à Saint Simon, quelques kilomètres devant. C’est dur, extrêmement dur. J’en ai marre, vraiment, il me tarde d’arriver et ce chemin n’en finit plus ce qui a tendance à me démoraliser, mais il est trop tard pour perdre le moral.
Je continue à courir, ce qui m’épatera toujours à l’approche de la barre des 100 kms, j’ai l’impression de courir assez vite alors que je suis persuadé que, si j’avais pu me voir, je ne devais pas dépasser les 8 kilomètres/heure, mais peu importe, seul le résultat compte.
J’arrive à proximité d’un village, le chemin y va droit dedans, enfin, des bénévoles m’encouragent et m’expliquent que le ravitaillement est tout près. J’y arrive, enfin, quel soulagement. C’est le dernier, je ne sais pas comment j’ai pu arriver jusqu’ici.
Il est presque minuit, j’ai gagné du temps sur la barrière horaire qui se retrouve reléguée à plus de 45 minutes. Il reste 7 kilomètres.
Cette fois, si je ne lâche rien, alors je verrai l’arche d’arrivée.
Je ne trouve pas Isa et Sand bizarrement, ce qui m’étonne, mais je suis tellement à la fois concentré et lassé que je ne m’inquiète pas plus que cela, je ne leur en aurai pas voulu si elles avaient zappé ce dernier point de passage.
Finalement, elles arrivent, toutes désolées de s’être éloignées pile pour mon arrivée. Elles sont au top, elles s’occupent de moi parfaitement bien, tellement que je n’ai même pas à me lever.
Je fais part de ma lassitude en répétant « je suis au bout du rouleau » de plusieurs façons différentes, comme si cela allait m’aider en quelque chose, mais il faudra bien faire les 7 derniers kilomètres pour obtenir ma victoire personnelle, et pas des moindres.
Je me lève et je repars, cette fois c’est la fin, il faut serrer les dents
La délivrance
Isa et Sand m’accompagnent, nous marchons dans les rues du village en discutant, et je me souviens leur avoir dit d’un air tout à fait serein et sérieux que je voyais une tête, une vraie tête humaine, posée sur le poteau du portail d’une maison. J’avais beau le regarder en face et cligner des yeux, je voyais très clairement une tête. Je leur expliquais avec mes mots, en la fixant, tout en étant parfaitement conscient que cela n’existait pas, puis j’ai tout à coup aperçu un pot de fleur à sa place en m’approchant. Elles ont dû me prendre pour un dingue.
Le balisage bifurque sur un chemin et les filles me laissent, m’abandonnent à ma victoire, je les salue, le prochain point sera le dernier.
Psychologiquement, ces derniers kilomètres seront excessivement longs. Il y a un peu de dénivelé, mis rien de bien méchant, et j’aperçois Aurillac en fond, que je ne perdrai plus du regard.
Je me fais doubler quelques fois car j’ai de moins en moins la force de courir correctement, et je sens que la fatigue est de plus en plus présente car j’ai dû revenir 2 fois sur mes pas pensants avoir perdu le balisage.
J’ai tout à coup l’impression d’entrer dans Aurillac, quand le balisage nous fait partir sur la gauche dans une montée au lieu de foncer droit sur la ville, un spectateur présent sur la route nous indique qu’il doit rester environ 3 kms, ce qui me semble insurmontable à ce moment.
De plus, les 2 kilomètres suivants me donneront l’impression de crapahuter dans tout un tas de chemin aux alentours d’Aurillac alors qu’il aurait juste fallu aller tout droit pour atteindre l’arche d’arrivée.
Après coup, j’ai regardé le parcours et j’ai pu constater que ces « détours » n’en étaient pas, et que cela ressemblaient bien à un trajet des plus directs tout en évitant la route.
Je guette ma montre pour être sûr que je sois à l’heure par rapport aux barrières horaires, aucun problème sur ce point.
Je rentre droit dans Aurillac cette fois et suis tellement hypnotisé par le centre-ville que je file tout droit et me retrouve en contrebas à chercher le balisage, inexistant.
Je remonte toute la route derrière moi et me rends compte que j’avais loupé une intersection, un coureur croisé précédemment en profite pour me doubler.
Je suis ce balisage et entre en centre-ville, nous passons dans plusieurs petites rues dans lesquelles des bars, encore ouverts, voient leurs clientèles nous soutenir comme de vrais supporters à notre passage, ce qui génère des émotions énormes. Petit à petit, j’entends la voix du speaker au loin, et reconnais la rue dans laquelle je suis passé en arrivant à Aurillac.
Ca y est, je vois, la barrière de chronométrage, je sais que ma course sera finie en la passant. C’est chose faite.
Le speaker crie mon nom et je passe l’arche, pas avec le sourire et l’énergie comme je l’avais rêvé, je passe la ligne dans la douleur et la fatigue extrême, mais je la passe, le soulagement est indescriptible, les émotions ressenties ne peuvent être comprises qu’en étant vécues de la sorte.
Je l’ai fait, je ne sais pas comment, je ne comprends pas comment cela a été possible, mais je l’ai fait.
La vie continue
La nuit a été courte, comme après une grosse course. Une douche très compliquée et un sommeil relatif.
Même avec désormais quelques jours de recul, je ne comprends toujours pas ce qui a pu m’arriver dans cette montée de la Cabrespine. Je ne sais pas si je comprendrai un jour mais je ressens ce matin comme si quelque chose vivait en moi, quelque chose qui surpasse n’importe laquelle de mes émotions, n’importe lequel de mes ressentis, quelque chose qui sait ce qu’il faut faire et me laissera dans le droit chemin, c’est très étrange comme sensation, mais c’est réellement ce que j’ai ressenti. Même en étant vidé de toute force physique et mentale, en ayant absolument plus aucune motivation, plus aucune chance d’arriver à mes fins, ce quelque chose a pu me pousser dans des retranchements que je croyais inexistants, et je pense sincèrement que c’est la première fois de ma vie que je ressens la présence de cette force, il faut bien un effort physique aussi dur et intense pour en arriver là.
« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ». En fait, mon corps et mon esprit savaient que finir était impossible. Mais je l’ai fait, et même si mon chrono final est loin d’être bon de par les heures perdues entre le ravitaillement de Mandailles et la montée de la Cabrespine (25h32mns pour 110 kms finalement, et quasiment 6000 mètres de dénivelé), et même si mon classement aurait pu être mieux (tout de même 285ème sur 800 partants, mais seulement une vingtaine de finishers derrière moi, ce qui est finalement énorme étant donné que je me suis retrouvé dernier à un moment de la course), je suis arrivé au bout, peut-être parce que j’ai empêché une toute petite partie de moi de penser que c’était impossible, et cela est extraordinaire.
1 commentaire
Commentaire de laulau posté le 23-05-2023 à 07:02:49
Bravo, quel courage tu as eu pour finir dans ces conditions ! Superbe récit bien émouvant !
Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.