Récit de la course : L'Echappée Belle - Intégrale - 145 km 2018, par redgtux

L'auteur : redgtux

La course : L'Echappée Belle - Intégrale - 145 km

Date : 31/8/2018

Lieu : Vizille (Isère)

Affichage : 3023 vues

Distance : 144km

Objectif : Pas d'objectif

3 commentaires

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I'll be back !

"I'll be back"

 

Depuis 2 ans, cette phrase me trottait dans la tête. Déjà deux ans depuis mon abandon à Gleysin lors de l'Echappée Belle 2016. Vaincu par la chaleur, la fatigue et la technicité des sentiers. Ma première expérience sur un "vrai" ultra trail se soldait par un regrettable échec.

Mais bon, le trail c'est un peu comme dans les films américains : le héro chute face à son ennemi, puis surmonte ses faiblesses et finit par retourner l'affronter à la fin du film.

 

C'est ainsi que, 2 ans après, me voici de retour pour affronter de nouveau l'Echappée Belle dans son édition 2018. Du côté de la course rien n'a vraiment changé : on parle toujours d'un trail assez technique de 144km en 11100m de D+, une course rustique, sauvage, engagée avec en retour des paysages parmi les plus beaux que l'on puisse voir en trail.

 

De mon côté en revanche, tout a changé ou presque : il y a deux ans j'étais parfaitement inexpérimenté sur la distance, mais j'avais un entraînement solide et une super assistance de choc avec notamment Manue ma femme. Cette année, Manue ne sera pas là car elle s'occupe de notre petit nouveau dans la famille : Armel. Hé oui, je suis papa depuis 2 mois ce qui implique plein de bonheur mais aussi une dette de sommeil importante et un entraînement, disons… chamboulé…

 

Depuis plusieurs mois, j'ai donc lancé une opération "recrutement" pour trouver une nouvelle équipe d'assistance histoire de partager le plaisir de la course. Dans le pire des cas j'ai déjà prévu de faire la course seul même si cela implique de déposer ma petite famille chez les grands parents (4h de route) avant de traverser la France pour rejoindre Aiguebelle (9h de route) puis de faire la même chose en sens inverse au retour…

 

Heureusement pour moi, 2 personnes souhaitent depuis longtemps découvrir le monde de l'ultra trail :  Arnaud et Arnaud (oui je sais ils auraient pu se choisir des prénoms différents mais on ne peut pas trop leur en vouloir).

  • Arnaud LN c'est mon beau frère, et un compagnon de longue date sur un grand nombre de balades : on a fait l'ascension du Mt Blanc ensemble, ainsi que le GR20, le TMB… L'an dernier on a couru un trail de 36km ensemble. Autant dire qu'il devrait être assez à son aise dans Belledonne.

  • Arnaud D (qui sera surnommé Nono dans la suite du récit) est au départ un collègue de boulot qui est devenu beaucoup plus au fil du temps. Son truc à lui c'est plutôt les arts martiaux mais il a très envie de découvrir le monde du trail. C'est un champion de l'organisation, avec lui je suis certain qu'aucun ravitaillement ne sera oublié.

Les deux Arnaud me suivront sur la course, et sont également inscrits comme pacers. Au-delà de l'assistance que cela pourra m'apporter en course (on en reparlera…) c'est surtout un moyen de leur montrer "de l'intérieur" ce qu'est un ultra trail.

 

Le seul truc c'est que les deux ne se sont jamais rencontrés jusqu'à présent, espérons qu'ils vont bien s'entendre.

D'ailleurs, nous sommes Jeudi matin, il est environ 7h et nous finissons de charger la voiture avant d'attaquer les 9h de route vers les Alpes. Ca leur donnera amplement le temps de faire connaissance.

 

Je n'ai jamais aussi peu préparé une course : depuis 2 mois mon attention est focalisée sur mon fiston (entre autres sujets). Je connais plutôt bien le roadbook mais je n'ai même pas de plan de marche. Bon de toutes façons je ne l'aurai pas suivi alors à quoi bon. Mon sac de course n'est pas prêt non plus alors que d'ordinaire il est fait et refait 2 semaines avant le départ. Pourtant je suis super Zen, l'objectif ce n'est pas de faire un temps mais juste de sonner la cloche à Aiguebelle.

 

Nous arrivons à Aiguebelle vers 16h et retirons les 3 dossards . J'ai le dossard numéro 1 ! Celui-là pas question de le rendre ! Je serai curieux de savoir pourquoi j'ai eu ce numéro : premier inscrit ? Ordre alphabétique ?

 

Nous repartons dans la foulée au camping de Vizille pour y passer une courte nuit. J'espérais arriver tôt au camping mais c'est raté. La route est longue et en plus il y a quelques bouchons. Une fois arrivés il faut encore monter la tente. Moi qui pensais avoir le temps de repérer la zone de départ et de faire quelques courses c'est raté ! Heureusement qu'il y a la possibilité de manger des pizzas au camping sinon je me demande ce que nous aurions mangé Jeudi soir. Notre organisation laisse franchement à désirer !

 

Nous finissons donc par manger une pizza au camping (avec une bière évidemment). Ce n'est clairement pas le meilleur repas que l'on puisse faire avant un ultra. D'autant plus que je n'ai jamais mangé de pizza aussi grasse, d'ailleurs aucun de nous 3 n'arrivera à la finir !

 

C'est avec le ventre lourd que nous regagnons notre tente pour une courte nuit. Comme nous sommes proches du départ, le réveil est réglé à 5h avec pour objectif d'être sur le site de départ à 5h30.

 

Vendredi - 04h45 : En temps normal je vous aurait dit que j'avais passé une mauvaise nuit, mais rappelez-vous je suis un jeune papa. Ainsi, dormir quelques heures en étant constamment réveillé c'est désormais une nuit "normale". Bref, je commence à me préparer avec des affaires plutôt chaudes, mais pas trop… En fait je ne sais pas trop comment m'habiller. L'organisation nous a annoncé du froid et du brouillard, mais je préfère quand même garder mes vêtements les plus chauds pour la suite de la course au cas où. J'ai des accompagnants alors autant en profiter pour leur refiler un maximum de matériel. Je file ensuite prendre une douche (super logique : s'habiller puis aller prendre une douche, comme quoi je suis bien réveillé…). Mes deux compères ne sont pas beaucoup plus vaillants, je finis par insister pour que nous partions car nous avons beaucoup de retard.

 

Il n'y a qu'un ou deux km à faire pour rejoindre le site de départ mais le temps de trouver une place et de marcher jusqu'au parc nous ne sommes vraiment pas en avance ! Je n'aime pas ça. Me voilà obligé d'expédier mon "pipi de la peur" d'avant course, même pas le temps de prendre un petit-dej et un café. Mon unique collation avant le départ de la course aura été un pain au lait. Sur le coup je me dis que je suis vraiment limite sur ma préparation. Heureusement il y a toujours la pizza de hier soir qui m'est restée sur l'estomac. Elle va m'accompagner jusqu'au Pleynet ! ;)

Je finis par rejoindre le sas de départ pendant le discours, il doit être 5h55 ou quelque chose comme ça. J'ai perdu de vue les Arnaud et j'essaie de rentrer dans ma bulle. On nous annonce une météo difficile et notamment de grosses plaques de brouillard… Pas très réjouissant… Je ne suis pas particulièrement euphorique, ni particulièrement stressé. Pour le moment il faut juste courir et gérer, gérer, gérer jusqu'au Pleynet pour commencer.

 

Vendredi - 6h00 : Top départ ! Je m'élance tout doucement dans les allées du parc du château de Vizille. Les Arnaud sont là mais je ne les verrai pas. Après quelques km de chemin plat et de bitume nous attaquons la première montée. Je retrouve quelques souvenirs d'il y a deux ans. Sur cette première montée je passe en mode "économique" car c'est loin d'être mon terrain de prédilection (je vis et m'entraîne en plaine). Je me fais pas mal doubler mais rien de grave, ce n'est pas maintenant que la course se joue.

 

Je revois l'endroit où, il y a deux ans, j'avais percé ma poche à eau et trempé tout mon sac après une heure de course. Par bonheur cette année… heu… ça recommence ou quoi ? Impossible de tirer de l'eau dans ma poche. Au final, c'est juste le tuyau qui fait un plis, rien de grave. Ouf !

 

Au terme de 3 heures de montée, je reconnais le premier ravitaillement d'Arselle. Des petits panneaux humoristiques ont été installés sur le chemin pour nous mettre dans l'ambiance. Comme il y a deux ans, le ravitaillement est très bien fourni et les bénévoles sont au top ! Il y a juste beaucoup de coureurs et ce n'est pas facile de se frayer un chemin. Très bonne idée au passage sur tous les ravitaillements de l'Echappée Belle : la désinfection des mains obligatoire pour tous les coureurs avant d'accéder au ravito. Vu le nombre de trucs que nos mains peuvent toucher pendant la course, ça vaut mieux…

 

Je retrouve également les Arnaud avec qui nous échangeons sur la suite de la course. Nono veut me retrouver sur tous les ravitaillements suivants, y compris le refuge de PRA, Jean Collet et Habert d'Aiguebelle qui sont tous les 3 uniquement accessible au terme d'une bonne randonnée. Ca me semble un peu ambitieux. Finalement, décision est prise de se concentrer sur Jean Collet uniquement. Ca vaut mieux, d'autant plus que les deux vont faire un bout de course avec moi tout à l'heure. Par contre, je leur signale que le col de la botte par lequel je vais passer tout à l'heure est accessible via une remontée mécanique.

 

Nono m'indique également que, vu la météo, je devrais embarquer une batterie pour mon téléphone. Je ne vois pas bien l'intérêt mais Arnaud insiste également. Si les deux sont d'accord c'est qu'ils doivent avoir une bonne raison. Je me charge donc de quelques centaines de grammes supplémentaires (Spoiler : je n'aurai jamais besoin de cette batterie en fait…) puis je repars vers le col de la Botte.

 

Le décor commence à ressembler à de la haute montagne. Des lacs et des cailloux, c'est ça l'Echappée Belle. Quel dommage qu'on ne voie presque rien à cause du brouillard. J'essaie de retrouver les paysages d'il y a deux ans mais c'est difficile. Par contre pour le moment il fait plutôt bon , on est loin de la canicule d'il y a deux ans et ça c'est plutôt de bon augure.

 

Au col de la botte j'ai l'agréable surprise de retrouver les Arnaud, ainsi qu'un bénévole qui me reconnais et pour cause, nous avions longuement échangé sur la course il y a deux ans ! Après une petite photo me voilà reparti vers le refuge de la PRA.

 

Après le col de la Botte, un petit sentier en balcon nous emmène vers le col des Leyssines. On peut courir un peu, c'est très agréable. Après le col, première petite descente technique vers les lacs Robert. Puis, le brouillard se dissipe quelques instants nous permettant d'admirer le paysage. Les éclaircies sont de courte durée. Dans la montée suivante, nous sommes accompagnés par quelques troupeaux et des patous. Ils sont plutôt sympas ces gros chiens, et les bergers ne sont pas très loin c'est plutôt rassurant.

 

Vendredi - 11h30 : J'arrive au deuxième ravitaillement, le refuge de la PRA. Au niveau physique je suis toujours en mode économique. D'ailleurs je perds des places au classement mais rien de bien méchant. C'est maintenant que les choses sérieuses commencent avec les premières portions réellement techniques. Après m'être rassasié avec une soupe et un quartier d'orange j'apprends auprès des bénévoles qu'en raison de la météo, la montée à la croix de Belledonne est annulée et que nous iront directement au col de Freydane. Je suis à la fois déçu et soulagé, déçu car c'est le point culminant de la course, et un magnifique point de vue; mais rassuré car cela m'économise un peu de dénivellé. Quoi qu'il arrive pas question de discuter les décisions de l'organisation et moi voici reparti.

 

Effectivement, au vu de la météo on aurait pas vu grand chose au sommet de la croix de Belledonne. Et puis, on économise pas tant de dénivelé que cela car, même sans aller au sommet, ça grimpe quand même bien. L'approche du col de Freydane se fait toujours sur un sentier assez étroit et dans la pente, mieux vaut ne pas glisser. Après le col, la descente vers le lac Blanc est technique et glissante, on ne va pas beaucoup plus vite qu'en montée.

 

Une fois le torrent traversé, la dernière partie vers le refuge Jean Collet se fait sur un sentier facile mais étroit, et avec de la végétation sur la gauche. Il y a deux ans j'avais chuté sur cette partie, qui est pourtant plutôt simple au vu du reste de la course. Je redouble donc de vigilance tout en essayant de courir un peu histoire de conserver l'avance gagnée grâce à l'évitement de la croix de Belledonne. Être vigilant ne sera pas suffisant et je glisse presque au même endroit  qu'il y a deux ans… Loi des séries… Cette fois-ci je me relève avec quelques égratignures et une douleur au genoux qui m'accompagnera une bonne partie de la suite de course. Mon moral en prend un petit coup et j'ai l'impression d'avoir "grillé une cartouche" ici. Heureusement le refuge n'est pas loin et j'ai la très bonne surprise d'y retrouver les deux Arnaud qui sont grimpés à pied ! Je fais une petite sieste au refuge après que Nono m'ait parlé de la crêpe au chocolat qu'il va prendre pour le goûter au refuge ;)

Après la sieste, je prend congé des Arnaud puis repart après avoir fait une bonne "pause technique" aux toilettes. La pizza d’hier soir me pèse toujours sur le ventre. Je ne reverrai mon équipe qu'au Pleynet dans la nuit de Vendredi à Samedi, et à partir de là l'un d'eux pourra m'accompagner.

 

Vendredi - 14h00 : Selon le roadbook je m'engage sur la partie "la plus technique de la course". Je l'ai déjà faite il y a deux ans et en fait je trouve que c'est une portion plutôt agréable à condition de prendre son temps. En gros il faut escalader deux gros tas de cailloux avant de redescendre vers le ravitaillement d'Habert d'Aiguebelle. La petite sieste m'a fait du bien et je me sens plutôt en forme. J'ai très peu couru depuis le début de la course et ce n'est pas sur cette portion que je vais me rattraper. Je passe le col de la Mine de Fer, puis la Brèche de la roche Fendue (des noms qui font rêver, on se croirait dans Game of Thrones). La redescente vers Habert d'Aiguebelle est plus facile et je cours tranquillement dans la descente.

 

Depuis le début, je me soucie assez peu de mon rythme et du kilométrage. Ma montre est peu précise et sous-estime le kilométrage réel, du coup je ne la regarde pas. Et comme je n'ai pas de roadbook je ne suis pas en retard. Finalement, avoir un roadbook minuté n'est peut-être pas une bonne idée sur ce type de course. Mieux vaut avancer à l'instinct et pensant uniquement au point d'intérêt suivant mais sans visualiser la course dans son ensemble.

 

Dans la descente finale vers Habert d'Aiguebelle on croise des coureurs qui remontent par le même chemin, en fait une autre partie de la course a été annulée : le col de l'Aigleton. Du coup on remonte du refuge par le même chemin que pour descendre. Ca fait encore un peu de dénivelé d'économisé, mais le kilométrage reste le même. Arrivé au refuge, j'apprend qu'en plus il est question d'annuler le col Moretan, passage emblématique de la course. Ca me met un petit coup au moral, mais bon encore une fois pas question de discuter les décisions de l'organisation. Au vu de la météo, du vent et du froid difficile d'imaginer laisser des bénévoles là haut, surtout de nuit… Car oui, il commence à faire froid, surtout quand on s'arrête aux refuges. Je repars donc pour ce que je pense être la dernière portion de course non accompagné.

 

Vendredi - 17h03 : Je remonte par le même chemin que pour descendre au refuge pour rejoindre le célèbre col de la Vache. Pour ceux qui ne connaissent pas c'est une sorte d'immense éboulis qu'il faut gravir, sauf que les rochers sont parfois de bonne taille et laissent des espaces importants qu'il faut franchir en étant vigilant.

Par chance le ciel est dégagé jusqu'au col. La redescente de l'autre côté est tout aussi difficile tout au moins au début car en arrivant sur les 7 Laux il est de nouveau possible de trottiner. Cette année il fait encore bien jour et je peux profiter du paysage des lacs jusqu'à ce que la nuit tombe. Sauf qu'il n'y a pas que la nuit qui tombe : avec elle la pluie arrive, d'abord fine puis c'est un déluge qui s'abat sur nous ! Et pile dans la descente vers le Pleynet qui se transforme en patinoire bien pentue. Je n'avais pas encore utilisé mes gants, c'est corrigé ! En plus de ça je commence à avoir les jambes raides, c'est pas de bon augure pour la suite, mais pas question d'arrêter je finirai la course en marchant s’il le faut.

 

Vendredi - 22h30 : Au terme d'une très longue étape, j'arrive à la base vie du Pleynet bien décidé à repartir mais un peu amoché quand même. Physiquement j'ai les jambes dures, un peu mal au genoux droit à cause de ma chute et le ventre lourd ce que j'impute toujours à la pizza de hier soir.

Les Arnaud sont là à m'attendre, et Nono a deux chiens en laisse… Alors qu'on a pas de chiens. En fait il les garde pour d'autres accompagnants partis manger. Le plus drôle c'est que sur le coup ça ne me choque pas du tout de le voir avec des chiens en laisse alors qu'il est sensé m'accompagner sur la portion suivante.

Une fois les chiens rendus à leur propriétaire nous allons manger, pour ça il faut marcher un peu et monter un escalier. Au resto j'ai droit à des pâtes au beurre, avec tellement de beurre que je n'arriverai pas à les finir. J'en profite également pour me changer et passer une tenue plus chaude pour le reste de la nuit.

Ensuite, je vais faire une sieste mais pour cela il faut re-marcher un peu et remonter un autre escalier… Qu'est ce qu'on ne ferait pas pour une sieste de 20 minutes.

Cette sieste me fait beaucoup de bien, mes jambes vont mieux ! Pendant ce temps Nono s'est préparé et je le retrouve en tenue de trailer prêt à en découdre ! Il n'a pas d'expérience en trail et c'est pour cela que j'ai choisi cette portion pour lui : en effet il n'y a aucune difficulté technique d'ici jusqu'à Gleysin, par contre ça grimpe un peu… Cela dit je ne suis pas tout à fait serein car même si il très motivé, je ne suis pas sûr qu'il soit suffisamment entraîné pour ce type d'épreuve ni qu'il sache exactement dans quoi il s'engage malgré mes recommandations. Ce bout de course c’est son ultra à lui, l'emmener à Gleysin ça fera une bonne source de motivation pour nous deux.

 

Nous repartons donc à deux pour une petite descente vers Fond de France. Mes craintes se confirment : malgré tout sa bonne volonté Nono galère dès les premiers lacets. Sa frontale ne marche pas bien (il est parti avec des piles usagées), son sac se détache et il trébuche à plusieurs reprises. Je songe un moment à le renvoyer au Pleynet pour poursuivre seul mais me ravise rapidement : on va quand même essayer de continuer à deux, je sais que ça a de l'importance pour lui d'arriver à Gleysin. Je ralentis la marche et essaie de l'aider au mieux. L'essentiel c'est d'avancer à deux, peu importe qui aide qui. Après quelques kilomètres tout se met en place et nous trouvons notre rythme.

Nous finissons par arriver au bas de la montée Valloire. Cette montée est peu technique mais très longue, en plus il n'y a rien à voir surtout de nuit. J'essaie d'abord de mettre Nono devant, mais rapidement je change de tactique car il peine à trouver son rythme. Il peine, il souffle, il peste mais il avance quand même. On se parle beaucoup pour essayer de se motiver, de choses parfois futiles et parfois moins. Sur le coup j'ai l'impression de griller une autre cartouche ici en l'aidant à gravir cette montée, mais finalement ça me sera bénéfique malgré tout en me permettant de m'économiser et en me permettant d'aider un autre coureur à avancer.

Nous finissons par distinguer les étoiles, puis le feu de bois du chalet de la grand Valloire. La montée est presque terminée ce qui nous revigore mon pacer et moi. Quel plaisir une fois au refuge de pouvoir prendre un café et se réchauffer quelques instants auprès du feu. Comme partout, les bénévoles sont géniaux et ne manquent pas de s'amuser de mon numéro de dossard.

Nous poursuivons ensuite sous la voûte étoilée vers le ravitaillement de Gleysin, toujours à deux et à petit rythme. Le fait d'avoir un pacer avec qui discuter me permet d'éviter de repenser à mon abandon ici il y a deux ans. Mine de rien pour le moment je suis bien parti pour continuer.

 

Samedi - 5h43 : On l'a fait ! Nous sommes arrivés à deux à Gleysin, au terme de pas mal de péripéties (mais ce qui se passe dans la montagne reste dans la montagne). Maintenant il s'agit de continuer, cette fois-ci avec Arnaud qui est lui aussi prêt à en découdre. Avant cela je mange un peu, puis, me sentant partir un peu en mode sommeil je décide de faire une sieste ici.

Une fois la sieste terminée, je retrouve la pêche. A partir de maintenant c'est la découverte : je suis plus loin qu'il y a deux ans ! C'est désormais officiel nous ne ferons pas le col Moretan. Tant pis, il faudra donc que je refasse l'Echappée Belle une 3è fois ;) pour profiter du parcours complet… Au lieu d'une portion très technique nous allons enchaîner pas mal de chemins forestiers. C'est moins pentu mais tout aussi long. Avec le changement de pacer, changement d'ambiance : Arnaud est plus entraîné et je lui demande de ralentir un peu dans les montées. Par contre sur le plat et les descentes j'arrive à bien relancer dès qu'il est possible de courir. Ca parle moins qu'avec Nono, mais ça me va tout autant. Pour le moment je reste toujours en mode ultra-économie mais tous les voyants sont au vert ! C'est même globalement mieux depuis Gleysin. En fait depuis le début de la course j'appréhendais un peu inconsciemment le passage à Gleysin, maintenant que c'est fait ça va mieux. Côté sommeil c'est pas mal non plus. On approche de la 25è heure et je n'ai aucune illusion sensorielle. La stratégie de dormir peu mais souvent semble bien fonctionner.

 

Après quelques heures de marche, bonne nouvelle : nous trouvons un ravitaillement surprise sur le chemin. En fait ce sont les bénévoles de Perioule qui ont improvisé ce ravito suite au parcours modifié… Quand on vous dit que les bénévoles sont géniaux. Je me suis principalement nourri de soupe jusque là mais depuis le début le fromage de pays me fait envie : je m'en fais quelques bonnes tranches avant de repartir.

 

Pour le moment cette étape avec Arnaud se passe bien, je suis tout de même un peu déçu pour lui qu'il ne puisse pas profiter du "vrai" parcours. Mais ça reste quand même l'Echappée Belle : peu après le ravitaillement nous arrivons en bas de la montée à la Pierre du Carre, la "plus raide de la course et sans intérêt" selon le roadbook… Je ne l'aurai pas mieux décrite ! Heureusement elle n'est pas très longue. Dans la montée nous nous faisons doubler (ou plutôt déposer) par les premiers du 85km. Les mecs sont impressionnants, et en plus très sympas.

 

Nous finissons par arriver en haut de la montée au refuge de la Pierre du Carre pour y déguster un petit bout de brioche. Il ne reste plus qu'une petite descente jusqu'à Super Collet. Ce nom résonne dans ma tête : Super Collet c'est le km 100 et le début de la dernière grande partie de la course. Mais attention tout de même à ne pas penser trop vite à l'arrivée, il reste encore du chemin et surtout une autre nuit à passer en montagne.

 

Arrivés à Super Collet nous faisons un petit bilan. Au niveau course il reste 3 grosses étapes, dont une technique (la prochaine). Mes deux pacers ne seront pas en mesure de m'accompagner sur toutes les étapes, il va falloir choisir. Côté physique, ça va à peu près mais une petite sieste sera une fois de plus la bienvenue. Côté équipement je me ré-équipe pour le froid, tout le nécessaire m'est fourni par Nono.

 

Samedi - 11h05 : Après concertation avec les Arnaud, je repartirai seul pour la prochaine étape préférant garder un pacer en joker pour la fin si besoin car j'appréhende un peu la deuxième nuit. Il fait froid à Super Collet à cause du vent et je relance sans tarder en grelottant. Heureusement il y a une bonne montée pour se réchauffer.

 

Pas facile de se retrouver seul après avoir été accompagné. Je dois me replonger dans ma bulle : "C'est la dernière portion technique" résonne dans ma tête. En fait, jusqu'au refuge des Férices c'et plutôt facile même si évidemment ça monte. J'attend la suite avec impatience : la crête des Férices et son "panorama exceptionnel" sur un parcours "technique et aérien" toujours selon le roadbook. En fait une fois sur place le brouillard cache en bonne partie le panorama et l'aspect aérien du parcours. Les rares éclaircies nous permettent néanmoins d'apercevoir le magnifique et impressionnant sentier monotrace. L'étape est longue, je suis parti vers 11h de Super Collet et il est déjà plus de 15h… Et je suis encore loin d'être arrivé.

 

Sur la fin de l'étape je commence à reconnaître le chemin et comme j'ai des jambes je relance tranquillement jusqu'au ravitaillement. Arrivé sur place je cherche les Arnaud mais ce sont eux qui vont me trouver : ils étaient sous l'autre tente où il y a un peu de musique. Val Pelouse, jamais je n'aurai pensé arriver jusqu'ici, surtout dans cet état ! Désormais j'ai envie d'accélérer pour que ma deuxième nuit dans la montagne soit la plus courte possible.

 

Cette fois-ci pas de sieste, mais je me change pour la nuit même si avec le froid et l'humidité ambiants je me demande si le tee-shirt que j'avais sur moi n'est plus sec que le change… Arnaud est prêt et motivé pour m'accompagner sur cette portion, je ne vais pas m'en priver.

 

Samedi - 18h07 : Au refuge, nous étions juste sous la couche nuageuse mais en grimpant nous allons rapidement repasser dedans. Je cours depuis plus de 36h désormais et demande à Arnaud de me surveiller au cas où. Le chemin est un peu plus roulant et nous avons une succession de cols à franchir : Col de la Perrière, Col de la Perche, Col d'Arbaretan.

Nous enchaînons les montées à un bon petit rythme. La nuit tombe alors que nous redescendons le dernier col avant le Grand Chat, nous offrant un peu de répit avant le retour du brouillard. Au sommet du Grand Chat, la vue devrait être magnifique mais nous ne verrons rien. Il ne nous reste plus qu'à redescendre jusqu'au dernier ravitaillement avant l'arrivée : le Pontet.

 

Et cette descente va se révéler très très longue. Le pire ce n’est pas la descente en elle même mais la portion de plat qui suit : une interminable succession de pistes à 4x4 en forêt. A chaque virage nous pensons être arrivés au ravito mais non il y a toujours un autre virage derrière. Sur la fin nous retrouvons des petits panneaux “humoristiques” accrochés aux arbres qui nous indiquent que nous approchons enfin du Pontet.

 

Le ravitaillement finit par apparaître et nous y retrouvons Nono. Ca y est, ça commence à sentir l’écurie !

 

Samedi - 23h19 : Cela fait 41h que je suis en course, je n’ai jamais fait d’effort aussi long ! Pendant qu’Arnaud se repose je réfléchis avec Nono à la meilleure stratégie à adopter pour la fin de la course : nous tombons d’accord pour finir en mode tranquille; “sans prendre de risques” même si je me souviens bien. Il reste environ 15km jusqu’à l’arrivée mais je prends malgré tout le temps de faire une sieste dans une des yourtes installées sur place.

 

En ressortant de la yourte, aidé par Nono je suis requinqué mais frigorifié… Je repars donc sans tarder histoire de me réchauffer. Après quelques centaines de mètres ça va mieux mais j’ai encore froid aux mains. Du coup j’essaie de courir… Et ça fonctionne. Plus je déroule ma foulée et plus je me rend compte qu’il me reste des jambes. En fait à force de m’économiser depuis le début de la course il me reste pas mal d’énergie.

 

Allez hop ! Tant pis pour la fin en mode “tranquille” je décide d’attaquer la dernière côte avec tout ce qu’il me reste. J’ai envie d’en finir et je suis sur un petit nuage, autant en profiter tant que ça dure. Et puis en montée je ne risque pas de chuter, je ralentirai dans la dernière descente. J’ai retenu qu’il y a un fort en haut de la côte, pas question de ralentir avant de l’avoir vu.

 

En fait, je ne verrai jamais le fort de Montglibert, trop occupé à doubler des coureurs et à regarder mes pieds. Je finis par m’en rendre compte en voyant un panneau annonçant le fort à 15mn de marche dans l’autre sens… Du coup, j’ai déjà attaqué la descente en courant, alors pourquoi ne pas continuer ?

 

Petit à petit j’accélère dans la pente, après avoir réglé ma frontale en “pleins phares”. Dans l’absolu ce n’est pas une très bonne idée de prendre le risque de chuter à la fin, mais c’est tellement jouissif de pouvoir enfin dérouler. Je double pas mal de coureurs mais ce n’est pas l’objectif, je suis juste là pour m’éclater au sens propre comme au sens figuré ! Car oui les jambes commencent quand même à tirer, si je m’arrête de courir ce sera probablement définitif. J’enverrai bien un SMS aux Arnaud pour les prévenir de mon changement de rythme mais je ne trouverai jamais un moment pour le leur envoyer, de toutes façons ils ont Livetrail me dis-je… Sauf qu’il n’y a aucun pointage entre le Pontet et l’arrivée donc aucun moyen pour eux de savoir que j’ai accéléré. Comme quoi je ne suis plus si lucide que cela quand même.

 

Le chemin finit par céder la place au bitume, j’attends avec impatience le panneau Aiguebelle mais je n’arrive pas à réaliser que je suis en train de terminer cette course folle. Pas faciles ces quelques kilomètres de bitume : les jambes et les articulations souffrent plus que sur les chemins. Heureusement Aiguebelle n’est plus très loin et je finis par reconnaître le chemin, le parc, l’arche d’arrivée… J’y suis ! C’est fait ! Je n’ai même pas eu le temps de réaliser ce qui m’arrivait. Je viens de boucler les 146km et 11119m de dénivelé positif en un peu plus de 44 heures.  

 

Dimanche - 02h07 : Je cherche des yeux les Arnaud, pas question de sonner la cloche sans eux ! Ils ne sont pas là. J’appelle Nono, qui visiblement est en train de dormir, et lui annonce fièrement que je suis arrivé. En fait, ils ne m’attendaient pas avant 1h ou 2 minimum en se basant sur les indications de Livetrail et des bénévoles…

 

Quelques minutes après ils sont là et nous refaisons à trois les derniers 100m de la course dans le parc. Puis je peux enfin sonner la cloche d’Aiguebelle. J’imaginais cet instant depuis 2 ans mais en fait c’est juste une cloche ;)

 

Nous dégustons ensuite la bière du finisher (disponible également pour les pacers) et le repas d’après course (particulièrement qualitatif) avant d’aller nous coucher dans la tente montée par mes super assistants !

 

Que dire de plus sur l’Echappée Belle ? Allez-y, même avec le brouillard ça reste un ultra à part : “plus belle, plus dure” rien à ajouter à cela.

Un très grand merci également à mes deux accompagnants qui ont réussi à me supporter pendant 44 heures et ont même eu le courage de se lancer sur les sentiers de Belledonne. Ce résultat c’est celui d’une équipe, je n’aurai jamais fait cela tout seul. Tout comme je n’aurai pas pu faire grand chose sans tous les encouragements reçus à distance de la famille et des amis !

Cela fait à peine un mois et j’ai déjà envie d’y retourner, quand on aime les cailloux…

3 commentaires

Commentaire de Shoto posté le 07-11-2018 à 17:53:09

impressionnante course. merci pour ton récit très vivant. Pouvoir partâgée ces moments en partir avec tes amis Arnaud les 2 pacers

Commentaire de Shoto posté le 07-11-2018 à 17:53:28

c est trop top !

Commentaire de Simon71 posté le 11-11-2018 à 19:23:47

Bravo, joli récit et surtout belle gestion de course.

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