L'auteur : Grego On The Run
La course : Ultra Trans Aubrac - 105 km
Date : 25/4/2015
Lieu : Bertholene (Aveyron)
Affichage : 2665 vues
Distance : 105km
Objectif : Pas d'objectif
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Ce post va être assez long. Mais je vous en donne la grille de lecture car j’imagine que les lecteurs ne sont pas intéressés par son contenu in extenso. Je sais je sais, j’ai pour habitude de vous livrer un récit linéaire de mes courses qui sont trop longs (et parfois indigestes) mais en fait je l’écris surtout pour moi-même pour me souvenir plus tard. A moins que je ne l’écrive pour mes petits-enfants (que je n’ai pas encore) pour qu’ils se rendent compte qu’à notre époque nous devions nous déplacer et donner de notre personne pour vivre ces épreuves alors que nos progénitures pourront vivre virtuellement n’importe quelle aventure comme l’ascension de deux fois l’Everest en restant confortablement assis dans un canapé grâce aux puces produites par Google implantées dans leur cerveau. On appellera cela la réalité virtuelle augmentée… En fait j’ai besoin d’accoucher sur le papier assez rapidement mes sensations de course car lorsque je les relis beaucoup plus tard je redécouvre totalement la course. La mémoire a une telle capacité d’oubli, de sélection, que je me dois de tout graver dans le marbre assez vite. Le cerveau efface d’ailleurs plutôt les sensations d’effort, de souffrance pour ne garder que les bonnes. Et ce processus s’effectue dans un laps de temps plutôt rapide. Jujez en plutôt : Le soir de la course, dans le gymnase d’arrivée, vautré sur une chaise de laquelle je n’arrive pas à m’extraire, perclus de courbatures je me dis que “le Trail ce n’est pas pour moi, que le prochain prévu à Verbier en juillet est compromis, qu’il va falloir annuler”. Quant à celui de l’Aubrac je me dis que “c’était le premier et le dernier”. Et après une bonne nuit de sommeil le matin au réveil je me dis : “C’était vraiment le pied, C’est quand le prochain ?”. Ce processus est probablement le fruit de la sélection naturelle. Si nous n’avions pas ce processus, ce mécanisme d’oubli de la souffrance, impossible pour l’homme d’aller affronter une nouvelle fois le danger, il serait resté dans sa caverne et aurait péri définitivement.
Bon retournons à mes moutons ou plutôt aux vaches de l’Aubrac à la belle robe marron. Je résume : pour les lecteurs qui ne sont pas intéressés par le témoignage de la course en tant que telle c’est à dire le déballage de mes émotions, le sang, la sueur, et les problèmes intestinaux intempestifs, mais qui sont plutôt attirés par le côté analytique et le fruit de mon cortex cérébral alors je les invite à passer directement à la fin du récit pour les aspects réflexions sur la nutrition / analyse de performance / matériels etc… Quant aux autres accrochez vous, l’Ultra c’est long et on attaque maintenant.
Préambule :
Janvier 2015 : une envie subite de m’inscrire à un Trail de montagne. Je jette mon dévolu sur celui de la X-Alpine Verbier Saint Bernard : 111 kms et 8000 D+. Mais je me dis qu’il faudra un “petit” trail pour me faire les jambes. Et là je tombe sur celui de l’Ultra Trans Aubrac 105 kms et 3600 D+. Et comme j’adore cette région, que cela colle bien à mon agenda, je m’inscris. Voilà comment je me retrouve là.
Le Récit de l’Ultra Trans Aubrac 105 kms / 3600 D+
Réveil à Paris à 5h45 heures du matin, direction Orly. Je n’arrive pas à m’assoupir dans l’avion. Atterrissage à Rodez à 10h30. Après la visite de la ville sous un magnifique soleil je déjeune au café Bras, visite le musée Soulages (cela vaut le coup), goûte au café Bras (encore, mais on dit de moi que je suis un vrai pilier de salon de thé) et puis je me dépêche pour arriver après 40 minutes de voiture dans le joli village de Saint Geniez d’Olt vers 17h30.
Je m’installe dans un hôtel avec une vue imprenable sur le Lot, dépose des affaires puis reprends la voiture pour aller à Bertholène pour le retrait des dossards situé à 30 minutes de route. Retour à Saint Geniez d’Olt qui sera le village d’arrivée de cet Ultra. En fait je suis inquiet de n’avoir pas eu le temps de faire une sieste. En effet il est prévu de prendre une navette à 4h30 du matin pour convoyer les coureurs à Bertholène qui est le lieu du départ. Donc pas de moment de repos comme prévu faute de temps, néanmoins je me retrouve dans mon lit assez tôt à 21 heures (record du monde pour moi depuis 20 ans) après avoir avalé une barquette de frites (très rare également). Cela dit, me coucher à 21 heures ce n’est pas vraiment mon heure. Et à minuit... je n’ai toujours pas fermé l’œil. Je n’arrête pas de me tourner et me retourner. L’adrénaline a déjà commencé à monter et donc s’endormir va devenir une affaire de plus en plus compliquée. Je décide de me lever pour manger une des pâtisseries que j’ai préparée pour la course (des financiers). Je lis le dernier Zatopek qui donne des conseils sur le renforcement musculaire adapté aux traileurs. Je n’ai jamais effectué les exercices indiqués et il est probablement un peu trop tard pour les mettre en application à 5 heures du départ. Finalement je vais enfin m’endormir vers 1 heure du matin pour un réveil spontané à 3h05. Une nuit blanche aurait été désastreuse, en revanche le fait d’avoir au moins validé le premier cycle de sommeil (le plus important et le plus réparateur) n’est pas si mal. Et puis j’ai lu le livre du grand marathonien Meb Keflezighi qui indique lui-même qu’il dort très très mal la veille d’un marathon et notamment celui de Boston qu’il a remporté. Alors si j’ai eu une nuit aussi pourrie que celle de Meb je me dis que c’est vraiment de bon augure pour la suite. Après 2 heures de sommeil, l’excitation aidant, je suis sur les startings blocks, frais comme un gardon ! Je file en voiture vers le lieu de départ de la navette. 4h30 : départ de la navette qui est bondée de coureurs. J’essaie de m’assoupir en vain. De toutes manières je suis souvent malade en voiture alors dans un bus qui prend des virages serrés c’est pire, vivement l’arrivée pour éviter de dégobiller ma bile sur mon voisin. Oui de la bile, car mon estomac est vide, en dehors de mon financier nocturne je n’ai rien d’autres dans le ventre, et en dehors d’un bol de thé je n’ingurgiterai rien d’autre avant le départ. J’ai besoin de me sentir léger et de ne pas perturber ma digestion.
Enfin, nous arrivons à Bertholène à 5 heures du matin. Nous attendons dans une salle des fêtes. Il faut tuer le temps jusqu’à 6 heures. J’observe mes collègues traileurs dont certains sont super balèzes. Il y a même un type impressionnant qui aurait pu être la doublure de l’acteur jouant Superman…mais en mieux ! J’ai l’impression de ne pas être à ma place. C’est la première fois que je suis inscrit à un Ultra (i.e. course avec une distance supérieure à 100 kms) et en discutant avec certains je m’aperçois que leur palmarès (UTMB, UT4M, Les Templiers) est à des années lumières du mien. Et lorsque l’on me demande « Et toi tu as couru quoi ? »… C’est avec quelque embarras que je réponds « euh et bien les 5 dernières SaintéLyon », on me regarde d’un œil un peu narquois, surtout Superman qui n’a pas eu besoin de me passer sous les rayons X pour apprécier la faible menace que je pouvais représenter pour lui en terme de rang au classement final.
Le speaker nous annonce qu’il devrait y avoir des orages mais que la météo s’améliore d’heure en heure et qu’en fin de journée cela devrait se découvrir. La météo je la connais par cœur pour avoir fait des checks compulsifs sur smartphone tous les jours depuis une semaine sachant pertinemment que jusqu’à J-2 cela ne sert à rien…. Je dépose mon « sac de change » (sac poubelle avec des vêtements de rechange que je pourrai récupérer au ravito de Laguiole au Km 54) et fait checker mon matériel obligatoire auprès de l’organisation. Procédure obligatoire avant de se faire badger pour initialiser la puce du dossard.
Il est 5h45, il est temps de monter au pied du château en ruine de Bertholène (distance non incluse dans les 105 kms). 6 heures, le château s’embrase, feu d’artifice, une musique retentit et c’est parti.
Etape 1 : du château de Bertholène à Saint Côme d’Olt (22 kms)
Et cela part très vite, je ne comprends pas bien. Il faut noter qu’en plus des 222 coureurs de la course solo 105 kms il y a également 75 autres coureurs sur le format « 4 relayeurs ». Ces derniers ne courent donc pas la même course et filent à un autre rythme pour tenir 22 kms jusqu’au prochain passage de témoin à Saint Côme.
Ce premier parcours est très roulant. Le sentier est très sec. La cohorte de coureurs illuminant le chemin avec les frontales n’a rien à envier au ballet de lumière de la SaintéLyon. C’est parfois superbe. Superman vole et me double en un éclair de cape, je ne le reverrai plus.
Ma stratégie hyper poussée est la suivante. Ne pas dépasser les 80% de FC Max, en aucun cas même dans les montées (surtout dans les montées puisque c’est là que les pulses montent). Et surtout prêter attention dans les plats, descentes et faux plats à bien rester dans le range 70 / 80%. Et surtout arriver à Saint Côme frais comme un gardon. Cette première étape de 22 bornes doit être une étape de mise en chauffe, rien de plus.
On sent que le jour se lève, j’entends le son du coq. Finalement assez vite il faut ranger la frontale qui ne sert plus à rien. Et dans le rangement du sac je vais perdre mon bonnet Gore, point important pour la suite car c’est ce bonnet qui me protège des intempéries. Alors comment je me sens après ces 2 heures de sommeils ? Plutôt en forme si ce n’est que mes intestins me font assez mal. Je serai contraint de m’isoler de la course à trois reprises….
A noter dans ma « Short Liste Trail » : Ne plus manger de frites la veille d’une course !
Et j’arrive très relax au premier ravito de Saint Côme qui est un magnifique village sur le chemin de Saint-Jacques.
J’ai un rituel rodé pour me restaurer lors des ravitos : je ne prends que deux substances.
du Coca aveyronnais (3 gobelets) et 1 banane : c’est tout !
Je remplis ma poche a eau, laissée vide depuis le départ, d’environ 0.5 l de Coca aveyronnais. Oui je n’ai rien bu depuis mon gobelet de thé à Bertholène mais je me connais assez bien coté hydratation, je peux courir 3 heures sans problème sans boire en courant à une faible intensité, et il ne fait pas chaud du tout. Remplir une poche à eau c’est vraiment l’enfer, cela me prend du temps. Mes vêtements dans mon sac prennent trop de place. Finalement mon temps d’arrêt à ce ravito est de 10 minutes. Je peste trouvant que c'est trop long. Je ne me doute pas encore du temps que je vais laisser sur le prochain…
A noter dans ma « Short Liste Trail » : Se débarrasser de sa poche à eau et utiliser des flasques !
Pointage à la sortie du premier ravito Saint Côme d’Olt au km 22 après 2h 55min de course / 148ième au classement général.
Etape 2 : de Saint Côme d’Olt à Laguiole (30 kms)
Départ de Saint Côme d’Olt à 9 heures. Le village qui est sur le chemin de Saint Jacques est magnifique mais pas le temps de contempler. On attaque tout de suite une montée. Et puis au bout d’un moment je m’aperçois qu’il n’y a plus de balises. Je me retourne, il y a deux coureurs qui ont eu tort de m’avoir suivi. Et il faut se rendre très vite à l’évidence, nous nous sommes égarés. Il faut revenir sur nos pas et accélérer dans la descente pour retrouver le bon embranchement. Bilan : 10 bonnes minutes de perdues, et un petit coup au moral d'avoir encore gaspillé du temps et de l'énergie pour rien.
Il y a beaucoup de sentiers en sous bois, des descentes assez sévères mais surtout de la montée. On passe devant l’abbaye de Bonneval célèbre pour ses chocolats (pas vraiment high quality) vendus assez chers (pour ce que c’est) et en général distribués dans des magasins souvent caractérisés par une atmosphère très relaxante sous un fond de musique religieuse, de parfum d’encens et tenus par un vendeur ressemblant à un gourou de sectes. Enfin bref, peu importe, l’abbaye est belle. On n’a pas le temps non plus de visiter, il faut tracer. C’est sympa les trails car le rythme de marche, petit trot, permet de discuter avec les autres coureurs. Alors au classement/hit parade des sujets de conversations abordés durant un trail figurent en tête : les chaussures et notamment la marque Hokka One One (super chaussures) et également le « Trail des Templiers » (“magnifique départ, mais beaucoup trop de monde”).
Donc durant un trail on tape la causette au début de l’épreuve… après c’est un peu plus compliqué.
Revenons à l’étape.
Tout se passe bien jusqu’à ce que le tonnerre gronde, l’orage éclate, pluie, grêle se mettent de la partie pendant près d’une heure. Les chemins deviennent boueux. En général quand il y a un peu de boue sur un sentier, on se contorsionne pour la contourner. Mais dans le cas présent les sentiers deviennent totalement impraticables avec d’un côté du fil barbelé clôturant le champs, à droite un mur d’arbre et au milieu un torrent de boue devenant le seul espace pour avancer. Alors on ne fait plus le difficile pour essayer de les éviter. On y va gaiement en ayant de la boue jusqu’à mi mollet. Dans un premier temps courir sous la pluie, le déchaînement des éléments, a quelque chose d’assez exaltant, il faut l’avouer. Le problème c’est quand vous vous rendez compte que vous êtes trempés jusqu’aux os (d’autant que j’ai perdu au début du parcours mon bonnet Gore). Avec la grêle j’ai l’impression de recevoir des hallebardes sur le crâne. En fait les conditions météo sont telles que je me demande si l’organisation n’est pas susceptible d’arrêter l’épreuve. Beaucoup de concurrents courent avec des bâtons en métal qu’ils enfoncent dans le sol…est-ce des paratonnerres portables ?
Laguiole approche et franchement je prends un gros coup au moral. Je me vois en train d’expliquer à mes proches les raisons de mon abandon, à écrire mon récit de course et notamment les conditions dans lesquelles j’ai décidé pour la première fois de jeter l’éponge (mouillée comme il se doit...OK jeu de mot facile). Je parle à un coureur que je croise en lui disant qu’il faut garder le moral et lui de me répondre « je ne l’ai plus ». C’est étrange mais sa réponse me met un grand coup sur la nuque. Cela m’impacte. Nous entrons dans la commune de Laguiole pour son ravito. Les bénévoles qui protègent le parcours aux intersections avec les routes sont emmitouflés dans des capes avec des parapluies. Un passant me lance : « c’est sûr c’est plutôt un jour à rester chez soi à regarder un match. »
J’entends les sirènes (je parle des créatures avec une queue comme dans Ulysse...pas des alarmes :-) qui me soufflent d’abandonner avec une mélodie enchanteresse , je m’imagine prendre une douche bien chaude, je suis tenté d’en finir… Et j’arrive dans le gymnase du ravito sous les « bravo !!! » de quelques supporters. Et là le spectacle est assez effroyable. Une dizaine de coureurs totalement rincés et éprouvés essaient de se changer, le regard complètement dans le vide, certains sont immobiles, exténués. Et moi je ne sais pas quoi faire. Je bois mes trois gobelets de Coca aveyronnais, deux bananes car j’ai vraiment la dalle. Et puis je m’empare de mon sac de change sans grande conviction, sans savoir si je donne suite. Il y a une navette qui part dans 5 minutes pour Saint Geniez d’Olt : je la prends ? Cela dit je suis heureux de trouver dans mon sac de change une boîte de financiers (équivalent de 7 grosses madeleines), un rocher au chocolat praliné d’Yves Thuriès. J’avais oublié que je les y avais glissées. Et là je viole mon plan de marche nutritionnel, je ne respecte pas ce que j'avais prévu sur ma prise alimentaire. J’engloutis de manière compulsive cette nourriture comme pour avoir du réconfort, sans apprécier…je dévore ou plutôt boulotte. J’enlève avec difficulté mes vêtements. J’ai besoin d’aide. Une charmante personne (un monsieur quinquagénaire) à qui j’offre un financier me donne un coup demain. On discute un peu, il est traileur mais n’a pas pu s’inscrire et encourage un ami. Il m’aide à mettre mes vêtements secs car je ne peux le faire tout seul car j’ai les muscles tétanisés. Néanmoins le côté réconfortant des vêtements secs me fait un bien fou. Et miracle j’entrevois par la porte du gymnase qu’il s’est arrêté de pleuvoir. J’ai beaucoup de gratitude pour ce monsieur (ange gardien). Je lui dis que c’est finalement grâce à lui que je repars. Je vais me faire badger en disant à l’organisation « OK je repars ! » Il se sera écoulé près de 30 minutes dans ce ravito.
Pointage à la sortie du deuxième ravito de Laguiole km 52 après 8h 10min de course / 77ième au classement général (gain de 71 places)
A ce ravito j’apprendrai plus tard qu’il y a eu 26 abandons soit 43% du total des abandons (49 en fin de course).
Etape 3 : de Laguiole à Burons des Bouals (20 kms)
En sortant du ravito je claque des dents. Je n’avais pas conscience de m’être à ce point refroidi. Mais je sais qu’en courant ma température corporelle va remonter. D’ailleurs le parcours nous redonne l’occasion de nous réchauffer en nous faisant passer dans une des forges des couteaux Laguiole, où l’on passe devant un très bruyant atelier où un employé devant est en train d’aplatir un fer rougeoyant à l’aide d’un énorme masse. Ce clin d’œil est assez sympa. On ressort très vite pour initier la montée en direction des plateaux de l’Aubrac. Je suis remis en selle. On reconnaît au loin le fameux restaurant triplement étoilé de Michel Bras surplombant une pente. Malheureusement cette année pas de ravito surprise concocté par le chef pâtissier comme l’année précédente. Tant pis…
Je vais traverser la plus belle partie de ce Trail. Les chemins de campagnes boueux sont loin derrière nous désormais. A nous les fameux paysages d’alpage, les plateaux pelés et énigmatiques de l’Aubrac. C’est magnifique et c’est pour contempler tout cela que je me suis inscrit. Le ciel est plombé mais la magie de ces grands plateaux demeure. Ah petit pépin, mon téléphone portable a pris l’eau et ne fonctionne plus, je ne peux pas prévenir Laetitia que tout est OK. Cela ne fait que grimper jusqu’à la station de ski de Laguiole. Le sol est assez agréable pour courir. Je suis quand même un peu indisposé en raison d’un estomac très très lourd, bien lesté du fait des financiers que j’ai boulotés à Laguiole. Las je regrette de n’avoir pas pu me contrôler lors de cette fuite en avant. C’est d’autant plus dommage que je me fais vraiment plaisir à contempler le paysage. Cette partie du parcours se traverse comme un enchantement, l’envie d’abandon n’est qu’un très lointain souvenir. Et finalement j’arrive au ravito suivant - le Buron des Bouals - où l’on pointe tout de suite la puce de mon dossard.
Pointage à l’entrée du ravito du Buron des Bouals km 73 après 11h 05min de course / 54ième au classement général (gain de 23 places)
Les bénévoles nous accueillent pour le « ravito surprise » de cette année. Le ravito est composé de spécialités locales bien roboratives : des canapés de terrine, des tripoux, une soupe chaude. Or je viens d’avaler mes trois gobelets de Coca aveyronnais…et j’ai une grosse envie de vomir. Alors les tripoux et canapés, cela risque de ne pas le faire du tout. Je quitte immédiatement le ravito soit un arrêt express de 2min 30s.
A la sortie un panneau nous indique qu’il reste 28 kms. Je me dis que c’est gagné et que cela ne va être qu’une formalité. Je fantasme en train d’arriver avant la tombée de la nuit devant une foule en délire le long du Lot à Saint Geniez d’Olt. Je suis en fait complètement à côté de la plaque, ce n’est pas du tout ce qui va se passer. Mais le désenchantement n’est pas pour tout de suite. Il va s’écouler énormément de temps avant d’en prendre conscience.
Etape 4 (le final) : du Burons des Bouals à Saint Geniez d’Olt (29 kms)
Cela pourrait s’intituler un « Ultra Trail sans fin ». Je ne sais pas encore qu’il me faudra encore 4h30 de course d’ici l’arrivée. Mais il vaut mieux pour moi que je reste dans l’ignorance. La première partie est encore magnifiquement belle. Après avoir traversé Aubrac (le village) nous initions une légère descente. Il reste quelques kms d’alpages et de plateaux avant de regagner des sentiers de sous-bois. Je m’accroche au rythme d’un autre coureur (Fabrice H.). Parfois je suis devant (rarement) et parfois je le colle aux basques (très souvent). Dès qu’il se met à courir je me mets à courir. Dès qu’il s’arrête, je m’arrête aussi. On ne se parle pas. On est dans la même galère, silencieux. Je n’ai pas vraiment la force d’initier une conversation. En revanche je lui demande selon lui combien il reste de kms. « Je ne sais pas, je n’ai pas de GPS , je dirais qu’il reste environ 20 kms » « Donc cela nous fait au moins 3 heures ». Le paysage change on retombe dans des sous-bois, on passe devant une grande cascade. Parfois il faut traverser des rivières. Sur la traversée de l’une d’elle je glisse et me mouille jusqu’à la taille. Le rythme est de plus en plus lent, cela ressemble à un trek. A travers le sous-bois on aperçoit des rayons de soleil, la température est montée puisque nous ne sommes plus à la même altitude. Mes quadriceps ne peuvent plus encaisser les descentes lors d’efforts excentriques. J’ai mal à chaque impact. La sensation d’avoir de la limaille de fer entre les fibres musculaires. Je préfère encore les montées. Même si ces dernières sont parfois très raides. A titre de comparaison la montée des aqueducs de Beaunant (montée célèbre sur la fin de la SaintéLyon) c’est juste de la ballade. Ici les montées sont encore plus raides et sur une surface en terre, on est parfois contraint de mettre les mains pour conserver son équilibre et ne pas chuter.
A chaque croisement d’une route en bitume je demande aux supporters : "combien de kms reste-t-il ?" Or les réponses ne sont pas cohérentes entre elles. Les kms s’égrènent lentement, cela n’en finit pas…alors que je suis fini.
Coup de stress sur les tous derniers kilomètres
Il est temps de remettre la frontale. On court dans un sous-bois où il fait nuit noire. Fabrice H me dépasse et me lâche alors que je suis en train de perdre des plombes à ranger mon sac. Je vais donc terminer seul. Je traverse une route où il est inscrit sur le bitume : Courage il reste 4 kms ! Je cours tout seul le long d’une rivière. Il y a des marquages fluo roses fixés sur le tronc des arbres. Mais je m’inquiète car cela fait maintenant trente minutes que je cours à vive allure et je ne vois toujours absolument pas la lumière de Saint Geniez d’Olt alors que je devrais y être depuis un bon moment. Aucune lumière de frontale derrière moi, aucune lumière devant moi. Je pense m’être trompé de direction, je suis perdu. Mon portable qui a pris l’eau sous l’orage de grêle ne fonctionne plus pour éventuellement appeler le numéro d’urgence. Je ressens un coup de stress, un vrai coup de flip. Je perds les pédales. Je sens l’adrénaline monter ce qui a au moins l’avantage de me faire courir plus vite sans ressentir aucune douleur, je dois être à au moins 11 kms/heure sur un sentier en terre battu sèche. Je cours, je cours… trop tard pour revenir sur mes pas il s’est écoulé trop de temps surtout qu’il y aurait une côte à gravir et que je n’en ai pas la force. Je suis à la limite de l’affolement. On se calme, on se calme, on se calme…. pourtant j’ai les pulses au plafond, la trouille, et après de longues minutes dans ce noir impénétrable….miracle je vois une lumière de frontale au loin. C’est celle de Fabrice H. Finalement j’étais sur le bon chemin. Yeeessss. Le soulagement, comme si je venais de franchir la finish line ! “Alors tu es sur que nous sommes sur le bon chemin ? Il n’y a pas 4 kms ce n’est pas possible on s’est planté, aucune lumière à l’horizon !” Fabrice H me répond “Mais non c’est bon je reconnais la fin, je l’ai déjà courue il y a deux ans, on va arriver d’un seul coup dans le village”.
Nous apercevrons effectivement une première maison de Saint Geniez d’Olt. Il reste un tout petit km. Il n’y a pas beaucoup de lumière, absolument personne pour nous encourager le long du Lot, c’est un peu lugubre. Quelques gamins nous accueillent au moment où le parcours rejoint la route. Il reste 500 mètres avant d’aboutir au gymnase. Des barrières, des circonvolutions sur un parking et enfin nous pénétrons dans l’énorme gymnase éclairé qui contient une bonne centaine de personnes (bénévoles, coureurs atablés). On se claque dans les mains avec Fabrice sur la toute dernière ligne droite.
C’est fini, on se fait badger au pied du podium. Fabrice et moi-même sommes finishers en 15h37min respectivement à la 47ième et 48ième place au scratch.
“Le bonheur, si je veux ?” Bien sûr qu’on s’en empart, et le TShirt de Finisher avec, on l’a bien mérité non ?
Epilogue : après le podium de remise des Tshirt de finishers, je pose la question à mon compagnon de fin de course. “Comment tu t’appelles?” “Fabrice.”... “Enchanté, moi c’est Grégory, félicitations, on a bien couru c’était bien”.
Quelques réflexions / pêle-mêle :
Je termine 48ième sur 173 finishers (soit 28%) parmi 222 coureurs qui ont pris part à la course (taux d’abandon de 22%).
J’ai couru à une allure de près de 9 min / km soit une vitesse de 6.7 Km/heure. Il me semble que la marche c’est presque 5 km/heure. Donc j’ai couru cet Ultra Trail à une vitesse proche de celle de la marche. Certes il y a eu un cumul d’arrêt ravito de 40 minutes sans compter les innombrables arrêts de type, j’ouvre mon sac, je range mon sac, je vais aux toilettes dans la nature, et puis dans les montées on marche. Et j’en arrive à mon point deux.
On peut se poser la question. Le premier a terminé l’Ultra Trans Aubrac en 10h 59min (allure de 6min16s / km) ce qui est extraordinaire et constitue une “vraie allure de course à pied”. Mais il y a déjà une vraie cassure avec le 20ième au classement qui arrive 3h 32min après le vainqueur (allure de 8min 20s). Il y a un monde un fossé entre l’élite et les coureurs du ventre mou. On ne fait pas la même course.
Finalement le rythme de trail “des coureurs tout venant” comme moi se rapproche beaucoup plus d’un Trek
Ce qui m’a beaucoup pénalisé sur cette course c’est ma trop faible préparation à descendre. Mes quadriceps ont commencé me faire souffrir dès le trentième, et ont commencé à me ralentir très sensiblement dans les descentes après le Burons des Buals (après 75 kms). Lorsque je dis très sensiblement cela signifie que chaque pas dans une descente était à la limite du supportable pour moi. Je ne pouvais pas m’élancer dans une descente, sur la défensive, ce qui est pire puisque cela accentue encore plus la charge et les traumatismes. Les quadriceps dans une descente luttent contre la gravité et travaillent en excentrique. Or travailler les quadriceps en excentrique ne peut se faire qu’en descente (ou en faisant des squat ?). Force est de constater que je n’tais pas suffisamment préparé. Pour une SaintéLyon passe encore ; le D- est seulement de 1900 mètres mais au-delà de ce cumul cela requiert un vrai travail. J’étais beaucoup trop juste pour ce 3600 D-. Mais pour la X-Alpine que je cours en juillet il y aura 8600 D- ! Mon terrain de jeu que sont les Buttes Chaumont est un peu juste pour se faire. Il va falloir que je trouve une solution à ce problème. Question très importante en suspens.
Mes chaussures Mafate Speed de Hoka one One : Que serais je sans elles ? Ces chaussures m’ont permis de protéger mes « coussinets » des innombrables impacts (cailloux, pierres) auxquels on fait face notamment dans les descentes où les chocs peuvent être très traumatisants si l’on n’est pas suffisamment armé. Surtout laisser tomber les chaussures « minimaliste » au risque de ne pouvoir parcourir qu’un nombre minimaliste de kilomètres sur un Ultra.
Préférer des flasques à une poche à eau : la poche à eau prend trop de temps remplir et à remettre dans la sac.
Une barquette de frite la veille au soir.
Un financier à minuit.
Un demi gobelet de thé avant le départ.
3 gobelets de Coca aveyronnais à chacun des trois ravitos (9 au total)
0.5 litre de coca dans la poche à eau
Total boisson Coca ingurgitée durant la course = 2.5 litres de boisson (1050 Kcalories)
A chacun de trois ravitos j’ai mangé l’équivalent de 1.5 banane = 4.5 bananes (400 Kcalories)
1 caramel (100 Kcalorie)
6 gros financiers ingurgités à Laguiole (500 Kcalories)
1 rocher chocolat praliné (200 Kcalories)
Total calories consommés depuis le réveil jusqu’à la fin de course = 2200 Kcalories
Total calories dépensées durant le trail = un peu plus de 8000 Kcalories
Soit un déficit sur le moment de la course d’environ à la louche de 5800 Kcalories. Mais il faut bien avoir à l’esprit que la capacité de notre système digestif à absorber les calories est assez limitée et que l’on est forcement en déficit sur le laps de temps que dure une épreuve de type Trail.
C’est un état modifié de conscience.
J’ai une playliste dans la tête qui n’arrête pas de tourner. Il s’agit de deux titres :
Rinzler de Daft Punk (BO de Tron)
Bad Kingdom de Moderat
Ces deux titres / ritournelles m’ont beaucoup aidé à aller jusqu’au bout j’ai dû les passer en boucle des centaines, milliers de fois ? (car ce qui tourne dans la tête n’est qu’une infime portion, quelques secondes, du morceau de musique).
Sur la fin de la course on raisonne avec difficulté. Après le dernier ravito il restait 29 kms. Or dans ma tête j’avais l’impression que j’allais arriver dans l’heure à venir alors que cette dernière portion a finalement duré des plombes. Dans les faits elle a duré 4h 34min et dans ma tête elle a été infinie. Dilatation du temps ?
Comme je l’ai dit dans le récit, le cerveau a une capacité d’oubli très efficace et probablement très utile pour la survie de l’espèce.
A la fin de la course je me dis : « ce type de trail est trop difficile, ce n’est pas pour moi ». Dimanche matin après une nuit de sommeil : quand a lieu la prochaine édition ? Vivement que je m’inscrive à la prochaine !
A suivre...
extrait de mon blog :
https://firstquartilerunners.wordpress.com/2015/05/03/ultra-trans-aubrac-105-kms-solo-recit/
3 commentaires
Commentaire de Pigou86 posté le 03-05-2015 à 16:26:49
Merci pour ton récit, que j'ai lu du début à la fin ;-) et bravo pour avoir passé l'arrivée.
C'est très instructif. A+
Commentaire de loloch12 posté le 03-05-2015 à 17:16:44
Salut, grégo bravo à toi j'arrive juste derrière toi ton récit est très juste pour moi aussi la fin du parcours a été dantesque on attendait tous de la descente sur l'étape 4 :-) le balisage pour moi sur la fin du parcours était au top encore bravo A+
Commentaire de Grego On The Run posté le 03-05-2015 à 20:09:51
Très sympa Pigou86 merci à toi.
Loloch : you did it!! Bravo à toi. On n'attends plus que ton récit !
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