L'auteur : Seabiscuit
La course : Marathon d'Annecy
Date : 30/4/2017
Lieu : Annecy (Haute-Savoie)
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Distance : 42.195km
Objectif : Faire un temps
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Quand je prends la voiture vers 7h15, il ne fait pas chaud. Je dois d’ailleurs gratter le pare-brise. Le thermomètre indique 1°C. Arrivé à destination, la température est montée à 4°C. D’après une étude française, la température idéale pour courir un marathon est de 3,8°C. On ne peut pas faire mieux ! Je m’habille : short pour le bas, deux couches pour le haut constituées d’un t-shirt manches longues et d’un t-shirt manches courtes puis je pars m’échauffer. A quelques minutes de regagner le sas de départ, j’enlève une couche. Je respecte le principe selon lequel si on n’a pas froid au départ, c’est qu’on est trop couvert (la température corporelle et la température ambiante augmenteront au fil de la course).
Me voilà fin prêt pour rentrer dans le sas C réservé aux coureurs se fixant un temps de 3h31 à 3h50. Je suis dans un premier temps décontenancé car j’avais envisagé de partir d’entrée avec les meneurs d’allure de 3h30. Or, je me retrouve derrière ceux de 3h45. Les oriflammes grises des 3h30 sont loin devant.
Etant arrivé au dernier moment, je n’ai pas beaucoup à patienter mais suffisamment pour m’interroger sur ce qui m’attend. Ces 16 semaines de préparation ont alterné euphories et moments de doute. Aujourd’hui c’est l’heure de vérité. Le marathon est une aventure à laquelle on participe en sachant dans quel état on la débute mais en ignorant dans quel état on la finira.
Pour ce troisième marathon je me suis fixé graduellement trois objectifs :
Finir.
Faire mieux que 3h37mn50s, meilleur temps réalisé jusqu’à présent.
Descendre en dessous de 3h30mn.
Cependant, atteindre l’objectif que je me suis fixé n’est pas assuré car de nombreux éléments échappent à mon contrôle, à commencer par la réaction de mon corps aux exigences de la course. Aucun marathonien, même un champion, ne peut savoir quand une crampe ou une blessure va compromettre sa course.
L’essentiel est de donner le meilleur de moi-même et en cela ce sera déjà une belle victoire.
C’est sur ces pensées que je m’apprête à boucler cet aller-retour de 42km195 aux bords du lac d’Annecy. Le coup de feu retentit à 8h30. Je m’élance quelques minutes plus tard au milieu des 3000 participants sous les majestueux platanes de l’avenue d’Albigny.
Le départ est rapide, trop rapide peut-être. Je souhaite rattraper les deux meneurs d’allure « 3h30 ». Je les rejoins au km 5. C’est la première fois que je cours avec un « régulateur » et l’expérience n’est pas particulièrement heureuse. J’ai l’impression de faire partie d’un banc de petits poissons accompagnant un poisson plus gros. Pas de pitié pour rester à son contact. Coups de coude, bousculades, poussettes … tout est bon pour garder sa place au chaud dans le groupe. Les pires moments, ce sont aux ravitos quand les petits poissons cherchent à s’alimenter tout en perdant le moins de temps possible sur le gros. Le fair-play, ils ne connaissent pas ce qui donne lieu à des scènes de joyeux bazar ! Je ne participe pas à cette frénésie, j’ai mon bidon avec moi qui me permet de m’extirper et de prendre quelques longueurs d’avance quand on aborde les tables sur lesquelles sont disposés boissons et fruits tant convoités.
Je ne profite guère du cadre. Il faut rester concentré et continuellement faire attention où on met les pieds. Tout de même, quand on lève la tête, le contraste des sommets encore enneigés sur fond de ciel bleu offre un spectacle merveilleux.
Les spectateurs ne sont pas très nombreux, localisés là où il y a un accès direct à la piste cyclable. Quelques enfants tendent les mains, je me prête au jeu et vais en taper « 5 » de temps en temps. Certains nous encouragent en scandant notre prénom. Ça fait toujours chaud au cœur.
Au km 17, je croise la moto ouvreuse. Le premier est déjà là, il a quant à lui dépassé le 27ème kilomètre. Nous abordons au même moment un ravito et en raison de l’effervescence décrite ci-avant, je ne le verrai pas. Un kényan très certainement
On s’écarte du lac pour faire une boucle dans Doussard. Je passe sous l’arche du km 21 en 1h43mn12s.
Au km 25, on regagne les rives du lac. On sait que chaque pas nous rapproche désormais de l’arrivée sur le Pâquier et on croise ceux qui n’ont pas encore atteint la mi-course. La voiture-balai ferme la marche et je me dis que la dernière concurrente n’est pas prête d’arriver !
Je suis toujours avec les meneurs d’allure, je ne suis pas aérien mais ça tient.
Je refais donc le chemin parcouru à l’aller et observe sur le côté droit une plaque indiquant la longueur et la valeur d’une rampe. Ça m’avait échappé tout à l’heure. Elle donnait autrefois des informations aux mécaniciens des locomotives à vapeur pour anticiper le freinage ou au contraire pour recharger en charbon le foyer. Plus tôt, une plaque kilomètrique (le « 30 » je crois) était en place sur la devanture d’une maison. Ce sont les vestiges de l’ancienne voie ferrée qui reliait Annecy à Albertville. Elle a été fermée entre Annecy et Ugine dans les années soixante et transformée en piste cyclable. Finalement sans le train, le parcours de ce marathon aurait été tout autre.
Les quadriceps commencent à durcir. Pour atténuer au maximum les chocs, je cours sur la platebande tantôt sableuse, tantôt terreuse contigüe à la piste asphaltée.
Au km 29, je rentre pour la deuxième fois dans le tunnel de Duingt. Le bruit des foulées et des respirations résonnant dans cet espace confiné forgent le sentiment d’appartenir à un ensemble mouvant. Toutes les individualités ne forment qu’un.
A la sortie, ce n’est pas la renaissance mais au contraire la petite mort qui m’attend. Comme si c’était programmé, au km 30 tout rond, le mur. Plus de jus. Les jambes lourdes. C’est comme si une autre course commençait. On a remplacé mes membres inférieurs par deux bouts de bois ! Et dire qu’il reste encore 12 km à parcourir ! Evidemment, les deux meneurs s’éloignent inexorablement. La réalité est impitoyable. Pas de répit pour les plus faibles. Je me retrouve seul à nager entre deux eaux.
Au fur et à mesure de ma progression, ma condition ne s’améliorant pas, une crainte apparaît : me faire rattraper et happer par l’horrible squale des 3h45. Le mental pousse à ne pas marcher. Surtout ne pas marcher. Seule concession : faire quelques pas lors des ravitos mais reprendre une foulée dès que je les quitte. Une jeune femme est juste devant, elle m’aide à me transcender. Je vais loin dans la souffrance. A quoi bon tout cela ? Le cérébral cogite, cherche des excuses pour en faire le moins possible. Le chrono devient accessoire, je sens que la motivation en a pris un sacré coup. J’ai envie de me poser, de mettre le clignotant à droite et de m’allonger au bord du lac. J’essaye de chasser ces pensées néfastes. Je suis juste décidé à en finir, sur ce point je suis intransigeant et quitte à finir autant que ce soit le plus vite possible. Donc je cours, je me traîne devrais-je dire. Je suis en eau trouble. Un petit poisson perdu au milieu d’un océan. Je dépasse quelques coureurs encore plus mal que moi, je me fais dépasser par ceux qui ont mieux géré leur course. Je fais fi de l’environnement. Seule préoccupation : avancer. Le corps réalise ce en quoi l’esprit croît.
Les kilomètres s’égrainent et je finis par entendre le speaker puis par apercevoir l’arche d’arrivée. Mais le tracé du parcours est vicieux car le chemin n’est pas direct. Peu après le km 41, on fait un arc de cercle par les jardins de l’Europe puis on laisse le pont des amours sur notre droite pour aller tourner à l’angle du quai Eustache Chappuis. J’entends la clameur monter, les spectateurs donnent de la voix. Tout d’un coup les jambes se font plus légères mais j’ose à peine accélérer. Ce n’est que lorsque j’ai les ballons bleu-blanc-rouge formant les arches finales et le tapis rouge en ligne de mire que je me permets d’allonger la foulée. Je me paye même le luxe de rattraper et dépasser un chasseur alpin que je reconnais car arborant dans son dos le choucas, insigne du Brevet d’Alpiniste Militaire.
Je suis vraiment content que le calvaire prenne fin.
Je regarde ma montre : 3h36’25’’. .NEW PERSONNEL RECORD
Bien que je batte mon temps sur marathon, le sentiment qui prédomine est la déception. Je suis vraiment déçu d’avoir fini aussi mal.
La médaille passée au tour du cou, je me trouve un endroit à l’ombre pour me poser. Je m’allonge dans l’herbe comme j’en rêvais depuis un petit moment. Mais sitôt étendu, l’estomac me lance des protestations : « maintenant que c’est fini, je te renvoie tous les produits infâmes que tu m’as balancé ». Définitivement, je sais que les gels ne sont pas faits pour moi. Je vous passe les détails sur cet épisode post-marathon, mon état peu reluisant incitera une jeune femme à venir prendre de mes nouvelles. Je signalerai juste qu’une touffe d’herbe sera sans doute un peu plus verte dans les prochains jours, boostée par les nutriments initialement destinés à un marathonien !
Je m’interroge sur la manière dont j’ai géré cette course. Je suis certainement parti trop vite. Courir un marathon est avant tout une question de régularité et de patience. Savoir en garder sous la semelle pour éventuellement accélérer sur la fin. J’ai fait tout le contraire.
J’ai aussi sans doute mésestimé ma condition physique. La semaine précédant la course a été froide et humide (j’ai quitté l’avant-veille Chamonix par 5 cm de neige) alors que la semaine d’avant j’étais en short et en t-shirt au bord de la mer. J’ai pris le départ avec un rhume qui a dû affaiblir l’organisme.
De tout échec on ressort plus fort paraît-il. Ce marathon me servira d’expérience à coup sûr !
2 commentaires
Commentaire de smetairie posté le 08-05-2017 à 14:37:19
Bravo !
On a du finir ensemble j'ai quasi le meme temps...a quelques secondes derriere.
Par contre je suis passé devant les 3h30 vers le 10e km, étant parti derriere enfermé par des murs de coureurs
Commentaire de ilcourtlefuret posté le 09-05-2017 à 09:03:00
On a dû partir très proche puisque moi aussi j'avais les drapeaux 3h45 devant et j'ai attendu 5 km pour rattraper les 3h30. J'ai voulu les semer mais sur la fin ils ont failli revenir (et toi avec!), c'est vrai que c'est dur de tenir la même cadence sur 42km ;-)
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