L'auteur : Xaven
La course : TOR330 Tor des Géants
Date : 7/9/2014
Lieu : Courmayeur (Italie)
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Distance : 321km
Objectif : Terminer
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En voyant cette banderole un novice pourrait penser: Il y a un rallye automobile dans le coin ?! Ca doit être long 330 bornes en 4*4….
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La décision d'y participer c’est prise en 2013, puisque j’ai tenté, mais sans succès, la loterie pour être sélectionné. Cette course est dans les critères qui me font oser ce genre de défi; une distance et course mythique, la duréemaximum pour terminer estla plus longue (150 heures maxi) que ce que j’ai terminé jusqu’à présent (73 heures).
La préparation:
A partir de mars, des randonnées en montagneet du multi-activités à allure lente, vélo, vtt, roller, Via Ferrata, le tout mixé avec de la Course d’orientation et des Raids pour le rythme. Une alerte sérieuse à la voute plantaire début juin m’a contraint à ralentir un peu. En Juillet, un 73 km qui m’inquiète un peu plus car j’ai toujours cette douleur et la veille de cette course, j’ai mal en marchant... Finalement la douleur ne sera pas plus intense en course et je la terminerai sans trop de problème. Mais cela me confortera dans l’idée de prendre un modèle de chaussure beaucoup plus confortable (je deviens adepte des HokaStinson). Et cela marche puisque en août, le gros de la prépa(environ 60 heures)sera fait sans problème avec 2 trails de 40km et 1 semaine de rando entre les 2 à allure lente.
Un total d’environ 40h par mois et 60hpour le seul mois d’août(réparti sur des sorties de 1 à 12h)
Les 15 derniers jours:
Tu es à l’écoute de ton corps. Tu analyses la moindre petite douleur, le moindre petit bobo, tu t’inquiètes sur la petite tension inhabituelle. En fait ton corps se prépare, tu lui as envoyé des messages inconsciemment, et il sait qu’il va se passer un gros truc dans pas longtemps. Alors il fait les derniers réglages… Tu n’oublies jamais de mettre des chaussons à la maison depeur de te prendre le coin du meuble dans le pied quiruinerait ton objectif. Surtout ne pas tenter la sortie longue de trop. Il faut faire du jus.
Tu revérifies une énième fois le matos, mais sans tomber dans le piège d’acheter le produit miracle de dernière minute, ou la potion qui te fera gagner 0,0001 km/h et risquera de ruinertes espoirset surtout d’alléger leportefeuille pour rien… Ma potion c’est fruits secs, cacahuètes, crème de marrons et pom-pote…
Tu te poses beaucoupde questions du style, me suis-je assez entraîné? Ai-je fait assez d’altitude? 330 km ce n’est pas un peu trop long?
La préparation mentale, ellese fait souvent pendant tes sorties où tu visualises la course. Je me suis préparé aux moments difficiles, parcontre, je ne me prépare pas dutout aux moments où tout ira pour le mieux et aux moments d’euphorie. Et pourtant, il fauts’y préparer aussi,maisj’ai fait l’impasse et ça m’a coûté cher durant la course…. Mes deux phrases préférées ; « Quoiqu’il arrive il y a un avantage pour toi »et « Il faut s’attendre à TOUT, comme cela tu n’essurpris de RIEN »
Courmayeur la veille:
Arrivée à Courmayeur la veille, la récupération des dossards est déjà une épreuve, car on patientera 2h debout pour que tout le monde présente son matériel obligatoire à transporter. Une dernière nuit dans un vrai lit et le jour J est là.
Je rigole jaune un peu non ???
L'attente au pied de l'archede départassis en relaxant et fermant les yeux une vingtaine deminutes.
1ère étape:
COURMAYEUR vers la Basede Vie de VALGRISENCHE
48km 3750 D+
9H50 Le départ COURMAYEUR. On nous annonce 3 jours de beautempspour le moment et actuellement la météo est magnifique, pas un nuage et une température qui grimpe.
Et à 10h pile. 5/4/3/2/uno... Goooo!!
Départ en marchant dans les rues de Courmayeur, pourquoi? Car je me répète la phrase que je me dis sur les courses longues distances ; « Seras-tu capable dans 10, 20 ou 30 heures d'aller à la vitesse ou tu avances maintenant?» : Au TOR, j'ai adapté un peu la question: «Seras-tu capable dans 3, 4 ou 5 joursd'aller à la vitesse où tu vas maintenant?» Donc la marche m'allait très bien...
Je suis largué par tout le peloton qui est parti en trottinantvoir très vite pour certains. On doit être 3 ou 4 à l'arrière et même après 1km on ne voit déjà plus de coureurs, mais on continue tranquille, pas de panique, il y a 150 heures à faire. Il ne faut tout de même pas traîner,car il y a des points de passages obligatoires (tous les 25km) oùil faut respecter les horaires de passage (cela s’appelle la barrière horaireou BH) et mon but sera de rester dans les temps le plus longtemps possiblepour continuerlacourseet ne pas se faire éliminer. Ma stratégie est de faire des pauses d'une minute d'arrêt complet assis toutes les 19mn, uniquement pour me reposer et fermer les yeux si nécessaire (les connaisseurs reconnaîtront la méthode Cyrano).
Au moment de faire ma première pause, nous arrivons à un bouchon et retrouvons tous les concurrents, dont certains ruissellent déjà de sueurs, qui sont partis en courant et attendent depuis 10mn. J'ai bien fait de venir ici tranquille, je suis plutôt en mode échauffement.
La montée au premier col, le cardio monte anormalement vite et haut, mais je me freine pour ne pas dépasser 140/145 mais je n'avance pas. Il fait une chaleur !
Je croise mon premier "sénateur" (coureur ayant terminé les 4 éditions du TOR depuis sa création). Italien qui me balbutie, c’est le bon pas. Mais avec ce pas là, on va mettre 2 mois!! Je le passe et je ne le reverrais plus. (Je ne sais pas s’il est arrivé ??)
La Thuile km17Dim 14:34 40’ d’avance sur la Barrière horaire. Tous les feux au vert.
Je redémarre avec une anglaise qui dit détester les montées et préfère gagner du temps en trottinant sur le plat. Pourquoi pas, mais il ne va pas y en avoir beaucoup, qu’elle en profite. Je la laisse partir et suis le rythme plus tranquille d'une asiatiquependant une bonne demi-heure, mais les premières sensations de fatigue se font sentir alors je ne lutte pas et m'allonge au pied d'un arbre pour tenter de dormir mais je n'y arrive pas et repart après 10mn qui ont tout de même fait du bien.
La suite de la montée, c'est un nombre incalculable de randonneurs qui nous croisent, car c’est un sentier très touristique qui mène à des cascades magnifiques. Et avec une météo pareille c'est presque l’embouteillage. Et des Bravi (bravo en italien pour les hommes) par ci, et Brava (pour les femmes) par-là, ça fait du bien et les gens sont supers sympas et prennent des positions d’équilibristes à certains passages pour nous laisser passer.
Mais au bout de deux heures de BraviiiBravaaaa, ça commence à raisonner dans la tête… mais tu restes tout de même souriant et tu profites car tu te dis que la nuit va bientôt arriver et que les randonneursseront chez eux.
Deux petitslacs magnifiques et voici le refuge où une bonne polenta nous y attend. Je ne m'attarde pas car ça va plutôt bien et je veux avancer le plus possible avant la nuit. Encore un vallon à gravir et nous serons au sommet du col. Magnifique point de vue depuis ce col puis descente au crépuscule sur un long passage dans des roches et rochers de différentes formes t et dimensions. Attention à la pose des bâtons pour ne pas les coincer et les casser(c’est les bâtons de Stéphanie, faut en prendre soin…)
Fin de la descente sur un sentier bien agréable parsemé de résineux et qui nous amène vers un petit ravitaillement où l'on est accueilli par un cheval en liberté et des chiens
Petite collation tout va bien. Je parle quelques minutes avec un breton et je lui indique que je suis passé dans sa région lors de la Paris-Brest Paris en 2011, ça nous donne un sujet de conversation pour un petit moment, mais il a un rythme plus rapide que moi et je lui dis que je vais rester à mon rythme et lui dis d'y aller.
Je me pose quelques minutes pour m'équiper pour la nuit (bonnet gants, coupe-vent et frontale) et c'est reparti sur ce sentier qui commence à pencher fortement et la nuit est bien avancée maintenant.
La fin du col de la Crosatie ? C’est de la via-ferrata mais sans baudrierni longe... Finalement c'est peut-être pas plus mal de le faire de nuit cela évite de voir les gouffres et le vide qu'il y a par moment. J’entre dans ma première nuit. Après le passage du col, un sentier technique sur quelques centaines de mètres puis le sentier se dégage. La pleine lune, des bonnes jambes pour marcher d'un bon pas. C'est le top! J'éteins la frontale le plus souvent possible, moments magiques, pas de vent, température douce, la lune forme des ombres sur les montagnes c'est juste magnifique! Une petite baisse de régime,un petit somme de 10mn sur le bord du sentier et ça repart! Les 8 derniers km vallonnés un peu longuets mais RAS tout, va, bien!
Valgrisinge KM 48 Arrivée leLun 0:29 MARGEBH = 4H31. 14h31 decourse
Première étape terminée à 00h29, je prends mon sac jaune que l’organisation nous a donné et qui nous suivra toute la course à chaque base de vie (quelle organisation!…) mais je ne sais pas trop quoi faire entre, manger, se doucher, dormir, se faire masser? J’opte pour le repas en premier. Puis je me déshabille pour prendre une douche mais elle est glacée et j’ai perdu du temps précieux. Je tente de dormir dans une chambre d’hôtel que l’organisation nous propose mais je ne trouve pas le sommeil et cela me fait perdre encore du temps. Il faut reconditionner le sac de course et refermer le sac jaune suiveur… Dur dur à gérer cette première Base de vie. Je n’avais pas de plan pour m’organiser sur les bases de vies et là je pense que tu apprécies quand tu peux être accompagné.
Valgrisinge DépartLun 1:56 MARGEBH= 5h04 (15h04 de course)
2ème étape:
VALGRISENCHE-COGNE
53km 4137 D+
Un début d’étape par une montée agréable et régulière et toujours sous une magnifique lune dans les alpages. Passage au sommet pour dégringoler par une descente très sèche où il faut être très vigilent. On aperçoit le ravitaillement en contre bas.Petit raviode RHEME. Au petit matin les coureurs ont les traits tirés et même si le lieu est bondé, on entendrait une mouche voler. Tout se passe en silence et chacun se déplace et se frôle dans un ballet très bien orchestré, mais ici pasbesoin de chef. Certains dorment allongés à même le sol d'autres à table la tête dans les bras. La bannette des dossards des concurrents qui ont abandonnéest bien déjà bien remplie….
La montée vers le premier 3000 mètres de la journée, le col d’Entrelor, se fera aux premières lueurs du soleil. Les releveurs(muscles devant les tibias qui ont pour rôle de relever le pied) se font sentir par moment et il faudra que je prenne le temps de me faire strapper au prochain ravito. Sinon tout va bien physiquement dans cette montée à part quelques moments de somnolence. La descente se déroule sur un sentier très agréable et bien dégagé avec un panorama superbe sur le massif du Grand Paradis, propice à la course pour certains,mais pas pour moi aujourd'hui.
Le sentier passe à proximité d'un troupeau de vaches "reines" toutes plus imposantes les unes que les autres" avec le berger qui tente de les rassembler et les faire aller dans la même direction. Il a du boulot le berger, car il yen a 2 qui ne se laissent pas faire et qui se baladent sur "notresentier".En attendant, ce n’est pas ce qui va m'inhiber cette douleur au releveur qui commence se fait sentir de plus en plus et je décide de me poser pour m'alimenter et faire un petit somme afin de tenter de les relâcher un peu. Je m'allonge et commence à me détendre en entendant au loin les cris du berger. Tout près de moi j'entends le bruit d'une respiration grave, à laquelle je ne prête pas attention car je suis en train de m'assoupir. Mais le bruit se rapproche et finit par me faire ouvrir les yeux. Et là, une sensation de peur m’électrise le corps. J'ai à un mètre de moi un mastodonte noire qui doit pas être loin de la tonne (et allongé ça fait encore plus gros) avec une paire de cornes énormes et pas coupées comme dans Intervilles! Là j'ai pas dutout envie de rire! Je ne bouge pas d'un millimètre (je ne peux même pas je suis momifié), je battrais un immobiliste pendant 3 jours. Bigard il avait oublié celui-là comme grand moment de solitude... Je n'ai même pas le temps de me poser des questions que je croise le regard du berger venu récupérer sa bête égarée et qui lui crie dessus pour qu'elle parte de là. Ben là le berger, à ce moment-là, tu l'aimes! Même si il est moche,barbu,pas lavé depuis 4 moiset qui ne parle pas un mot de français, tu l'aimes ! C'est ton meilleur pote!!! Tout va si vite et lentement à la fois... Etonnante rencontre qui finalement m'anesthésie toutes les douleurs et le sommeil. Plus mal nullepart, plus sommeil, tout est au vert! C'est reparti! Je reprends aussitôt mon chemin avec tout de même les jambes qui en tremblent encore. Mais l'anesthésie n'a effet que quelques minutes car la douleur et la fatigue refont leur apparition ainsi que la chaleur qui commence à se faire sentir à mesure que je descends.
Je distingue plus loin une ferme avec une fontaine. Je décide de m'y arrêter d'enlever chaussures chaussettes cuissard et d'y rafraîchir pieds et jambes. Cela me fait le plus grand bien car l’eau est à bonne température et des randonneurs italiens m'encouragent et me prennent même en photo dans la fontaine.
Encore 1h30 et je seraisen bas de cette descente qui n'en finit pas. Le paysage il est beau, il est magnifique, il est tout ce que tu veux, mais quand tu en as marre et que t'as les releveurs qui commencent à brûler et que la fatigue t'envahit de partout, bah le paysage tu ne le regardes plus vraiment.
Eaux Rousse KM 79.Lun 12:10 MARGEBH= 6h20 (26h10 de course)
Arrivée au ravito Eaux Rousses la chaleur est étouffante il y a pas mal de monde à l'infirmerieet on ne manipule pas ici... Justeune infirmière qui me donne du paracétamolpour la douleur. Je me restaure et décide de m'allonger sur le dernier transat à l'ombre. J’y fais une sieste réparatrice de 20' J'avale un bouillon et sandwich et je repars sansstrappe car le paracétamolà l'air de faire effet. Je ferai le strappe à la prochaine base de vie.
Au TOR c’est double ration…
Je suis reparti depuis 15', dans ce qui va être la montée vers le point culminant du TOR à 3300mètres et déjà la douleur revient. Que faire??? Je ralentis? Je m’arrêtepour strapper? Ou je me repose encore?! Si je continue et que la douleur s'installe vraiment je ne pourraiplus rien faire et comme il y a près de 3h à faire (juste pour monter au sommet, je ne parle même pas du reste...) je décide de m'improviser kinéet je me pose un strappe sur les 2 releveurs. Strappe de prévention ou strappe pour bloquer?? Bah ça sera les deux car je ne sais plus où j'en suis... Surtout prendre le temps de bien l'appliquer sinon ça vame faire plus de mal qu'autre chose si ça se frotte dans la chaussette. Je ne suis pas bien serein en le posant je tremble, je l’ai mal collé, il fait une chaleur à crever, je vois un wagon de concurrents me doubler, je suis gavé, acte 1!! 15mn de perdues (et mon couteau suisse aussi, mais je m’en rendrai compte plus tard) mais ça devrait, j'espère, soulager l'effort mécanique du tendon. Je reprendsmalgré tout la montée qui serpente régulièrement sur une cadence réguliereet je continue mes pauses toutes les 19mn.Je remarque un concurrent qui a un rythme de montée vraiment particulier. Difficile à expliquer mais on a l'impression d'un relâchement et d'un contrôle qui paraît étonnant de facilité et sans mouvement parasite. On a l'impression qu'il ne va pas vitemais il monte très régulièrement à une bonne cadence. Un vrai métronome ! Il est remarquable de loin car il a une casquette orange Fluo(plus loin, je vais m’en rappeler de cette casquetteet je vais être content de la revoir…). Je le dépasse assez facilement car je suis dans un bon rythme, tout va mieux et je continue mon ascension en doublant quelques coureurs qui commencent à être «dans le dur ».
(Chacun son tour et le mien REviendra aussi)
Je vais mieux, les douleurs sont largement supportables, la chaleur s'atténue avec l'altitude et je rejoins un petit groupe de 3 coureurs dont un "sénateur". Je me cale à leur rythme car la montée commence à s'accentuer et je me dis que suivre un «train desénateur» cela me permettra de ne plus me dire si je vaistrop vite ou pas, et m’éviter d’avoir les yeux rivés sur le cardio et le balisage. Nous remontons plusieurs coureurs et mon rythme cardiaque monte sensiblement mais j'ai toujours de bonnes sensations. Un autre concurrent prend la tête du groupe, mais je m'accroche auxbasquettes du "sénateur". Mais je sens tout de suite que ce n'est pas le même rythme, ça appuie un peu plus et je commence à voir mes battements au cardio qui s'accélèrent. En contre bas, je vois la casquette fluo du "métronome", il doit être à 30mn de nous, on monte bien! On continue à doubler mais j'ai le palpitant qui s'affole et je commence à me dire que ce n'est plus un rythme confortable et je décide de les laisser partir et de faire ma pause syndicale (que je n'avais pas fait depuis un moment). Je les vois qui enquillent et doublent encore plusieurs personnes. Je repars sur un rythme plus tranquille et 30mn plus tard je vois les 2 compères allongés en train de faire une sieste. Je passe mon chemin et termine la grimpette qui est aménagée avec des cordes et des échelons puis arrive au sommet du TOR « Le Lozon » 3300m (jamais été si haut en rando à part en télécabine…). Paysage à couper le souffle, il fait une bonne température. On y resterait bien mais faut pas traîner car le soleil se couche et je préfère descendre de jour. Un dernier coup d'œil dans le vallon passé et je vois encore la casquette orange du métronome qui progresse très lentement dans la montée. Je m'attaque alors à la descente qui commence par un passage délicat aménagé avec une corde. Mieux vaut mettre le pied au bon endroit, car ça dégringole longtemps sinon... La longue descente qui serpente est très agréable, mais vigilance car sur une dizaine de mètresle passage est étroit, le faux pas est interdit et les cordes présentes pour sécuriser le passage en témoignent. Qu'est-ce que cela doit être si c'est trempé? Une belle patinoire et beaucoup de temps et d'influx de perdu. On a de la chance avec cette météo exceptionnelle. A ce point on peut voir très loin la longue descente dessinéedans le vallon dans lequel nous nous engouffrons. A COGNE ça sera déjà un bon morceau de fait. Je descends en marchant à grands pas, les sensations sont très bonnes.
Plus bas, alors que la végétation et les arbres refont leur réapparition (signe que l'oncommence à être vers 1600m), nous passons une partie de dalles rocailleuses et compliquées à passer, je ne sais pas ou mettre les pieds, les pieds se tordent dans tous les sens, tu ne peux pas poser les bâtonscar ils ripentsur la pierre. Si il pleut c'est injouable tu mets 10h pourdescendre! Quelle chance d'avoir un temps pareil! Je commence à me dire que c'est l'année pour le faire et le terminer ce TOR.
On se retrouve à trois avec un allemand et un italien. On progresse lentement et finit par arriver dans un village mais les passants nous indiquent que la base de vie est encore à 3km plus loin par un sentier très roulant et large. Je balbutie 2, 3 mots d'anglais avec l'Allemand qui me dit avoir abandonnél'an passé au 292ème kilomètreà cause de douleurs extrêmes aux 2 releveurs... Avec mes releveurs en carton ça me fout un coup de doute bien dans la face... Danke l’ami!! Enfin COGNE à l'horizon deuxième base de vie, c'est bon ça! Faut juste ne pas penser que l'on afait à peine 100 bornes....Mais j'y pense quand même et mêmedepuis un moment... Comment je vais faire pour tenir une semaine comme ça,jour et nuit à marcher, manger des kilos de sandoc, boire 500 litres de soupe ou thé, avoir mal, être bien, être fatigué être en pleine forme! Oublions cela (ça fait vraiment peur… tu as de quoi douter…) pensons plutôt au programme du ravito afin de mieux le gérer que le premier.
COGNE KM 102
Cogne Lun 19:29 MARGEBH= 8h30 (21h29 de course)IN
Alors ça sera, SMS, restauration, puis douche qui ne me sert à rien à ce moment(encore des minutes de perdues pour rien), un bon massage et un strappe par une ostéo magicienne. Une mauvaise sieste sur un lit de camp hyper inconfortable. Mais c’est tout de mêmereparti avec de l’envie.
Chuuuut, je dors…
Prochaineétape COGNE DONNAS:
46 km, 1383D+ mais surtout 2600 D- sur 30km
Cogne OUTLun 23:11 MARGEBH= 6H50 (36h10 de course)
Départ 22h Je repars seul dans les rues de COGNE parun long sentier carrossable et une longue ascension de près de 3h seul durant la majorité du temps mais avec la musiquejusqu'au prochain refuge. La lune est cachée par les nuages et à mesure de la montée, la bruine puis une faible pluie font leur apparition. Un panneau indique le refuge dans 30’. La nuit est calme, je croise environ 4 coureurs lors de cette montée, les sensations sont bonnes, le moral est bon et je monte à un rythme régulier. Au moment où j’ai le refuge en ligne de mire et qui me redonneun regain d’énergie, je bloque mon bâton (enfin le bâton de ma femme) entre 2 pierres, je tente de le sortir mais je le casse !!! Le TOR sans bâton pour moi ce n’est même pas la peine d’y penser (et je pense même pas à ce que ma femme va m’envoyer quand je vais lui direque j’ai cassé un de ces bâton. Après quelques minutes de réflexion, j'estime que dans mon malheur je suis plutôt chanceux (Quoiqu’il arrive il y a un avantage pour moi) car il me reste un 300 D+ sur 2km et ensuite 30km de descente vers la base de vie dans la ville de Donnas qui permettra d'en acheter une paire. Je ne pose même pas la question si il y aura un magasin, mais j’en suis sûr… Optimiste le gars…
Petite pause pour le menu traditionnel du TOR: soupe thé pâtes ou Polenta, coca et je reprends mon chemin pour les 300 derniers mètres de D+ qui se déroule bien malgré l’absence d’un bâton.
Passage au col et c’est parti pour 30 bornes de descente jusqu’à la prochaine Base de Vie . Un début un peu technique puis un chemin carrossable avec dans les écouteurs le sketch des Inconnus sur le thème des chasseurs… Alors au TOR,c’est quoi la différence entre le bon traileur et le mauvaistraileur? Bah le bon traileur, dans la descente…. il court…. Alors que le mauvais traileur dans la descente… Il marche, car il veut juste devenir Finisher donc il ménage sa monture... Bon ok c’est naze mais ça permet de passer le temps car dans cette descente, bah il ne va pas passer vite le temps, mais du tout, du tout, du tout... Après un petit passage dans un refuge à m’endormir dans mon assiette de pâtes puis dans un fauteuil, la descente bien qu’avec un lever de soleil magnifique, s’avère difficile pour les pieds qui commencent à chauffer grave. Paysages sympas, le long d’une
belle rivière, passages dans des petits hameaux pittoresques valdotains, mais là en étant seul depuis 5 heures et ayant coupé le MP3 pour reposer les oreilles, tu te mets à ressentir la moindre petite douleur qui arrive et qui se déplace partout; dans les jambes, genoux,hanches chevilles. Elle te fait la visite totale du propriétaire la douleur. Et le propriétaire il aimerait bien la foutre dehors la douleur! Puis tu essayes de trouver le type de marche qui te fait le moins mal, tu varies les appuis, tu testes pleins de trucs car tu as le TEMPS!!! Et le temps, il te permet d’avoir largement le temps de penser au temps qui ne passe pas vite. Il te permet aussi de penser, de cogiter, de t’inquiéter, de te questionner. Tu as les principales questions que la plupart des traileurs se posent quand les heures qui passent: La classique: Qu’est-ce que je fous là?, Quand est-ce qu’il arrive le prochain ravito? C’est quand la prochaine barrière horaire? Et au TOR, tu en as quelques-unes de pas mal aussi: Je suis parti depuis combien de jours? Il me reste combien de jours déjà? Comment je vais pouvoir finir un truc pareil dans l’état ou je suis alors que je n’ai pas fait la moitié? Est-ce qu’il y aura des bâtons de dispo dans le magasin de sport, est-ce qu’il y aura un magasinde sport??? Puis tu asles affirmationsdu type: C’est un truc de fou cette course ! Il est malade cet organisateur! Tu es malade de t’être inscrit! Tu n’as pas le niveau! Comment as-tu pu imaginer terminer un truc pareil??! Là il faut vite passer à autre chose, sinon c’est la descente aux enfers. Faut trouver des pensées positives et je me dis que ce soir et demain vont être des moments particuliers, car on va passer la moitié du parcours (on ne va plus s’éloigner de Courmayeur, mais on va s’en rapprocher!!!) Je vais passer ma distance maximale sur un trail (170km). En plus, mon pote Thierry envisage de passer me voir demain soir, ça va faire du bien de revoir quelqu’un de connu. Je dois continuer à avancer et m’éloigner encore de Courmayeur pour basculer à la moitié. Pour aller «plus vite » ou «moins lentement », je me fixe comme micro-étape d’aller au prochain virage puis au suivant, passer le pont puis le rocher, le ruisseau, la racine… Pleins de petits objectifs que tu atteinset t’encouragentà penser positif et te dire que tu te rapproches du retour.
Un randonneur arrive à ma hauteur d’un pas assuré chargé d’un sac à dos plutôt fourni et on commence à discuter. C’est un habitant retraité de la vallée d’Aoste qui fait une partie du TOR pour profiter de la présence des coureurs. On passera une bonne heure à discuter et cela me fera oublier tous ces doutes et douleurs pendant ce temps. Incroyable comme cette heure estpasséevite. Accompagné c’est plus pareil…
J’ai l’impression que mes pieds doivent être en sang dans mes chaussures tellement ça me brûle et je n’ose pas m’arrêter pour les regarder. Je passe devant une cascade avec une petite retenue d’eau et je me dis qu’un petit bain de pieds me ferait le plus grand bien. J’enlève mes chaussures délicatement et mes chaussettes avec précaution et…. Les pieds sont nickels!! Mise à part 2 ampoules, la plante de pieds n’a rien. La douleur provient seulement du frottement répétitif dans la chaussure. Je me prends 15mn pour me prélasser dans ce petit paradis pour pieds cramés en regardant passer quelques concurrents dont certains me prennent en photo. Je badigeonne mes pieds de Noke et remets mes «sabots» pour finir cette interminable descente. La fraicheur a fait effet environ 2mn… Les pieds brûlent dès les premiers pas mais il faut avancer la fin de l’étape n’est plus très loin.
On entre dans DONNAS (ville la plus importante sur le parcours du TOR) en passant un magnifique pont en pierre, et je finis avec Karim de nouveau un breton qui a fait la Paris-Brest-Paris et l’Embrunman la même année que moi ! Il me dit que jusque-là il n’y a pas trop d’abandons dans le peloton, mais, comme tous les ans, passé le 200eme km c’est l’hécatombe… Brrr, je ne préfère pas y penser… Il n’est pas au mieux et marcheassez lentement, mais l’étape se termine et on est même surpris d’arriver si tôt. Je vais avoir finalement du temps pour faire mes emplettes… Je demande donc dès mon arrivée où se trouve le magasin de sport le plus proche pour acheter des bâtons et à priori je ne suis pas le seul à avoir besoin de matos, car on me donne sans hésiter l’adresse (Ouf), mais faudra marcher un petit 20’ hors parcours (On est plus à ça près…). Pas grave j’ai de la marge je vais le faire cool. (Faut s’attendre à tout comme ça on est surpris de rien)
Un petit autographe à chaque base de vie. Manifestement,il
y en a pas mal qui sont passés avant moi…
Donnas, Km 148Mar 12:21 MARGEBH= 11H39 Temps de Course: 50h21
Ravito, massage (j’attends 1h quand même… mais j’enprofite pour reconditionner le sac et me restaurer), un mec super compétent qui me remet en état. Mais pour les échauffements et les ampoules personnes de compétent et ils me disent que l’on doit percer nos ampoules tout seul. Bon ben je le fais tout seulet je strappe mes dessous de pieds. Dehors la pluie se met à tomber et pas un peu, c’est des seaux… Je pars ou je ne pars pas… On nous annonce qu’en haut à 2500m ça grêle… Je tente alors de dormir dans le dortoir communmais je somnole juste 20’ car c’estla fournaise. Je prends mon temps pour rassembler mes affaires et la météo s’améliore. En voyant le ciel qui s’éclaircit je me dis que c’est le moment d’y aller
Une base de vie c’est ca
Donnas départ Mardi 16h22MARGE BH 9H38, Temps de course 54h22
DONNAS GRESSONEY (L’étape qui aurait pu être la dernière)
53km 4384D+
Je décide d’y aller mais après 500m demi-tour je n’ai pas rempli les gourdes, je suis moins lucide, grosse bourde ou gourde… Je fais 40’ avec des italiens (qui connaissent le magasin de sport pour acheter du matos) à un rythme trop élevé qui me fait ruisseler de sueur. Nous arrivons dans la ville du magasin qui j’espère dispose encore de bâtons… Petit ravito dans le village où l’on nous accueille avec un diable en chair et en os. C’est lui qui tient à m’accompagner en personne une partie du chemin vers le magasin pour acheter mes bâtons. Ah je ne passe pas inaperçu... Au magasin, il reste des bâtons et en plusles gens sont supers compétents et sympas. Ils me proposent même de manger et boire un coup, mais je refuse poliment car je ne veux pas perdre plus de temps.
C’est reparti et avec les bâtons c’est le top. Ça fait du bien. Après 15mn de marche dans la ville me voilà de nouveau sur le parcours. La météo semble instable, mais pour le moment ça tient.
Cette partie qui va monter pendant un bon moment débute assez raide dans le village et après seulement 20 minutes je ressens une douleur intense dans le mollet gauche avec des sensations de crampes qui s’intensifient au fur et à mesure. Je ralentis le rythme, je bois un peu et tente de me relâcher. Le moral faiblit car j’ai de très mauvaises sensations et quand je pense à ce qu’il reste, ça me désespère… J’ai besoin d’aide! Au secouuurs!!! Je n’en plus! La seule solution est de trouver quelqu’un avec qui je vais monter car seul ça devient trop dur. Je me pose les mêmes mille questions dès qu’une douleur arrive, chaque pas je sens le moindre muscle qui se contracte. Encore une nuit à passer et il est fort possible que l’on se prenne la flotte. C’est clair, je dois trouver quelqu’un je n’ai pas le choix!!! J’avance doucement en scrutant les gens qui me doublent et en analysant leur vitesse pour savoir si je peux tenter ou pas de les suivre. A ce moment deux grands gaillards me doublent à une vitesse que je ne peux pas suivre sinon c’est du suicide. Je ralentis encore le rythme pour avancer tant bien que mal dans de grosses marches qui nous obligent à lever les genoux plus haut que d’habitude et qui nous font pourtant progresser dans un petit village super mignon, mais je n’ai pas le goût de vraiment l’apprécier. En jetant un regard en contre bas sur le sentier caché par les arbres, j’aperçois une forme de couleur très vive qui progresse. Je m’arrête un instantet je reconnais la casquette fluo orange du «métronome», le fameux marcheur qui m’avait surpris hier par son rythme si particulier et sa constance. Là je me dis que c’est ma chance, je dois me débrouiller pour lui coller aux baskettes dès qu’il me doublera et ne plus le lâcher. Je prends le temps de m’alimenter de boire et de me relaxer les jambes une dernière fois et quelques minutes plus tard, le voilà qui arrive à ma hauteur. Toujours la même vitesse, ce même rythme cette même cadence que lorsque je l’ai doublé hier. On se croise du regard en se saluant d’un signe de la tête et j’embraye son pas en le suivant à distance et tente de prendre son rythme. Tout va bien pour le moment et ça me va très bien comme vitesse même si nous nous faisons doubler de temps en temps. Bref passage à un ravitaillement et je ne le lâche pas du regard et scrute ses moindre faits et gestes. Il ne m’échappera pas! C’est reparti et je me décide à engager la conversation pour tenter d’en savoir plus sur ce bonhomme. Il doit avoir environ 45 ans (moi qui l’avait pris pour un vieillard au premier coup d’œil hier…) il se prénomme Mathias et vient d’Allemagne (ça doit venir de ça le rythme toujours égal, rien qui dépasse, la rigueur du placement du pied….Arbeit! Arbeit!!`) Le seul problème c’est qu’il ne parle pas un mot de français, par contre l’anglais pas de problème, mais pour moi ça va pas être simple, mais ça va me faire progresser… On commence à bien discuter et toutes mes douleurs, doutes et idées noires s’en sont allés, mais pour combien de temps ???
Le rythme est niquel et on progresse à cette allure régulière jusqu’aux premières gouttes de pluie et la nuit qui commence à assombrir le paysage. Le prochain pointage est encore à 2h de là, nous décidons de faire une pause pour s’équiper avec veste et pantalon de pluie afin de ne pas se refroidir. Ça va mieux, j’ai retrouvé des jambes, au moment où la pluie redouble d’intensité. A ce moment nous traversons un hameau et nous mettons à l’abri près d’une fontaine. Il va falloir se décider à partir sous la pluie ou attendre. Je laisse Mathias gérer le truc car il m’informe qu’il a fait la reconnaissance de cette partie cet été. Çame conforte dans l’idée que je dois rester avec lui quoiqu’il fasse mais en respectant son rythme pour que je ne sois pas le boulet…. Après15mn de pause la pluie a cesséet nous reprenons notre ascension (oui parce que depuis que j’ai croisé Mathias çan’a pas arrêté…) toujours aussi régulière, je ne regarde que ses chaussures dans le faisceau de ma frontale et j’essaye même de marcher dans ses pas. C’est vraiment un soulagement de pouvoir suivre quelqu’un qui gère le balisage et imprime un rythme très régulier. Ça te permet de relâcher la concentration et les doutes qui peuvent survenir dès que tu ne vois plus le balisage au bout de 100 mètres. Je ne fais plus mes pauses toutes les 19 minutes mais ça va je m’habitue à cette nouvelle vitesse de progression. Le seul problème c’est que je commence à somnoler et avoir un gros coup de fatigue. Pas pour longtemps, car les hurlements d’un chien à proximité me font sursauter alors que j’étais presque en train de m’assoupir en marchant. Impossible de voir ses yeux dans le faisceau de la frontale ils ne réfléchissent pas, bizard… et il tourne autour de nous mais sans que l’on puisse voir où il se trouve. Seul son hurlement nous permet de le localiser. Çava durer 45 minutes, à se faire hurler dans les oreilles!!! Il ne nous lâche pas ce sale cabot! On s’entend à peine parler! Ras le bol de ce maudit cleps ! Il va mourir à japper comme ça! Et puis aussi vite qu’il a commencé, plus rien,le silence complet. Lebonheur ! Et on s’aperçoit que nous quittons la forêt pour gravir un sentier très dégagé qui nous permet de voir beaucoup plus haut le prochain col quisignifiera que nous ne sommes plus très loin du refuge de la moitié parcours!! Le chien??? Bah on n’en sait rien où il est parti. Il n’avait peut-être plus les arbres pour se planquer ou alors il s’est fait bouffer par un loup (youpi). La progression est rendue difficile car le sentier est jonché de rochers et de caillasses juste bien pour se faire une cheville en plus de la fatigue qui commence vraiment à se faire ressentir, je ferme les yeux plusieurs secondes par moment, mais les cailloux sont là pourme tenir en éveil. C’est horrible comme sensation, tu deviens un zombie,tu dors en marchant, c’est dingue, cette approche du col est interminable maintenant. Minuit, on arrive au col. Quel Col! Une vue incroyable avec une lune qui éclaire presque aussi bien que le soleil (nan je délire complet là …).Les nuages sont partis. On distingue bien le sentier que l’on vient de prendre grâce aux frontales des coureurs qui arrivent vers nous. Plus que 30 mn d’un sentier encore difficile et nous voilà enfin au refuge de miparcours. Après un bref calcul, je viens de m’apercevoir que ça fait 7 heures que je monte…. Et là on est à 172bornes de parcourues!!! Après, je ne sais pas ce qu’il se passera, je ne connais pas ces distances. Quand j’ai fini la diagonale des fous j’étais cramé et là il faut juste que je refasse la même chose pour aller à Courmayeur ?!! Bon bah, on va penser à autre chose… Soyons positif, maintenant je ne m’éloigne plus de Courmayeur, j’y retourne !!! Dorénavant, tous pas effectuésme rapprocheront de l’arrivée! Mais pour le moment on va manger un bout et dodo 1 heure, car je ne tiens plus debout. Une heure qui est passée si vite mais c’est la première fois que je dors aussi bien depuis mon départ il y a ….. pfff… je ne sais plus. Enfin un sommeil réparateur (remarque il y avait du boulotmais il n’a pas eu le temps de tout réparer je pense…). Je suis moins mal en point que je ne l’auraispensé. On repart avec Mathias sur un sentier de crête, mais là le métronome s’emballe… Il commence à trottiner et ce n’est plus la même cadence qu’en montée. Qu’est-ce qu’il nous fait le chancelier??? Il a pété un plomb ou quoi ??!! Il est oùle petit rythme tranquillepépère qui m’allait bien? Et le voilà quislalome, qui enjambe les rochers comme de vulgaires cailloux, il relance. Je lui glisse: Tu nous fais un réveil formule 1 Shumi ou quoi? En fait il a froid et tente de se réchauffer. Moi derrière je suis en surrégimej’ai le moteur qui chauffe depuis longtemps et les muscles avec, je n’aime pas ça du tout. On passe un col et c’est parti pour la dégringolade d’une big descente bien technique et toujours de nuit, que « Shumi» nous descend à fond la caisse. Il va me cramer, je suis dingue de le suivre à ce rythme. D’ailleurs çaloupe pas, il me distance de plus en plus et je manque de me gameller plusieurs fois. Mais il ralentit pour m’attendre par moment. Merci Mathias, Anguela te le rendra!... La descente se calme, la température est meilleure et il décide de faire une petite pause. Bah ce n’est pas de refus…. Pas trop de casse, je ne suis pas trop magané. On repart plus cool et ça me va mieux. On passe devant un chalet privé ou le propriétaire nous attend assis dans une couverture devant une table dressée avec des biscuits du thé des boissons… Le TOP, trop sympacar il est quand même 3h dumat! On parle quelques minutes et profitions de ces moments privilégiés. C’est reparti à une allure plus adaptée mais la fatigue commence de nouveau à pointer son nez et je sens Mathias moins fringuant tout à coup. Cahin-caha, nous progressons jusqu’au prochain ravito qui se situe devant un magnifique lacou s’y reflète la lune. Il fait nuit noire mais le jour ne va pas tarder à se lever. Je fais une bonne pause pour manger le trio soupe, pâtes, viande (c’est top comme petit déj...) et au moment où je commence à m’attabler, Mathias me balbutie quelques mots que je ne comprends pas et me salue d’un geste de la main. Attends, je n’ai pas dû comprendre qu’il venait de me dire qu’il y allait… Mon lièvre venait de me lâcherpour continuer sa route seul… Que fais-je ? où cours-je? Dans quel étatvais-je gérer la suite? Je repars de suite ou je me mangemon trio? Bon,je laisse filer la « Manchaft », je vais me débrouiller et puis le jourva bientôt se lever donc ça devrait aller mieux. Je n’ai même pas eu le temps de le remercier... Je termine donc mon trio, je dors quelques minutes sur la table et je reprends mon chemin en essayant de reproduire le pas du métronome. Ça m’a fait du bien cette pause et je progresse bien. On aperçoit les premières lueurs du jour et je retrouve même Mathias qui prend quelques photos. 8h du mat le soleil est là, petit ravito entre deux cols, je suis content car grâce aux facétiesde Schumi cette nuit,bah j’ai pris de la marge par rapport aux BH. Si ça va bien je serai à la prochaine base de vie bien avant mes pseudo-prévisions (rêves pas trop mon gars…).Deux cols de passés une micro sieste, un p’tit ravito, 73h de course (Ca y est je rentre dans une zone inconnue car la Paris Brest Paris avait été terminéeen 73h) et nous voici arrivés dans un secteur qui commence par une descente qui doit nous mener au dernier ravito avant la base de vie. Le sentier est rendu très glissant par les pluies de la veille et surtout par les nombreux passages des coureurs précédents. Peu à peu ça devient boueux et ça continue comme ça pendant un bon moment et mon rythme est très lent car je n’ai pas envie de me faire mal. Puis lechemin devient deux rails, oui-oui deux rails! Les mêmes que l’on emprunte quand on fait du ski de fond en classique. Et bien là c’est la même chose mais avec de la boue. Tu mets tes pieds dans les rails et tu descends... Je préfère nettement la neige… car la boue tu ne contrôles rien. Et c’est parti pour des rattrapages in extrémistes, qui me font prendre des positions artistiques. Ah ouai, là je prends des points en artistique et en adrénaline aussi. Ça te bouffe un influx à toujours faire attention où tu mets les pieds, de la glissade qui bloque nette, au bâton qui reste bloqué… On continue à descendre toujours pareil et je commence à me demander si on ne s’est pas planté car sur la carte il n’est pas indiqué une telle descente... Je tente de hurler à Mathias qui est devant moi si on ne s’est pas trompé mais je n’ai pas de réponse (en fait je descendais tellement lentement que les kilomètres se parcouraient très lentement.)Çame saoule, j’en ai marre et ça va durer je ne sais pas, une heure, deux heures,trois heures??? Le prochain ravito n’arrive pas et l’heure tourne, c’est long et ça fait un bon moment que je suis seul, je n’ai plus de notion de temps. Je suis sur un sentier en forêt qui nous coupe complétement le sens de la progression, on ne voit plus ce que l’on fait et on ne voit pas ce qu’il nous reste à parcourir comme on pourrait le faire aussi facilement quand le terrain est dégagé. Elle n’en finit pas cette forêt. Ça tourne, ça descend ça remonte, ça glisse, ça zigzague, ça remonte, ça fait chi...!!! Ça va finir quand ce truc! D’autant qu’il nous reste 1000m de D+ et 1000 de D- avant la base de vie et mes heures d’avance fondent à vue d’œil. Là je me calme, je me pose, je bois, je mange un truc et je me dis «avances, tu te rapproches de Courmayeur, avances et à la prochaine base de vie tu seras à 200 bornes de parcourues!!!En plus, Ils annoncent une belle météo jusqu’à dimanche, c’est cette année ou jamais! Ça ne s’est jamais vu un temps pareil sur les dernières éditions du TOR. Je dois le finir cette année, je ne veux pas revenir dans ce truc de dingueavec une météo pourrie et le faire en raquette…, çaserait pire que l’enfer!!! Ouf, bah le voilà enfin ce ravito au pied de cette dernière montée et descente de 1000D+. Il y a une effervescence dans le refuge. Ça bouge, ça gigote, ça se bouscule. Et oui, personne ne s’attarde là car on a tous perdu du temps à la « balnéo» et maintenant il n’en reste pas des masses pour faire le reste de l’étape.
Le petit escalier à gauche, il fait 4 kilomètres et monte 1000 mètres plus haut (du pur bonheur…)
Un bol de rizotto et j’enquille (c’est un bien grand mot...)cette montée sur un train cool. J’ai Mathias en point de mire et j’avance régulièrement sur cette montée faite de pavés. On ne voit pas le sommet et à chaque virage c’est la découverte d’un nouveau tronçon qui se ressemble. On aime ou on n’aimepas… J’airepris mon rythme de pause toute les 19mn et à la première je suis fatigué au point de m’endormir quelques instants sur le rocher ouje me suisposé. Je repars mais c’est dur, j’ai nettement ralenti et plusieurs coureurs me doublent, je ne vois plus Mathias, je dois faire une sieste, je n’en peux plus. Mais ici c’est impossible la végétation est faite de ronces et de buissons très piquants. Je vais monter un peu plus haut pour trouver un endroit plus confortable. Mais cet endroit je ne le trouve pas et après 15mn je me décide à m’arrêter je ne peux plus faire un pas, je suis cuit, crevé, fracassé, vidé. Je dois dormir coute que coute. Je prends ma veste et ma polaire pour m’en faire un matelasisolantdes arbustes piquants, et je m’allonge. Bon ça traverse quand même ce n’est pas un «Epéda» mon truc. Mais je ne mets pas longtemps à m’endormir. 15mn d’une sieste peu efficace et qui m’a refroidiet je me fais réveiller par quelques gouttes de pluie... Je reprends mon chemin de croix tant bien que mal. Enfin le col, qui se termine par un petit plateau de 500 m à travers une tourbière. Je suis très fatigué et j’ai mal partout, je dois marcher à 2 km/h car un ou deux Toristes me doublent facilement en marchant... J'aborde la descente avec un moral au plus bas car il reste 3h dans le meilleur des cas et je vais arriver juste sur la BH. Je commence à me dire que 200 kils c'est déjà super comme distance et que vu les douleurs aux hanches que j'ai, je ne veux pas me faire mal à long terme, donc la décision d'abandonner fait peu à peu son chemin et se concrétise dans ma tête en organisant et programmant mon retour à la maison à partir de la prochaine base de vie. Je fais plusieurs pauses pour reposer mes jambes et hanches car je dois faire un effort énorme pour les forcer à me faire avancer. Le temps devient gris, quelques gouttes de pluies font leur apparition, rien de bon pour se remonter le moral. Tout est dans le rouge; physique, moral, envie... La séance gavage continue: Gaver de descente, gaver des sentiers, gaver de marcher, gaver de manger la même chose depuis 4 jours, gaver de tout!!! Je suis plus gavé qu’une oie du Sud-Ouest…
Je pense à abandonner sérieusement pour m'éviter (que je crois) de me blesser à long terme. J'ai tout qui me fait mal. Je dois descendre à 1km/h …
Au loin j'aperçois un traileur qui vient dans ma direction. Et cette silhouette qui s'approche me paraît de plus en plus connue et cela se vérifie quelques minutes plus tard en constatant que c'est Thierry mon partenaire d'entraînementainsi que du Tour des Glaciers de laVanoise cet été. Ça fait du bien de voir et de pouvoir parler à quelqu'un que l'on connaît. Il a fait 2h30de route et compte bien m'accompagner sur la suite du parcours. Le seul problème c'est que je n'avais pas prévu d'aller plus loin que le prochain ravito mais pour le moment je ne lui en parle pas... On échange sur ce qui s’est passé depuis le début de la course et sans m'en rendre compte j'ai retrouvé un bon pas et la descente se passe mieux qu'au début. (Encore le mental qui m'a joué des tours, mais jusqu’oùça va continuer...)
Là c’est le ouf de soulagement…
On passe un petit refuge pour se ravitailler avant les 5 derniers kilomètres. Je me trempe les jambes dans une fontaine glacée et Thierry meprend en photo avec les bénévoles,
La cloche autour de mon coup je ne suis pas
reparti avec mais j’aurais bien aimé
On repart sous la pluie qui commence à s'intensifier. Mais le moral est revenu et les différents sujets de discussionme font oublier les douleurs, je me surprends même à trottiner avec Thierry qui me donne un rythme régulier. Plus que quelques centaines de mètres sur le bord d'une route et nous voici arrivés à la base de GRESSONEY 200ème kilomètres! C'est bon ça,mais je n'ai tout de même pas trop de marge et je dois mettre les priorités sur ce que j'ai besoin, arrêter ou pas?? Bon on verra dans 2 heures, j'ai encore 3h30 de marge.
Thierry m'a remotivé. J'opte donc pour le kiné 1h ou je m'endors sur la table, je m'allonge également en salle de repos mais je ne dors que 15',puis je me restaure. Mais même avec cela,je n'ai pas envie de retourner dehors où la nuit est là et on annonce une température proche de 0 au sommet.... Beurk.... Je traîne pour réorganiser le sac et m'habiller, je n'ai plus envie... Thierry est prêt pour m'accompagner sur toute la montée, il redescendra par le même chemin récupérer sa voiture et me rejoindra plus loin sur le parcours Il est au taquet moi pas.... Petite photo au départ du 200èmekilomètre et c'est reparti à plus que reculons....
Là je souris mais juste pour la photo, j’ai juste envie d’être ailleurs…Çava mieux, mais là je suis très fatigué…
Le démarrage est douloureux, les pieds chauffent déjà et on avance pourtant vraiment cool en se faisant doubler… Pas envie mais pas envie du tout. En plus on fait une petite erreur de parcours mais vite rectifiée. On entre dans le dernier village avant la montée vers le sommet glacial annoncé. Au balcon d'une maison, une famille nous encourage et je décide de leur demander une paire de ciseaux pour strapper mes pieds qui sont trop douloureux par les échauffements. Il est 22h30, Super accueil en plus le chef de famille est secouriste (j'ai une bonne étoile...) Il me fait un strapp sur les plantes de pieds enflammées, nous propose de boire quelque chose mais nous avons déjà perdu assez de temps et on reprend notre route.
La route puis le chemin s'élèvent et nous rejoignons Mathias (alias « Shumi » par temps frais…) qui progresse toujours au même rythme et nous lelaissons rapidement car notre rythme est plus rapide
(Si j'avais été seul, je seraisresté avec lui mais Thierry m'emmène à un bon rythme et je continue.)Petit ravito avant la dernière partie montagneuse à découvert. La fatigue me gagne et les microsiestes sont très courtes car il fait froid, max 3mn chronométrées. J’en ferais une plus longue de 7mn, à l’abri dans une vieille bergerie. Plus loin, Mathias nous double avec 4 autres traileurs (et je ne le reverrai plus jamais car il terminera en 130 heures!!!). Ouf le sommet! Glacial comme indiqué au départ de l’étape, et très venté. On se sépare et Thierry repars en arrière et de mon côté, plus bas je vois les lueurs des frontales qui me délimitent le sentier à prendre. Descente prudente car je m'endors ettrébuche plusieurs fois. Fin de la descente et pointage dans une petite auberge. Je décide d'y dormir et quelle bonne idée,car on m'amène dans une chambre individuelle avec un lit ultra confortable. 1 heure plus tard le réveil est fantastique, enfin une vraie sieste réparatrice, plus de douleur, c'est magique. Le corps est incroyable d'adaptation, jusqu'où m'emmènera-t-il???Je repars en petite foulée et les premières lueurs du jour arrivent. J'ai une patate, c'est la folie!!! Je me dis que le TOR ne peut plus m'échapper, je vais le finir et je suis même surpris d'être ému à l'idée de passer cette ligne d'arrivée qui se rapproche au fur et à mesure des pas que je fais. En plus je sais que Thierry est avec moi sur quelques tronçons à venir donc je suis au top! Je me surprends à trottiner sur un faux plat, un petit raidillon que j'attaque franchement en petite foulée, c'est énorme la forme que j'ai... J'ai l'impression que je fais mon footing dominical. Quelle sensation après 4 jours de courses… C’est le TOP. Et puis…. tout s'écroule…. en un instant… Une violente douleur aux releveurs me bloque net et je ne peux plus avancer.... Il y a quelques instants je me voyais passer la ligne et d'un coup elle s'est éloignée loin trèèèès loin... On parle souvent des moments difficiles à gérer en ULtra mais là c'est le moment d'euphorie qu'il faut également savoir gérer. En quelques instants tout est dans le rouge, je marche à peine la douleur violente est passée mais je boite et marche très difficilement. Je continue à avancer clopin-clopanten essayant d’avancer le plus relax et m'économiser. Quelques coureurs me doublent mais la douleur redevient supportable et me permet de progresser sans boiter mais à pas feutrés pour ne pas la réveiller. 1heure plus tard, je retrouve Thierry qui m'amène une bonne pizza. Et bien à 7h du mat, je l'apprécie cette pizza, elle ne me répare pas les releveurs mais ça fait du bien.
Je porte le menu de la prochaine partie d’étape que je vais
faire avec Thierry(13km 1000D+, la routine quoi…)
On repartpour une bonne montée de 1000D+ accompagné par un soleil qui réchauffe les corps. Au sommet, Thierry repars dans l'autre sens et me retrouvera à Valgrisenche pour amorcer l'avant dernière nuit !
Je passe le sommet accompagné d'une famille de bouquetinspas farouches! Super moment privilégié. En montée les releveurs m'ont laissé tranquille, mais la descente est un calvaire et Thierry qui m'a rejoint me récupère à marcher en boitant au point de faire des tentatives de descente en arrière... Prochaine base de vie, le kiné a intérêt à faire des miracles car je suis mal en point…
Valtourenche Jeudi 14:52
Kilomètre 236: Plus que 100 bornes!!! Plus que100bornes ??? Ça fait drôle de se dire ça alors que pour un traileur habitué, cette distancepourrait être l’objectif de l’année ou d’une vie, au Tor,on se dit «Plus que 100» On est vraiment dans notre monde…
Valtourenche OUTJeudi 16:54 MARGE= 4H06 Temps de courses 102H54mn
Et le jeune ostéo qui va s'occuper de mon cas va bosser 45' et son collègue va me strapper les releveur et ils le font desmiracles! Car après 2 h de pause c'est reparti comme en 40avec Thierry qui me donne toujours le rythme,mais je le freine avec mon rythme « anti réveil douleur». Je détecte lamoindre sensation et tente de l'interpréter, je deviens mon propre ostéo. J'analyse, j’écoute, je diagnostique et j'adapte le mouvement, le rythme ou les pauses si nécessaire. Le refuge au sommet nous permet de voir Oscar Perez le vainqueur de l'an passémais qui cette année a abandonné. Il n'a pas l'air si mal en point puisqu'il court avec un collègue... Thierry aimerait continuer avec moi sur ce TOR mais ses obligations professionnelles l'obligent à me quitter. A partir de maintenant je suis seul de nouveau mais regonflé à bloc, les releveurs me laissent tranquilleet je vais gérer au mieux pour le finir ce TOR. Cette présence et ce soutien m'ont permis de tenir jusque-là et me donnent de l'envie pour la suite. Le soleil se couche pour la cinquième fois,toujours aussi beau avec ce soir le Cervin orangé par le soleil en fond de paysage.
Je suis confiant la route est encore longue mais le physique et le moral sont bons. La nuit s'installe et la montée est régulière et il suffit de suivre les balisages réfléchissants. Le parcours devient plus cassant maintenant sur un sentier qui n'en est plus un. On progresse sur des sortes de dalles de pierre.Çan'en finit pas et ça monte encore et encore pour se terminer trop longtemps plus tard sur le bord d'un gouffre énorme ou l'on voitdes frontales dans le fond et le refuge de pointage au sommet de l'autre côté. Descendre et remonter ça va me prendre un temps fou!! Pourquoi ils n'ont pas fait au plus court pour aller plus vite!!! Je ne dois plus être lucide et je peste dans cette descente technique, car je trébuche souvent et la chute est interdite sinon c’est 200m plus bas…. Enfin le refuge! De nouveau une petite soupe,avec Fred un haut savoyard qui balade son short à fleurs sur tous ses trails, puis une sieste de 30'. Le refuge est très bruyant et il y fait une chaleur étouffante avec la cuisine le poêle et les nombreux coureurs, mais je fais tout de même une sieste qui fait vraiment du bien. La même sensation au réveil que la nuit dernière dans mon lit individuel de l'auberge. Attention, là je ne vais pas me faire piéger une seconde fois(bah si…), je repars d'un bon pas mais en gérant ce bon moment: pasdedémarrage en trottinant, nide footingdominical, ni faire le fanfaron. Un ciel étoilé comme depuis la majorité des nuits passées, supers moments de course encore une fois.
Ce passage est fait de multiples petites montées descentes de 300/400m D+ autour de 2500m la température est fraiche en témoignela vapeur qui sort de ma bouche à chaque expiration mais j’ai des bonnes jambes et un super rythme et je me force même à ne pas courir tellement je suis bien…. A la deuxième montée j'ai l'impression de progresser déjà plus difficilement et ça tire d'avantage dans les mollets. De plus mon rythme n'est plus le même que d'habitude j'ai l'impression qu'il me manque quelque chose mais quoi???.... Les bâtons!!! Oh non, la gaffe!! J'ai oublié de prendre mes bâtons au dernier refuge! (Cette fois je suis mort si je retourne à la maison, la mama va pas être contente du tout. Mais en fait, là, la mama je m’en fous c’est le cadet de mes soucis) Deuxième fois qu'il m'arrive un truc avec ces foutus bâtons et deuxième fois que je gère mal un réveil en pleine forme! Leproblème c'est qu'il me reste encore 2000D+ avant la prochaine base de vie et sans bâtons ça va être dur.... Je ne peux pas revenir en arrière ça me prendrait aller-retour 2heures…. Bon, pas le choix, je repars en cherchant des solutions pour les retrouver. Au refuge suivant,ils ont bien tenté de contacter le refugeoù je les ai perdus, mais le gardien me dit qu’il y a tellement de bâtons qu’il ne trouve pas les miens… Bon bah tant pis, faut faire sans… Je continue dans la nuit et la fatigue me pèse, jetitube et trébuche régulièrement(mais sans les bâtons qui m’aidaient à me rééquilibrer), je tente une micro sieste, mais il fait trop froid je ne peux pas m’endormir au risque d’être congelé pour repartir. Au trois quart d’une montée qui me paraît interminable, je me sens étrangement seul, plus personne devant ni derrière depuis un bon moment. Je distingue seulement des faisceaux de frontalesbienplus bas et qui ne vont pas du tout dans ma direction… Le coup de panique qui va bien… Je me suis trompé ou pas??? Un stop de 30’’ pour voir si personne n’arrive. Personne…. Je me résouds à revenir sur mes pas et de redescendre. Là c’est le bouquet, la cerise sur le Mc Do….Mais au détour d’un virage je croise un groupe qui avance ä un bon rythme et un coureur medit que le prochain refuge n’est plus très loin. Ouf…. Je les suis mais pas longtemps, ils vont trop vite… Mais le refuge est là en effet! Nous sommes à 2800 m, un vent à décorner les bœufs et une température glaciale. Ravito et je fais une sieste de 30’dans une tente aménagée et chauffée, ça fait du bien! Je reprends mon chemin aux premières lueurs du jour par une courte montée très raide qui permet de se réchauffer mais au sommet c’est un splendide spectacle du lever de soleilsur les sommets enneigés. Mais je ne reste pas longtemps le vent est très violent mais sitôt passé de l’autre côté c’est le calme plat. Enfin il n’y a que le calme qui est plat car la descente c’est un sentier raide avec juste une pellicule de poussière pour prendre unebonne pelle et il n’est même pas tracé, on est en dévers et ça glisse. Je rejoins un homme d’une cinquantaine d’année qui est scotché et avance à pas de souris tellement il est paniqué et me dit qu’il n’est pas rassuré du tout. Je lui propose de descendrejuste derrière moi pour la partie la plus compliquée et il me suit volontiers. Sa compagne nous rejoint et en lui parlant avec un accent du sud, commence à lui donner une leçon de descente…. «Mais put… Jean-Paul, regarde comment je fais, tu te mets sur l’avant des pieds et tu fais des petits pas et ça descend tout seul!!! Lui braille-t-elle.» Elle n’a pas terminé sa phrase qu’elle se retrouve sur les fesses! Magnifique…Ça s’appelle de l’auto-calmage… Rien à dire tout est dans le geste… On ne l’a plus entendue et je les laisse pour terminer cette descente longue et maintenant plus roulante qui va tout de même me prendre 3h pour arriver à Oyace
OyaceVen 9:30 KM 272, MARGE= 4H30,Temps de course 119h30mn
Bref ravito de 30‘, avec le trio habituel que jemange avec de moins en moins d’envie.
Un 1000D+ et 1000D- en pleine chaleur nous séparent de la dernière Base de vie d’Ollomont!!! La montée sans les bâtons a été très compliquée. Plusieurs pauses mais unebrève rencontre bien sympa avec un sénateur,Jean-Michel,que je ne peux pas suivre mais que je recroiserais plus tard ainsi qu’un breton. Au sommet on nous propose 3 techniques pour descendre au village et au bâtiment que nous pouvons voir de l’endroit où nous sommes; Parapente 15 ‘, Wing suit2’ ou àpieds 2h… On opte pour la 3èmemais je me fais une petite micro-sieste avant d’y aller.
Le balisage du TDG
OLLOMONT KM 287. 15h,BH à 19H30Temps de course=125 heures
Après un bain glacé dans la fontaine du village, je m’imagine chaque chose à faire à cette dernière base de vie.La première, trouver des bâtons,me soigner les pieds, manger,boireet dormir. C’est bon j’ai ma routine qui s’installe certains font métro boulot dodo. Au Tor c’est rando, ravito, dodo…
L’organisation ne me trouve pas de bâton. Je leur avais proposé de demander à des coureurs qui abandonnent de me laisser leurs bâtons mais rien… Une dame qui m’a entendu exposer mon problème me propose ses bâtons. J’accepte volontiers et lui propose de lui laisser à l’arrivée. Je lui propose une carte d’identité ou une somme d’argent en échange. Elle ne veut rien et me souhaite juste bon courage! Merci M’dame !
Je gère ce dernier ravito vraiment au top, une semaine pour arriver à en faire un bien! Je suis en forme pour repartir pour cette dernière étape. Dernière étape, dernière nuit à passer!!! Come on mon gars, ça va le faire !!! (Ne parles pas trop vite, tu vas vivre le pire du pire pour cette dernière…)Plusque 23h de course pour faire 49kilomètres, je ne peux plus abandonner je n’ai pas le droit !! Comment peut-on abandonner à cet endroit ???(Bah tu verras que tu n’en seras pas loin tout à l’heure…)
En route pour la dernière étape !!!! Il est 17h je n’ai plus que 2h30 de marge sur la BH, mais je suis au top moralement.OLLOMONT COURMAYEUR
49km 2900 D+
Je démarre seul tranquille et après une heure de montée dans les alpages je retrouve un troupeau de quelques reines à traverser, mais là je suis moins surpris qu'il y a quelques jours...
Petite pause au refuge oùje retrouve Fred le Haut Savoyard qui balade toujours son short à fleur, ça lui donne un style on ne peut pas le rater…
On se remet en route avec 2 autres traileurs en tenue de nuit (sauf Fred qui reste toujours en short à fleur..). La discussion tourne sur la fin de notre aventure et tout le monde s'accorde à dire que malgré douleurs fatigue et bobos, on DOIT terminer ce TOR car les conditions météo ont été exceptionnellement bonnes et il sera difficile de faire mieux lors des prochaines éditions. Et en plus personne n'a envie de revivre ça (on changera d'avis 3 jours après l'arrivée) :-)
On entame la descente et je reste à l'arrière du groupe, j'ai un peu de mal à suivre, car la somnolence qui s'est installée me fait trébucher très souvent, mais heureusement le sentier n'est pas technique. En bas de cette longue descente, le groupe va se séparer et je me retrouve seul avec Fred pour s'engager sur la seule portion plate du parcours en chemin carrossable sur 10km.
On marche à un bon train au début mais la fatigue nous ralentit. Malgré une courte micro sieste, je titube encore et on suit pendant un moment un coureur qui danse en marchant, et fait des sauts de cabris régulièrement... On est mort de rire mais de fatigue aussi. Je laisse partir Fred car je n'avance plus du tout à son rythme. Je m'affale sur un banc pour dormir et je suis réveillé par un : Eh, Paris Brest Paris!!! Tu viens?! Je me réveille péniblement et emboite le pas du breton. Mais rien n'y fait je suis cuit et déboussolé, je ne sais plus où j'en suis en heure,en distance, en ravito, j'avance au ralenti. Et voici le breton qui commence à me faire un cours de marche Afghane... Un gros délire en fait, il était aussi cramé et paumé que moi....Néanmoins je le laisse également partir car je n'y arrive plus. Les hanches sont très douloureuses, les jambes aussi, enfin tout. Si l'infirmière me demande ma douleur sur une échelle de 1 à 10, je dis 8,5 bien sonné... C'est l'enfer! J'arrive enfin dans le dernier village avant la montée finale qui sera la DER des DER. Mais j'ai l'impression d'être déjà passé à cet endroit et d'avoir déjà vécu ce moment. Je suis dans un état mental que je n'avais encore jamais vécu. J'arrive à prévoir l'avenir!!! (Je suis en plein délire). En effet, j'ai l'impression d'être déjà venu là carla dernière fois que je suis passé,j'ai perdu le balisage et un passant m'a remis dans le droit chemin. Et c'est exactement ce qu'il se passe! Je ne comprends rien....
Bref, en arrivant au ravito je revois Fred et Jean-Michel et je décide de m'octroyer une sieste et là encore je reconnais les lieux et je dis même à la bénévole qui m'accompagne au dortoir: « ne vous fatiguez pas à m'accompagner je suis déjà venu, je connais le chemin..... Et je trouve le dortoir et m'endors pour 1heure... »
Au réveil, on m'annonce 4 heures pourse rendre à la prochaine et dernière barrière je n'ai donc plus qu’unepetite heure d'avance... Je repars seul et après 1 petite heure je vois le refuge de la dernière BH!! Mais il est loin trèèèès loin et surtout haut trèèèès haut! Il est là au-dessus de moi, je peux le toucher avec mes doigts, mais je ne suis pas si près car je vais mettre 4 h comme prévu pour y arriver. Et ça ne va pas vite. A un moment je suis tellement fatigué que je me couche direct sur le côté presque en position de marche. Quelques minutes plus tard, un anglais me réveille avec sa frontale et me dit «Tu ne dois pas dormir dans cette position, car de loin on croit que tu es mort!» Il m'encourage mais me dit que ça va être juste pour la dernière BH. Il me met le doute et j'accélère comme je peux. Mais, enfin la voilàpasséecette dernière BH à 2700m!!! Le soulagement, fini de courir sans cesse après le temps. Tout le monde a une sale tête, mais tout le monde a le sourire dans le refuge, ça se tape dans les mains, ça rigole, çase tombe dans les bras, ças’embrasse, c'est du bonheur ! Maintenant faut prendre le temps de rentrer sans se blesser bêtement.
Je repars avec Fred et Jean Michel mais après une dizaine de minutes de montée je les laisse filer pour me refaire une petite sieste sous les rayons du soleil qui commencent à bien chauffer. Au réveil je suis tout seul et je vois deux traileurs franchir le dernier col du TOR, Malatra!
J'y arrive à mon tour et une dame me dit en italien: « Tou es l'ultimo (le dernier) coureur du TOR
2014 à passer ici!!C’est la première fois que je saute de joie quand on me dit que je suis dernier….
MALATRA, le Mont Blanc en arrière-plan et
la lune juste en haut à gauche au-dessus de ma tête, le plus beau moment du TOR…
Elle me prend quelques photos et me voilà parti pour une longue descente vers Courmayeur en trottinant. Une dernière sieste avant le refugeBonati (bien connu des UTMBistes) et en repartant, j'ai une patate, je ne sens plus rien et je commence à «envoyer du bois» dans la descente et je redouble pas mal de coureurs. Je croise GrégoireMillet un physiologiste du sport qui réalise une étude sur la fatigue en Ultra et qui a tout de même fait 2èmeà sa seule participation au TOR. Il est venu avec une athlète qui veut faire le TOR l'an prochain. Je lessalue et il me dit "tu as l'air super en forme tu es un des seuls aujourd’hui à courir ici.Je lui glisse avec un brin de malice « c'est une science la gestion de course ;-) j'en connais un peu plus après ce truc de malade. »
Dernière partie en balcon le long du massif du Mont Blanc; pas un nuage, température au top, les jambes tournent supers. C'est bon ça!
Et voici le dernier ravito du Tor (Bertone) et c'est parti pour les 7 derniers kilomètres de descente à un super rythme, je n'ai jamais tenté de toute la semaine mais là je me lâche! J’ai peut-être trop géré??? J’en ai encore sous le pied c’est fou !!!
Derniers virages dans les rues de Courmayeur, bondées de touristesqui hurle à chaque passage de Toristes et la voici cette ligne d'arrivée, tant espérée! C'est fini !!! Je suis soulagé et content d'en terminer (trop vite pour certains qui ont attendu vainement mon passage trop rapide en direct live...) Je laisse les bâtons à unebénévole avec un brin de nostalgie, car sans eux je n'aurais peut-être pas pu finir.
Après une telle aventure faite de hauts, de bas, de très hauts, et de très bas, j'ai encore repoussé un peu plus mes limites et une fois de plus constaté que le corps a une faculté d'adaptation incroyable et que notre cerveau a une mission de protection qui nous oblige à nous remettre en question sans cesse. Mais cela tous les traileurs connaissent et savent que l'on passe par ces moments de bien et de moins bien pendant une course. Pour moi, le plus compliqué à gérer ont été les pauses aux ravitos et bases de vie. Je ne m'y étais pas préparé alors que ça a une importance fondamentale sur une si longue épreuve. Il est clair que si l'on peut avoir une assistance sur le parcours c'est une aide sans commune mesure.
Après quelques jours de récup, je n'étais toujours pas capable de me remémorer toutes les étapes et les ordres de passages des cols et refuges tellement les images se mélangeaient. Mais avec ce récit c'est chose faite.
Donc le TOR c'est faisable, mais faut le découper en petit morceaux (voir des tous petits petits morceaux) pour pouvoir s’imaginer le faire, l'avaler et le digérer...
4 commentaires
Commentaire de oc12 posté le 02-09-2015 à 19:27:47
Récit passionnant qui nous motive quel que soit le niveau ou la distance... Pour moi le trail des hospitaliers 75 km le 1er novembre.
Commentaire de Xaven posté le 03-09-2015 à 22:53:57
bravo d'avoir pris le temps d'avoir tout lu. Je serais dans ton secteur pour suivre mon épouse sur l'endurance trail et je ferais le marathon Grande Casse en off car il n'y a plus de dossard.
Commentaire de Berty09 posté le 03-09-2015 à 22:41:34
Quelle aventure! Réussir à aller au bout est magnifique. Bravo et merci du partage.
Commentaire de Bacchus posté le 07-09-2015 à 19:36:05
Bravo pour ta gestion de course
Merci pour ce CR plein d'enseignements
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