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La course : Le Grand Raid des Pyrénées
Date : 21/8/2015
Lieu : Vielle Aure (Hautes-Pyrénées)
Affichage : 3567 vues
Distance : 160km
Matos : Sac Camp Vest Light, Bâtons Guidetti monobrin en carbone, La Sportiva Ultra Raptor en 47.
Objectif : Terminer
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Préambule
Après un GRP80 en 2013 et la première édition du GRP120 en 2014, s'aligner sur GRP160 en 2015 tombait sous le sens. Ça bouclerait ma trilogie du Grand Raid des Pyrénées tout en m'offrant mon premier 160.
L'objectif majeur de 2015 quoi.
La ligne d'arrivée du Tour des cirques avait été difficile à atteindre l'an passé, la faute à un manque flagrant d'entraînement spécifique en montagne.
PS : Ah oui du coup aussi, je n'ai pas embarqué d'appareil photo cette fois, et mon téléphone est resté au sac, donc j'ai fait des gribouillages sur post-it histoire d'illustrer mes propos.
Donc ci dessus, à peu près ma tronche au sortir du 120 l'an passé.
Heureusement cette saison les circonstances furent plus clémentes et me permirent de bouffer allégrement du volume et du dénivelé.
Dans les grandes lignes :
Plusieurs sorties dans le pays basques, à jardiner autour de la Rhune.
De très chouettes courses de prépa : Le trail du Hautacam et le 80K du Mont Blanc (bouclées avec succès).
Un super bloc/reco en Juillet : 150k et 9000m de D+ en quatre jours.
Et puis l’entraînement classique sur Bordeaux, à se farcir des coteaux d'une cinquantaine de mètre par paquet de 12, aussi bien en courant qu'en VTT.
Les jours précédents la course furent également plus reposant. Cette fois, hors de question d'arriver la veille, en panique, avec le dossard à retirer et les clés de la location à aller chercher. J'ai pu jouir d'une bonne semaine de vacances directement sur Vielle-Aure avant le branle-bas de combat.
Pour parfaire le tout, ma compagne a bien voulu se joindre à moi. Un peu de repos en amoureux, c'est simplement le passeport idéal pour espérer venir à bout de cette grosse boucle toute bosselée. Et par repos, j'entends bien sur un peu de rando et de footing, mais surtout de la grosse glande, du genre vautré dans un canapé à siroter un café en matant un épisode de « Barnaby ».
En ce qui concerne de mes objectifs, en appréciant mes performances sur d'autres épreuves du genre, je me suis fixé un objectif de 40h, même si le principal reste évidement d'être « finisher ». Nombreux sont les paramètres qui peuvent avoir une incidence sur le chrono, mais intérieurement, je me dis que si la forme est au rendez vous et la météo clémente, je pourrais même envisager les 38h.
Enfin ne rêvons pas trop.
Départ : 5h00
Malgré cette semaine de quiétude, la nuit précédant le départ fut courte et stressante. Je parvint tout de même à grappiller 2h30 de vrai sommeil.
J’exécute ma routine des matins de course : café, tartines, remplissage du camelbak, graissage des pieds, toilette, enfilage de la tenue appropriée – légère, il va faire chaud – nouvelle tentative toilette – et je sors de l'appartement en compagnie de ma dulcinée.
Coffee time
Un saut en voiture jusqu'au parking du Carrefour et cinq minutes de marche plus tard nous arrivons sur la place de Vielle-Aure.
De chaque routes convergent des bonhommes fluo tout harnachés, souvent eux aussi accompagné par leurs proches. Ils ont tous l'air super balèze, ultra préparé et aiguisé comme des lames de rasoir. A chaque fois j'ai cette désagréable impression d'être un cran en dessous.
On doit être à vingt minutes du départ – Ma compagne n'est pas autoriser à pénétrer sur le pas de tir avec moi – C'était pas prévu ça, merde ! – Dans la précipitation j'ai juste le temps de l'embrasser et je me retrouve seul au milieu des autres coureurs.
Je cherche du regard des connaissances en me dressant sur la pointe des pieds :
Il devrait y avoir des potes d’entraînement girondins : Fred et Roger, des machines qui vont certainement partir comme des fusées, et Seb un autre sparring patner avec qui j'ai couru pas mal d'autres trails car on a un rythme assez voisin. Finalement je tombe sur Céline, une autre Bordelaise. Elle vise les 40 heures - Comme moi, j'aurais peut être une coéquipière !
J'ai encore le temps de faire un rapide pit stop aux chiottes avant le coup de sifflet, ça fera ça de moins à trimbaler. En revenant, je tombe sur Seb - on rejoint Céline, je fais les présentations, et ça y est, le départ est imminent, trêve de galéjade.
La foule se met en branle, ça transpire l'euphorie. Je suis d'assez bonne humeur, j'ai hâte d'en découdre. Par contre je cherche désespérément du regard ma copine après l'arche. Juste avant de franchir le pont, je l’aperçois derrière une rangée de spectateur : elle me suit en faisant de grands signes. L'entrevue est brève, mais bien qu'il soit banal et couillon de dire ça, c'est quand même très revigorant d'emporter l'image de son amoureuse avant d'attaquer 160 km d'une rude promenade !
Vielle-Aure – Merlan : 7h26
On laisse rapidement le bourg de Vielle Aure derrière nous, direction Vignec. Je dois être milieu de peloton et ça trottine assez vite. Je perds rapidement Seb (derrière) et Céline (devant), quand à Fred et Roger, ils doivent tailler la route en tête. A chacun sa vitesse, et pour une fois je vais m'écouter et me caler à mon rythme. Pour ne pas me cramer, je respire par le nez. Si j’ouvre la bouche, ça voudra dire que je suis trop rapide.
On rejoint le chemin qui s’élève vers les granges de Lias. Je connais bien ce sentier pour y être passé 4-5 fois les jours précédents. C’est simple, ça monte tranquille. On est serré au début, mais pas de bouchon à déplorer.
Un superbe levé de soleil nous accueille quand j'arrive une heure et demi plus tard au col du Portet. Ça tabasse, je suis parfaitement bien. En chemin, j’ai rattrapé puis doublé Céline avant le dernier raidillon qui bascule ensuite vers le restaurant Merlan. Une pause pipi et déroulage jusqu’au ravito – je remplis un peu mes gourdes, et repars quasiment aussi sec, une soupe aux Tuc à la main.
Section Merlan – La Mongie : 10h24
L’appréhension est de mise sur ce segment. Je sais que la descente depuis le col de Bastanet est technique, et qu’étant mauvais descendeur, je risque en plus de gêner d’autres concurrents. Mais pour le moment, ça grimpe tout doux. Il y a de nombreuses petites zones où on peut trottiner pépère, je tâche d’en profiter pour me dégourdir les mollets. Arrive le vrai pentu, la grosse caillasse fait alors son apparition, signe que le col n'est plus très loin. On en est au début, ça passe tout seul. Je respire encore par les naseaux.
C’est toujours l’aube, et franchement, cerné par de petits lacs, par des empierrements et des bosquets de sapins, c'est un délice pour les yeux.
On arrive au Col de Bastanet.
Je bascule vers la descente redouter.
Finalement ça ne va pas trop mal. J’y vais tranquille, et hormis un ou deux casse-cous qui me doublent en faisant des cabrioles, je n’ai pas l’impression de faire trop chier les gens. J’aurais même tendance à gagner des places. Étonnant.
Ça regrimpe un peu en arrivant à la Mongie – C'est le moment choisi par le soleil pour commencer à cogner – on risque de bien morfler cet après-midi, c’est sûr.
Grosse ambiance à la station, il y a beaucoup de spectateurs – on y est copieusement applaudit. Une troupe d’espagnole perchée sur un rocher nous encourage à coup de « Venga Venga ! Animo ! »
Je perds au moins un quart d’heure au ravitaillement. Je dois bidouiller mon chargeur à pile pour filer un coup de jus au GPS, et j’en profite aussi pour me noker les pieds.
La Mongie – Pic Du Midi : 13h27
Je me lance sur un sentier que je connais presque par cœur. En prépa j’ai dû parcourir ce tronçon au moins trois ou quatre fois. Je sais que c’est un peu long, mais pas bien difficile - ça monte quoi.
La première étape consiste à rejoindre le sentier qui mène au col de Sencours. Quelques ruisseaux et une butte à franchir, puis me voilà dans le vif du sujet, 1300m à gravir jusqu’au sommet. Justement, Il est là, le Pic. Juste devant, bien obèse et bien haut. Pas un nuage pour le dissimuler, et en plein soleil. Il va faire chaud et soif.
Je grimpe bien, le rythme est régulier, et ma respiration toujours nasale. Je glane facilement quelques places. Quasiment arrivé à Sencours, je trouve Roger assis sur un rocher. Il est crampé des jambes. Ça fait un petit bout de temps qu’il attend que ça reparte.
Il redémarre avec moi, mais un de ses mollets reste douloureux et il ne peut pas suivre. Changement de diagnostic, il suppose un début de déchirure. Au col, un toubib confirmera ses craintes : une élongation qui sonne fatalement la fin de sa course.
A Sencours, je m'approvisionne rapidement en eau et en bouffe, et m'élance à l'assaut des 500m de dénivelé restant. Je fais les trois quarts de l’ascension avec un anglais, Tim, que j'accompagne déjà depuis quelques lacets. On taille le bout de gras, moi dans un anglais approximatif, lui dans un français vraiment pas dégueu. C'est amusant et le temps passe vite.
Je croise Fred qui dévale au niveau du refuge, on se tape dans la main. Il a l'air en forme l'animal.
et ouais c'est populeux au Pic, y'a du monde !
Pointage au sommet, le ciel est clair cristallin et la vue est imprenable. Je ne m'attarde pas pour autant. Je redescends seul, mon comparse ayant croisé sa femme. Je rencontre Seb au deux tiers de la pente – Je ne le pensais pas si proche et j’espère qu’il s’est un peu économisé pour la suite.
De nouveau à Sencours, je fais une halte assez conséquente. Non pas que j’aille mal, au contraire - ce premier « marathon » s’est déroulé sans encombre et tous les voyants sont aux verts. Mais je souhaite aborder correctement la longue section suivante. Je prend donc le temps de correctement boire et manger.
Sencours - Hautacam : 17h02
Changement d’ambiance : après les foules du pic du midi, je m’engage sur des sentiers qui transpirent la solitude. Les quelques coureurs que j’ai dans mon champs de vision me paraissent lointains et éparpillés. La fournaise qui se dessine accentue le coté poussiéreux et minéral du paysage. Je ne me presse pas. Je rejoins Tim dans la pierraille du col d’Aoube. L’humeur n’est plus aux bavardages, on reste taiseux, je double et continue ma progression seul jusqu’au Lac Bleu.
descente vers le lac vert, fait déjà bien chaud...
L’ascension du col de Bareil se fait aussi dans une sorte de torpeur générale, les quelques personnes que je dépasse restent muettes.
Au sommet, je rebascule directement. Terrible descente, 600m de dénivelé dans du méchamment pentu. Curieusement, mes pieds et mes jambes répondent plutôt bien, mais je commence à ressentir de l’inconfort au niveau de ma cage thoracique. Je dois être trop crispé et trop sur la retenue. J’essaye d’adopter une respiration souple et d’ouvrir grand mes poumons. Mais rien y fait, une douleur diffuse s’installe au niveau de la jonction torse-abdomen, un genre de large point de côté. On dirait le mal que l'on ressent quand on garde de l'air vicié au fond de ses bronches.
Malgré tout, je préfère ne pas m’arrêter, histoire d’écourter au plus vite ce mauvais moment.
En fond de cuvette, ça va mieux, je peux relancer et avaler sans peine la hourquette d’Ouscouaou : en côte, l’effort est plus intense et la chaleur harasante, mais pas de soucis pulmonaire, tout va bien. Ça doit donc être un tracas d'ordre musculaire.
Viennent les 2-3 km de chemin en balcon jusqu’au ravitaillement d’Hautacam. En théorie, rien de compliqué : pas de caillasse, surface souple, bref, en reco ça se torche en un quart d’heure. Oui mais voilà, ça descend en pente douce, et rebelote, mal au thorax.
Pour ne rien gâcher, commence à naître une irritation au niveau du genou droit, style petite tendinite – rien de bien méchant, mais je commence à angoisser. Au bout d'une trentaines de minutes, j'ai enfin Hautacam en ligne de mir.
L'impression d'être un kébab en plein soleil...
Voilà un ravito qui a su se faire désirer. Je remplis mes gourdes, et décide de me poser 5-10 minutes pour souffler un peu. Mais pas plus. C’est l’hécatombe ici. Si je suis certes un peu rôti, autour de moi je vois des gens carbonisés. Ils ont le regard hagard, certains sont allongés sur des lits de camps. Le cagnard à fait pas mal de dégât, on se croirait dans hôpital de campagne. La base de vie de Pierrefitte n’étant plus très loin, je préfère parcourir la douzaine de borne qui m'en sépare et aller me reposer la bas.
Hautacam – Pierrefitte : 18h55
Je sais ce qui m’attend : 1200m de dénivelé négatif. Ce break m’aura peut être décrispé et je n’aurais peut être aucun mal à descendre.
Hélas, de toute évidence, non.
Je jongle.
Je sers les dents pour maintenir un truc genre 9km/h sur de la piste. La douleur engendre de la crispation qui génère encore plus de souffrance. C'est extrêmement frustrant, surtout que la trace est monocorde et ne présente aucune difficulté.
Je rejoints un concurrent qui marche bon train. Je me cale à sa hauteur dans l’optique de souffler et de papoter un peu. Je ne le saurais que plusieurs jours après, mais il s’agit de Jb600cbr, qui traîne régulièrement sur Kikourou, sur le forum du GRP, et qui a également couru le trail du Hautacam en Juin !
Il confesse avoir déjà eu une gêne similaire à cause du portage permanent de ses bâtons à la main. Une fois remis au sac, les tensions avait disparu.
Intéressant... C'est vrai que je trimbale mes deux brins de carbone à la main depuis presque une quinzaine d'heure maintenant.
Je m’arrête et lutte quelques instants avec le système d’accroche rustique de mon Camp Vest Light. J'ai à présent une sorte de longue antenne latérale jouxté à mon sac, monobrin oblige, mais j’ai enfin les mains libres. Je rejoins JB et nous faisons la fin de la descente jusqu’à Villelongue ensemble, à la cool.
C'est pas le Pérou mais ça va mieux. L’inconfort, bien qu’encore présent lorsque j’arrive à la base de vie, est devenu tout à fait supportable, je n'aurais pas besoin de bifurquer vers le sanatorium...
Interlude à Pierrefitte : 20h08
Autant le dire d’emblée, j’ai fait le gros débile à cette base de vie.
J’aurais dû prévoir en amont l’ordre des choses à faire – j’ai préféré m'agiter de manière décousue, et ça m’a coûté du chrono sur place et par la suite.
Déjà, au lieu de commencer par me restaurer et boire, je file avec mon sac me changer dans les chiottes. M’arc-boutant et me dessapant à chaud, je me déclenche des micro crampes qui ralentissent l’opération.
Secundo, toujours au lieu de me sustenter, je remplis mon camelbak et mes gourdes, refait mon sac, me Nok les pieds, change les piles de la frontale…
Tersio, manger ? Ah non tiens, y a une place de libre au kiné. J’en ai pas vraiment besoin, mais bon, un ptit massage, pourquoi se le refuser.
Bon voilà ! Fin prêt à repartir ! Ah non merde c’est vrai, faut que je bouffe ! Et put***, déjà 50 minutes que je glande ici ! Vite ! Aller ! Deux bols de pattes, du jambon, du fromage, de la compote, du coca, et on the road again !
Pierrefitte – Pouy Droumid : 22h43
Je suis bien. J’ai du jus, je suis en avance sur mon chrono le plus optimiste et il fait encore jour : paré à allumer le Cabaliros. Ça va gicler.
Sauf que non.
Arrivé sous sous les premiers bosquets, alors que je rattrapais déjà d’autres coureurs, voilà la nausée qui s'en vient. Et merde.
Il est 20h passé, et bien qu’il fasse encore chaud, je comprends vite que cette envie de gerber ne vient pas de là. Je me suis goinfré comme un porc sans prendre le temps de digérer, et mon estomac m’en veut profondément.
Me traitant de tous les noms, je décide de ne pas m’arrêter mais de baisser drastiquement l’allure histoire d’octroyer un peu de sang à ma digestion. Mon estomac me pardonnera peut être. En tous cas je fais tout pour m'excuser : je pète et je rote.
Petit jeu : doser sa vitesse en tenant compte d'une digestion périllieuse.
Du coup c’est chiant, je me traîne, je laisse plusieurs coureurs revenir sur moi. Je me dis que j'ai pris toute cette avance en vain. J'ai peur de m'être cramé.
Je prie vraiment pour que ça passe.
Je ne suis pas le seul à aller mal. Quelques coureurs moribonds redescendent vers Pierrefitte. J’en entend même un qui, près de me rejoindre, subitement stop et fait machine arrière.
Ils me donnent de mauvaises idées les bougres. Ça sera la seul fois pendant l'épreuve, mais le warning « ABANDON » clignote vraiment fort dans ma tête.
J'essaye de faire contre mauvaise fortune bon cœur : j'ai fait le con mais ça finira bien par passer, et puis pendant ce temps là je m'économise. Quand cette lamentable passe sera derrière moi, j'en rirais à coup sur.
La vue m'aide également à traverser ce calvaire. Le soleil est en train d'aller se coucher et il règne dans les sous-bois une délicieuse pénombre. Il va falloir allumer la frontale mais je retarde l'échéance. D'énormes masses orageuses émergent des pics à l'horizon. Elles sont trop loin pour nous inquiéter, mais sont fichtrement balèzes et toutes orangées – c'est simplement grandiose.
On glisse petit à petit dans la nuit. Sortie du couvert des arbres, nulle trace de nuage mais des étoiles comme s'il en pleuvait. En me retournant, je peux apercevoir les frontales de mes poursuivants les plus proches, mais aussi la file de ceux qui descendent depuis Hautacam sur le versant opposé, à plusieurs kilomètres de là. Les cumulonimbus aperçus au crépuscule crépitent silencieusement derrière le sommet. Puis la nausée rend l'antenne. Enfin.
La forme revient. Je me félicite de ne pas avoir renoncé.
Le temps d'arriver aux tentes de Pouy-Droumid et j'ai déjà repris la majeur partie des coureurs qui m'avaient déposés dans les pentes du Cabaliros.
Il y a une super ambiance sous les tonnelles. Après avoir bu et mangé, je vais m'allonger. Je n'ai pas sommeil, mais j'ai envie de me faire une micro-coupure. Je ne dors pas, mais me relève au bout de cinq minutes avec l'impression d'avoir fait peau neuve.
Pouy Droumid – Cauterets : 1h53
Je repars seul dans la nuit. Ça dégringole gentiment dans les fougères, mais je n'ai plus aucun problème thoracique.
J'aborde l'ascension vers le Col de Contente calmement. Ça commence aimablement par de la piste et un sentier bien tracé. Je sais que la suite va être plus coton. Un bidule genre 400m de D+ à s'avaler mais sans chemin, droit dans l'herbe, sur une pente qui ne laisse aucun répit.
Ce raidillon à l'air de faire du dégât dans nos rangs, mais mes nausées m'ayant permis d'économiser un peu, j'avance à grandes enjambés et sans faire de pause. Comme d'habitude, l'appréhension vient plus du kilomètre de négatif qui succède et pique vers Cauterets.
Arrivé sur la crête, c'est encore une grosse claque visuelle. Vue plongeante sur la vallée illuminée, et droit devant nous, dans le ciel, on dirait que Zeus nous mitraille avec un Kodak géant. Ça flash dans tous les sens, mais silencieusement.
La plongée sur Cauterets se déroule finalement pas trop mal. Sur la première moitié, je conserve mes bâtons à la mains en cas de passages trop pentu. Aucun blocage et respiration OK. Je marche et trottine à l'économie.
Sur la seconde partie, je les attache au sac et je dévale tout en douceur. Je débouche dans les rues en bonne forme. Je m’aperçois que j'ai toujours ma gêne au genou droit, mais bizarrement ça n'a pas empiré – c'est là et je n'y fais même plus gaffe.
Le ravito est assez désert. Un bénévole me dit que je suis genre 80ème. Je n'en reviens pas. Je sens bien que j'ai de l'avance sur mon planning, mais bon, tout de même...
Cauterets – Aulian : 4h53
Les 1000 de D+ jusqu'au Col de Riou démarrent paisiblement. Rien de compliqué, ce n'est jamais très escarpé. En me dirigeant vers les thermes d'où commence le GR, je suis rejoints par un autre traileur. On fera une bonne partie de la montée ensemble tout en bavardant. Nous croisons deux jeunes légèrement éméchés sortant probablement de fiesta. Leurs encouragements bien qu'incongrus sont des plus revigorant.
Au bout de quelques lacets, nous rattrapons un troisième coureur qui s’avérera finir premier V2. Nous voilà à progresser en trio. Je donne le rythme. On avance bien voir très bien, et je suis facile. C'est assez étrange mais j'ai l'impression qu'il m'aura fallu attendre Pouy-Droumid pour enfin être échauffé et dans la course.
Au sortir du couvert des arbres, je crois avoir ma première hallucination : je vois une sorte d'énorme galet blanc posé en travers du chemin. Mais il s'avère que se rocher subitement se met à bouger. Il se « Meuh ». Blague ! C'est une énorme vache qui s'est couchée là.
En me retournant, un nouveau spectacle me laisse béa : Je vois une file discrète de loupiotes qui dessine le trajet du Col de Contente vers Cauterets. C'est magnifique.
Peu avant le sommet, je décroche mes deux acolytes et file en solo jusqu'à Aulian. Je ne me souvenais pas que ça redescendait autant – En plus la trace est parsemée de vaches. Elles me regardent l'air de dire :
« où tu crois aller comme ça ? Tu crois pouvoir nous slalomer impunément ? Essaye un peu pour voir... »
Donc je contourne.
Montage pourrav : des vaches et de l'insécurité.
Au ravito, alors que je me Nok les pieds, je remarque deux belles ampoules remplies de sang derrière chaque talon, on dirait des petits coussinets. Ça n'est presque pas douloureux, donc je décide de m'en foutre.
Je m'impose une nouvelle coupure de cinq minutes allongé dans un lit de camps au calme et dans le noir. Je ne dors toujours pas, mais ça fait un bien fou. En revanche, mon GPS, lui, c'est définitivement endormi faute de batteries. Pas grave, je ferais sans, ce n'est pas lui qui me fera courir plus vite de toute façon.
Une gentille bénévole m'apporte une bonne tasse de café : il n'y pas à dire, ces gens sont aux petits soins avec nous. Par contre, et ça je l'attendais depuis Hautacam, je parviens ENFIN à aller aux toilettes pour faire la grosse commission. Je suis un homme neuf, totalement comblé.
L'instant trail et scatologie, I believe I can fly...
Aulian - Luz : 7h02
Je repars vers Luz en compagnie d'un de mes comparses de grimpette. La trace coupe à travers champs d'amples lacets de route jusqu’à rejoindre le GR. C’est facile. La déclivité croît, mais le terrain est souple et peu piégeux, parfait pour trotter. Je lâche mon binôme et descend en solo jusqu’à Sazos. Débouchant des bois, je m’aperçoit que le ciel à rosi. L’aube prend la relève. J’ai un petit pincement au cœur à laisser cette nuit douce et plaisante derrière moi.
La portion goudronnée qui achève de nous conduire à Luz est terriblement chiante. Il s'agit d'une bonne grosse route bien casse burne comme on ne les aime pas. Le revêtement tape dur, et je privilégies une marche efficace à une course casse-pattes.
À quelques encablures de la base de vie on se mêle aux dossards vert. Ces coureurs du 120 ont l’air plus entamé que mes comparses du 160.
Cette fois-ci, hors de question de répéter les conneries commises Pierrefitte. J’arrive au ravito, je bip, je récupère mon sac, et je vais MANGER directement. Un podologue étant disponible, je me fait rafistoler les talons. Ce n’est pas indispensable, mais j’ai encore pris de l’avance sur mon chrono prévisionnel, alors autant en profiter. Il me retire une copieuse quantité de jus d’ampoule et me scotch les pieds.
Mais ça fait pas trop mal.
Je ressors de là au bout de 45 minutes. Il est quasiment 8h, il ne reste plus qu’un marathon à parcourir et je pète la forme – Je sens que le chrono au-dessous des 38h est à ma portée. Finir avant la nuit serait vraiment le pied.
Luz – Tournaboup : 10h11
Un petit vent de panique souffle sur mes talons lorsqu’au bout d’une centaine de mètre, je me rend compte que mes ampoules nouvellement soignées me font nettement plus souffrir qu’auparavant. Fort heureusement, la douleur se dissipe au bout du premier kilomètre.
J’avance bon train. Je ne connais pas la trace de ce côté du versant, mais grosso modo c’est assez uniforme, pas de gros casse pattes alors j’avale ça sans trop de soucis. Je reviens sur pas mal de concurrent du 120, mais les dossards bleus du 160 se font rares. J'avoue, à présent, en plus du chrono j’ai des ambitions de classement : au minimum celle de conserver ma position, et puis éventuellement d'aller carotter quelques places.
J'abrège au maximum l’arrêt à Tournaboup - Le temps de manger un petit truc et je quitte la tente au bout de cinq minutes.
Tournaboup – Merlan : 14h24
C’est le segment « marche ou crève ». Une fois engagé dans le Néouvielle, plus d’autre issue que de parcourir les 17 bornes jusqu’à Merlan. Aucune hésitation cependant, je me porte comme un charme, il fait super beau et ça sent la fin !
Je chemine convenablement mais avec prudence. Plus on s’enfonce dans cette vallée, plus la densité de caillasse et de gros empierrement augmente, et il serait fâcheux de se faire une cheville maintenant.
Petit à petit la météo change. Le soleil va se cacher derrière un voile nuageux. L’organisation nous a bien parlé d’un risque d’orage durant le briefing, mais avec le ciel bleu jusqu’ici, je me suis dit qu’on allait y échapper. A mesure que la grisaille recouvre les montagnes, une torpeur s’empare de moi. Pas de la grosse fatigue réclamant du sommeil. Pas de crise de somnambulisme non plus, mais juste une sorte de léthargie, d’engourdissement qui rend la progression dans les rochers plus pénible.
Je m’avale un gel à la caféine, pas sûr que sa me réveille mais faute de mieux... De toute façon j’arrive déjà à la cabane d’Aygues-Cluses. Les premiers gouttes tombent. Je n’ai pas vraiment envie d’enfiler la Gore Tex pour si peu, mais l’eau est froide. A l’instar des autres coureurs, je préfère me couvrir.
Je débarque au pied de la Hourquette Nère, un franc raidillon de 300m. C’est abrupt mais je connais bien, et en posant un pied devant l’autre, ça se franchit d’un coup d’un seul. En revanche la descente qui suit et déboule jusqu’au lac d’Oule est des plus pénible. Il continue de pleuvioter mollement. Ça rend le dessus des rochers glissant. Je parviens quand même à trottiner doucement, et je boulote plusieurs groupes de coureurs.
Un moment donné, j’entends une véritable cavalcade derrière moi, je m’écarte et me retourne : c’est juste Maxime Cazajous qui débaroule en trombe et file vers la première place du 80km. Impressionnant.
Puis vient le chassé-croisé dans la pinède de Bastanet. C’est le bordel : des troncs couchés, des petits rus, une légion des racines saupoudrée sur l’habituel caillasse et des biquettes en plus des autres traileurs. Je me tire cordialement la bourre avec un anglophone au dossard homologue qui visiblement à les arpions dans un sale état. Dans les parties techniques, il a l'air mal à l'aise et je le double, alors que sur le roulant, il me dose. Ce petit jeu à le mérite de me maintenir éveillé en tous cas.
Le ciel est à nouveau bleu lorsqu'on remonte enfin sur Merlan. L’écurie est proche, fini de jouer. Je repasse devant pour de bon. Je suis ragaillardis et il n’est plus vraiment question de s’économiser.
j'ai une de ces patates !
Arrivé au restau, je me sustente rapidement. En discutant avec une bénévole, j’apprends qu’il n’est même pas 14h30. J’ai du mal à la croire et lui redemande l'heure à deux reprises. On dirait qu'un chrono sous les 37h me fait du charme...
Merlan – Vielle Aure : 16h05
Encore le col du Portet à franchir, mais c’est une formalité : il ne doit même pas y avoir 150m à gravir. D’une main je téléphone à ma dulcinée pour la prévenir que je franchirais la ligne d’ici peu, probablement dans deux heures. L’an passé j’avais mis 2h45 pour rejoindre l’arrivée. Mes cuisses étaient fracassées et j'avais du marcher quasiment tout du long.
Je range le téléphone, et me met à piocher avec mes monobrins pour dégommer le D+ final. J’ai la gouache !
Le parking franchi, vient l’heure des 1400m de toboggan ! Ça commence brutalement avec de la piste noire. L’an dernier ça avait été un véritable chemin de croix. Là je dévale en souplesse à coup de petits pas rapide et sans bâtons. Fastoche. Pouvoir courir sans retenue après plus de 150 bornes, c'est vraiment jouissif.
En contrebas, vers la station de ski, je me joint à deux coureurs du 160. En papotant, j’apprends que si on maintien l'allure, dans une heure à tous casser on est en bas. WOW ! Ça me fait carrément miroiter un chrono de 35h, il faut que je me pince pour y croire ! Je profite du replat après Espiaube pour rappeler ma douce et la prévenir de ma probable avance.
En binôme à présent, on continue notre cavale. Je cours en compagnie d’un jeune trailer nommé Florian qui envoie sacrément fort en descente. Mes genoux chauffent un peu mais rien de méchant. La courte monotrace en sous-bois qui ramène aux granges de Lias est un vrai régal, sa tourne-vire, le revêtement est doux et sa rebondi. C'est l'éclate totale.
Encore quelques encablures de piste et on oblique dans les derniers chemins cailloutés. C'est raide et les grossiers pavés sont lisses et glissant. La vigilance est de mise mais on court quand même.
On débouche à découvert dans le bourg de Vignec. Il y règne une chaleur écrasante. Sur ce dernier kilomètre de bitume, on rejoint des petits groupes de dossards verts. Plus question de marcher ici, tout autour de nous ça trotte ! J'aimerais pouvoir accélérer encore, mais l'atmosphère brûlante m'en empêche. Tant pis, ma foulée après 160km reste tout à fait correcte.
j'ai l'air un peu HS mais non non, c'est la luminosité qui me fait plisser les yeux, sisi.
Mon acolyte et moi-même décidons de franchir la ligne d’arrivée ensemble. À l’entrée de Vielle Aure, on allonge le pas. Mais fausse alerte, il faut bifurquer pour contourner la place et arriver par derrière. Second sprint ! Dans la dernière ligne droite, j’aperçois ma compagne dans une rangée de spectateurs. Euphorie totale, je passe la ligne tout sourire.
Je bip, et ça y est, c'est FINI !
35h06’50’’ – trois heure de moins que dans mes prévisions les plus optimistes… et pour ne rien gâcher, une 49ème place. Finir dans le top cinquante avec mon modeste niveau sur une telle épreuve, c'est inespéré. Je nage en plein rêve éveillé, ma tête n'est plus qu'une boule de félicité.
Fiiinnniiishhheuuuurrr
Encore quelques marches à gravir pour aller récupérer la médaille et surtout, le goodie sur le gâteau, le condensat chimiquement pur du narcissisme de coureur d'ultra-fond : le T-Shirt de finisher. Il faut bien pouvoir pavoiser un minimum en faisant son footing autour des quais quoi, c'est bien légitime non ? (bon OK, c'est puéril).
Physiquement, je vais bien, je n'ai mal nul part. J'ai l'impression de finir encore mieux que sur le 80K il y a deux ans. Rejoint par ma bien-aimée, elle me confirme que je n'ai absolument pas l'air entamé ou fatigué mais que toutefois, je pue, ce qui en soit est peu normal.
Rapide check up du bonhomme.
Je mange un bout et attaque la récupération direct en allant planter mes jambes dans la Neste. Il doit être 17h, et il est à présent temps d'aller faire une petit sieste, j'espère secrètement pouvoir aller m'écrouler devant un épisode de Barnaby...
(On a les héros qu'on peut hé)
Résumé :
Ma course en un post-it :
Conclusion :
En quelques mots, si je devais résumer ma course, je dirais évidement que j'ai fait une superbe balade. Si je fais les comptes, j'ai du être dans le dur au maximum pendant 3h. 3h sur 35, ça laisse 91% de moments agréables, à profiter des paysages, de jour comme de nuit. A faire de belles rencontres aussi, que ça soit parmi les concurrents ou les bénévoles... Si on ajoute à ça la jouissance d'un chrono inattendu, c'est vraiment pas mal pour un premier 160.
Cette course m'aura aussi apporté son lot d'enseignement :
À la base de vie, COMMENCER par se nourrir, le reste peut attendre.
Même des bâtons ultra légers méritent d'être parfois remis au sac.
Privilégier une simple montre en mode chrono plutôt qu'un GPS qui se vide à mi course et requiert de la logistique.
Chose dont j'ai peu parlé : nul besoin de trimbaler 2 kg de barre et de poudre énergétique dans son sac, surtout si il fait chaud et que l'on dépense moins de calories. On trouve le nécessaire à chaque ravitaillements - À Pierrefitte j'ai dégorgé mon sac de la moitié de sa bouffe, et rebelote à Luz.
S'économiser c'est bien, mais partir à son rythme c'est mieux (j'ai tendance à partir vraiment tranquille).
S'éviter du stresse en arrivant au moins deux jours avant le départ.
vla le travail !
Remerciements :
L'évidence – Un gros merci à tous les bénévoles présents sur le parcours. Soutiens matériel bien sur, mais surtout moral : toujours moyen de blablater et d'échanger quelques bêtises avec eux histoire de relâcher un peu la pression.
Aussi un gros merci à ma copine que j'ai du abondamment saouler avec mon entraînement cette année, mais qui a eu la patience de venir me tenir la main sur la ligne de départ.
Et un enfin clin d’œil à tous les coéquipiers d'entraînement sur Bordeaux, notamment à Fred (qui fini 14ème avec un temps stratosphérique de 30h24'59'') et qui nous a organisé notre chouette reco en Juillet.
13 commentaires
Commentaire de bouh17 posté le 01-09-2015 à 08:28:57
Quelle belle course, bien gérée, un déroulement impeccable, t'était bien prêt! bravo a toi.
Et beau CR ;o)
Commentaire de Potamochere posté le 01-09-2015 à 08:49:53
Bravo monsieur,
de l'humour, de l'émotion, du suspense, une belle couverture médiatique, un final plein de rebondissements !
un vrai épisode de barnaby !
Commentaire de chrislam posté le 01-09-2015 à 08:53:40
Bravo belle gestion de course!
L'ultra c 'est top quand ça se passe comme ça!!
Commentaire de jb600cbr posté le 01-09-2015 à 10:05:54
super recit !!!! Bravo a toi et encore merci pour le petit bout de route en commun.
Un autre monde ce GRP 160
Commentaire de float4x4 posté le 01-09-2015 à 13:13:33
Bah merci à toi pour ton conseil/astuce concernant l'accrochage des bâtons, ça m'a bien aidé par la suite :)
Commentaire de menez breizh posté le 01-09-2015 à 10:24:41
Bravo Bravo Bravo!!!!
Merci pour ton C R très instructif et tes petits dessins très parlant.
Tes conclusions sont très judicieuses et méritent qu'on s'y attardent.
Commentaire de The Breizh Runner posté le 01-09-2015 à 10:43:07
Bravo, cela donne sacrément envie !!!! super tes post it :)
Commentaire de jack91290 posté le 01-09-2015 à 10:57:27
genial ton c.r, illustre avec de jolis dessins.
bravo pour ton chrono.
Jack
Commentaire de float4x4 posté le 01-09-2015 à 13:12:31
jolis dessins faut pas exagérer lol, mais au moins ça rend la lecture plus digeste :) - Content de t'avoir recroisé en tous cas !
Commentaire de JM2CJC posté le 01-09-2015 à 16:19:55
Yiha ,super recit!!persévérance ...un grand bravo 10/10 en dessin....et tu arrives avant l'orage ...
Commentaire de float4x4 posté le 02-09-2015 à 09:42:07
oui... deux heures plus tard, après ma sieste, j'en croyais pas mes yeux en voyant le déluge sur la vallée...
Commentaire de caro.s91 posté le 01-09-2015 à 19:18:37
Un récit très précis et très instructif -et bien illustré!)
Un grand bravo pour ta course, c'est un excellent chrono que tu nous as signé là !
Caro
Commentaire de arnauddetroyes posté le 01-09-2015 à 22:23:42
Choisir en premier 160 le GRP c était très chaud mais magnifiquement géré pour en devenir Finisher !Jolies dessins et bien agréable CR,Bravo
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