L'auteur : alain94
La course : Sur les Traces des Ducs de Savoie
Date : 27/8/2014
Lieu : Courmayeur (Italie)
Affichage : 1195 vues
Distance : 119km
Matos : Sac Quechua 17L
Batons Diosaz 700
Chaussures Asics Sensor 2 GTX
Mini-guêtres Raidlight
Objectif : Terminer
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Sur les Traces des Ducs de Savoie
Jeudi 28 août 2014, 11h31 je franchis la ligne d’arrivée de la TDS, place du Triangle de l’Amitié sous le soleil de Chamonix. J’avais lu des dizaines de récits, visionné de nombreuses vidéos de cette épreuve qui parfois me donnaient le frisson, mais je n’aurais jamais imaginé pouvoir en être un acteur, ni même un simple figurant.
Mais rembobinons le film et revenons quelques temps en arrière.
Durant plusieurs années, ce n’est qu’un rêve qui semble inaccessible. Je ne participe qu’à une ou deux épreuves en montagne par an qui dépasse rarement 60kms. Mais lorsque fin 2013 vient le moment d’établir le programme de l’année 2014, je suis dans l’euphorie de mon aventure au « Trail de Bourbon » que j’ai terminé quelques semaines plus tôt, et mes neurones olfactifs se souviennent encore des parfums de Tamarins.
C’est donc sans aucune hésitation que je décide de me préinscrire à la TDS. Pourquoi la TDS ? Habitué à randonner dans les Alpes du Sud, où l’on ne croise quelquefois que marmottes ou bouquetins, j’espère y trouver quelques similitudes dans la technicité, la beauté des paysages et le côté sauvage. Par ailleurs cette course est moins médiatique et l’inscription à priori plus simple que pour les autres épreuves de « The North Face® Ultra-Trail du Mont-Blanc® » la CCC ou l’UTMB.
Je me préinscris donc le 24 décembre, en sachant que c’est quasiment une inscription validée car il n’y a normalement pas de tirage au sort. Quel beau cadeau de Noël !
L’inscription est confirmée par l’organisation le 15 janvier, il est maintenant temps de finaliser le programme de l’année, même si celui-ci a déjà commencé par le 1er marathon de France le 05 janvier, du côté de Cernay la Ville.
J’enchaine avec une course toutes les 4 à 5 semaines, en commençant par le très boueux trail des Marcassins, puis le Marathon de Rome, le trail de Josas, l’Ardéchois, La 1/2 Barjo et l’Ice Trail Tarentaise, qui sera le seul trail de montagne avec un dénivelé conséquent, à 6 semaines de l’échéance.
Ce programme varié est dans l’ensemble à l’image de ma philosophie de course. Se faire plaisir sur tout type de terrain, découvrir et visiter une région, une ville, sans chercher la performance à tout prix.
Je termine la préparation avec quelques randonnées dans la merveilleuse Haute vallée de l’Ubaye 2ème quinzaine d’août histoire de s’acclimater à l’altitude.
Enfin deux dernières ballades au Brévent et au glacier d’Argentière pour se dégourdir les jambes à J-3 et J-2 viendront compléter cette préparation.
On assiste au départ de la centaine d’équipe de la Petite Trotte à Léon, le lundi à 17h30 au milieu d’une foule considérable. On en croisera certains parmi les premiers 5 jours plus tard, du côté des chalets de Miage … quelle course de folie !
Enfin mardi 26, il pleut. La matinée est consacrée à refaire et vérifier le sac, qui doit être présenté lors du retrait des dossards. Puis direction le gymnase en début d’après-midi, sous une pluie battante. Le serpentin des coureurs plus ou moins anxieux n’en finit plus.
Il faut dire que c’est une véritable épreuve, digne d’un contrôle à l’aéroport. Dépose dans les bacs puis vérification d’une partie du matériel obligatoire, récupération des enveloppes, des sacs d’allègement, pose d’un bracelet marquage du sac, enfin récupération du ticket de bus pour rejoindre le départ à Courmayeur. J’ai le dernier bus, celui de 5h30 attribué d’office aux coureurs qui utilisent les navettes mises en place par l’organisation cette année pour rejoindre Chamonix à partir des différents points de la vallée.
Je suis surpris d’apercevoir dans le gymnase un certain Xavier T. qui comme n’importe quel anonyme se soumet à ce parcours pour récupérer son dossard n° 6001.
Me voilà en possession du fameux sésame, le dossard n° 7441.
C’est ma 104ème course et l’objectif sera de ramener ce dossard à l’arrivée, ce qui a été fait pour les 103 premiers.
La pluie n’a pas cessé et après un passage rapide au salon de l’Ultra Trail, où nous apercevrons encore quelques vedettes de la course en montagne, je m’offre une ultime gourmandise avant le retour aux Houches avec la dégustation d’une bière du Mont-Blanc, dans sa version blonde cette fois-ci.
J’ai un plan de course en 28h00 construit par rapport à mon expérience et à l’analyse des résultats des années précédentes. Ce plan est fait pour me rassurer avant la course et me servira de fil conducteur, tout en sachant qu’il est complètement utopique de prédire quoi que ce soit sur ce genre d’épreuve, il y a bien trop de paramètres incontrôlables, à commencer par la météo en montagne.
Mercredi 27, le réveil sonne à 4h00. La nuit a été courte mais le sommeil profond, c’est l’essentiel. Tout est prêt ou quasiment, il ne reste plus qu’à remplir la poche à eau.
Après un petit déjeuner habituel, me voilà avec mon sac à dos Quechua sur lequel j’ai fixé les bâtons, et mes deux sacs d’allègement en route pour le centre des Houches où la navette doit passer à 5h. Un bon kilomètre à pied qui permet un réveil musculaire en douceur. La pluie a cessé pendant la nuit et laissé place à un ciel partiellement étoilé qui augure d’une belle journée ensoleillée.
De nombreux coureurs sont déjà présents devant l’église, mais l’ambiance est plutôt terne. Ils ne sont sans doute pas encore très bien réveillés, mais déjà concentrés. L’atmosphère sera beaucoup plus détendue dans le bus.
Changement de bus à Chamonix et contrôle des tickets. Nous partirons avec 15mn de retard et seront encore retardés avec le premier bouchon de la journée, pour le passage du tunnel.
La descente sur Courmayeur se fait avec le lever du jour et les sommets ensoleillés de la chaîne du Mont-Blanc m’apparaissent sous un angle que je ne connaissais pas.
Le bus nous dépose sur le parking du gymnase qui nous est maintenant interdit d’accès, à moins de 30mn du départ. Il nous faudra vingt minutes pour remonter vers l’aire de départ, en faisant une halte aux toilettes du côté de l’office du tourisme.
Les coureurs sont déjà prêts à en découdre, je me faufile au milieu des nombreux spectateurs sur le trottoir et rejoins l’arrière. J’ai juste le temps de me mettre en condition de course, déplier les bâtons, déposer les sacs avant que le départ ne soit donné. Je n’ai rien entendu du briefing, mais peu importe, la journée s’annonce belle, mais avec une matinée fraiche et très ventée côté italien si j’en crois le dernier message reçu de la part de l’organisation.
Voilà, le départ est donné. C’est parti pour de longues heures où je sais que les sentiments vont se succéder. L’exaltation, le plaisir, la joie, le doute, l’euphorie, l’émotion mêlés aux sensations physiques, le bien-être, la douleur, la souffrance, mais j’y suis préparé.
Je pars sans doute parmi les 100 à 200 derniers coureurs, ce qui n’est pas pour me déplaire, même si je sais que les bouchons risquent de me faire perdre de nombreuses minutes. Je pense avoir une certaine marge sur les barrières horaires, et après tout je ne suis pas à quelques minutes près.
Les premiers hectomètres en ville se font en descente, dans des rues et ruelles au milieu d’une foule considérable. Puis viennent les premières pentes, le bitume laisse place à la piste qui longe les champs, puis bientôt monte en lacets dans les sous-bois. En levant la tête on voit le flot continu des centaines de concurrents qui avancent d’un bon pas. La montée dans l’ombre fait place au soleil qui ne chauffe pas encore. On arrive au refuge de Maison Veille.
La place est bondée et l’accès aux tables parait compliqué. De toute façon j’avais prévu de ne pas m’arrêter à ce premier ravitaillement censé ne proposer que du liquide. La piste s’arrête là et fait place au sentier très marqué qui se divise souvent en deux ou trois traces. Nous sommes en plein dans le deuxième bouchon de la journée.
Certains parviennent tant bien que mal à se faufiler entre les coureurs. J’aperçois quelques têtes connues dont Sabine puis Emir des « Lapins Runners ». La progression est lente et saccadée mais je prends mon mal en patience, en espérant que cela ne dure pas trop longtemps. Petit à petit, la course devient fluide, on aura à nouveau un bouchon sous l’arête du Mont-Favre, là où la pente s’accentue.
Nous voici sur l’arête. On est flashé à 2 km/h par des bénévoles frigorifiés. La première des sept grandes ascensions est franchie et il va falloir être vigilant dans cette première descente qui peut être piégeuse. On patientera encore quelques minutes à la queue leu leu pour franchir un ruisseau un peu large. Nous croisons des randonneurs engagés sur le Tour du Mont Blanc, mais sur un autre rythme, et qui sont obligés de s’arrêter pour laisser défiler les centaines de coureurs. Enfin le sentier rejoint la piste qui va nous conduire au ravitaillement du Lac Combal, lac en fait bouché par les sédiments. Nous avons quasiment 2 kms à parcourir à plat. Le vent contraire est glacial et m’impose d’alterner course et marche.
J’ai dépassé les 3h de courses, et ce premier arrêt est nécessaire pour s’alimenter et se réchauffer avec un bol de soupe de pâtes. Je complèterai avec du pain, du fromage et du saucisson, uniquement des aliments salés. Le sucré, je l’ai sur moi, avec de quoi nourrir certainement une dizaine de concurrents. J’emporte toujours trop, barres de céréales, pompotes, gels, pâtes de fruits. D’ailleurs, une grande partie ralliera l’arrivée avec moi.
Le froid me pousse à repartir rapidement. On laisse à main droite le GR du tour du Mont-Blanc qui part sur le col de la Seigne, pour s’engager sur une sente en courbe de niveau où l’on peut courir. Bientôt la pente s’accentue, et les premiers lacets calment rapidement notre ardeur.
A chaque virage, je lève les yeux pour admirer ce spectacle grandiose et graver ces images dans ma mémoire. C’est aussi pour ça que je suis là.
Je n’ai pas vu passer le temps dans cette deuxième montée. La fin est légèrement plus aérienne et on débouche au Col de Chavannes qui est le point culminant du parcours à 2603m d’après la carte.
On était abrité dans la montée, mais à l’arrivée au col, le vent n’a pas faibli et surprend par sa violence.
On est à nouveau flashé et je m’arrête trois minutes pour faire quelques photos inoubliables.
S’ensuit une descente dans le vallon de Chavannes, sur la piste d’accès aux bergeries de « l’Alpe de Chavannes ». La vue sur le versant opposé du vallon est splendide. Les sommets déversent leurs pierriers sur lesquels persistent quelques névés. Le regard sur ces paysages compense la monotonie de cette longue descente de 7 à 8 kms, régulière et peu technique.
700m plus bas On quitte le sentier pour traverser les pâturages bien imbibés suite aux pluies de la veille pour arriver à la passerelle de « l’Alpetta ». Il fait maintenant chaud et le vent a cessé au fond de la vallée.
Une courte montée suivie d’une petite descente nous amène à longer la route du col du Petit St-Bernard où se sont massés quelques dizaines de supporters qui nous encouragent. Ça fait chaud au cœur, on n’avait quasiment pas vu de « civils » depuis le départ.
On remonte maintenant en direction du col, à travers les pâturages, puis sur une piste où me doublent Sabine et Bertrand avant d’arriver le long du lac Verney.
Cette troisième montée était jusque-là sans doute l’une des moins difficiles mais les 100 derniers mètres sont un véritable mur où le sentier se fraie un chemin sinueux à travers une végétation très dense. Il n’est pas possible de doubler, et l’on doit prendre son mal en patience.
Dominique venue à ma rencontre m’accompagne sur les quelques dizaines de mètres juste avant le ravitaillement du col du Petit St-Bernard.
13h53, je suis dans les temps prévus. Je gère sereinement le passage de ce ravitaillement bondé de monde. Je me contente d’une soupe de pâtes, de quelques morceaux de bananes, et repars rapidement.
Nous voilà de retour en France, « l’ancienne voie romaine » longe la route sur quelques hectomètres puis la piste s’en écarte et nous entamons à nouveau une longue descente. On quitte la piste et la pente s’accentue lors de la traversée du hameau de St-Germain. On traverse Séez, puis la route des Arcs au niveau de l’usine électrique. On a perdu 1300m depuis le col, et la chaleur devient intense. J’aurai du mal à courir sur les deux derniers kms avant le ravitaillement de Bourg St-Maurice.
Après coup, je pense que cette longue descente de 14 kms effectuée sous la chaleur et sans trop de retenue m’a usé plus que je ne le pensais.
Le ravitaillement de Bourg St-Maurice est l’un des deux points où l’assistance est autorisée. Je ne ressens pas le besoin d’assistance, mais la fatigue est là et j’apprécie le réconfort moral que m’apporte Dominique, même si la discussion est banale à propos de mon état physique et mental.
Côté ravitaillement, je me contente une fois de plus d’un bol de soupe de pâtes, seul aliment semi-solide que j’arrive encore à avaler.
Je refais le plein de la poche à eau, et d’un bidon de coca, je sais que j’en aurai besoin pour affronter les 1800m de dénivelé qui nous attendent.
Finalement, je ne serai resté que 10mn où j’avais prévu un arrêt de 20mn.
Je me soumets au contrôle du matériel à la sortie de la zone de ravitaillement.
Dominique m’accompagne dans la traversée du village. Le passage dans la rue piétonne très animée est un vrai supplice, les touristes sont attablés aux terrasses des nombreux bars et nous narguent bien involontairement en sirotant des boissons bien fraiches à base de houblon.
Enfin, il est temps de se quitter pour quelques heures. Certainement entre 4 et 5, difficile à estimer précisément, alors qu’il ne lui faudra qu’une trentaine de minutes pour rejoindre le Cormet de Roselend en voiture.
Il ne faut pas longtemps pour rentrer dans le vif du sujet. Le tracé est direct, face à la pente et coupe les lacets de la route. Nous sommes maintenant en sous-bois, sur un sentier mono trace où je laisse régulièrement passer des coureurs. Mon rythme est lent, il fait encore chaud et j’accuse le coup moralement. Les premières pentes sont toujours difficiles après une longue descente.
Au fil de la montée, je constate que je ne suis pas le seul à être en difficulté. Des traileurs sont assis aux détours des lacets ou posés sur une pierre. Certains redescendent. Je fais une halte de 5mn au « Fort du Truc », où j’avale une pâte de fruits avec beaucoup de mal, et plusieurs gorgées de coca et d’eau. Cet arrêt est finalement salutaire.
On vient de faire 700m de dénivelé, il en reste 1100 !
J’en profite pour admirer le versant d’en face sous des couleurs chaudes renforcées par le soleil couchant. On peut voir la station des Arcs au-dessus de Bourg St-Maurice, dominée par le Mont Pourri et l’horizon lointain dans le massif de la Vanoise.
Je repars d’un meilleur pied, on est dans les alpages, la chaleur s’estompe en cette fin d’après-midi, il semble que la pente s’infléchisse légèrement et on a en point de mire le « Fort de la Platte ».
C’est un soulagement d’arriver à ce Fort, les coureurs se répartissent entre les deux points d’eau et chacun refait le plein.
Je repars et doit partager le sentier avec un troupeau de chèvres. Je les observe autour de moi et m’interroge sur leur facilité à progresser sur ces pentes, on s’occupe comme on peut !
Le sentier s’élargit en direction du col de Forclaz, et je croise à cet instant Yann « Raya ». Il remonte avec moi quelques dizaines de mètres et c’est un plaisir et un grand réconfort de discuter quelques minutes.
On arrive au col de Forclaz, et on commence une descente qui passe le long du lac Esola. J’en profite pour enfiler la veste car le soleil a disparu et la fraicheur est en train de s’installer.
La descente devient plus technique pour franchir une barre rocheuse. En levant la tête, on imagine au loin le Passeur de Pralognan, mais on continue à descendre. Je croyais avoir mémorisé le roadbook, mais j’avais négligé cette descente de quasiment 200m, peu visible sur une feuille A4, mais bien réelle et qui sape le moral quand on ne s’y attend pas.
Un hélicoptère se pose en contrebas pour emporter un blessé, est-ce un coureur ? Je ne le saurai pas. Enfin la pente s’inverse, et je me dis, maigre consolation, qu’on on vient de passer la mi-course. 60kms effectués en 12h.
On repasse une barre rocheuse, puis la pente s’adoucie mais le col que l’on espère voir à chaque détour du sentier tarde à se montrer.
Voilà enfin le « Passeur de Pralognan ». Quelques coureurs discutent avec les bénévoles, mais je ne m’attarde pas, je souhaite arriver de jour au Cormet de Roselend. Comme prévu, cette ascension a été éprouvante. J’ai mis 2h depuis le Fort de la Platte, et 4h10 depuis Bourg St-Maurice, je suis toujours dans les temps prévus, même si j’ai perdu une partie de mon avance.
Je m’engage dans la descente, impressionnante vu de dessus. Les pierres sont humides après le passage de centaines de coureurs et le terrain est glissant.
Des cordes sont installées pour s’y cramponner et sécuriser quelques passages délicats.
Je fais le yoyo avec un concurrent que je rattrape dans les parties techniques, mais qui me distance dès que le terrain est plus roulant. Les traileurs s’arrêtent les uns après les autres pour mettre leur frontale. Pour ma part, naïvement, je pense pouvoir rallier le Cormet sans frontale, et insiste peut-être un peu trop. Je m’arrête par la force des choses, ça devient dangereux d’évoluer sur ce terrain sans voir où l’on pose les pieds. Du coup, je perdrai un peu de temps dans le noir complet à sortir du fond du sac la bonne frontale et ne rien laisser trainer au sol.
On rejoint et croisons le GR du tour du Beaufortain. A partir de là, c’est une piste 4x4 qui nous conduira au col du Cormet de Roselend. Je décide de m’économiser et marche sur cette piste sans pente. J’accélère progressivement jusqu’à atteindre un rythme qui pourrait s’apparenter à de la marche nordique. Le résultat est assez efficace par rapport à l’énergie qu’on y consacre, et j’en suis agréablement surpris.
Au détour d’un virage, On m’interpelle dans le noir. C’est Dominique qui est venue à ma rencontre depuis le col. Quelle surprise !
On papote durant les derniers hectomètres avant le ravitaillement, on croise quelques ados courageux qui chantent et applaudissent au passage des coureurs.
Les accompagnateurs ne sont pas autorisés à entrer sur la zone de ravitaillement, Dominique ira donc patienter le long de la barrière vers la sortie, où sont agglutinés un grand nombre d’accompagnants. Je commence par récupérer mon sac auprès des bénévoles, c’est très bien organisé, puis entre dans la tente principale. J’ai du mal à me frayer un passage parmi les coureurs assis ou allongés parterre, je repère le bout d’un banc qui est le bienvenu pour enfin me poser un instant. Je pose mon sac, ma frontale et mes bâtons au sol puis vais chercher un bol de soupe et quelques morceaux de pain.
J’avais prévu de me changer de la tête aux pieds mais je n’en ai ni le courage ni la place parmi cette foule. Je me contente d’un coup de lingette sur le visage et le haut du corps pour enfiler un tee-shirt propre. Ça fait un bien fou. Le bas est en bon état et je ne ressens aucune douleur aux pieds dans mes Asics Sensor GTX.
L’organisation annonce le départ imminent de la navette pour Chamonix pour rapatrier les coureurs qui abandonnent. Ils sont nombreux à abandonner ici, car ensuite on s’engage de nuit pour plusieurs heures sans possibilité de rapatriement.
Je range mes affaires, termine ma soupe, referme le sac d’allégement à déposer à la sortie et repars.
C’est en arrivant à l’extérieur que je me rends compte qu’il fait nuit et je n’ai pas ma frontale. Demi-tour, je retrouve mes bâtons et ma frontale là où je les avais posés. Je m’apercevrai un peu plus loin que la fatigue et le manque de lucidité m’ont joué un autre tour, j’ai oublié ma montre GPS de rechange dans le sac d’allègement, l’autonomie de ma Forerunner 310XT ne me permettra pas d’aller beaucoup plus loin, et je terminerai cette TDS sans montre ni GPS.
Un bisou à Dominique qui va rentrer dormir aux Houches, 80kms à parcourir de nuit à travers les routes sinueuses du Beaufortain. Je suis plus inquiet pour elle que pour moi !
Si tout va bien, je la retrouverai au ravitaillement des Houches dans une bonne douzaine d’heures.
Je repars et rejoins rapidement deux coureurs avec qui je resterai un moment. On traverse une nappe de brouillard, les gouttelettes brillent devant la frontale.
On quitte la piste pour monter à travers champs puis on rattrape le sentier qui nous conduira jusqu’au col de la Sauce.
La descente est dans un premier temps relativement aisée, puis on traverse une partie détrempée du côté du hameau de la Sauce, on s’enfonce parfois jusqu’à la cheville, et je ne regrette pas d’avoir les mini-guêtres par-dessus les chaussures en GoreTex. J’aurai les pieds au sec et en bon état tout au long de cette TDS.
On arrive au fameux passage du Curé. Il faudra que je revienne de jour, tant le lieu semble impressionnant. Le bruit du torrent que l’on ne voit pas est assourdissant, le sentier est taillé dans la roche et un muret protège du précipice. L’humidité nocturne a rendu ce passage très glissant.
Je traverse la passerelle et le torrent de la Gittaz, et arrive au hameau du même nom. Je n’ai parcouru que 8kms en 2h30. La progression de nuit lente, sans repères visuels, agit sur le moral. Je fais une pause bien nécessaire et me force à avaler une pâte de fruit. Je ne suis pas très serein avant d’entamer la prochaine ascension de plus de 600m. Autour de moi, les autres coureurs ne sont pas très vaillants non plus. La nuit va être encore longue, mais après tout, le physique est en bon état, j’ai de la marge sur les barrières horaires, donc allons-y, si la tête est d’accord, les muscles suivront. Je repars après quelques minutes.
La montée s’effectue en lacets sur un sentier monotrace. Puis on rejoint une piste où l’on croise des 4x4. Je marche d’un bon pas et double plusieurs coureurs. On franchit le col Est de la Gittaz sans s’en apercevoir, la descente se poursuit en direction du col du Joly, j’aperçois des lumières au loin mais je vois aussi telle une guirlande suspendue les frontales des coureurs qui me précèdent. Je prends conscience qu’il va falloir remonter. On passe à proximité d’un troupeau de vaches et on rejoint finalement le GRP du Tour du Pays du Mont-Blanc. Cette partie sous l’aiguille de Roselette est assez technique. Enfin on rejoint la crête où se terminent quelques remontées mécaniques. On entend de la musique depuis un moment, la sono est à fond et distille quelques grands classiques du rock qui donnent la pêche. Les marmottes ont dû mal dormir cette nuit-là.
Il n’y a pas beaucoup de monde à ce ravitaillement, certains coureurs sont allongés sur des lits de camp, sous des couvertures, d’autres somnolent sur les bancs, le front posé sur la table. J’avale un bol de soupe et ne m’attarde pas. J’entame la descente, dans un premier temps sur une piste 4x4, puis à travers les pistes de ski et enfin en sous-bois. Il faut être vigilant sur cette dernière partie où les racines des résineux prennent leurs aises sur le sentier.
Nous voilà enfin à Notre Dame de la Gorge, sur le GR5, je terminerai cette partie en faux plat descendant jusqu’aux Contamines en alternant marche rapide et course lente. J’arrive au ravitaillement des Contamines-Montjoie, deuxième site où l’assistance est autorisée.
Quelques accompagnateurs sont aux petits soins avec leur coureur, mais on peut les compter sur les doigts de la main. Je refais le plein de la poche à eau, avale encore une fois un bol de soupe et repars. Après avoir traversé le village en coupant les lacets de la route, on gagne une piste. La pente est raide mais la nuit touche à sa fin, l’aube pointe, et le moral remonte avec la lumière du jour. Je commence à y croire.
On délaisse la piste pour un sentier qui va nous conduire aux chalets du Truc. Magnifiques chalets en pierre et en bois, fleuris posés sur une calotte de verdure, avec les glaciers du dôme de Miage en point de mire.
On redescend jusqu’aux chalets de Miage, mes yeux se portent sur les coureurs qui me précèdent, que l’on peut voir au loin, et je découvre le col du Tricot 500m plus haut. C’est un goulet, un véritable couloir d’avalanche qu’il va falloir gravir. On devine le sentier très marqué, qui monte en lacets de plus en plus resserrés.
On a parcouru 100kms, ce qui ne m’empêche pas d’attaquer cette dernière ascension avec ardeur. La pente s’accroit au fur et à mesure de la montée, on a constamment le sommet en point de mire sans avoir l’impression de s’en rapprocher. Comme souvent, je me fais doubler au début de la montée, mais je rattraperai quelques coureurs sur la deuxième partie, pour gagner encore quelques places.
Je termine l’ascension en compagnie d’un coureur, et nous ferons un bout de chemin ensemble.
Le vent frais qui souffle sur le sommet du col m’incite à m’engager rapidement dans la descente. On s’exerce à choisir la meilleure des multiples traces du sentier, la moins encaissée, ou la plus régulière. Je précède le concurrent que j’avais rattrapé juste avant le col. On parle de la victoire de Xavier Thévenard, du TOR des géants, et des courses de la Réunion où nous y avons rencontré des fortunes diverses. Lorsqu’on arrive à la passerelle de Bionassay, je m’arrête pour faire une photo. En repartant, les coureurs se sont accumulés, et je dois patienter quelques instants car on ne doit pas être plus de deux simultanément sur la passerelle.
De l’autre côté, nous devons affronter une courte montée, puis le sentier se poursuit en courbe de niveau jusqu’à Bellevue.
Après avoir traversé les rails du Tramway du Mont-Blanc, on passe au sommet du Téléphérique qui arrive des Houches, et on s’engage dans une longue descente de 800m.
La première partie se fait à travers les pistes de ski, puis on passe rapidement en sous–bois. Les cuisses chauffent dans cette dernière descente, il faut se retenir, assurer les appuis pour éviter la chute.
A proximité des Houches, le sentier se transforme en route bitumée qui continue à descendre en lacets. Je retrouve Dominique avec qui je rallierai le dernier point de ravitaillement avant l’arrivée.
Je repars après un bref ravitaillement. Malgré la fatigue bien légitime, je sais maintenant que j’irai au bout. Il ne reste que 8kms, qui ne sont pas les plus techniques.
On traverse l’Arve et on rejoint une piste bien agréable à l’ombre des épicéas. Les faux-plats descendants succèdent aux faux-plats montants, et j’alternerai encore une fois course lente et marche rapide. Cet endroit est un vrai bonheur pour la course à pied, au vu du nombre de pratiquants que l’on y croise et qui nous encouragent vigoureusement. Le dernier km en ville me parait interminable jusqu’à la rue piétonne où le public applaudit au passage des coureurs.
Enfin, on tourne à gauche, l’arche d’arrivée est là à 50m, je lève les bras, j’entends mon nom prononcé par le speaker, et je franchis la ligne.
Le chrono s’arrête. 28h29mn37s.
La fatigue est certainement une entrave à l’émotion, pas tout à fait au rendez-vous. Mais je voulais tellement arriver au bout, ramener un 104ème dossard sur une ligne d’arrivée, que j’ai fait cette course 100 fois dans ma tête, avant de la vivre finalement conforme et sans surprises par rapport à ce que j’avais imaginé.
Cela restera tout de même une sacrée aventure !
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