Récit de la course : Lavaredo Ultra Trail - 120 km 2015, par ThomasL

L'auteur : ThomasL

La course : Lavaredo Ultra Trail - 120 km

Date : 26/6/2015

Lieu : Cortina d'Ampezzo (Italie)

Affichage : 2918 vues

Distance : 120km

Objectif : Terminer

11 commentaires

Partager :

Il était une fois dans les Dolomites

Fin aout 2014 après avoir abandonné au 87éme km de l UTMB, je me dis que cette course est arrivée trop tôt pour moi à tous les niveaux. Je cherche donc à faire en 2015 une course plus courte mais sur le même format. Rapidement le Lavaredo Ultratrail me tape dans l’oeil: elle se déroule dans les paysages fabuleux des Dolomites près de Venise, et avec un départ à 23h pour environ 30h de course (a mon niveau) on y passe donc 2 nuits en montagne sans dormir, comme sur  l’UTMB, mais avec une distance plus "raisonnable" de 120km et un dénivelé cumulé de 6000m.

Cortina - Ospitale - Federavecchia 33km / 1600MD+ / 1200MD- Vendredi 26 Juin 23H - Samedi 27 Juin 4h30

Ennio Morricone

Le 26 juin 2015, à 22h30, je suis euphorique. Je suis au milieu du peloton sur la ligne départ surplombée par le magnifique beffroi de Cortina d’Ampezzo. Je suis avec mon poto d’aventures au long cours, JC, et je me sens prêt. Tous les grands rdvs de ma prépa se sont déroulés sans souci: Maxi-Cross, semi de Paris, Ecotrail de Paris 80km, Trail du Salève, XL-Race. Seul mon tendon d’Achille droit couine un peu, mais bon vu les kms et dénivelé accumulés, ça fait partie du jeu. Mentalement aussi je me sens prêt. J’ai rdv avec mon équipe d’assistance 5 étoiles, Flo, ma femme et mon fiston Victor au 66èkm, rien que ça devrait faire passer la première moitié de la course sans souci. Ca y est c’est la musique de départ, on se regarde avec JC: Morricone!!! La classe ces Italiens, ça change de Vangelis... Un thème du Bon, la Brute et le Truand: ‘’L’estasi dell’oro’’ (voir la vidéo à la fin de ce récit). Déjà que depuis notre arrivée on a l’impression d’être dans les Far West, dans le paysages des dolomites dignes du Colorado. C’est parti, on passe la ligne dans une ambiance digne des grands départs des longues quêtes, UTMB, CCC… Le public est à bloc et nous supporte dans les lacets de bitume qui nous emmènent vers la première forêt.
 
JC et moi au départ à Cortina
 
 
Ce qui est bien c’est que je suis constant dans tous mes départs sur ultra. Passé le quart d’heure d’euphorie du départ, les mauvaises sensations prennent le dessus. Ca ne loupera pas, km3, petites douleurs abdominales, km5, la montée démarre et le tendon d’achille tire déjà, tout va bien plus que 114 bornes. Ce qui change, c’est que je sais que ça passera dans quelques heures. En plus JC est en grande forme, et ça discute/vanne à bâton rompu. Mais petit à petit le peloton s’étire et on rentre dans la course. La première partie est très roulante sur chemin large. Les relances sont agréable au milieu des sapins. Toutefois, j'ai les jambes lourdes et décidément ce n'est pas simple pour m'alimenter. Au bout d'1h30 de course je décide de laisser partir JC et de marcher afin d'avaler une barre. Ne pas manger à ce stade de la course serait le meilleur moyen de ne pas même passer la première nuit... Au bout de 2h30 ça va mieux, et je suis une concurrente bien véloce dans la première descente. C'est un monotrace bien ludique et assez vite j'arrive au premier ravito, Ospitale, ancien hopitale de campagne de la 1ère guerre mondiale pour l'ambiance. Je rêve de fruits sauf qu'il n'y a en a plus... Je me rabats sur un gâteau local pas terrible, mais JC que j'ai retrouvé, coupe mes états d'âme et me fais repartir illico. Le chemin qui suit est vraiment très roulant en faux plat montant. On avance bien, et JC décidément en forme dans ce début de course a sorti les écouteurs et me distance dans une montée plus raide. Ensuite, je n'ai plus aucun souvenir de cette portion de course. Les premières images qui me reviennent à l'esprit sont une longue descente roulante. On est vers le 30èkm, et après 5h de course pour la première fois je me sens vraiment bien. J'ai enfin les jambes qui déroulent à plein régime et rejoins JC juste avant le ravito. On refait le plein des bidons, le suivant se trouve 18km plus loin et surtout 1000m plus haut. J'ai prévu entre 3 et 4h de course…

Federavecchia - Rifugio Auronzo - Cimabanche - Malga Ra Stua 42km / 2100MD+ / 1900MD-  Samedi 27 Juin 4H40 - Samedi 27 Juin 14H45

Des hauts

En repartant l'instant est magique, le jour se lève sur l'espèce de cirque dans lequel se trouvait le ravito. Les massifs autour de nous sont gigantesques et très différents ce que nous sommes habitués à voir vers Chamonix. De véritable cathédrales de granite aux sommets découpés qui nous rappellent une fois de plus le Grand Ouest Américain. Le jour naissant me remplit d'une énergie énorme, et petit à petit creuse l'écart avec JC. Nous avons l'habitude de faire le yoyo en fonction de nos états de forme du moment, et comme nous ne sommes jamais loin des temps limites de la course, nous préférons ne pas prendre le risque de nous attendre. Je me retrouve avec un petit groupe d'Espagnols, quand soudain devant nous une famille de cerf, biche et faon traverse la route devant nous en faisant un bond de 3 mètres. La magie du petit matin continue d'opérer. Mes jambes sont toujours en état de grâce, et je distance les Espagnols et me retrouve seul sur un monotrace à flanc de montagne. J'ai 40km, 2000mD+ et 7H de course dans les jambes, et pourtant je file sur un sentier vallonné au milieu des pins. Premier état euphorique, que j'essaie de tempérer, car je sais que je vais passer par des moments difficiles dans les heures suivantes. Il faut profiter de cette énergie pour avancer, mais ne pas la brûler trop vite... Un coureur Japonais (le Lavaredo est une étape de l'Ultra Trail World Tour, donc très international) me rejoint et nous nous relayons pendant une petite heure bien agréable.
 
Nous arrivons au bord du lac d'Auronzo. Je sens des points d'échauffement apparaitre à diverses endroits, et décide de m'arrêter sur un banc pour recrémer mes pieds et éviter la galère des ampoules et autres brûlures. Ces 5 minutes d'arrêt suffiront, pour sonner le glas de mon état de grâce. Je n'arrive plus à dérouler sur ce terrain plat, et mon sac chargé du matos obligatoire me semble bien lourd. Ce n'est pas grave, j'arrive quand même à avancer à une petite foulée rasante de 8km/h et le moral reste au beau fixe. Au 47èkm, ça recommence à grimper sévèrement. Le paysage devient de plus en plus dingue, et je me retrouve soudain bloqué par des vaches stationnées sur le monotrace. J'en profite pour faire une pause photo, puis force le passage pas rassuré: c'est qu'elles ne sont pas coopérantes les bougresses, et en me faufilant contre leurs flancs je redoute un coup de sabot fatal pour la course. La montée est vraiment raide maintenant et je m'accroche à un petit groupe de coureurs que j'ai rejoint. Finalement la base de vie du refuge d'Auronzo, arrive assez vite au 51è km. Il est 9h du matin et le soleil brille suffisamment pour que malgré les 2500m d'altitude je puisse me changer confortablement dehors. J'ai un choc en prenant mon sac de rechange: sur les 1300 coureurs au départ il n'en reste qu'une petite cinquantaine... Je suis déjà au fond de la course. Mais bon j'ai l'habitude des fonds de peloton sur ce type de course hors norme ;) Ce qui m'étonne c'est que je ne vois pas le sac de JC. C'est plutôt une bonne nouvelle, je me dis qu'il a dû me doubler lors de mon arrêt technique. Intégralement équipé en mode été, j'avale une soupe de pâtes, du fromage et une tarte. Jusqu'ici l'estomac tient le coup, c'est plutôt cool. 
 
La montée au refuge d'Auronzo
 

Je repars et découvre que de l'autre côté du refuge une petite bise glaciale fouette les trainards. C'est radical, je suis obligé de recourir direct, malgré le décor à couper le souffle. J'ai sorti les écouteurs et me mets du Morricone pour coller à l'ambiance , c'est génial! Ce qui est moins génial c'est que je n'arrive plus à courir les faux plats montants, mais après 53km et 3000m de dénivelé c'est assez normal pour moi. Suit une descente de 8km et 1000mD-. Là je commence à avoir mal, les cuisses bien sûr, mais je maudis aussi le sac chargé du matos obligatoire qui ne me sert à rien par cette chaleur (pour l'instant ;): malgré la stabilité de l'excellent sac Grivel, les bidons 600ml Raidlight rigides me tapent dans les côtes. Mon tendon d'achille est en feu. Bref ça va pas. C'est à ce moment qu'il faut débrancher le cerveau. Ca ne sert à rien de marcher dans la descente, de toute façon j'ai mal, alors autant courir d'autant plus que j'ai à peine une heure de marge sur la barrière horaire. Et ça marche, j'ai à nouveau le droit à une heure d'euphorie, ou je redouble pas mal de coureurs.
 
Passage au Tre Cime
 
 
Arrivé en bas, il y a une rivière à traverser, ce qui me casse un peu le rythme. De l'autre côté, il y a une piste cyclable en terre battue en faux plat montant pendant... 5km... Super pénible, et en plus il fait une chaleur à crever. Au loin un énorme nuage noir de mauvais augure se forme sur un sommet. Lourd c'est vraiment le qualificatif de ces 45' entre marche et trottinement. Je remonte toutefois encore des coureurs et arrive enfin à Cimabanche au 66èkm, ou m'attendent Flo et Victor. Quel bonheur de les voir! Je suis rincé et à la vue du nombre de coureur en train de dormir dans l'herbe, je décide de m'octroyer 30' de pause. J’apprend que JC est en fait derrière moi, j’ai dû me tromper sur les sacs au refuge. J’espère le voir arriver d’ici peu. Ça me fait un bien fou de discuter avec ma petite équipe et de manger des sandwichs frais. J'aurai du en profiter pour dormir aussi, mais comme c'est mon premier ultra démarrant par une nuit blanche, je ne sais pas encore ce qui m’attend… Au bout de 30’ toujours pas de JC, et à une heure de la barrière horaire je préfère repartir.
 
Au ravito de Cimabanche avec Victor
 
 
Des bas
 
Le chemin est légèrement descendant, j’en profite pour courir. Je traverse la route et attaque une montée de 500m de dénivelé sur 5kms. Rien de très impressionnant  sur le papier, mais très vite je sens que je suis à la peine. Il fait très chaud, et il est 15h. Au niveau du 70è km, au milieu de la montée, c’est la coupure totale de courant. Je titube sur le chemin, nom d’une pipe pourquoi n’ai je pas dormi au ravito? J’essaie de m’accrocher à un groupe de coureur, mais je n’avance plus. Je décide d’appeler Flo pour lui dire que je vais dormir dans la montagne. ‘’Non mais n’importe quoi, tu es seul, comment vas tu te réveiller? En plus tu es juste sur la barrière horaire, accroche-toi tu te poseras au ravito pour dormir.’’ Manifestement Flo a retenu la leçon de l’UTMB, je l’avais briefé de me booster quand je commencerai à essayer de lâcher l’affaire. Je m’accroche, et arrive au sommet en mode zombie. Je garde peu de souvenirs de la descente, je ne me souviens même pas si l’endroit est beau. Il me semble que les jambes sont reparties au milieu et je me rappelle avoir doublé une Japonaise, puis arriver sur le ravito de Malga Ra Stua sous un cagnard invraisemblable. Sur place Victor et Flo m’aident à refaire le plein, je n’ai pas de problème d’alimentation c’est déjà ça. Après une pause de 10’ je repars avec eux sur le sentier. C’est un moment agréable, et le chemin devient de plus en plus sauvage. Lorsque ma petite équipe bifurque vers la route, un Italien très loquace, Marco, me rejoint. Il est marrant, mais c’est hallucinant ce qu’il est bavard! J’aime bien échanger en trail, mais là le mec est vraiment intarissable, ses études, son boulot, sa montagne etc etc En fait ça fini par me motiver pour mettre un peu de distance avec lui, et moi qui me croyait cuit me retrouve à accélérer dans la montée. 
 
Malga Ra Stua - Rifugio Col Gallina 20km / 1250MD+ / 900MD- Samedi 27 Juin 15h05 - Samedi 27 Juin 21h00 
 
Stage de survie

Entrée du Val Travenanzes
 
 
 
Je me retrouve seul dans le début du Val Travenanzes. Quel endroit incroyable. Une vallée au fond de laquelle coule une rivière turquoise, bordée de montagnes gigantesques qui encore une fois rappellent le Colorado. Je reçois un sms, c’est JC: ‘’Arrêté par la BH kil 76… Forza pour toi tu vas le boucler ce monstre’’. Bon au moins il aura déjà fait une belle balade. En ce qui concerne mon cas, la ligne d’arrivée me parait bien loin, je suis au 83è km et les 40 restants ne sont pas les plus simples. Surtout que le ciel se couvre méchamment. Pour le moment j’avance à nouveau bien, je me reprend à trottiner sur des portions de plat sur un chemin large. En bordure de forêt je vois un gars allongé sur un banc entre de piquer un roupillon. Je me pose l’équation récupération versus temps perdu sur les barrières horaires. N’ayant jamais testé le micro sommeil en pleine nature, je ne tente rien, mais le dormeur me doublera à un bon rythme une heure plus tard. Je pense que c’est un nouveau thème d entrainement à aborder en 2016! le sentier monte maintenant à flanc de falaise. Le paysage est de plus en plus sauvage, le temps est lourd, et le ciel entre deux sommets, noir encre.


Roupillon 

 
On est vraiment dans le coeur des Dolomites, le site est inaccessible en véhicule, et la route à 2 bonnes heures de marche. Les coureurs sont espacés, et à cet instant j’ai vraiment un fort sentiment d’aventure, de quête. Un mélange d’excitation et d’appréhension car on sait qu’on ne va pas couper à l’orage, et que ce qu’on lit sur les formulaires d’inscription de ce type de course va soudain prendre tout son sens: "Epreuve de montagne, comportant de nombreux passages en altitude (>2500m), dans des conditions climatiques pouvant être très difficiles (nuit, vent, froid, pluie ou neige), nécessitant un très bon entraînement, un matériel adapté et une réelle capacité d’autonomie personnelle. » 
 
Avant l'orage
 
 
Une goutte, deux gouttes… Ca y est ça commence tomber, mais je repousse le moment d’enfiler la goretex, il fait vraiment très chaud. Juste avant la fin de la montée entre les falaises, il se met vraiment à dracher. Plus le choix. arrêt N°1 pour enfiler la veste. Deux asiatiques m’ont rejoint et nous traçons à trois. Ils sont complètement équipés, pantalon de pluie compris et je commence à regretter le mien que je n’ai pas pris au dernier ravito. Nous arrivons sur un large plateau à 1800m d’altitude. Et là ca devient… dingue. J’ai l’impression que quelqu’un a appuyé sur le bouton ‘’tempête’’ tellement l’orage explose d’un coup. Sous des rafales à 60km/h il pleut à l’horizontale. La foudre claque et la température a dû chuter de 10 degrés. J’ai les jambes rouges vifs, et n’arrive plus à avancer. Le cerveau se met en mode survie et je m’arrête au premier fourré pour enfiler l’intégralité du matos obligatoire qui pèse si lourd quand on dépasse les 10H de course. Là on comprend pourquoi un bas descendant au dessous du genoux est demandé. J’avais eu la même sensation sur la CCC en 2011. Je suis au top en caleçon dans les éléments déchaines, le cauchemar…  Mais 5’ plus tard en mode polaire/knikers/goretex/gants étanches, je repars à l’assaut du plateau, car il ne fait vraiment pas bon trainer ici. La visi est nulle, je suis seul et avance de balise en balise. Le chemin me mène au bord de la rivière. Je vois une balise de l’autre côté. C’est une blague, c’est un torrent ce truc! Tous les rochers sont recouverts par l’eau qui est montée avec l’orage. On débranche le cerveau, on y va pas le choix. Heureusement que j’ai des batons, j’ai de l’eau jusqu’aux genoux et le courant est brutal.Ce bras de rivière fait environ 3 m de large, il est finalement vite traversé, mais de l’autre côté je suis transi de froid. La visi s’est améliorée et vois un groupe de coureur environ à 150m, ça me bouge les fesses, et me mets en tête de les rattraper. Ca me réchauffe direct. Les coureurs se sont arrêtés sous des sapins pour manger un morceau. Je décide de continuer, je sens que le froid n’est pas loin. J’arrive d’ailleurs assez vite à un refuge. C’est hécatombe il y’a des types explosés partout. Je me renseigne auprès du gardien pour savoir combien de temps il reste avant le ravito: ''7km avec encore 500m de D+ jusqu’au col à 2500m, une descente et un petit coup de cul. Je dirai 2h/2h30’’. Ca me met un coup d’entendre ça, pourtant c’était bien sur mon plan de course. Je refais le plein d'eau et repars direct, ça ne sert à rien de trainer, toutes mes affaires sont sur moi, et vu l’état de mes pompes, il ne vaut mieux pas laisser les pieds se refroidir.
 
Embellie temporaire
 
Sur le début de la montée au col, je remonte beaucoup de coureurs en petite forme. L’orage a vraiment fait des ravages. Mais aussi brutalement qu’il est arrivé, le temps change vers le beau et des trouées de ciel bleu reviennent. Je me dis que j’ai eu de la chance de le prendre sur le plateau, dans la montée du col à plus de 2000m ça a du être monstrueux. Le miracle de l’ultra se reproduit: j’ai un nouveau regain d’énergie, j'écoute de la musique et profite du moment dans un paysage incroyable. La lumière est fantastique, rasante et l’ocre de la montagne contraste avec le ciel d’encre de l’orage qui s’éloigne. J’arrive au col dei Bos en 45’, carrément correct pour 500m de deniv après 20h de course! Coincidence, mon iPod envoie du Morricone juste à cet instant et je suis soufflé par la vue. A nouveau de paysage de Far West s’étend au loin dans une ambiance post orage dramatique. 90è km et je file sur le sentier entre les blocs de granite comme dans un rêve. J’appelle Flo qui est déjà au ravito: ‘’ça va super bien je suis là dans une heure!’’ . Sauf que si je descend à un bon petit rythme les 3km des descente et 500mD-, j’avais oublié le petit coup de cul de 200MD+ et sa descente juste derrière. Les hauts et bas alternent de plus en plus vite: pour 1h15 de bonheur, je me traine pendant 45’ pour atteindre le ravito du Col Gallina au 95è. Après avoir rêvé d’une salle fermée pour me poser 30’ et me changer pour la seconde nuit, je déchante devant les tables posées dehors en plein courants d’air sur un terrain détrempé par l’orage. Le Col Gallina verra 135 abandons sur 300… Heureusement devant ma mine déconfite, un bénévole m’amène une soupe de pâtes chaude qui me fait un bien fou. En revanche, je suis rincé dans tous les sens du terme. Posé sur un banc, je suis hagard, incapable de me bouger. C’est là que mon équipe de choc arrive et me sauve la course une première fois. Flo impressionnante d’organisation dans le stress me rééquipe de la tête au pied pour la nuit. J’ai l’impression d’être une 4L sur un stand de formule1. Les gars du ravitos sont déjà entrain de plier les tables, mais Flo arrive à me faire repartir à 21h30 pétante (barrière horaire): ‘’allez hop hop hop on se bouge!’’. Wow, je suis le dernier de ceux qui sont encore en course, et je pars pour… une seconde nuit blanche en montagne, et je suis en train de… courir!
 
Far far west au Col dei Bos
 
 

Rifugio Col Gallina - Passo Giau 7,4km / 600MD+ / 300MD- Samedi 27 Juin 21H30 - Samedi 27 Juin 23H58
 
Petite escapade en enfer
 
La nuit tombe vite, et je ne pourrais pas profiter du magnifique paysage des Cinque Torri. Assez rapidement je me retrouve dans l’ascension du Col Averau à 2400m. Je double 4 coureurs dans la montée dont un qui a de sévères problèmes gastriques. Moi-même je commence à me sentir très moyen au niveau du ventre. Je comprend assez rapidement que cette montée va être un calvaire et que j’allais toucher mes limites. Je m’arcqueboute sur mes bâtons. Je n’ai plus rien dans les jambes et les bras, et ne vois plus que d’énormes bloc rocheux dans la lueur de ma frontale. Je sens mon coeur palpiter dans ma gorge, et le classique ‘’mais qu’est ce que je fous là?’’ commence à résonner dans mon crâne. En voyant une balise au loin, il me faut une certain temps pour comprendre que je ne suis plus dans le chemin, mais à côté en train de galérer. ‘’Ok, j’ai compris c’est fini. Ca devient n’importe quoi il faut que je m’arrête’’. Je fini par arriver au Col où se trouve un refuge. Une équipe de secours a préparé du thé. Je m’assois, et leur annonce que je m’arrête au prochain ravito. La descente de l’autre côté du col est raide, j’ai tellement mal aux quadris que de toute façon il faut mieux courir pour l’abréger. En bas il y’a un feu, et je vois 3 gars équipés pour marcher de nuit: les serre-files qui s’apprêtent à fermer la course. Ce coup-ci ça sent vraiment la fin. Ils me disent d’être très prudent dans la portion à suivre jusqu’au Col suivant, le Passo Giau, où je vais retrouver Flo et Victor. Je regarde le chemin au loin. Il a l’air de passer à flanc de montagne, et je vois des frontales qui se dirigent un peu dans tous les sens. Je me lance à mon tour dans cette traversée et effectivement c’est assez impressionnant. Le sentier est accroché à la montagne, très raide dessous et dessous. Il ne faut pas  faire un pas de travers. Je regarde mon gps: 23h30. La barrière horaire est dans une demi heure et il me reste 2km bien techniques. C’est clair je suis trop juste et de toute façon depuis le refuge Avau j’ai décidé d’arrêter. La barrière horaire est une manière honorable d’éviter l’abandon, et j’aurai passé la barre des 100km, donc je décide de prendre mon temps. Le moment est assez magique, la nuit est maintenant claire (et froide) et j’avance sous un ciel étoilé. En arrivant dans un passage de blocs rocheux je suis rejoins par un coureur Italien d’une soixantaine d’année. Le genre montagnard aguerri qui me fait signe d’accélérer. Je comprend ‘’Il termino la gara’’ ou quelque chose dans le genre. Je lui fais signe que je vais m’arrêter, le laisse passer, et lui emboite le pas. A deux frontales dans les blocs on appréhende mieux le chemin et on arrive relativement vite sur la croupe de la montagne. Je le laisse partir dans les marches de la descente, mais il y a de grosses rafales de vent et ça caille. Cela me motive pour recourir et de toute façon dans 5 minutes c’est terminé. ‘’Papa, papa dépêche toi! Tu vas passer la barrière horaire!’’ Victor est venu à ma rencontre et me fait galoper jusqu’au ravito. ‘’Mais non Victor, il est minuit, c’est trop tard ils vont me bloquer’’. En arrivant je regarde mon gps: 23h58, put…je vais être le dernier coureur à passer la barrière.  Devant le fiston, je me fais biper au check point et demande: ‘’Je suis arrivé trop tard, je dois m’arrêter? Non, non, c’est bon tu peux continuer. Heu… Mais je dois repartir tout de suite? -Ne traines pas mais tu peux prendre un thé.’’ Flo intervient: ‘’C’est super tu viens de passer la barre des 100km!’’ Moi:’’Oui mais vraiment j’en ai trop bavé sur le col Averau, c’est la dernière fois que je fais une course comme ça, c’est vraiment trop dur, je n’ai pas le niveau pour faire ce genre de truc de débiles.’’ Victor:’’ Ben justement si c’est la dernière fois que tu fais une course comme ça, tu devrais aller au bout pour ne pas avoir de regret comme à l’UTMB… 100km c’est génial, mais là tu te rends comptes tu n’as plus que 20km pour être finisher d’une course de 120km!!’’ Moi: ‘’Heu… Bon ben… Flo tu aurais mon pantalon coupe vent?’’ ‘’Oui!’’ Et me voilà entrain d’enfiler les couches, en buvant un thé. ‘’Pronto!’’ c’est le vétéran qui me fait signe qu’il faut y aller. Flo (petite voix): ‘’tu devrais partir avec lui, il a l’air cool.’’ Moi: bon ben soyez prudents sur la route et à demain matin. MERCI!’’ 
 
Passo Giau - Cortina 18km / 400MD+ / 1450MD- Dimanche 28 Juin 00H05 - Dimanche 28 Juin 04H43

L’odeur de l’écurie 
 
Je n’y crois pas… Ca fait 25h que je suis sur cette course barjots, et je vais m’en mettre 5h de plus… Nous trottinons avec mon nouveau poto, mais au bout de dix minutes il s’arrête, le nez sur son gps. Je l’attends, mais il me fait signe d’avancer. Heu non mec, je ne vais pas te laisser seul en pleine nuit à 2000m d’altitude. Mais il insiste pour que j’avance. A environ 300m derrière je vois 2 frontales avancer: les serre-files. Bon… Je repars seul, un peu surpris, mais je me dis qu’il n y’a pas de risque avec les serre-files qui arrivent, et le gars n’a pas l’air mal. Une envie pressante peut être... Face à moi je vois des frontales avancer à flanc de montagne, puis d’autres tracer une ligne verticale jusqu’au sommet jusqu’à se perdre dans les étoiles. C’est… magique. Et une nouvelle fois, les jambes repartent te je me retrouve à courir. J’entends des cloches de vaches, pourtant je n’arrive pas à les situer dans la pente. Premières hallucinations? Je ne saurais jamais, mais pour le moment je nage dans le bonheur. J’arrive en bas de la pente pour passer un avant dernier col, le Forceralla Giau. C’est un mur qui se dresse devant moi. Je me retourne et vois au loin sur le sentier 3 frontales ensemble, tout va bien, mon pote vétéran est reparti. Je me mets Tame Impala dans les oreilles et attaque la montée dans ma bulle psychédélique. Il me faudra moins de 20' pour franchir ces 250m de dénivelé. Faire du 750m/h après 25h de course, je ne comprend pas ce qu’il se passe… Et ce n’est pas fini, sur la descente de l’art côté, j’ai l’impression d’avoir récupéré mes jambes du 50èkm lors de la descente du Tre Cime. Je rattrape 4 coureurs, passe avec eux le dernier coup de cul de 100mD+, et c’est parti pour 11 km de descente jusqu’à l’arrivée. Au loin je vois les lumières de Cortina. Il est 2h du matin ça laisse 3h avant la fermeture de la course, je me dis qu’à moins d’avoir un accident je vais être finisher. Bon nous ne sommes pas non plus dans la forme au départ d’un semi marathon, et rapidement les quadris contractent lors du slalom dans la caillasse. En plus l’estomac pour le coup est vraiment bloqué et je ne peux plus rien avaler. Je mets quand même 20’ pour parcourir les 2km et 300m de D- restants jusqu’au dernier ravito. Au ravito, j’enlève les couches, la température remonte rapidement en perdant de l’altitude. Je regarde le plan de route, il semblerait que je ne sois pas au bout de ma peine. Un symbole passage dangereux figure au milieu de la descente. la dame qui tient le ravito me confirme: ‘’le chemin est très mauvais et en bord de falaise, be very careful’’. J’observe les coureurs autour de moi, manifestement personne n’arrive plus à s’alimenter. Certains prennent une bière, en m’expliquant qu’il n’y plus que ça qui passe. Moi si je fais ça je m’écroule!! Je me force à avaler quelques carrés de chocolat et décide de repartir car cela fait 15’ que je suis à l’arrêt… Le temps passe vite sur les ravitos après de longues heures de course. Il ne reste que 2H15 pour parcourir le 9 derniers km, et si le terrain est technique, il va bien me falloir ça.
 
Trip hallucinogène
 
Le début de la descente est raide et caillouteux, mais reste « courable ». Le sentier est effectivement en bordure de falaise, il faut être vigilant. Je descends sans musique, pour être concentré au maximum. Le sentier rentre dans la forêt, et quelque chose de bizarre m’attire l’oeil: j ai vu un extincteur rouge accroché dans un sapin!! Pour être précis, mon cerveau me dit: ‘’ tiens, un extincteur contre les feux de forêt’’. Sauf qu’en me rapprochant je réalise qu’il s’agit de la rubalise rouge North Face pour le balisage de la course. Ok, ça y est les hallus sont là, j’avais déjà vécu ça en pleine nuit sur la CCC et les 80km du mt Blanc. Je règle ma frontale en position maximale, histoire de limiter les surprises. Et dans les cinq minutes je vois un animal traverser le chemin, je m’arrête net. Rien. Je repars à l’affut du moindre signe et comprend que ce sont les ombres de la végétation qui me jouent des tours. Bref je suis en grande forme. Et là le sentier devient vraiment chaud, à nouveau en bord de falaise avec des passages ardoisés très raides sécurisés par une main courante. Finalement le fait d’être concentré sur le terrain oblige mon cerveau à rester concentré. Mais il me semble que cela dure des plombes. Le sentier finalement rentre à nouveau dans la forêt et devins un véritable toboggan de boue. Un grand classique de fin de trail, sauf qu’avec 115 bornes dans les pattes, ce n’est vraiment mais alors vraiment pas ludique. Les arbres m’entendent râler. Au bout d’une éternité, j’arrive sur un chemin plus large. Il y a une voiture garée sur le côté. Ah non ce n’est pas une voiture, mais un rocher avec de la mousse qui pousse dessus (je vois littéralement la mousse pousser!!). Et bien mon, gars je pense aux gars de la Diagonale des Fous qui enchainent trois nuits blanches, ça doit être Disneyland la troisième. Je crois surtout qu’il faut arriver à faire des micro siestes régulièrement pour éviter le trip hallucinogène, certes ludique, mais quand même un peu angoissant en pleine montagne. Un peu plus bas je passe un poste de secours, et il y’a un coureur asiatique qui est entrain de se faire soigner. Le gars a l’air de s‘être pris une grosse buche, j’espère qu’il pourra repartir. Après avoir confirmé que tout allait bien pour moi, j’arrive à avaler une barre et recommence à trottiner, motivé comme jamais d’arriver avant les 5h du mat. Il est 4h15 et il reste environ 4km de chemin légèrement vallonné, ça devrait le faire sans souci. Soudain une nouvelle ombre apparait dans les arbres, je me retourne un coureur arrive à un sérieux rythme derrière moi. Il me dépasse, je reconnais le Japonais avec qui j’avais couru une vingtaine d’heures auparavant vers le Tre Cime. Quand je le vois de dos, vu comme il est couvert de boue je réalise que c’était le coureur qui se faisait soigner au poste de secours. Mazette le mec est motivé pour finir, qu’est ce qu’il envoie! Ca me met un coup de jus, et j’essaie de m’accrocher une vingtaine de mètre derrière lui. Mais le gars me distance. En revanche je mets un point d’honneur à intégralement courir ces derniers 4km. Je finis par sortir de la forêt et devant moi je vois Cortina, son Beffroi éclairé.Les cimes des montagnes autour qui commencent à rougeoyer avec l’aube. La deuxième aube de la course… J’ai les larmes aux yeux, c’est trop bon, c’est trop beau, je repense à ce moment de vie incroyable que m’a offert ma petite équipe, le cadeau de mes 45 ans que j’aurais quelques jours après. 4h43, je franchis la ligne d’arrivée, je viens de courir 119km et 5850m de dénivelé positif. Je suis finisher d’une étape de l’Ultratrail World Tour!
 
Epilogue:
 
Le matin sur Facebook je suis fier de cette victoire personnelle, mais j’annonce que je ne ferai plus de course de cette longueur, trop difficile pour mon niveau. Lucie, ma petite philosophe de 15 ans qui ne pouvait pas être là pendant la course commente: ‘’papa, tu devrais attendre quelques jours avant de d’écrire ce genre de chose. C’est certain que tu vas vouloir recommencer, et ça fait vraiment parole de pochtron’’. Bien sûr qu’elle a raison. Et bien sûr que de boucler un ultra c’est douloureux. A la différence des courses de 50/60km que j’arrive à maintenant gérer avec un minimum de souffrance et un maximum de plaisir, la perte du plaisir fait partie de l’Ultratrail. Mais est ce vraiment ce qu’on vient chercher dessus? Pour ma part cela reste des aventures inoubliables, des moments d’une rare intensité partagé avec sa famille, ses potes, des inconnus et bien sûr seul. C’est cliché cette histoire de dépasser ses limites, mais c’est tellement vrai en situation. Et c’est une telle leçon de vie, de se dire qu’on peut toujours rebondir mais dans les instants que l’on croit sans espoir. Surtout quand c’est son bonhomme de 12 ans qui vous l’apprend… Vivement que je puisse faire son assistance dans quelques années. Maintenant pour moi le plus important c’est de continuer à respecter l’équilibre familial avec le travail et les entrainements. Vous voyez ce que je veux dire? ;) Car sans ma petite équipe et la patience en or de la Flo de ma vie, je ne pourrai pas finir de tels défis!

Pour les mélomanes, la video de la skyrace (version courte du Lavaredo en 20km/1000mD+) avec en fond musicale le morceau d'Ennio Morricone ''L'Estasi dell'oro'', musique de départ de la course, et un des thèmes récurrents que j'avais dans ma playslist pour me remonter dans les coups de moins bien.


Autre titre phare de ma playlist, redoutable pour ''voler'' sur les longues distances dans des paysages grandioses: Tame Impala ''Let It Happen''...



11 commentaires

Commentaire de eddievedder posté le 18-08-2015 à 16:02:58

bravo Thomas pour ta course ! Quelle aventure et quel mental ! Félicitations

Commentaire de ThomasL posté le 18-08-2015 à 21:50:52

Merci Eddie et lance toi sur le Tour des Fiz, c'est plus court mais aussi beau!

Commentaire de Bruno Kestemont posté le 19-08-2015 à 11:38:50

Super récit, superbes photos. J'ai déjà eu le vertige dans la Brenta et ceci me conforte dans l'idée que ce n'est peut-être pas pour moi. Raison de plus pour profiter du récit.
Merci

Commentaire de ThomasL posté le 19-08-2015 à 22:09:07

Merci Bruno, les passages aériens sont en fin de course donc la 2è nuit si tu flirtes avec les barrières horaires: bref tu ne vois pas le vide ;)

Commentaire de Bruno Kestemont posté le 07-09-2016 à 18:18:34

Et voilà, finalement j'ai suivi tes traces sur le Lavaredo en 2016. Magnifique et même pas eu peur ...

Commentaire de ThomasL posté le 19-08-2017 à 09:50:50

Je viens de voir ton message Bruno, bravo! Facebook m a fait remonter ce recit a 15 jours de l UTMB 2017 ;)

Commentaire de keaky posté le 19-08-2015 à 22:01:32

Merci pour ce récit, tout ce que j'aime!!!! Tu donnes réellement envie d'aller si frotter à ce Lavaredo :) Félicitation!!!

Commentaire de ThomasL posté le 19-08-2015 à 22:29:31

Merci Frank, je te retourne le compliment et tu as confirmé mon envie d'UTB!

Commentaire de Aonikenk posté le 23-04-2016 à 13:23:32

Très bon récit. Je ferai la course dans 2 mois, première fois au-dessus de 100km pour moi aussi. Bon à savoir où se situent les quelques passages techniques et où lever la tête pour apprécier le paysage ! J'espère ne pas galérer autant, c'était vraiment épique surtout la fin apparemment ! En discutant avec d'autres ultratraileurs experimentés, ils me conseillent de dormir beaucoup les jours précédents la course. Peut-être plus efficace que de tenter les micro siestes ??

Commentaire de ThomasL posté le 19-09-2016 à 22:10:57

Salut, je viens de voir ton commentaire. As tu fini la course? Et fait des micro siestes? Thomas

Commentaire de Aonikenk posté le 05-09-2017 à 14:47:25

Bonjour Thomas,
Réponse tardive :) J'ai bien terminé la course en 2016 dans un bon temps (19h30). J'ai fait presque la totalité de la course avec un ami. On s'est perdu de vue 15km après la moitié du parcours mais on s'est retrouvé ensuite. Je me souviens de 3 micro sieste de 5 minutes environ sur le bord du chemin à chaque fois. Difficile de lutter contre le sommeil à la fin de la nuit sur ces longues pistes monotones. Mais quel régal les paysages lorsque le soleil se lève !!

Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.

Accueil - Haut de page - Version grand écran