Comme un goût de "reviens-y". J'avais tellement aimé les courses de l'été dernier que j'ai organisé mes vacances pour pouvoir y retourner, à l'U2B en juillet puis aux 100 miles en août. Je connais le risque de vouloir revivre à tout prix les mêmes courses (j'entends par là s'attendre à vivre les mêmes émotions , voire refaire les mêmes performances), mais dans les deux cas les souvenirs sont trop agréables et la tentation est trop forte pour que je ne me représente pas au retrait des dossards des 100 miles ce vendredi soir.
Dossard numéro 3, quel honneur ! En me le remettant, Laurent me glisse "il y a un coup à jouer cette année". Bien que ne pensant pas sérieusement pouvoir jouer un rôle significatif dans la course, je me dis qu'il va falloir lutter cette année non seulement contre les 160,9 km ensoleillés mais aussi contre la tentation de jouer une place, au risque de me déconcentrer et d'exploser en vol.
Et pour cela, j'ai la stratégie du "dilettante". Alors que les coureurs d'ultra sont souvent ultra organisés, je pars sans casquette (oubliée quelque part), un short légèrement déchiré, mon sac à dos rafistolé avec du sparadrap quelques minutes avant le départ ne contenant qu'une barre de céréales (que je ne toucherai pas), une bouteille de coca vide en guise de gourde, quelques mouchoirs, ma frontale et mon téléphone. Si cet équipement ressemble à celui d'un coureur de 10km, c'est que je sais que les ravitos seront nombreux et bien achalandés, l'avantage d'avoir déjà participé à l'épreuve.
C'est donc le cœur et le sac légers que je prends le départ le plus prudent possible. Tant que la route au milieu des vergers le permet, je compte une douzaine de coureurs devant moi, dont certains que je sais comme étant bien plus forts que moi. N'empêche, alors que j'ai du mal à me freiner pour courir à 5:30 au km, je doute que ces coureurs puissent tous tenir les 12 km/h pendant 160 km. Malgré mes précautions, le compétiteur au fond de moi me dit de ne pas m'affoler : ils vont ralentir, l'enjeu étant de ralentir plus tard, ou moins, qu'eux. Je me rappelle que l'an dernier, c'est dans la vallée de l'Eryeux, après 30 km, que j'avais commencé à doubler.
La voie bleue nous conduit le long du Rhône jusqu'au premier ravitaillement. Joie, j'y retrouve de la pastèque et mes chers bonbons Haribo. Les bénévoles me disent que je suis le premier à m'arrêter, mes prédécesseurs sont vraiment très pressés ! Nous déambulons ensuite au milieu de jardins, trois filles croient me reconnaitre : "ah, c'est lui, bravo !". Elles ont l'air un peu génées de constater que je ne suis pas "lui" mais continuent gentillement à m'encourager. Je reconnais ensuite le pont sous lequel nous attendent les accompagnateurs cyclistes, et arrive déjà au second ravitaillement. Devant les verres impeccablement alignés, je pense à ce marathonien qui a défrayé la chronique lors du marathon des JO et renversant toutes les bouteilles sous le nez de ses concurrents, mais résiste à la tentation de l'imiter.
Photo : page Facebook de la course
A ma grande surprise, je suis rattrapé par trois coureurs. J'en profite pour faire quelques kilomètres avec Stéphane, depuis le départ c'est le premier coureur avec qui je peux discuter un peu. Fort de mon expérience de l'an dernier, je lui donne quelques conseils sur la suite du parcours, en particulier les prochains kilomètres le long du Rhône que j'estime être les plus pénibles du tracé. Nous discutons ensuite du fléchage, et je lui demande s'il a déjà fait ce genre de courses. Il me sors alors un CV de coureur long comme le bras, à base de Sparthatlon, Badwater, transEurope, Sakura Michi... Inutile de préciser que je me sens un peu ridicule avec mes avertissements sur la chaleur !
Nous nous engageons ensuite sur la Via Dolce. A partir de là, c'est tout droit pendant une cinquantaine de kilomètres, d'abord ombragés, avec un léger faux-plat montant, puis nous changerons de rive et serons au soleil. Stéphane m'a laché, mais je sais qu'il ne faut pas essayer de suivre ce genre de coureurs, et avance à mon rythme. Je découvre avec plaisir que les organisateurs ont rajouté un ravitaillement, bienvenu sous la chaleur déjà bien présente . Comme l'an dernier, c'est dans cette vallée de l'Eryeux que je commence à rattraper un coureur, puis un second et même un troisième. Je calcule que je dois être autour de la 11ème position au premier marathon.
Nous abordons ensuite une partie que je connais bien, pour y avoir passé mes vacances l'été dernier. Mais c'est en fait toute la course de l'an dernier qui me revient avec une incroyable précision : emplacement des ravitaillements, rencontre avec des coureurs, vues remarquables ... Ici, une base nautique deborde de rires joyeux, alors qu'elle était tristement fermée pour cause de Covid l'an dernier. Là, je me souviens des jets d'eau qui arrosent le maïs et dont on peut profiter pour se rafraîchir si on se place bien. La chaleur est équivalente à celle de l'an dernier, mais je suis cette année beaucoup plus seul, ayant du mal à trouver des coureurs qui avancent à mon allure, malgré un yo-yo bien sympathique avec Pierre et Nathalie. Bien que cherchant à ne pas trop taper dans la machine, j'avance assez (trop?) vite cependant. Sur ce tronçon, je rattrape Stéphane, puis Dominique, qui m'avait pris 2h l'an dernier mais qui est à court d'entrainement cette année. Dans la montée plus marquée avant le demi-tour, je distance Pierre et Nathalie, avant de reprendre un nouveau coureur. Je fais les comptes : avec tous ces dépassements, je dois être autour de la 6ème place, pas mal.
Photo : page Facebook de la course
Ce 100 miles se faisant sur un aller retour, nous croisons les coureurs qui nous précédent, puis ceux qui nous suivent. L'occasion de nous saluer, et de mesurer les écarts : je suis effectivement 6ème, mais surtout 4ème garçon. J'estime avoir 3 ou 4 km de retard sur le 3ème, soit une bonne demi heure que je ne pourrai pas combler pour aller chercher le podium. Derrière moi, par contre, les coureurs que j'ai dépassé ne sont pas loin. Mais il est encore trop tôt pour penser au classement et je préfère continuer à penser à la balade. Il reste près de 80 km, la chaleur tombe, ca descend, que du plaisir !
Un vieux Monsieur m'encourage avec un accent roulant "c'est fort, ce que vous faites". Plus loin, ce sera Croc Man qui trouvera deux mots touchants. J'encourage en retour. De quoi m'aider à continuer à avancer, même si je commence à marcher plus régulièrement. Progressivement, ces échanges se raréfient, la chaleur tombe. Les baigneurs ont quitté l'Eryeux, et la vallée devient plus silencieuse. J'aperçois deux bouquetins qui viennent se désaltérer, j'en suis tellement heureux que je sors mon téléphone pour les photographier.
Sur tout le retour, comme à la fin de l'aller, j'avance seul. Les ravitaillements sont des vrais havres de vie. Chacun a sa personnalité. Ici, on plaisante sur les 40 minutes qui me séparent de mon prédécesseur. Là, on m'offre une soupe, ou l'on cherche mon prénom pourtant inscrit sur mon dossard. Sur un arrêt, un jeune garçon vient à ma rencontre en courant, ailleurs on se bat ensemble contre les moucherons... Je prends l'habitude de m'asseoir quelques minutes, autant pour récupérer que pour mieux profiter de ces instants. Et je repars dans la nuit jusqu'à la prochaine station.
Alors que je discute avec les bénévoles au km 125, je suis surpris de voir arriver Julia, qui accompagne Christian en vélo. Je savais que mes poursuivants n'étaient pas loin à mi-parcours, mais je les avais presque oubliés après 50 km sans voir de concurrent, et il y avait bien 5 ou 6 coureurs entre Christian et moi, est-ce à dire que tout ce peloton va me doubler ? Surtout, je ne veux pas avoir l'air trop nul devant cet immense champion, en me faisant doubler assis ou en marchant. En guise de baroud d'honneur, je repars, bien décidé à réduire au minimum les portions marchées.
J'arrive ainsi au ravitaillement suivant. Cette fois, au moment où je repars, j'aperçois les lumières de Julia et aussi celle de Christian, il se rapproche ! Raison de plus pour rejouer le baroud d'honneur, façon "La garde meurt mais elle ne se rend pas". J'arrive à peu près à courir jusqu'au ravitaillement suivant, situé 5 km plus loin. Contre toute attente, j'ai l'impression d'avoir légèrement augmenté mon avance, je me dis que si je tiens les 8 km jusqu'au ravitaillement suivant, tout sera possible. Je repense à cette phrase, citée dans mon récit de l'an dernier : "ce n'est pas mon adversaire, mais l'ami grâce auquel je donne le meilleur de moi ".
Je donne donc ce que je peux. Nous sommes sur de longues lignes droites, et je ne vois plus de frontale derrière moi. Un chien m'aboie dessus, puis redevient silencieux. Autant de signes qui suggèrent que mon avance augmente de nouveau. Bizarrement, je n'éprouve plus le besoin de marcher, même si je ne cours pas vite, je me dis que tant que je cours, rien ne peut m'arriver.
Photos : page Facebook de la course
Avant-dernier ravitaillement. Un bénévole m'annonce 5,6 km jusqu'au suivant, puis 5,9 jusqu'à l'arrivée. Moi qui comptais encore 12 km, cette différence, et l'absence de lumière derrière moi, me boostent. Je repars en courant. Et après un kilomètre...
Après un kilomètre, stupeur, je vois une frontale... devant moi. Fuyant Christian, ai-je repris mon prédécesseur, qui avait plus de 40 minutes sur moi d'après certains bénévoles ? Que faire ? Avec Christian sur les talons, pas question de me mettre à son rythme, sans compter qu'il y a un podium masculin en jeu. Je rattrape rapidement le coureur, lui demande si ça va, en profite pour vérifier qu'il a bien un dossard (comme si il y avait des joggeurs qui se baladaient seuls le long du Rhône à 3h du matin), et essaye de le doubler le plus rapidement possible.
Surtout, ne pas se retourner. Je donne tout ce que je peux le plus longtemps possible. Je repense à la prédiction de Laurent :"il y a un coup à jouer", alors je joue mon coup à fond. Je tiens un kilomètre, peut-être un second. J'entends cependant que Jérôme, mon adversaire, n'abdique pas. Sans aucun témoin dans la nuit, nous nous livrons un beau bras de fer. Dont il sort vainqueur : alors que je suis à pleine vitesse (enfin, avec mes moyens de l'instant), il me remonte et me dépasse. Je lui lance un bravo sincère qui signe ma reddition, il me félicite en retour et disparait dans la nuit.
Je finis plus tranquillement. L'an dernier, je m'étais perdu sur ce dernier tronçon, cette année je suis plus attentif et rejoins sans encombre la ligne d'arrivée, après 18h03 de course.
Dans la douceur de la nuit ardéchoise, je prend le temps savourer cet instant hors du temps. Je refais mon sprint avec Jérôme, fais la connaissance d'Anne-Gaelle, brillante 4ème, remercie Laurent qui me remet une médaille représentant un bouquetin semblable à ceux aperçu en fin de soirée, avant de rejoindre en marchant mon hôtel, situé à quelques kilomètres du stade, étirant comme je le peux cette nuit magique en Ardèche.
3 commentaires
Commentaire de philkikou posté le 07-09-2021 à 23:03:12
Bravo belle course et belle gestion en toute simplicité un sacré défi relevé !!! En lisant ton récit le fait que ce soit un aller-retour n'a pas l'aire de t'avoir gêné..
Commentaire de marathon-Yann posté le 09-09-2021 à 14:34:29
Merci de ton commentaire. C'est sympa, un aller-retour, on croise plein de monde, on connait un peu mieux les bénévoles, et on anticipe mieux les difficultés du parcours et l'emplacement des ravitaillements. Une belle idée, en fait.
Commentaire de augustin posté le 29-09-2021 à 14:16:17
Magique! grand bravo Yann. Une course où il faut être fort dans sa tête et ou tu as su gérer la tête & les jambes. Top!
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