L'auteur : Mat69
La course : SwissPeaks Trail - 360 km
Date : 2/9/2018
Lieu : Oberwald (Suisse)
Affichage : 2735 vues
Distance : 360km
Matos : TS : POLI Guada
Short : POLI Cairn
Sac : UD Moutain Vest 4.0
Chaussettes : THYO Pody Air Trail
Chaussures : Brooks Cascadia 13
Objectif : Objectif majeur
Partager : Tweet
La même CR, avec photos ce coup-ci, est disponible au lien suivant : https://www.facebook.com/teamoutdoor/posts/1497632287003930?comment_id=1498507943583031¬if_id=1537115826185847¬if_t=feed_comment
L’idée de cette course est simple, traverser la totalité du Valais à pied en partant des Glaciers pour rejoindre le lac Léman en passant par les vallées alpines au pied des 4000.
C’est pour ma part mon objectif de l’année 2018, j’ai envie de me tester sur une très grande distance pour voir comment le corps et le cerveau réagissent.
Une blessure au tendon d’Achille m’embête depuis le mois de mai et m’a empêché de courir sur la quasi-totalité du mois de juin mais les bases étaient là en début d’année et je mise donc sur du volume pour les mois de juillet et août pour être prêt à parcourir les 360km de cette Swisspeaks.
J’ai du coup réalisé plusieurs blocs en montagne de 2, 3 ou 4 jours dont celui de remise en route début juillet durant lequel j’ai fait le fameux GR20 Corse en 4 étapes avec un groupe de copains (le récit de ce périple est disponible sur la page FB de TEAM OUTDOOR).
J’ai également eu le plaisir d’accompagner Julien Chorier sur la fin de son défi du Grand Tour de Tarentaise fin juillet ce qui m’a permis de faire une sortie de 18h en montagne. J’ai pas mal couru avec Christophe aussi, un copain Lyonnais qui vient de remporter l’Echappée Belle (144km) et j’espère donc faire à mon tour une jolie performance.
Veille de départ, le sac est prêt, j’ai bien séparé ce que j’allais emporter sur moi pendant la course et ce que j’allais mettre dans mon sac suiveur qui va se balader de base vie en base vie. N’ayant pas d’assistance, celui-ci est vital pour récupérer à chaque étape batteries de rechange pour la frontale, barres et gels ainsi que poudre pour boisson, j’y mets également des boules quiès et un masque pour m’aider à dormir si l’environnement est bruyant et lumineux, des affaires de rechange (je sais que je ne les utiliserai pas mais sait-on jamais), et 2 paires de chaussures de rechange dès fois que me prenne l’envie de changer en route.
Le matin du départ de Lyon, première alerte, alors que je montais dans la voiture pour prendre la route avec mon collègue également inscrit sur cette course, je réalise qu’il me manque un seul truc : les chaussures que j’ai prévu de mettre pour ces 360km. Hop un petit sprint chez moi et c’est rectifié mais je me dis que j’aurais eu l’air bien con sans ces chaussures que j’ai récupéré neuves pour l’occasion (j’ai juste fait 1 sortie avec pour les faire un peu, 30km et 3000m D+).
Arrivés en Suisse au bord du Lac Léman au Bouveret, nous récupérons nos dossards rapidement, garons la voiture sur les parkings prévus par l’organisation, mangeons un morceau dans un restaurant près de la gare, et attendons sur le quai le train qui doit nous mener en 3h40 à Oberwald, au pied des glaciers, lieu de départ du 360km. C’est à ce moment que je réalise qu’une fois de plus, j’ai oublié mes chaussures !!! Ce coup-ci dans le coffre de la voiture… Le train arrive dans 7 minutes, je suis garé à 1,5km, je ne réfléchis pas, pose mon sac et pars comme un débile à fond vers la voiture et espérant que le train ait 5 minutes de retard car 1.5x2 = 3km et même en grande forme, en tenue, et chaud, ça ne passe pas en 7 minutes… Bref, je fonce comme je peux en donnant tout, prends mes chaussures et revient sur le quai en faisant des grands signes au conducteur du train pendant que mon collègue bloque la fermeture des portes. 3km en 10’30" : parfait comme décrassage de veille de course. Je suis cramé, j’ai mal aux jambes et je transpire comme un bœuf pendant les 30 premières minutes de train mais au moins je serais au départ.
Le soir on se rend à la pasta-party offerte avec les dossards à pied, on prend froid dans le vent, et je me couche en me disant que ça sent vraiment mauvais pour cette course puisque je suis déjà fatigué la veille du départ. Mais au moins on a croisé du monde lors de ce repas et si je me traîne pendant la course je devrais pouvoir le faire avec des copains.
Avant de se coucher, on prépare minutieusement les affaires que l’on va porter pendant plusieurs jours. Pour moi, la tenue POLI habituelle qui me va bien (short cairn, T-shirt guada), les chaussettes THYO Pody Air Trail qui m’accompagnent à chaque ultra et avec lesquelles je n’ai jamais eu d’ampoule, quelques gels EAFIT (le reste sera pris au gré des ravitaillements), et le sac UD Moutain Vest 4.0 qui va parfaitement pour ce type d’épreuve. J’ai optimisé pas mal le matériel et il reste de la place un peu partout dans le sac mais rien ne bouge et j’ai sur le dos 2.9kg en comptant 1L d’eau, la nourriture et le matériel obligatoire.
Niveau chaussures, comme d’habitude pour moi, les Cascadia de Brooks dans la version 13. Un bonheur depuis des années sur ultra pour mes pieds. Et j’ai prévu de ne pas en changer pendant 80 à 100h donc autant être sûr de celles qu’on choisit.
Dimanche 2 septembre, date qui m’occupe l’esprit depuis que j’ai décidé de participer à cette grande aventure. On pose les sacs suiveurs dans la camionnette prévue à cet effet, et il est temps d’engloutir un dernier "repas". Il est 12h15, H-45’ et nous mangeons un paquet de chips avec un bout de pain et du jambon en essayant de garder les jambes à l’horizontal le plus longtemps possible.
Au moins il fait grand soleil, et la météo est prévue plutôt agréable pour les prochains jours sur toute la longueur du tracé, du moins pour ceux qui comme moi comptent bien finir avant jeudi en mettant moins de 100h. Tout est prêt pour l’instant t, j’ai peur, très peur, mais j’ai vraiment hâte d’attaquer les sentiers. Une dernière vérification que tout est en ordre, une bonne couche de vaseline partout où il pourrait y avoir des frottements (sauf sur les pieds sur lesquels je ne mets jamais rien), et on va se positionner sur la ligne de départ.
13h00, le départ est donné, je fais tout pour partir doucement mais je me retrouve tout de suite en tête, suivi par un groupe d’une dizaine de traileurs dont le grand favori Patrick Bohard. Je sais qu’il a déjà fini 2 fois le TOR des Géants dont 1 victoire, tant qu’il est là c’est que je ne vais pas trop vite et ça me rassure un petit peu. Personne ne cherche à prendre de relais et semble bien content de suivre mon rythme.
Kilomètre 10, on discute tous ensemble jusqu’à ce que je pose une question toute simple : "Quelqu’un a vu des fanions ces 5 dernières minutes ?". Et non, à peine 10 bornes et déjà plus de fanions, on fait donc demi-tour, un des gars nous dit que la trace est plus haute et décide de couper pour la récupérer. Je suis 100m puis décide de plutôt revenir sur mes pas et remonter la pente descendue. Une partie du groupe me suit. Je regarde la trace sur ma montre, pourtant on doit être dessus, du coup tant pis pour les fanions, on descend avec Patrick et 3 autres coureurs. 200m plus bas on retrouve le parcours, 10 places de perdues, rien de grave mais ça agace et Patrick me glisse un petit « J’espère que ça ne va pas être ça tout le parcours… ».
Le groupe a maintenant éclaté, on ne sait pas trop où nous en sommes dans le classement mais je fais abstraction assez rapidement, il reste 350km pour penser à ça. J’avance bien pour le moment et je remonte tranquillement les concurrents avec Patrick dans mes pas. Un chemin en balcon vraiment magnifique nous amène au 2ème ravitaillement, je suis finalement 2ème derrière P. Bohard qui a pris les devants.
Mais chose curieuse, en repartant pour la première vraie bosse de 1200m D+, je me sens fatigué, plus de jus, jambes molles et du coup moral en berne. Qu’est-ce que je fous là, il reste 345 bornes et je suis déjà cuit… Je m’assoie sur un caillou, mange une barre, une deuxième, enlève mes chaussures pour virer les cailloux qui se sont glissés dedans et refaire le laçage qui s’avère trop lâche, regarde passer un peu plus d’une dizaine de coureurs, et pense déjà que l’aventure se termine pour moi. Il est impensable de faire 345km dans cet état de fatigue. Je marche doucement en regardant les traileurs me passer devant. Quand on me demande si ça va je réponds oui par fierté mais je suis au fond du trou. Je suis habitué à faire un gros coup de mou sur tous mes ultras, mais normalement ça arrive entre le km 35 et le km 60, pas au 15ème km !!!
Deux choses me font continuer à cet instant, deux trucs purement matériels. Le premier : j’ai déboursé 600€ pour faire cette course et stopper au km 20 fait vraiment trop mal au cul, même avec tous les tubes de vaseline du monde ça ne passera pas, ça reviendrait plus cher au km qu’une course organisée par ASO, impensable… Le deuxième truc : j’ai posé 1 semaine de congé et on est encore que dimanche, qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire en Suisse sans logement pendant 6 jours ??? Si je stoppe maintenant, autant rentrer en France et annuler mes congés pour bosser…
Bref, en pensant à tout ça, j’avance, pas vite mais j’avance. Et comme par magie, ou plutôt devrais-je dire comme d’habitude, ça repart. Et ça repart même très bien, sur les 800m D+ restants de la bosse, je reprends tous ceux qui m’étaient passés devant, je bascule en pleine forme et lorsque j’arrive au ravitaillement suivant on m’annonce à nouveau 2ème.
La course est lancée pour moi, et, bien que suivi par un autre coureur pour le moment, je ne m’occupe plus de rien et je rentre dans ma bulle. La nuit arrive et je me sens super bien, je me retrouve vite seul au bénéfice de la descente qui m’amène à la première base vie. La première étape est passée, 56km et 3870m D+ de faits, je suis en pleine forme, mais la route est longue et j’ai la nuit à passer donc je prends le temps de manger une assiette de pâtes bolognaise. Virginie, la femme de Patrick, m’indique qu’il est reparti depuis 5 minutes quand je m’assoie. Avec mon 1/4h de pause il doit donc se promener 20 minutes devant au moment où je repars, mais je suis pile dans le chrono que j’avais prévu. Tout va donc bien. À ma sortie, je croise le troisième qui arrive. Je ne le sais pas encore mais c’est la dernière fois que je verrais un poursuivant de toute la course.
Cette seconde partie qui doit m’amener à la 2ème base vie est normalement la plus simple du parcours, 57km pour 3300m D+, ce n’est jamais plat mais les pentes ne sont pas violentes. Et ça se vérifie, dès le début alors qu’il y a 1300m D+ à prendre, c’est très roulant, du faux-plat quoi. J’ai la super forme donc je fais tout en courant tant que la pente ne dépasse pas 10% (au feeling en vrai car de nuit je m’occupe juste de courir tant que je peux). Je ne m’en rends pas compte mais je dois avancer très fort car en 10km j’ai repris Patrick et je me dis que nous allons pouvoir profiter d’être deux pour bien avancer. En réalité, je fais le rythme et finis par me retrouver seul. Malgré un bon jardinage au niveau du col de Simplon, je finis par retrouver la trace (merci la montre) et c’est seul que j’irais jusqu’à la base vie de Eisten où j’ai décidé de dormir 30 minutes.
Je suis encore bien lucide et trop réveillé, du coup je reste allongé mais impossible de fermer l’œil. Je mange un bol de pâtes, bois, refais le plein avec l’alimentation prévue dans mon sac suiveur, change la batterie de la frontale pour ne pas avoir à le faire ce soir, bref je suis en forme et lucide. Mais je n’ai pas dormi… Je discute 5 minutes avec Patrick qui est arrivé pendant mon repos et reprends ma route.
La portion qui s’annonce est un peu le juge de paix du parcours d’après le roadbook, 87km avec 8000m D+ à faire, je la redoute un peu car je ne suis pas à l’aise dans les fortes pentes. Mais bon, on est le matin, il fait grand soleil, que demander de plus. Ah si, je sais, une paire de jambes neuves… Je ramasse un peu sur cette portion alors je décide de monter vraiment calmement et de bien relancer les plats et descentes. 25km plus loin, je suis rejoint par Patrick, ça me motive et je me cale derrière. Finalement, on se rend compte qu’on avance en gros au même rythme, je suis obligé de pousser un peu en montée pour suivre le rythme, et l’inverse en descente où c’est lui qui se cale derrière. Mine de rien, on avance bien à deux comme ça jusqu’à la base vie de Zinal.
J’ai vraiment mal aux jambes à ce moment et ça m’inquiète un peu, Patrick me dit qu’il va dormir 40 minutes et je décide de me caler sur son rythme. J’ai quelqu’un de vraiment expérimenté sur ce type d’épreuves et il serait dommage de ne pas en profiter. Mais encore une fois, impossible de fermer les yeux… Je commence à ressentir la fatigue mais je n’arrive pas à dormir.
Par contre son assistance est au top, je commence à réaliser à quel point une équipe rodée est nécessaire sur ce type d’aventure, quel gain de temps de ne pas avoir à réfléchir à quoi manger, quoi boire, quels habits enfiler, etc…
Heureusement l’entente est bonne et j’ai le plaisir de profiter de ses accompagnatrices pour avoir droit à un massage et m’aider à refaire mon sac, un vrai plaisir que de profiter de cette solidarité alors que nous sommes en tête de la course, aucune arrière-pensée, juste profiter et s’entraider. À l’image de Patrick qui est particulièrement humble et amical, et que je commence à connaître au bout de plusieurs heures de discussions, son assistance est tout aussi agréable à côtoyer et m’aide à encaisser ces moments un peu difficiles de fatigue et de courbatures.
Nous repartons donc ensemble de cette base vie car la nuit est désormais tombée et nous décidons qu’il est intelligent de se tenir compagnie au lieu de naviguer à 5-10 minutes l’un de l’autre. Choix judicieux par ailleurs car on s’encourage et surtout on cherche les fanions ensemble sur cette partie qui n’est pas la plus pourvue en indications directionnelles. La trace dans la montre nous aide encore de nombreuses fois mais on s’en sort sans se perdre et c’est bien le principal.
Un peu avant d’arriver à Grande Dixence, je commence à sentir fortement la fatigue, la dernière descente m’a usée avec cette impossibilité de courir, trop de cailloux, surtout au bout de 190km, et je dis donc à Patrick de prendre les devants. De mon côté j’ai envie de dormir et de me poser, je ne veux pas le ralentir. Je pense arriver à la base vie 10 minutes après lui mais c’est sans compter sur le peu d’indications et surtout sur un chauffeur de bus qui a trouvé la bonne idée de se garer devant l’entrée de l’hôtel… Je passe donc devant en me demandant où ils ont bien pu poser cette p****n de base vie.
Je monte, je monte, passe au-dessus du barrage, continue de monter, jusqu’à croiser deux randonneurs qui me félicitent pour ma première place. Je leur explique que je suis second, que le premier doit-être dans la base vie, ce à quoi ils me répondent qu’il n’y a pas de base vie sur mon chemin. J’ai attaqué la montée vers le col de Pra fleuri… Je doute, j’hésite puis décide de prendre mon téléphone pour appeler le pc course. Réponse : La base vie est sous le barrage… Et moi je suis 350m de D+ plus haut. Je ne sais pas trop quoi faire, l’organisateur me dis que ça vaut le coup de continuer jusque Grand Désert mais moi j’ai envie de dormir et surtout je n’ai plus d’eau dans les bidons…
Je fais donc demi-tour, et arrive enfin à la base vie 55 minutes après Patrick qui se réveille d’une bonne sieste à ce moment-là. Je suis super énervé mais il n’y a rien à faire. Je me serais bien passé de cet aller-retour après 200km et 15000m D+ mais c’est fait et il faut passer à autre chose. En plus, rien de chaud de prévu ici pour se restaurer, heureusement, encore une fois, c’est l’assistance de Patrick qui me propose un peu de riz/thon qu’ils ont avec eux. Je mange donc en regardant mon coéquipier des 200 premiers kilomètres partir, et je vais me coucher en demandant à ce qu’on me réveille dans 45 minutes. Ici, j’ai droit à un vrai lit, pas un bruit autour de moi, et du coup, miracle, je trouve enfin le sommeil après 42h de balade.
Ce dodo m’a fait du bien, je mets un peu de temps à émerger maintenant que je suis seul et j’ai du mal à m’organiser dans le rangement des affaires dans mon sac suiveur. C’est là qu’une assistance rodée fait gagner un temps précieux, je perds vraiment trop de temps au niveau des bases vies en cherchant, perdant, retrouvant, rangeant, puis dérangeant des trucs.
Pour le moment, aucune douleur aux pieds ni nulle part ailleurs, pas d’ampoule, pas d’ongle qui tape, donc je garde les mêmes chaussures et change juste mes Pody Air Trail trempées contre des sèches, ça devrait finir la course comme ça. Je ronchonne un peu car 5km avant la base vie, tout était sec mais le tracé pour nous faire éviter la route nous fait passer dans des herbes hautes à ras d’un torrent, aucun intérêt à part de se tremper les pieds après 200km…
Je reprends la route sous un grand soleil, d’humeur joyeuse en rigolant tout seul en pensant qu’il ne me reste qu’un GRP - Grand Raid des Pyrénées à faire, et j’attaque cette portion qui doit me mener à Champex (le seul coin que je connais de toute la course). Je pensais cette portion assez simple, je en sais pas pourquoi mais j’avais gardé ça en tête. C’est donc confiant que j’attaque cette montée vers Grand Désert.
En fait c’est bien plus compliqué que je ne le pensais, on se croirait dans Belledonne, la quasi-totalité du chemin est un pierrier. C’est par contre magnifique et on passe vraiment au pied des glaciers et des 4000.
Je suis bien content de ne pas avoir écouter le PC course et d’avoir fait demi-tour pour dormir un peu car cette portion fatigué doit être un vrai calvaire tant il est difficile de courir. J’avance cependant bien et il me faut 5h pour redescendre sur Planproz dans l’autre vallée, exactement ce que j’avais prévu sur mon plan de route (je m’en rends compte après car je n’ai rien avec moi).
Il fait toujours beau et je suis bien, ravitaillement rapide et je repars avec le sourire et une balise GPS neuve. On vient en effet de m’annoncer que ni moi ni Kirtap (c’est comme ça qu’on appelle Patrick Bohard en fait dans le milieu) n’avons émis un seul signal GPS depuis le début, sympa pour ceux qui tentent de suivre…
La montée vers la cabane de Mille se passe plutôt bien malgré une belle chute et quelques kilomètres au milieu d’un troupeau de vaches qui prenaient le même chemin que moi, elles ont l’air heureuses et le montrent en arrachant l’intégralité des fanions qui jalonnaient le chemin. J’arrive à la cabane de Mille encore assez frais mais j’ai dû prendre un bon coup de froid en début de course car je tousse de plus en plus et crache de jolis trucs jaunes fluorescents dans la nature. Rien de très gênant si ce n’est que chaque bouchée d’un aliment solide m’arrache une petite larme tant ça me brûle la gorge. J’ai pourtant faim et aucun problème digestif mais il me faut maintenant mixer le solide et le liquide afin de pouvoir avaler quoi que ce soit. J’engloutis donc avec plaisir plusieurs bols de bouillon chaud à chaque ravitaillement.
Une dernière descente un peu raide qui passe plutôt bien dans la nuit qui vient de tomber me fait découvrir une nouvelle douleur sur le coup de pied, et m’oblige à desserrer le laçage de ma chaussure droite mais on est loin du truc handicapant et je cours encore sans souci les portions descendantes, plates, et légèrement montantes.
L’accès à Champex est par contre vraiment long et il me tarde de me poser un peu. C’est chose faite vers 23h45 le mardi soir après avoir fait 3 fois le tour de la base vie car vu le froid les bénévoles s’étaient enfermés à l’intérieur pour ne pas perdre la chaleur, ce qui fait que moi de dehors je ne trouvais pas l’entrée et que je suis finalement passé sous la bâche pour débouler à la grande surprise des autochtones juste derrière la table de ravitaillement.
Je me couche confiant en demandant à être réveillé dans 1h, il ne reste que 110km, une broutille, je ne vois pas bien ce qui pourrais m’empêcher de finir.
Et bien ça c’est ce que je pensais avant de dormir… Au réveil, je ne comprends pas bien ce qui se passe, mon cerveau peine à se réveiller et je suis surtout transis de froid. À ce moment je me dis que je vais devoir arrêter, il est impossible de sortir de sous les couvertures et de repartir sans mourir dans la montagne. Je sais pourtant que la portion vers Bovine puis Trient n’est vraiment pas difficile mais là, de suite, à 1h du matin, ça me paraît impensable de sortir du lit. J’ai envie de rester dormir 5 ou 6 heures de plus, tant pis pour le classement, de toute façon si je sors de la tente je meurs.
Il me faut 40 minutes, 3 bouillons chauds, et 3 couches de vêtements sur le dos en plus des gants chauds et d’un buff sur la tête, pour décoller. Et à peine sorti, en fait, il fait plutôt bon, je cours 5 minutes et j’ai trop chaud. Je m’arrête donc à nouveau pour ajuster la tenue et attaque cette partie qui doit me mener à Champery, dernière base vie du parcours.
Lorsque j’arrive à Finhaut, après avoir été un peu surpris par le passage dans les gorges et la sortie de celles-ci en empruntant une échelle double pour accéder à une passerelle, ça fait 24h que je suis seul dans la montagne, je suis donc heureux, et c’est encore une magnifique journée qui s’annonce. La partie vers le col de Susanfe, que beaucoup trouveront difficile, passe pour moi comme une lettre à la poste, je suis en forme, je monte bien, je cours facilement en descente et sur le plat, bref que du bonheur, avec des paysages encore une fois à couper le souffle.
La descente suivante est à nouveau très technique, ça doit passer crème quand on est bien frais mais après 295km, devoir se tenir à des chaînes pour ne pas dégringoler me tape sur le système, j’ai hâte d’arriver et de me poser un peu. En plus, on a le droit à une visite touristique de Champéry et ce n’est qu'au bout de 3 panneaux annonçant la ville à 25 minutes que nous nous dirigeons enfin vers celle-ci.
Ce n'est pas grave, j’y suis enfin, c’est comme si c’était fini maintenant, un massage, un repas, un dodo et ça repart. C’est dingue comme on peut prendre à la légère 58km et 3400m D+ lorsqu’on en a déjà fait 305 avec 22000m D+.
On m’annonce la prochaine arrête rocheuse comme "un poil délicate", je calcule donc pour passer avant la nuit. 2h plus tard, je reprends donc la route pour ce que je pense être une formalité sous les encouragements « Tout de bon » typiquement Suisses. C’est effectivement très technique et je me demande comment on pourrait passer ici de nuit sous la pluie mais ce n’est pas le cas pour le moment alors inutile de tergiverser. J’avance vraiment bien jusqu’au ravitaillement de Morgins, je me suis même surpris à courir de manière plutôt souple sur le plat, ça va donc vraiment aller vite pour finir.
Grosse erreur, à la sortie de Morgins, je pense partir affronter un long faux-plat montant mais quelqu’un a dû gommer la bosse qui arrive sur le profil… Je suis d’un seul coup à la ramasse complet physiquement et je me traîne péniblement en haut de ce Bec du Corbeau. Je ne suis pas prêt d’oublier ce nom, en fait de pente douce, on monte à quatre-pattes droit dans les champs, c’est un calvaire pour moi et j’appréhende du coup les bosses "pas trop longues" qui doivent suivre.
Je cours tout de même les portions de descente sur lesquelles on ne crapahute pas dans des cailloux et une pente à 40%, mais j’ai l’impression de traîner ma carcasse comme je peux jusque Torgon. Les bénévoles me disent que j’ai encore vraiment une bonne tête et que j’ai l’air en super forme mais, même si c’est ce qui semble, je sais que je suis au bout du rouleau.
Preuve de ma lucidité et de ma forme du moment, ça fait 2 ravitaillements que j’oublie de remplir mes bidons, heureusement que j’ingurgite 1L de bouillon à chaque fois.
En fait je suis crevé, et je m’en rends compte dans la bosse suivante. On m’avait parlé des effets du manque de sommeil, des possibles hallucinations, etc… Pour ma part, je commence par un gros coup de mou, je marche de travers et me force à courir en côte pour tenter de refaire monter le rythme cardiaque. Ça ne marche pas bien et je finis par me poser sur le côté du chemin sur un talus pour dormir. Je pense tout de même à me mettre dans une position peu équilibrée en me disant que la chute me réveillera et je ferme les yeux 5 minutes environ. À ce moment je pense à toutes les histoires de personnes qui se laissent mourir en montagne, mon cas est loin d’être le même mais dans l’état où je suis, même si on me disait : « Matthieu, si tu t’arrêtes ici, tu es mort », et bien je m’arrêterais quand même, il n’est simplement pas envisageable pour moi de faire autre chose que de dormir maintenant.
Ça va mieux, 5 minutes de coma et l’endormissement est passé, on peut reprendre une marche normale. Il est désormais temps pour mon esprit de tenter une approche en douceur de la schizophrénie. Une partie de mon cerveau est consciente et fait faire à mon corps ce pourquoi elle est conditionnée depuis 80 heures : suivre des fanions sans réfléchir, mais une autre partie commence à divaguer.
D’abord, je ne suis plus seul, je suis une équipe et j’alterne entre encouragements pour les membres de cette équipe (intérieurement hein, je n’ai pas parlé tout seul), et réflexion sur moi-même en me disant que je suis complètement con et que je suis seul. Le délire, mais le délire conscient.
Ensuite, je ne suis plus en train de suivre des fanions mais d’accomplir une mission, je dois ramasser toutes ces jolies fleurs fluos pour faire un énorme bouquet… Je rigole tout seul à cette pensée en imaginant la tête du prochain bénévole si j’arrive tout sourire avec un bouquet de 300 fanions en lui disant « C’est bon, je les ai tous !!! ».
De délires en délires, j’avance et les 2 dernières bosses ne me paraissent pas bien difficiles. Je suis de plus à nouveau bien réveillé et prêt à finir ces 11 kilomètres de descente pour rallier l’arche d’arrivée.
Une chose m’inquiète, alors que tout allait bien physiquement, j’ai maintenant une douleur très aiguë au niveau des 2 vastes internes, je crains la petite déchirure et j’ai même un instant la crainte de ne pas arriver à descendre ces derniers 1100m de D-.
Du coup, j’avale un doliprane au ravitaillement de Taney, après tout si je peux avoir un peu moins mal… La douleur ne passe pas mais j’arrive à trottiner toute cette dernière descente. Je me mets à marcher qu’une fois l’arche d’arrivée en vue, je ne suis pas à 5 minutes près, et puis j’en ai marre de courir, maintenant que je vois la ligne, autant la franchir sans souffrir.
Voilà, c’est chose faite, j’ai vaincu cette Swisspeaks, j’ai fait d’une traite 360km et 25500m D+. Je ne réalise pas bien en fait à ce moment, je pensais qu’une émotion bien plus forte me prendrait, mais en fait cette aventure m’a mis dans un monde à part. J’ai pourtant atteint tous les objectifs que je m’étais fixé : FINIR, moins de 100h, et un top 5… Mais malgré cette seconde place en 91h13, j’ai du mal à redescendre des montagnes.
Je profite de quelques bières et je me pose me faire masser et comater un peu avant de filer prendre une douche. C’est le moment qu’on choisit pour faire mon interview, j’ai sur le coup l’impression de dire un peu n’importe quoi, tout ce qui me passe par la tête en tout cas, mais en revoyant la vidéo je réalise que je raconte assez fidèlement ma vision du trail : https://www.facebook.com/swisspeakstrail/videos/254646188520788/
8 heures après cette arrivée, aucune ampoule alors que je n’ai pas changé de chaussures de la course, pas de courbatures, aucune douleur, juste de la fatigue et des pieds qui ont triplé de volume.
Quelques jours après, on refait la course avec les amis rencontrés sur place et mon collègue qui a également finit largement dans les délais. On est tous encore dedans, qu’on ait été au bout ou non, c’est une exceptionnelle aventure et on ne se lasse pas d’en parler autour de pizzas ou de bières.
C’est aussi le moment de la cérémonie finishers et des podiums, on retrouve un peu tout le monde pour célébrer une dernière fois cette épopée.
Merci à tous ceux qui ont suivi (même si c’était difficile vu la qualité du live), merci à tous ceux qui ont lu ce récit, merci à tous ceux que j’ai rencontré lors de cette aventure, merci à ma chérie qui guettait ça depuis chez nous, à mon entraîneur Patrick 2EP qui a réussi à me préparer pour cette épreuve, à mon sponsor qui me fournit du matériel de qualité, aux autres…
À l’heure où j’écris ces lignes, j’ai envie de repartir pour une autre histoire toute aussi longue mais forcément différente, on verra bien ce que l’avenir nous réserve mais tant que le corps va bien (ce que viennent de confirmer un ostéo et une prise de sang), je ne vois pas de raison de ne pas en profiter.
6 commentaires
Commentaire de Cheville de Miel posté le 17-09-2018 à 06:43:15
Ton humilité, ta gentillesse, tout ça dans un corps et une tête de champion!!! Et ta vision de la course, de la vie, une bière à la main, qu'est ce que j'aimerais faire un bout de chemin avec toi!!!Mais t'es vraiment trop rapide!! Merci pour les moments échangés, c'était vraiment du bonheur en barre.
Commentaire de Mat69 posté le 21-09-2018 à 10:00:37
Ca sera un réel plaisir de te retrouver sur une autre course / aventure. Ces échanges autour de la course font partie intégrale du plaisir que me procurent de telles épreuves.
Commentaire de Jean-Phi posté le 17-09-2018 à 13:49:17
Chouette CR Mat et quel exploit ! Bravo pour ta course et ta sérénité à encaisser tous les petits coups du sort d'un ultra pas comme les autres. Avec une assistance, nul doute que tu aurais pu briguer la tête du podium. Mais 2 c'est cool, ça laisse encore une marge de progression ! Bravo champion !
Commentaire de Mat69 posté le 21-09-2018 à 10:02:46
Merci pour ton commentaire. Effectivement, 2 ça laisse encore un peu de marge, mais pas beaucoup. Il me manquait l'assistance, l'expérience, et même avec ça la victoire était loin... J'aurais certainement pu lutter un peu plus mais l'objectif 1 restait d'aller au bout et Kirtap est un grand champion qui sait se préparer et mérite largement cette 1ère place :-)
Commentaire de bipbip73 posté le 18-09-2018 à 12:39:02
Superbe performance… Bravo
Très bon récit ou on se rend bien compte de la réalité d'une telle aventure.
Mais...ça donne envie d'essayer...
Commentaire de Mat69 posté le 21-09-2018 à 10:03:48
Et je ne saurais que te conseiller de tenter le coup. Si tu as besoin je peux partager la prépa réalisée sur Juillet et Aout pour donner des idées.
Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.