L'auteur : PATAPON73
La course : L'Echappée Belle - Intégrale - 149 km
Date : 23/8/2019
Lieu : Vizille (Isère)
Affichage : 2932 vues
Distance : 149km
Matos : 2 paires de batons Leki
Cascadia 13 (bof)
Cascadia 14 ;-)
Objectif : Terminer
Partager : Tweet
Echappée belle 2019
« 16H20 ! Il faut que je file ». Je ferme mon ordinateur et j’adresse un dernier au revoir furtif à mes collègues. Je dois récupérer Emmanuel à la sortie de son travail pour covoiturer jusqu’à Aiguebelle ou il a laissé sa voiture la veille pour la fin de course ou « au cas ou… ».
« Salut Manu, Alors ? prêt ?
- Salut Pat, prêt, prêt… ! Ça, on verra demain…
- Ça va le faire mon Manu, ça va le faire »
Nous arrivons jeudi soir 22 aout à 17H à Aiguebelle. Des dizaines de traileurs, tous équipés des derniers modèles de vêtements et matériels s’affairent autour du gymnase ou nous devons récupérer les dossards. Ils sont quasiment tous taillés comme des athlètes, avec des cuisses bien galbés. Comme toujours, je me sens un peu ‘’léger’’ à côté. Une légère pression se fait sentir même si nous sommes tres décontractés grâce au soleil radieux et à une température très agréable. Nous aurons beau temps et ça, c’est déjà énorme.
Nos dossards en poche et le petit ruban de reconnaissance autour du poignet, nous nous dirigeons vers le gymnase dans lequel nous passerons la nuit pour prendre la navette à 4H demain matin.
A l’intérieur, plus de 100 lits picots sont installés dans un alignement parfait. On se croirait à l’armée. Nous prenons place sur le rang le plus éloigné de la porte d’entrée et des toilettes dans l’espoir de mieux dormir. Personnellement j’y crois mais Manu craint de ne pas fermer l’œil comme chaque veille d’ultra.
Le soir tombe et nous décidons de piqueniquer dans la pelouse du parc en échangeant quelques mots sur la course comme pour nous rassurer. Un dernier appel téléphonique à nos femmes et nous nous couchons après avoir programmé un réveil à 3H15.
Vendredi 23/08 – En route pour le départ
Après une nuit quasiment complète, je me réveille quelques minutes avant l’heure et décide de me lever sans attendre la sonnerie de ma montre :
« Manu, c’est l’heure.
-Oui, je suis réveillé. Ou plutôt, je ne suis pas encore endormi. Je n’ai quasiment pas fermé l’œil »
En l’entendant, je ressens une vive inquiétude. : Comment va-t-il pouvoir gérer 2 nuits sans dormir alors qu’il en a déjà une troisième de retard ? Je le rassure malgré tout : « Pas grave, tu dormiras dans le bus » Je sais malheureusement que ce ne sera pas le cas.
Nous prenons un petit déjeuner rapide grâce aux thermos que nous avions emmenées puis montons dans le bus avec tout notre barda (sac de course, ceinture, sac de suivi). Nous avons 1 heure de route. Je profite donc du trajet pour finir ma nuit. Manu quant à lui ne dort pas comme je le craignais mais essaie de se reposer un peu.
Nous débarquons à Vizille à l’heure prévue et donnons nos sacs de suivi au camion chargé du transport.
Durant l’heure d’attente qui nous reste, nous discutons avec les uns et les autres en picorant quelques sucreries jusqu’au départ. 5H45. Il est temps de nous glisser rapidement dans le sas de départ au milieu des 560 participants tous plus excités les uns que les autres. A côté de nous, un petit barbu en short, torse nu avec une mini banane dans le dos semble partir pour un footing au bord de la plage. Je ne comprends pas vraiment cette différente de tenue « Il doit etre bon le gars pour partir aussi léger »
Les minutes s’égrènent puis soudain le micro de l’animateur fait place à la musique : « 5, 4, 3, 2, 1, partez ». La casquette de Francois D’HAENE, quarante mètres devant, sautille dans la nuit. Je démarre ma montre et nous voilà partis pour 148km et 11500m de dénivelée positive. Avec Manu, nous avions convenus de partir doucement, tout doucement, jusqu’au Pleynet pour éviter de réitérer les erreurs de l’an dernier. Nous trottinons donc dans le parc et la majeure partie des participants nous double sans que cela ne nous perturbe. Après 2 km, le chemin se raidit. A présent, 35 km de montée et 2500D+.nous attendent sans descente ou presque. Nous prenons donc un rythme lent mais régulier. Il fait bon, limite chaud et tres vite nous enlevons les manchons en même temps que la frontale.
Cela fait 15km que nous marchons à bon rythme lorsque je ressens une crampe naissante dans le mollet. « Et bien bravo Patrice » me dis-je à voix haute. « Tu es vraiment bien entrainé… !! elle va etre compliqué cette course ». Manu souris et je tente de me décontracter autant que possible.
Foyer d’Arselle – 16,6Km – 1518+ - Ven 09H17 – 473°
Il est 9H17 quand nous arrivons au ravitaillement. Manu regarde l’heure et me glisse avec un sourire satisfait :
« Tu vois Patrice, nous sommes partis plus doucement que l’an dernier et nous arrivons quasiment en meme temps. Nous avions mis 3H06.
- C’est Clair, peut-être que cela nous sera bénéfique ensuite parce que nous avons surement moins dépensé d’énergie »
Nous prenons quelques minutes pour faire le plein et buvons deux soupes très chaudes aux vermicelles nous font le plus grand bien. « Allez, il faut y aller, la route est longue ».
Le chemin monte encore et toujours mais nous gardons notre rythme et je me surprends très régulièrement à admirer le paysage.
« Ca va Manu ? As-tu pensé a boire ?
- Oui oui, ca va
- Eh ! On n’est pas bien la tintin ? »
- Oh que oui »
Le soleil est levé, la température s’est sensiblement réchauffée. Nous longeons les lacs Achard, Robert, Léama et Longet. La lumière du matin éclaire ces miroirs naturels qui reflètent le grand Sorbier.
Durant les dernières centaines de mètres de dénivelée qui nous séparent du refuge de la Pra, Manu semble souffrir. Elle évoque quelques difficultés à boire et à s’alimenter. Cela m’inquiète énormément. Je ne peux m’empêcher de me dire alors que nous ne sommes qu’au 25eme Km : « Aie, ça recommence. Il ne finira pas, ça n’est pas possible. Quelle tristesse ». Mais je refuse de me résigner et le serine à nouveau comme je l’ai fait tous les quarts d’heure depuis 5H maintenant : « Bois Manu et mange. As-tu assez bu ? Allez, force-toi ». Mes propos doivent commencer à le souler mais je ne peux faire que cela, je suis démuni et je sais que lui seul peut gérer ses problèmes.
Refuge de la Pra – 27,2 km – 2453+ - Ven 12H14 – 460°
Le refuge est situé sur un rognon rocheux qui domine le fond de vallée. C’est magnifique. La belle terrasse en bois nous tend les bras. Nous retrouvons Franck qui est là depuis 15 minutes mais qui laisse entrevoir dans ses propos une légère fatigue doublé d’un mal de dos. C’est incroyable car pour moi c’est une fusée dont le niveau n’est pas comparable au mien. Manu quant à lui demande de se poser 20mn :
« Vas y Pat, je vais te ralentir.
- Hors de question, on reste ensemble au moins jusqu’au Pleynet
- Non mais je ne suis pas bien là, j’ai des nausées.
- Pas grave, prends ton temps et on repart ensemble dans 15 mn »
Après 20 minutes, Franck repart. Manu demande 10 minutes supplémentaires et m’incite à repartir seul. Je refuse à nouveau mais l’heure tourne. Il est maintenant 12H40 et Manu ne semble pas tellement mieux : « Encore 5 minutes et on y va » me dit-il très gêné.
Nous repartons enfin, bien reposé en ce qui me concerne, mais cela fait à peine 10 minutes que nous sommes repartis et Manu semble de moins en moins en forme. Ses nausées s’amplifient. Alors que nous longeons le magnifique lac du Doménon, je suis terriblement inquiet pour lui d’une part, mais aussi parce que l’heure défile et à ce rythme, nous risquons d’être disqualifiés au refuge Jean Collet. J’essaie donc de garder un pas régulier et l’encourage à nouveau mais au fil des minutes je ne peux que constater qu’il prend du retard, mètre par mètre si bien qu’en me retournant, je constate qu’il est 200m de dénivelée sous moi. Je suis très préoccupé et j’accepte enfin d’analyser la situation :
« Patrice, arrête de te cacher derrière ton petit doigt. Manu ne finira pas. En continuant à l’attendre, cela ne changera rien pour lui et tu ne vas faire qu’une chose : Te condamner aussi. Et ça, ca n’est pas possible. Tu es venu pour finir et ce n’est surement pas ce que Manu voudrait. Allez, accepte ça et pars ».
C’est donc au 30eme Km que je décide d’essayer de ne penser qu’à moi, à ma course, meme si c’est difficile d’abandonner mon ami sur le chemin. L’ascension de la croix de Belledonne n’est pas un cadeau. C’est un pierrier de roche blanche sans un brin d’herbe. Quelques névés ça et là nous rappellent que nous sommes à 2900m d’altitude.
En arrivant à la croix de Belledonne, je jette un œil furtif au paysage magnifique. Nous avons une vue a 360° sur le Vercors, la chartreuse, les bauges et le Mont Blanc. Le plaisir sera pour plus tard, je n’ai pas une seconde à perdre. Je reprends la descente en courant tout en tentant de voir si Manu n’est pas juste là, à quelques dizaines de mètres, sur le chemin qui monte parallèlement. Je dois cependant faire très attention à mes placement de pieds pour éviter l’entorse et la chute.
300m de dénivelée plus bas, je dois me résigner. Je n’ai pas croisé Manu. « C’est mort Patrice ». J’essaie à présent de me concentrer à 100% sur ma course. « Pense à toi Patrice, ce n’est déjà pas gagné comme ça… !!! »
Refuge Jean Collet – 38,2 km – 3333+ - Ven 16H18 – 475°
Je n’ai que 2H d’avance sur la barrière horaire. J’avais prévu d’arriver à 23H40 au Pleynet pour dormir 2H avant de repartir vers 3H du matin maximum. Mais plus ça va, plus je réalise que cela ne sera pas possible. « Je vais devoir limiter les dégâts sans me griller. ».
J’avale donc 3 bricoles et repars très rapidement.
Sous la brèche, il faut limite escalader les blocs de rocher. Ca ne rate pas : j’accroche le pied dans un bloc et je m’affale de tout mon long dans ls rochers. Je me relève, furieux. de cette erreur. Pas de blessure mais un bâton cassé et la poignée de l’autre bien abimée. Je peste, non seulement pour le prix, mais aussi parce que cela ne va pas arranger mes affaires. De plus, après 2 ou 3 minutes, je découvre que j’ai aussi perdu une flasque. « Bon, et bien il va falloir faire avec. Ça fait partie des règles du jeu »
Habert d’Aiguebelle – 47 km – 4085+ - Ven 19H54 – 458°
La nuit tombe et il commence à faire froid. Je passe le ravitaillement mécaniquement en regardant ma montre. Il est près de 1H du matin quand j’arrive, après une longue descente, aux 7 Laux. Nous sommes au 56eme km et il me reste presque 8km avant le Pleynet.
Je me dis que c’est fichu. Que la course va s’arrêter au Pleynet car je ne vois pas comment je peux repartir sans me poser pour dormir 1H. Je suis un peu fatigué, déçu et résigné et pense au temps pris lors des pauses avec Manu et qui me manque maintenant. Je regarde les bénévoles qui notent le passage des coureurs en se réchauffant autour d’un feu : L’un d’eux voit mon air fatigué et m’interpelle :
« Ca va ? Vous voulez vous arrêter ? dormir un peu ?
- Il y a des lits ? Alors oui, je vais me poser 30 minutes, de toutes façons, c’est mal barré.
- Pas de soucis, installez-vous là et on vous réveille dans 30mn »
Le confort est tres spartiate. Une vieille paillasse et une vieille couverture qui ne semble pas de la dernière fraicheur me tendent les bras. Il fait froid, je suis trempé mais je ne fais pas la fine bouche et je m’allonge tout habillé en espérant que le sommeil prendra le pas sur le froid. Je suis transi.
« Patrice, c’est l’heure, vous avez dormi 30mn
- Ok Merci
- Ca va ou vous voulez dormir encore un peu ?
- Je veux bien encore 15mn » dis-je en pensant que de toutes façons, la course est condamnée. Je me rendors et 15 minutes plus tard, c’est le meme scénario. Je m’accorde à nouveau 15mn, toujours avec la meme pensée négative.
C’est donc après près d’une heure de sommeil que fais l’effort de repartir, toujours frigorifié et pas tellement plus frais mais satisfait d’avoir dormi tant bien que mal. Le fait de connaitre le parcours me permet de bien gérer les deux ou 3 bosses destructrices qui précèdent l’arrivée au Pleynet. Le mental semble aller mieux. Je marche à bon rythme.
Le Pleynet – 63,8 km – 5311+ - Sam 2H57 – 470°
« Ca y est. J’y suis enfin. 3H du matin. Pfff !!! J’ai 1H en tout et pour tout pour repartir avant 4H pour ne pas être disqualifié. Ça sent mauvais »
Phil, un ami et organisateur m’accueil à bras tendus et avec un grand sourire. Cela me fait un bien fou de voir quelqu’un, qui plus est qui semble croire en moi. : « Allez Patrice, tu as une heure pour te changer et manger. Barriere horaire a 4H
- Mouais
- Allez, change-toi et vas vite manger quelques pâtes »
Alors que j’avais considéré durant les dernières heures que j’allais devoir rendre les armes au Pleynet, je récupère rapidement mon sac de change, me change en tremblant de froid dans une tente à moitié ouverte et pars au ravito pour une assiette de pates et une compote de pomme. Que c’est bon !!! Je suis dans les derniers mais peu m’importe. Une petite pose chez le docteur pour me faire enlever une grosse écharde de carbone que je me suis plantée dans la main en rangeant mes batons cassés. Phil vient me dire de m’activer car il est 3H58 et dans 2 minutes je serai disqualifié.
Je repars donc dans les toutes dernières secondes, à 4H précises. La barrière ferme derrière moi. Me voilà parti pour la 2eme partie que je connais assez bien pour l’avoir faite 2 fois (la dernière fois en reconnaissance avec Jef et Manu de nuit il y a 3 semaines).
Durant la descente jusqu’au lac de fond de France, je comprends très vite que je n’aurais pas dû changer de chaussures, Mes cascadia 13 glissent énormément plus plus de les cascadia 14 que j’avais au pieds jusque-là, de par le fait qu’elles ne sont pas neuves, mais aussi perce que la semelle de ce modele n’est pas une référence de tenue. Dans les passages de terre et de boue, je dois donc sans cesse faire des figures de glisse imposées et donner des coups de reins. Je rogne.
J’atteins la route sans chute mais au lieu de retrouver le chemin légèrement descendant auquel je m’attendais, je découvre une modification du parcours qui nous fait monter dans un chemin forestier bien triste dans les bois.et que je n’apprécie pas du tout : « Bon, et bien c’est comme ça. Je vais devoir accepter. Patrice, élimine tes pensées négatives, et vite»
Je rejoins enfin le tracé original au début de la montée vers le chalet de Tigneux ou 1000m de dénivelée m’attendent. Je les avale sans trop de difficultés puis glisse dans la descente vers Gleyzin. A contrario de l’an dernier, la descente qui est pourtant assez longue ne me pose pas de probleme et j’arrive tres vite au ravitaillement.
Gleysin – 80,5 km – 6464+ - Sam 9H30 – 387°
« Ca y est, je suis là où j’avais abandonné l’an dernier. Bon, ca va. mon genou se porte plutôt bien. J’ai bien fait de partir doucement et de le préserver. Mouais !!! ca peut peut-être le faire. Je peux finir »
UnUn bout de banc me tend les bras. Je m’assieds avec un plaisir indescriptible. Un bénévole très charmant me propose de m’aider. Je lui demande donc une soupe puis de remplir mes flasques et mon kamel. Je m’accorde une seconde soupe, 2 ou 3 morceaux de banane et de chocolat avant de repartir.
«Bon et bien Patrice, là c’est parti pour 1500m de dénivelée. Il va falloir gérer ». Les coureurs du 80km arrivent par vagues successives et j’essaie de prendre leur rythme meme si je sais que je ne pourrais pas tenir tres longtemps puisqu’ils n’ont que 20km dans les jambes. Alors que j’en ai 60 de plus.
Le chemin terreux est agréable et les premiers 900m de dénivelée se passent plutôt bien. Je gère… et garde un rythme régulier de montagnard. Le refuge de l’Oule apparait devant moi et ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour Jef et Manu. Nous avions eu un accrochage verbal assez cru avec le gardien un peu rustique du refuge et nous avions faillit en passer aux mains. Je souris.
Refuge de l’oule – 84,3 km – 7199+ - Sam 11H516 – 346°
La température monte tres vite et lorsque nous arrivons dans la casse, au fond de combe je ressens comme un gros coup de massue. Je transpire, je respire moins bien et me sens tres fatigué, épuisé. Il doit faire 25 degrés minimum et c’est l’étuve. J’essaie donc de faire des blocs de quelques minutes que j’intercale avec quelques poses rapides durant lesquelles je m’autorise à m’assoir sur les gros blocs qui bordent le chemin pour regarder les autres monter. « Que c’est bon.. !!! Allez Patrice, il ne faut pas trop trainer car tu perds tu temps. Ca ira mieux après le col ».
Col du Moretan – 86,6 km – 7853+ - Sam 13H00 – 353°
Je finis par atteindre, le col du Moretan mais un peu cramé dans tous les sens du terme. La descente est très technique mais cela ne m’a jamais gêné et je redouble à nouveaux des coureurs qui souffrent et s’accrochent à tort à la main courante tant et plus. Ils glissent sur les fesses. Je ris dans ma tête et cela me fait du bien.
La fin de ma moraine arrive et c’est à nouveau de bloc en bloc qu’il faut suivre les fanions. Les poses de pied sont délicates et il faut souvent faire de grand pas ou sauter d’un rocher à l’autre. Malgré la fatigue, je sais que cet exercice me convient et que je suis plus à l’aide que les autres.
Je passe les lacs de Moretan et retrouve le chemin en terre dans les alpages. « Que c’est bon ». Je vois tous les coureurs accélérer et courir sans cesse. « Ils sont bien si pressés.. !!! » Je comprends rapidement qu’ils craignent de rater la barrière horaire au Collet d’Allevard. La descente du plan de l’ours et très longue et là mon mental flanche. : « J’ai mal au genou. J’en ai marre. Je crois que j’en ai assez fait. Je vais arrêter en bas, Il doit bien y avoir une route qui permettra à Dany de venir me chercher ». J’essaie de l’appeler mais en vain. Il n’y a pas de réseau. « Rien ne va. Grrrr, ca me soule »
Un tout petit ravitaillement en eau est placé juste avant la monté de la Pierre du Carre qui est censée me mener au Collet. Jef m’appelle pour me dire qu’ils sont au Collet avec Claire et Manu et qu’ils vont venir à ma rencontre. J’accepte donc de me rendre au collet plutôt que d’abandonner là, persuadé que ce sera le point final de ma course.
C’est avec l’idée que c’est la dernière montée que je décide d’emboiter le pas d’une jeune fille de 30 ans environ qui part très rapidement : « Je vais la suivre, je m’en fou, c’est la dernière montée ». Nous grimpons à 800m/h et doublons pas mal de coureurs qui semblent abattus. Je pense encore à Manu qui s’était vidé ici lors de la reconnaissance. « Le Pauvre ». Je plaisante avec ma compagnie du moment et lui demande si elle n’est pas la femme de Francois Dahaene tellement elle monte vite.
Le long chemin régulier cesse enfin. Je sais qu’il me reste 5 ou 6 bosses bien sympathiques avant l’arrivée mais je me sens d’un seul coup plein d’énergie : « Allez Patrice, accélère pour retrouver Jef, claire et Manu tout en haut, ils vont halluciner ». J’accélère encore le pas.
Soudain, alors que je suis bientôt arrivé à la fin de ces grosses bosses, j’aperçois mes amis qui viennent à ma rencontre. Jean et tout sourire et me dit : « Purée, tu as boosté là. On ne pensait pas te trouver là.
- Oui, j’ai suivi une nana dans la montée et elle m’a reboosté. Je me sens trop bien là !
- Ah oui je vois »
Et nous voilà partis en courant dans la montée a tel point que nous doublons un certain nombre de coureurs comme si je venais de partir. Cela me perturbe presque de me sentir aussi bien soudainement. Manu n’en revient pas non plus et me glisse « Non mais tu as vu comme tu envoies, je n’en reviens pas. Tu es le plus frais et le plus rapide de ceux que j’ai vu depuis un bon moment. T’es une machine Pat. Tu ne peux abandonner là, sérieusement »
Je m’amuse ensuite des 150m de descente jusqu’au Collet D’Allevard ou nous doublons encore de nombreux traileurs alors que le chemin mono trace ne s’y prête pas. La ligne d’arrivée au ravitaillement apparait. Il reste 100m de descente dans l’herbe et je pars à grandes enjambées pour doubler encore quelques personnes. Je me sens excité, léger, rapide et j’arrive tout sourire vers Dany qui m’encourage. J’ai la peche.
Super Collet d’Allevard – 100,2 km – 8526+ - Sam 17H17 – 340°
Manu me félicite à nouveau : « Purée tu es une machine le Pat, Chapeau. Mais là tu ne peux abandonner. Tu es au top et tu veux arrêter alors que j’aurais bien fini et je ne peux pas ? Allez Pat, tu as 30mn pour repartir, va manger un bout et on te prépare ton sac ». Jean, Claire et Dany confirment et me motivent
Je ne sais plus. Mon cerveau est en ébullition. : « Qu’est-ce que je fais, c’est clair que je me sens bien là, ce serait dommage. Mais au fait, je devais finir avec Pascal. Il est où ? »
Virginie nous a rejoints et m’informe que Pascal va arriver mais qu’il va arrêter. Car il est cuit. Je suis déçu. Mais Jean, Claire Manu et Dany me relancent : « Allez Pat, tu as fait le plus dur et tu es bien là, tu repars, allez !!! »
Sur ces mots Pascal Arrive, bien fatigué : « Oh le terrain !!! je n’avais pas mesuré la difficulté. J’arrête car je n’irai pas au bout. Mais vas-y toi. Je te prête mes batons.
- Non, je ne veux pas, j’ai déjà cassé les miens
- Pas grave, s’ils cassent c’est qu’ils devaient casser. Allez, prépare-toi »
Sans m’en rendre compte, j’ai changé d’avis. Je cours voir le kiné pour qu’il me strappe le genou. Il ne me reste que 5mn. Mais le micro annonce que la barrière est décalée de 10mn. C’est bon, j’ai le temps.
Je m’alimente, me prépare avec Jean, Claire et Manu qui ont décidé de m’accompagner jusqu’au sommet du télésiège.
Un gros baiser à ma chérie, une accolade à Pascal et Virginie et nous voilà repartis. « Je vais finir, c’est décidé les gars et rien ne me fera arrêter ».
Nous montons assez rapidement sous le télésiège en discutant. L’ambiance est bonne. Je prends du plaisir. Arrivé au sommet, je les remercie une nouvelle fois et file sans trainer vers le col de Claran entre les herbes rases alors que le soleil descend tres vite vers l’horizon. La lumière est superbe et je me sens parfaitement bien. Tout a basculé. Une nouvelle course commence.
La descente dans la combe est assez agréable. Quelques portions très grasses demandent un peu d’attention mais je profite du moment pour me détendre en trottinant.
Nous arrivons à la passerelle du Bens. La nuit tombe et le froid avec et la rivière apporte aussi beaucoup d’humidité. Nous sommes maintenant un groupe de quelques coureurs. Alors que nous passons le petit pont en bois, un bénévole nous conseille de le suivre et de rester grouper durant la montée. Soit. Nous repartons à une bonne dizaine vers le refuge des Férices. Je monte régulièrement et je me rends compte que j’avance plutôt plus vite que le groupe. « Je vais attendre pour ne pas me retrouver seul. « Il doit avoir raison, il vaut mieux être en groupe. »
Refuge des Férice. Une partie du groupe se pose pour grignoter. Dans la nuit ou quelques bénévoles proposent de l’eau à la lueur des frontales. L’autre partie repart déjà dans la nuit.
« Non mais je ne peux pas rester à attendre, il faut que je profite de ceux qui viennent de partir, sinon je vais perdre beaucoup de temps ». Ni une ni deux, Je m’élance très rapidement à leurs trousses pour les rattraper. C’est chose faites après quelques centaines de mètres et nous entamons ensemble dans une nuit totalement noire la montée vers la crête qui me parait durer une éternité.
Il nous reste quelques centaines de mètres à grimper et je me retrouve détaché à l’avant du groupe avec un coureur seul qui semble avancer à mon rythme depuis quelques secondes. Il mesure 1m75 environ et semble assez trapu et sportif.
« Bientôt en haut » me dit-il
- Oui, ça va faire du bien. Mais on n’est pas en avance.
- T’as raison, il va falloir qu’on envoie dans la descente car il reste un sacré bout avant Val Pelouse et ce serait dommage de se faire disqualifier .
- Bien d’accord, on fait un bout de chemin ensemble ?
- Avec plaisir. Tu fais le 80 ?
- Non, je suis sur l’intégrale »
- Ah oui, quand meme… !!! et bien tu as encore la forme
- Oui ça va, allez, je te suis »
Il prend la tête et je me colle dans ses baskets, Nous descendons à bonne allure et doublons quelques coureurs. L’heure défile et nous sommes de plus en plus inquiets. Sans réduire la vitesse, Laurent m’interpelle. : « On ne devrait plus tarder à arriver à Valpelouse maintenant.
- Ça me semble long quand même, j’espère qu’on ne s’est pas trompés de chemin. On doit accélérer car il ne nous reste pas longtemps avant la barrière horaire.
- C’est clair mais ça va le faire, il doit rester 1 ou 2 km et sur ma montre on est bien sur le tracé »
Quelques minutes plus tard, nous percevons des voix et de la lumière à quelques centaines de mètres.
Laurent se retourne : « Ca y est, nous y sommes.
- C’est bon ça, mais ca veut dire que ça va etre chaud pour tous ceux que nous avons doublés. Nous avons bien fait de ne pas les attendre.
- T’as raison. Je vais essayer de dormir 10 a 15mn ici
- Ok, ça me va mais on ne tarde pas parce que nous sommes justes au niveau temps »
Val pelouse – 117,7 km – 10067+ - Dim 1H05 – 308°
Nous entrons dans la tente. Une vapeur sort des coureurs trempés et des marmites de soupe. Nous prenons une tasse de soupe et quelques sucreries. Il fait froid et humide à tel point que Laurent décide de changer d’avis : « Laisse tomber, on ne va pas dormir, on prend 5 minutes et on repart.
- Ca me va, RDV ici dans 3 minutes » J’ingurgite encore une tasse de soupe et quelques morceaux de banane et chocolat. Ca passe bien, c’est bon signe mais une subite envie de dormir m’assaille « Bon, et bien il va falloir gérer ca mon Pat, parce qu’il n’est que 1H et tu as une 2eme nuit à passer sur les chemins sans pouvoir dormir »
Un échange de regards avec Laurent nous suffit à valider un départ immédiat. Il est 1H40 soit 20mn avant la barrière horaire, il ne faut pas traîner. Je récupère en passant mon téléphone dont j’avais négocié la charge avec le bénévole qui pointait les dossards. Je pourrai ainsi faire un petit message à mes proches. C’est chouette.
A peine sortie du ravito, le chemin attaque droit dans la pente. Un coureur qui est parti avec nous décide après à peine 100m de s’allonger et dormir au bord du chemin. Mes yeux se ferment et dans un bayement qui en dit long sur ma fatigue, je glisse à Laurent qui marche à ma hauteur :
« Waou ! Il va se cailler grave. J’ai énormément envie de dormir mais je ne m’allonge pas là, c’est un coup à choper la mort.
- Comme tu dis, et puis, il ne faut pas qu’on s’arrête car nous n’avons pas le temps.
- Je sais »
Je lui emboite alors le pas et durant toute la montée qui nous mène au col de la Perriere je me surprends plusieurs fois à me réveiller, 50 mètres derrière lui, en train de marcher. A chaque fois je fais l’effort de le rattraper mais à chaque fois, je m’assoupis. Je ne peux m’empêcher de me questionner : « Comment est-ce possible ? J’ai pris 50m de retard. J’ai dormi ? Mais comment ai-je fait pour le suivre sans tomber ? »
Nous passons le col et la descente vers les sources du Gargotton me réveille un peu car nous devons courir pour garder le rythme. Mais avant la remontée vers le col de la perche Laurent s’arrête soudain : « je suis Ko. Il faut que je dorme. Tout à l’heure j’ai expérimenté un truc génial. Je me suis assoupi 1 minute dans les rhododendrons, c’était génial et ça m’a fait du bien.
- Qu’est-ce que tu me dis Franck, nous ne nous sommes pas quittés
- Si, dans la montée quand tu es parti devant, comme tu allais moins vite j’en ai profité.
- Ah bon, mais si on d’endort, je ne suis pas sûr de me réveiller et si c’est le cas, on est morts côté timing »
- Non, t’inquiète, je gère »
Je m’abandonne en toute confiance et nous nous jetons presque dans les buissons. Ca manque de confort car les branches nous rentrent dans le dos mais dans l’état ou je suis, ce n‘est qu’un détail. Je ferme les yeux et m’endors instantanément.
« Allez Patrice, il faut qu’on y aille
- Ok, on a dormi longtemps ?
- Non 1 ou 2 minutes »
Je suis dans le jus complet, je n’ai plus de notion du temps. Nous repartons, je prends les devants dans la montée puis dans la descente du col d’Abaretan.
Malgré une envie de dormir très difficile à contenir, nous avalons le col du Grand Chat et entamons la très longue descente vers le Pontet. Je connais cette portion pour l’avoir faite il y a 2 ans et cela me donne un peu d’énergie.
Le dernier faux plat de quelques km qui mène au ravitaillement me semble interminable et je lutte contre le sommeil. à tel point que dans la forêt, je commence à avoir des hallucinations. Je vois d’abord un enfant avec les choses sur la tête alors que ce n’est qu’une branche, puis des cônes rouge vif sur le chemin à la place des cailloux.
« Bon, et bien tu les as ces hallucinations dont nous parlions pour la Diagonale » me dis-je.
Nous sortons enfin de la forêt et le ravitaillement nous tend les bars au bout d’un champ verdoyant qui s’éclaire des premiers rayons de lumière du matin
Le Pontet – 134,8 km – 10902+ - Dim 7H07 – 290°
La barrière horaire est à 8H. Laurent et moi nous accordons en quelques mots sur le fait que nous ne devons pas nous éterniser. Une quinzaine de coureurs sont assis, complètement déconfits. et regarde chaque nouvel arrivant avec des yeux hagards.
« Laurent, je remplis mes gourdes, je mange un truc et on repars de suite car c’est un mouroir ici.
- Ok »
Mes pensées sont claires : « C’est le dernier ravitaillement. Il ne me reste que 14km et 500 de dénivelée. Allez, je me fais une tartine de beurre et de confiture. Quel délice ! Allez C’est fini, tu es au bout »
Dans un même élan, nous quittons le ravito. Je prends la tête, très motivé. Je me souviens avoir avalé cette portion tres rapidement il y a 2 ans. Franck emboite mon pas. Nous montons à bonne allure et 1H plus tard, nous atteignons les Bugnons, soit le point culminant avant la descente finale de 6 km. Il est 9H25.
« Bon Laurent, on se la fait en courant celle-là.
- Bien sûr »
Nous nous engageons donc à tres bonne allure dans les chemins terreux mais agréables puis sur le long chemin forestier. Nous doublons une bonne vingtaine de coureur du 80km et du 148km. Laurent semble partager ma gêne et me glisse entre 2 dépassements : « Quand on va arriver à 1 ou 2km de l’arrivée, on arrêtera de doubler car c’est moche
- Oui bien sûr, mais on se fait encore celui-là, il n’avance pas » Nous rigolons ensemble. : « Allez, et puis ceux-là, on ne va pas rester derrière jusqu’au bout.
- C’est clair, après tout, allons à notre rythme. Ce n’est pas de notre faute si nous nous sentons bien »
- Ok »
Nous arrivons rapidement à Aiguebelle, le long du ruisseau. J’avais prévenu Dany, Jef, Claire et Manu de mon arrivée par téléphone tout en descendant. Dany est donc là. La voir me produit une sensation de plaisir :
« Waou ! Ca y est, j’y suis, c’est fini, j’ai fini l’Echapée Belle »
Dany m’accueille avec enthousiasme : « Vous avez fait vite, vous étiez annoncés pour 12H sur le site.
- Oui, on a couru et doublé pas mal de traileurs. Tu cours avec nous jusqu’au bout ?
- Oui bien sûr »
Il n’en fallait pas plus pour mon bonheur. Je réalise qu’il est 10H01 et que dans 7minutes j’aurais 52H08 de course (comme à la Diagonale).
« Bon, Laurent, il faut que nous soyons à 10H08 sur la ligne d’arrivée
- Ok »
Aiguebelle – 148 km – 11500+ - Dim 102H06 – 249°
Nous arrivons en quelques secondes à quelques pas de ligne d’arrivé. Il est 10H05. J’aimerais attendre l’heure précise mais des coureurs nous rattrapent. Et quelques-uns nous redoublent Tant pis, ça fera 52H06.
Encore quelques mètres et nous passons sous l’arche d’arrivée. J’embrasse Dany, puis remercie Laurent sans qui la course aurait été tout autre et avec lequel j’ai passé près de 12 heures très agréable.
J’embrasse cette cloche, si convoitée. Quelques photos. Je suis tout simplement heureux et je me sens terriblement bien.
Claire, Jean et manu nous rejoignent et me félicitent. Ils sont heureux pour moi et cela me fait très plaisir. Un petit sentiment de fierté m’envahit.
Conclusion :
Voilà une course extrêmement exigeante que je finis ans un état de fatigue très raisonnable et dans le plaisir. J’en tire deux conclusions majeures :
Merci :
Merci à Manu d’avoir partagé le début de la course avec moi, à Claire et Jean de m’avoir remotivé au collet d’Allevard, et à ma petite femme pour sa présence au collet et à l’arrivée, mais aussi dans mon esprit tout au long du parcours.
6 commentaires
Commentaire de Katman posté le 14-04-2020 à 22:53:00
Je me le suis refais ce récit, je connaissais trop bien le début et aurais tant aimé pouvoir vivre cette aventure jusqu’au bout avec toi! Tu le sais mais je te le redis: j’admire ta détermination et ton état d’esprit, ce récit le démontre une nouvelle fois. Par contre prends un peu de repos quand même car ton compagnon de route à partir des ferices change de prénom régulièrement au fil des km lol. Encore un immense bravo pour cette belle Échappée!
Commentaire de Free Wheelin' Nat posté le 18-04-2020 à 18:14:21
Ca fait du bien un peu de caillou en cette période "inédite"!
Merci pour ton récit et surtout, bravo!
Commentaire de PATAPON73 posté le 19-04-2020 à 10:35:58
Merci Katman. La prochaine sera la bonne pour toi ;-)
Commentaire de PATAPON73 posté le 19-04-2020 à 10:36:38
Merci Free Wheelin. ''Bonne'' saison malgré le contexte ;-)
Commentaire de Benman posté le 25-04-2020 à 00:20:47
Incroyable comme je me retrouve dan ce récit, un an en arrière.
La même lutte contre les BH, les hallus, le sommeil, les coups de mieux et les galères, et la solidarité avec les autres coureurs.
Bravo d'être allé au bout.
Merci pour ce partage.
Commentaire de PATAPON73 posté le 28-04-2020 à 08:19:02
Bonjour Benman. Eh oui ! cela fera bientôt 1 an...!!! Ravi de t'avoir rappelé quelques souvenirs. Patrice
Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.