L'auteur : pio
La course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous
Date : 23/10/2014
Lieu : St Philippe (Réunion)
Affichage : 1952 vues
Distance : 173km
Matos : cascadia 8 : grand fidèle, jamais déçu.
sac Raidlight Olmo 12 : pratique les 2 gourdes pour eau et coca.
Objectif : Terminer
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La Diagonale 2014
«C'est le Tour de France à l'Alpe d'Huez!» me crie mon pote Lies, les yeux brillants, mais je l'entends à peine, couvert par les tam-tam et les clameurs du public.
3 km que le départ a été lancé, à 22h30, et des deux côtés de la route, les gens se bousculent et nous encouragent. Jamais vu une ambiance pareille sur un trail, même à Chamonix. Et ça continue sur les Hauts de St Pierre : le Tampon, Montenvers, les champs de canne à sucre ; du monde, des gamins nous claquent les mains, des matrones nous vocifèrent :«Mais vous êtes fous, oh oui!!!». Tout le monde danse, saute, chante, hurle. Le cordon des coureurs s'étire dans la poussière de la piste, concentré sur sa foulée et la frontale rivée au sol.
Maintenant c'est la forêt et les ravines, on descend, remonte, redescend. Poussière, rivières, rochers, racines, attention les chevilles ! Après la chaleur du bord de mer, c'est la pluie, le vent et le froid qui nous accueillent au Piton Textor. Fin du premier morceau : 40km et 2200 m d'altitude. J'ai perdu mes compagnons grenoblois, partis devant*, j'ai réduit l'allure pour économiser mes tendons en surchauffe, on verra si ça tient...ça tiendra mais ça sera en mode rando jusqu'au finish !
La descente sur la Plaine des Cafres et la remontée sur Kerveguen par la Mare à Boue, la bien nommée, c'est tristounet : pluie, vent, froid, brouillard. Ne pas s'attarder aux ravitos, envahis par une nouvelle mode : la cape dorée ou argentée ! Il paraît que le Piton des Neiges est superbe de ce côté, dommage, à refaire. La descente, très raide nous épargne toute flânerie.
L'arrivée à Cilaos (66 km, 3500 D+) nous revigore, soleil, public, chaleur. Je me change et merci les kinés pour le strapping, ça va beaucoup mieux ! J'ai parlé trop vite : gros coup de cul appelé Le Bloc jusqu'au Gîte du Piton des Neiges, avec moult escaliers de géants et rochers. Nous passons de 1200 à 2500 m en 9 km. Redescente dans le cirque de Salazie à Hell-Bourg, la nuit tombe et ma frontale me lâche. Jean-Pierre, un canadien, m'en prête une et nous continuons ensemble. J'ai maintenant la chance de distinguer les rochers, les échelles et d'être bercé par l'accent québécois.
De la salle communale de Hell-Bourg, nous repartons sous la pluie avec un troisième ami : Jacky, un réunionnais malgache qui s'émerveille d'apprendre que j'habite Grenoble : sur les «hauts», c'est le sanctuaire de la Salette où officie le Père Richard, son concitoyen ! Pour comprendre, je lui fait répéter trois fois : les réunionnais parlent vite et mangent les mots, mais quelle belle chanson !
Nous franchissons le col de Fourches à l'aube et, au créole et québécois, s'ajoute maintenant le chant des oiseaux du cirque de Mafate. Quel spectacle : le soleil rosit les bords de l'ancien cratère couvert de tamarins, d'arums, de fougères arborescentes. La traversée de Mafate est un rêve : nous longeons une rivière sur un monotrace agréable, nous traversons des hameaux colorés dé-servis uniquement par des chemins de randonnée.
Mais la trêve ne dure pas : Roche Plate et à nouveau, c'est raide jusqu'au Maïdo, tout au sommet du cratère. On reprend 1000 m en 5 km. Récompense : à nouveau le public qui nous encourage. Je suis vraiment heureux d'y être, avec l'envie d'aller au bout. Nous passons sur le versant nord-ouest de l'île après 120 km et un cumul de 7800 D+, ce n'est donc pas terminé...
Ouf, voici Halte-là, son stade et mon sac de change. Cerise sur le gâteau, Micheline lé là !(mon épouse) Elle me raconte son emploi du temps depuis jeudi soir: visite de St Pierre, le marché avec nos colocataires, le temple Tamoul... Je la retrouverai à Grande Chaloupe et à l'arrivée.
Nous sommes samedi soir, le jour tombe déjà et il reste un marathon : ne pas trainer. C'est au tour du fameux Chemin des Anglais avec ses pierres disjointes. Le martyre pour les chevilles mais ni boue ni poussières : un ruban de pavés de lave, jetés sans joints ni logique, qui serpente, monte et descend sur plusieurs kilomètres. J'avais déjà vécu deux nuits blanches et j'entame la 3ème avec beaucoup d'appréhension, mais surprise : moins de coups de barre et d'hallucinations que la 2ème, du coup je ne m'arrête pas.
Après Grande Chaloupe, une dernière bosse jusqu'à Colorado, sur les hauts de St Denis et nous goutons à nouveau aux ravines et à la poussière. Retour sur les blocs de pierre et les escaliers, ses descentes et remontées, pendant les derniers kilomètres qui n'en finissent pas. Au dessous, les lumières de la ville narguent les traileurs fatigués et surtout une qui nous est chère : la lueur verte de la pelouse du stade de La Redoute !
Et c'est fini, j'ai marché les derniers mètres en goutant l'instant : le public, les bénévoles, mon épouse, les autres concurrents. Le Pio lé là. Merci, merci, vraiment content même si j'ai mis 53 heures et des brouettes à cause de ce fichu tendon mais qui finalement a tenu bon. Je récupère la médaille, le T-shirt jaune «j'ai survécu», une douche, un petit tour chez le kiné et je m'écroule dans la 107. Prochain objectif : mon lit !
* Je ne les rattraperai jamais ! :
Jean-Christophe Brière : 37H et qqs, dans les 70,
Lies Maklouf et Jean-Christophe Desprez (JCdu38) : 43H et qqs , dans les 200
Ma pomme : 53H et qqs , 637 ème
NB : j'ai failli utiliser la photo du départ où nous figurons tous les 4 mais c'est un copyright JCdu38 et il l'a affiché dans son récit.
3 commentaires
Commentaire de Bacchus posté le 16-11-2014 à 22:39:39
Quel poete !! ça semble couler de source et c'est magniquement raconté
Bravo pour ta course
J'ai du faire un coup de google, je ne comprenais pas le mot "allus" et bien google ne connait pas non plus sauf en anglais (synonyme de always). Dans wikipédia, ils parlent de "Gros orteils"... Un allus serait un gros orteil
A moins que tu voulais parler d'hallucinations... -;)
Commentaire de pio posté le 17-11-2014 à 08:39:30
merci Bacchus, j'ai corrigé...
Commentaire de samontetro posté le 03-12-2014 à 16:03:11
Pour m'être frotté un jour à cette fabuleuse course, ton récit transpire de toute la magie de cette traversée. C'est la diagonale, et c'est uniquement la bas qu'on peut ressentir tout ça. Sur ce parcours, les minutes, les heures, les jours même sont sans importance. Tu l'as fait, tu as "survécu" et tu as décroché ton titre de "fou" en vivant intensément ces moments!
Alors tout simplement BRAVO!
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