Récit de la course : Ultra Trail Atlas Toubkal - 105 km 2016, par Thibaud GUEYFFIER

L'auteur : Thibaud GUEYFFIER

La course : Ultra Trail Atlas Toubkal - 105 km

Date : 29/9/2016

Lieu : Marrakech - Oukaïmeden (Maroc)

Affichage : 1487 vues

Distance : 105km

Objectif : Pas d'objectif

2 commentaires

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Le récit


Le temps se fige au Maroc, l’air s’assèche, la peau a de nouvelles sensations, les steppes pierreuses où se perdent le vent comme le regard prennent d'étranges allures martiennes.

Voilà mes premières images  de la station de ski d’Oukaïmeden en plein Atlas à 2600m d’altitude.


Les skis shops aux affiches délavées des années 80 semblent hors d'âge, les vendeurs à la sauvette sont là et insistent pour vendre ou troquer quelques bijoux artisanaux à force d'accroches remâchées ; la misère n'a décidément pas d'altitude. Les soûtras clamées trop fort par de haut parleurs multidirectionnels rappellent qu’ici  quoiqu’il en soit et qui que tu sois, Allah Akbar.

Le refuge du CAF vaste et bien chauffé devient une oasis où extraordinairement le wifi existe. Les quelques 400 concurrents qui viennent de tous continents s’y entassent et y lancent des missives sous la lumière bleutée de leurs carrés de lumière. Sur la banque du bar tonitruante se brasse les gueules d'aventuriers, les langues, les bières, le thé berbère, les éclats de voix, les éclats de vie, une forme si juste du bonheur parfait. On brasse, on brasse en attendant demain. Demain notre soif d'aventure s'étanchera sur les quelques105km nécessaires pour traverser ce sanctuaire au nom divin. Demain enfin on approchera les 3700 m d’altitudes pour admirer le point d'orgue des terres marocaines: le Toubkal. 



Il est temps de quitter cette atmosphère douillette pour écouter sous la tente principale le débriefing en trois langues et capter un peu de chaleur. Je brûle mes lèvres sur une soupe épicée, mes pieds posés sur un pavé de tapis, mes fesses sur une chaise de mariage toute gansée de satin blanc, sous le regard dur et efficace de serveurs enturbannés. Au milieu de ce désert de pierre, plus j'y pense plus ce luxe ressemble à un mirage. Je médite sur les risques de déshydratation soulevés par le médecin de la course dans ce monde à l'hygrométrie quasi nulle et sur cette course qui reprend source à l'origine du trail : pas d'évacuation possible, pas ou peu de contact téléphonique, un engagement aussi immenses que les plages de solitude annoncées. Allez, j'en ai assez entendu je me lance dans l'atmosphère rafraîchit et coupante pour rejoindre prestement ma tente et me glisser dans les quelques précieuses heures de sommeil qui me séparent de l’aube.

4h30 ma frontale s’allume, mes mains sont glacées. Je me concentre sur le dernier check-up de mon équipement. Ensuite petit déjeuner dans la tente principale : la rondeur tiède des pains , le miel ambré au parfum sauvage de l'Atlas, le thé à la menthe  poivrée ; tout glisse et je goûte le baume de ces derniers instants dans le monde doucement précaire des hommes.

Tout le monde est fébrile, trop crispé, trop souriant, trop bavard. Le mix hyper-fluide d’impatience et d’appréhension pulse obstinément dans mes veines.

La voix du speaker tranche l’attente et les lampes surpuissantes fendent enfin la nuit épaisse. Cette nuit faite d’encre et d’étoiles magiques se délite rapidement pour laisser la place à une lumière poudreuse. Une lumière de début du monde, une lumière d’un autre âge qui sanctifie ces premiers kilomètres.




Le chef d’œuvre minéral comme une ouverture d'opéra prend vie et relief et tonne sa première mesure. De contre-jours en premiers éblouissements l’envoûtement des Djinns a posé sa main sur mon épaule.

Je prends mon temps photos, papotages admiratifs avec un gentil Réunionnais à la barbe blanchit qui a fait 23 fois le grand raid de la Réunion et qui redoute d’avoir froid ici ! Comment un type comme lui peut-il redouter quelque chose ? J’essaie de me détendre dans les premiers pierriers, ma cheville blessée et soignée sur Belledonne est en rodage et je suis très prudent. Nous traversons le premier d’une longue série de villages berbères : le village d’Agouns. Je veux prendre en photos des hommes en costumes mais le non que l’on m’oppose est ferme. Je commence à comprendre que dans ces lieux où l’on vit comme l’on y vivait il y a trois cents ans nous sommes plus étranges et intimidant que je ne le pensais. Les femmes chargées de ballots impressionnants de fourrages, gardienne de maigres vaches ou poussant la lessive dans des bassines d’eau détournent les yeux. Seuls les enfants ne semblent pas méfiants ils crient au milieu des poules, des chèvres à poils longs et des jeunes chats sauvages. Dans les rues délabrées en torchis je longe des écoles d’une autre civilisation en foulant un sol jonchés d’emballages aluminium ou plastiques (le seul cadeau que notre monde moderne sait leur faire) Déjà se dessine le second PC à Timichi (20e km), je me détends même si le balisage trop espacé me stresse. Sous le soleil qui se réfléchit sur toutes pierres je dévale encore sur mes jambes légères. Et c’est déjà le premier ravitaillement au lieu dit Setti Fatma (PC3 30,5km). J’ai droit à une superbe photo dans la descente de mon amie fidèle photographe officielle de la course Carole Pipolo. Mon jump souvenir est dans la boîte.


Au ravitaillement j’engloutis avide des poignées de maïs frit à tout petit grains salés (une tuerie) ainsi qu’un litre et demi de mélange eau coca d’un trait. En fait même avec mes deux litres obligatoires je suis déjà complètement déshydraté. J’entends la leçon et je cours désormais avec trois litres d’eau sur le dos.

Les choses sérieuses s’annoncent, je passe à gué l’Oued Ourika avant d’entamer 40km de sentes sans un brin d’ombre et en pleine montée loin de toute forme de civilisation désormais. Le soleil et l’altitude me dérèglent peu à peu, mon amie fidèle la nausée me tiens désormais compagnie.

Heureusement je croise deux coureurs français très sympas très lucides l’un me requinque en m’offrant un sandwich maison viande des grison, comté (les gels les barres c’est la dernière fois plus jamais j’amène ça !) et l’autre un marseillais finishers en 72 h de l’édition dantesque de la PTL 2010 (bref un demi dieu) mène la cadence. La montée à Tamatert est terrible. En haut des vendeurs de cocas aux mains noirs négocie leur breuvage tiède. J’avais déjà presque plus rien à boire leur présence est providentielle. Brève descente jusqu’à l’azib Assaka, puis de nouveau remontée jusqu’au col d’Amenzel pour toucher le village le plus reculé de l’Atlas. Les cultures en terrasses épousent les courbes abruptes, les canaux d’irrigation les maisons en terre, au milieu de cet environnement hostile sont une prouesse.

Je me dis juste ça  avant d’être  très troublé par le corps pétrifié d’un homme entouré totalement de bandelettes colorées qui « sèche » les bras en croix sur le toit d’une maison. Ses pieds humains qui dépassent seulement je les vois bien je ne rêve pas.  Ce n’est pas fini col d’Oumcichka, l’altitude ralenti tout, j’atteins enfin le CP 6 (il y en a 16)je suis à l’zib Likemt. C’est un poste médical et un ravitaillement avancé clef. Au-delà plus aucun retour possible sauf à pied ou en hélicoptère. Je ne peux plus rien avaler, je commence à frissonner. Je dors trente minutes sous une tente ventée pas  assez couvert mais trop fatigué pour le faire à mon réveil je suis secoué de la tête aux pieds par les frissons, je n’arrive même plus à parler. Le médecin ne veut pas me faire repartir, je repars après une demi-heure de pause supplémentaire et une demi pomme de terre vapeur dans l’estomac, il note mon dossard et désormais mon état sera surveillé à chaque pointage. L’ascension dans la lumière crépusculaire du Tizi n’Tifourhate  me démoralise complètement.


Je fais des pauses tout le temps, m’oblige à boire des gorgées de grabataires et à ne pas me laisser piéger par le froid qui gagne. Je fais une pause dans la minuscule tente d’un pointeur où un berbère digne d’un film de David Linch me sert avec tout le cérémonial dans un silence qui m’apaise un thé au milieu des bougies, sur un tapis poussiéreux. Il me reste trois cents mètres de dénivelé et deux kilomètres pour atteindre le point culminant du parcours le Tizi Tichki (3550m). Je vais mettre deux heures pour les faire. Je suis hagard, je titube même quand ça ne monte pas, je tourne parfois sur moi-même, mon cœur ne redescend plus, je n’ai plus aucune lucidité, le mental est le dernier fil de mon costume qui tiens. Je m’assois au moins quarante fois pour calmer les battements et je repars pour que les moins deux degrés et le vent ne fassent pas de moi qu’une bouchée. Ne pas avoir pris de bâtons de marches s’avère une lourde erreur ici et maintenant.

Enfin le CP 10 je ne m’arrête même pas il y a 1200m de dénivelée négative sur 4km linéaire ça va envoyer. Mais je réalise que je titube même dans les descentes, je suis si vide depuis des heures…. Je rebrousse chemin rapidement, au CP je m’offre une heure de sommeil sous trois épaisses couvertures et une couverture de survie, une pomme de la vallée (la meilleure de ma vie) une soupe tiède et c’est reparti. Il paraît que j’ai changé de couleur, ça doit être bon signe. La descente me réveille, la folie des éboulis me gagne ça glisse partout, je tente ses lignes de funambules qui ressemblent à ma vie parfois. Mes chaussures sont pleines de petits cailloux mais je m’en moque je dévale tout et retrouve la chaleur tous mes sens en perdant de l’altitude. Je tombe au fond du cirque Arounds et je me dirige vers l’Imlil, plus qu’une rivière à traverser je me perds dans le village et tombe finalement par instinct et un peu par hasard sur le CP 11 (88,5 km). Je renais perfusé par une soupe harira, soupe de pates, et la bonne humeur nocturne des bénévoles. Je réalise que c’est mon anniversaire depuis quelques heures et je souris. Je croise par chance Laurent un jeune coureur déterminé à abandonner là mais finalement déterminé à ne plus le faire. On claque ensemble en bavardant l’avant dernier col (2200m) et ce, très rapidement pour moi. Je maudis mon foutu minimalisme qui m’a poussé à délaisser les bâtons. Nouvelle descente, nouvelle vallée je suis déglingué même  en descente maintenant. On croise sur l’avant dernier CP mon amie Carole. On se fait une pause à côté de leur feu de racines et broussailles, petit délire de fin de nuit flopée d’encouragements c’est chaud, c’est bon, mais il faut repartir.


Le jour va poindre il ne nous reste plus que l’ultime difficulté l’ascension de l’Oukaïmeden. La haut deux drapeaux claquent au vent, porte de l’espoir. Le changement d’ambiance est total les noyers, le vert vif des genévriers thurifères tranchent sur la terre rouge. Les drapeaux nous narguent au lointain mais en fait le sentiment de plénitude, la certitude d’être au bon endroit et de vivre un moment unique m’accompagne comme une évidence. Les drapeaux fiers nous encadrent enfin.

le village de l’UTAT pointe à un kilomètre, et je me délecte de cette fin d’aventure partagée main dans la main avec Laurent. Le bonheur simple de l’accomplissement m’inonde enfin.

Je respire une dernière fois le parfum de cette terre inconnue, il flottera longtemps en moi comme la promesse de revenir. Puisque je ne pourrais plus ignorer que trop de sang berbère coule en moi désormais.



2 commentaires

Commentaire de Shoto posté le 04-10-2018 à 19:09:00

Après avoir lu et apprécié ton récit sur l ultra trail du Vercors, je suis allé me délecter d'autres de tes récits. Je tombe avec émerveillement sur ce récit de ton UTAT 2016 que je viens de dévorer avec grand plaisir. Exactement le CR qui me fait vibrer ... entre le bonheur de découvrir un trail nature sauvage, rugueux et peu connu, le délice de ton style très précis, vivant, permettant de ressentir pleinement tes émotions de course, de profiter des paysages marocains et de tes rencontres. Belle aventure qui me donne une forte envie de m'inscrire !

Commentaire de Thibaud GUEYFFIER posté le 04-10-2018 à 19:15:22

L'UTAT plus qu'un souvenir...
Tu as raison inscrit toi c'est inimaginable là-bas.

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