Récit de la course : Armorbihan 2014, par Insomniac Trailer

L'auteur : Insomniac Trailer

La course : Armorbihan

Date : 17/5/2014

Lieu : Plevenon (Côtes-d'Armor)

Affichage : 844 vues

Distance : 188km

Objectif : Terminer

12 commentaires

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La Bretagne comme je ne l'avais jamais vue

Dimanche 18 mai 12 heures : nous sommes assis, Jean et moi, à la terrasse du Colibri à Quiberon : face à la mer, ciel sans nuage, huîtres dans l’assiette et bière dans le verre. Et nous commençons un nouveau marathon : on refait la course ! Ça va nous  occuper un bon moment, comme si nous cherchions à nous persuader qu’on vient bien de faire 190 km, lui à vélo en tant qu’assisteur, et moi courant à pied.

La préparation :

Tout  commence il  y  a  quelques mois à  la lecture de l’excellent magazine Ultramag, où je trouve une brève présentant la course : la traversée de la Bretagne du Nord au  Sud, des Côtes d’Armor au Morbihan. Je me  dis  immédiatement que c’est pour moi : le Morbihan est le berceau de toute ma  famille paternelle où j’ai vécu mon adolescence.  Quant aux Côtes d’Armor c’est l’endroit où, en famille, nous nous  sommes installés depuis dix ans pour passer nos meilleurs moments de vacances… L’Armorbihan sera donc mon objectif principal du premier semestre 2014.

Une fois  inscrit, je me concocte un programme d’entraînement qui débute à Ploeren,  fin 2013, par ma première expérience sur 24 heures. J’y fait la connaissance  de David Daveau,  l’excellent organisateur de l’Armorbihan. Ça me permet  d’obtenir quelques infos sur la  course, et surtout de voir que nous serons entre de bonnes mains : David  ne lâche rien sur ce 24 heures.

En 2014, le programme d’entrainement est simple : je cours tous les jours, avec chaque semaine une séance de fractionné VMA courte, une séance de seuil, une séance de côtes, une sortie longue (voire très longue !) et des séances de footing  de récupération. Et pour égayer le tout, j’intercale habilement Clin d'œil 3 compétitions : en février, le Trail Glazig avec mon pote François, en mars l’Ecotrail de Paris avec la bande des kikoureurs dans la course et toute la famille à l’arrivée, et en avril les 12 heures de Rennes de nuit où j’échoue au pied du podium.

2 mois avant l’Armorbihan, je poste un appel sur  Facebook et Kikourou pour voir si, par hasard, il n’y aurait pas quelqu’un qui voudrait faire le parcours a vélo pour m’assister et vivre cette folle  aventure. 3 semaines avant la course, personne n’ayant manifesté son intérêt pour ce challenge (on se demande pourquoi !), je me résous à le faire en solo, style baudet du Poitou avec sac et grand équipement. Et c’est là que le miracle se produit : Jean apparaît tel mon sauveur, proposant d’assumer ce rôle. Je lui pose une seule question de validation : tu  as bien un vélo ? Oui ! Bon ok, je t’embauche, tu n’y gagneras rien, sauf un bon mal où je pense mais tu verras du pays.

Et c’est ainsi qu’on se retrouve la veille de la course dans une chambre d’hôte du chaleureux relais du Cap Fréhel, à préparer nos petites affaires afin d’être fins prêts le lendemain matin. Comme de tradition en Bretagne, on fait un banquet avec quelques coureurs et leurs familles (dont le kikoureur david a) à La Ribote, un honnête restaurant de spécialités bretonnes avec une vue imprenable sur la côte ouest du Cap Fréhel. Ça nous donne l’occasion de découvrir les aventures de Philippe qui nous raconte ses diverses épopées à la milkil ou au  Marathon des Sables. C’est là que nous commençons à nous dire qu’on est tombé sur de sérieux clients…

Le départ :

Le samedi, rendez-vous à 5 h 45 sous  le phare du  Cap Fréhel. Briefing, et discours plein de chaleur et d’émotion du  boss. On voit qu’il a mis  ses tripes dans la course. Bon, il est déjà 6 heures,  faudrait peut être y aller, il  reste 190 bornes. Pouet pouet, c’est parti, le peloton s’étire avec sa cohorte de cyclistes (4 en tout dont le mien Sourire), de voitures suiveuses, campings car, camionnette super U, … 


Les 50 premiers kilomètres :

Ils se passent bien, sans bobo et régulièrement à 9 km/h. Notre vie de jeune couple s’organise bien et nous permet d’être en permanente progression : je m’arrête seulement 2 minutes aux 2 premiers ravitos, grâce à Jean qui  s’y rend en éclaireur pour tout préparer et y reste après que je sois parti, pour tout ranger.  Ces 50 premiers kilomètres sont aussi  une occasion de papoter sous un soleil pas encore trop chaud et sur des routes pas encore trop  pentues. On se passe et repasse devant mutuellement avec quelques autres coureurs : Fabrice qui nous racontera plus tard ses épopées sur toutes les Transgaules auxquelles il a participé, Alain le rennais  avec qui je terminerai la course dans quelques heures, ou Pascal de l’Indre qui se fait beaucoup de soucis pour mes pieds car je cours en minimalistes, ce qui n’est pas vraiment répandu dans ce peloton.

 

Le passage au 1er marathon aura été l’occasion de prendre quelques photos et de les poster sur facebook pour que toute la bande de potes qui nous suit à distance ait quelques nouvelles. Leurs encouragements nous suivront jusqu’au bout : ça fait du bien !

 

Les 70 km suivants :

Nous quittons Tredaniel après presque 6 h de course. A partir de ce moment les conditions changent : les 70 kilomètres suivant sont une succession de bosses plus ou moins raides, pratiquement sans plat, que nous  traversons sous un chaud soleil qui attaque  profondément nos organismes. La première de ces côtes nous conduit au toit des Côtes d’Armor, le Mont Bel Air dont  nous faisons  notre Tourmalet. En haut, nous retrouvons Fabrice : séance photo, postage sur Facebook, et c’est reparti pour une descente infernale.

 

Sur cette longue portion, notre rythme baisse progressivement : pour autant, nous progressons encore régulièrement, à une vitesse d’un peu plus de 7,5 km/h. Notre progression  est rythmée par des objectifs intermédiaires dont l’atteinte constitue  à chaque fois une petite victoire, et une occasion de recevoir des encouragements sur les smartphones. On passe ainsi : le ravitaillement de Saint-Sauveur (73 km), le 2ème Marathon (84 km), le ravitaillement de Rohan (94 km), le 100ème  km atteint au milieu d’une interminable ligne droite, et le ravitaillement de Plumelin (123 km) que nous atteignons  à la nuit tombante. 

 

Ce début de nuit nous permet de croiser quelques fêtards interloqués par notre équipage et quelques familles sortant du restaurant. Pendant tout le parcours, de nombreuses personnes interrogent Jean sur ce que nous sommes en train de faire. Et à  chaque fois qu'il dit, très naturellement, que nous venons de Cap Fréhel pour rejoindre Quiberon, on sent comme une pointe d'incrédulité chez les interlocuteurs...

A chaque arrêt, les ravitaillements sont un havre réconfortant grâce à la gentillesse des bénévoles et le bon goût des soupes maisons et de la purée de pommes de terre. Nous arrivons à  Plumelin quand Fabrice en repart : encouragement réciproque. On s’équipe pour la nuit : frontales, lumières de vélo, gilets réfléchissants et nous repartons pour 45 km dans la nuit.

La nuit :

C’est pendant cette nuit que nous passerons quelques nouveaux caps : le troisième marathon (127 km), le ravitaillement de Brech (147ème km), le cap  des 24 h (166 km) qui me permet de battre de 9 km ma récente marque sur cette durée, et enfin le 4ème marathon (168 km) . Cette nuit aura été le cadre d’une succession de moments compliqués et exaltants qui nourriront nos discussions du lendemain. Même si avant la  tombée de la nuit j’avais déjà mal aux quadriceps, la douleur se fait vraiment très vive pendant la nuit et se cumule à la forte lassitude. Cette fragilité me conduit vers 1 heure du mat à une grosse maladresse qui aurait pu me coûter cher : alors que je poursuis  ma progression en regardant le  road book, je ne fais pas attention à l’instabilité du  sol et me tord violemment la  cheville : ça douille, je me retiens de hurler  pour ne pas inquiéter Jean, mais je ne dois pas avoir fière allure car il me dira plus tard qu’il a commencé à  chercher  le numéro de tél de l’organisation pour appeler les secours. Pourtant, pas une seconde je ne pense à l’abandon, car l’expérience de ce genre de blessure me dit que celle-ci est bénigne et passera en courant dessus. Et en effet, après 15 mn, la douleur a presque disparu. Je ne la retrouverai que le lendemain à froid…. 

Un  peu plus tard, après le ravito  de Brech, nous évitons de peu  une erreur de parcours grâce au suiveur de Fabrice qui  nous indique le bon chemin. Fabrice n’a pas eu la même  chance, ça lui aura couté 3 km de trop.  L’erreur, nous la ferons un peu plus tard, ne  réussissant pas à trouver « la  sortie », c'est-à-dire un tunnel passant sous la voie de chemin de fer, ouvrant le chemin vers le sud et la côte. Ce moment d’incertitude nous coutera quelques centaines de mètres. C’est au moment de cet épisode que nous verrons pour la dernière fois le duo Fabrice et François, des finisseurs hors pairs, qui s’envoleront vers l’arrivée et nous mettront près de 2 heures dans la vue : l’expérience, ça sert !

Pendant cette nuit, la fatigue nous accable : une première fois je propose à Jean de nous arrêter pour faire un somme dans un champ. Avec tact, il me suggère que ce n’est pas vraiment une bonne idée, mais j’ai le sentiment que surtout il a peur de se les geler dans l’herbe car avec la nuit profonde, le froid est tombé. Un peu plus tard, j’entends un bruit sourd derrière moi : en me retournant, je comprends que Jean s’est endormi sur son vélo et qu’il s’est rattrapé de justesse. Un peu plus tôt, il avait déjà échappé de peu à la chute alors qu’il observait la lune, magnifique en cette nuit où elle était pleine. Je ne me m’attarde pas sur mes propres endormissements que je gère en gardant la moitié d’un œil ouvert comme les chats. Et je passe sur les hallucinations, en particulier celle ou  j’ai vu  Jean progresser en arrière vers  le  fossé : pure illusion d’optique due à la fatigue et à la nuit.

Mais le mental de notre binôme fera son œuvre : sans beaucoup de mots, nous maintenons la progression coûte que coûte, ce qui  nous  conduira tant bien que mal  au petit matin au dernier ravitaillement à Plouharnel, porte de la  Presqu’ile. J’y  serai rejoint par Alain  avec qui  nous avions couru  pendant  quelques temps la  veille (il y a une éternité !), et que je  croyais devant depuis un moment.

 

La Presqu'île :

 

Les 18 derniers  kilomètres sont interminables. Avec Alain, nous  essayons de les courir un maximum. En fait, plus précisément, il  essaye de courir et je lui colle au train dès qu’il démarre Clin d'œil.  Ça marche plutôt pas mal  pendant les 10 premiers km, même  si c’est à très faible vitesse. Mais les très  longues lignes droites de la Presqu’ile auront raison de notre volonté : nous  ferons les 8 derniers kilomètres en marchant. Au total, nous aurons progressé à 6 km/h  sur la  Presqu’ile, ce qui n’est pas si mal  après  170 km non stop ! Les  paysages du début  de Presqu’ile  sont enthousiasmants avec en particulier le passage à Penthièvre où on voit la mer à droite et à gauche, baignée par un chaud soleil. Et nous retrouvons des paysages somptueux en bout de Presqu’ile : Port Haliguen et  ses paisibles bateaux au mouillage, et enfin la tant espérée Pointe de Conguel.

Je n’ai que des souvenirs brouillés de mon arrivée, trop  exténué pour vraiment la gouter. Je me souviens juste  du sourire franc et radieux de David, heureux de nous voir enfin arriver.

Nous aurons mis 27 h 49 pour rallier l’arrivée, 7 heures après  le vainqueur, et 3 heures avant le  dernier. La remise des prix sera un dernier moment d’émotion ou toute cette famille  qui s’est plus ou moins côtoyée pendant ces 31 heures se congratule. Il  manque david a qui a du  repartir dans son Nord. Dommage, on aurait bien refait la course avec lui. Son récit nous apprendra combien lui aussi a été cherché loin les ressources pour finir.

Il manque aussi le vainqueur : il était d’astreinte et est déjà reparti au boulot. Je vous dit que dans cette bande de furieux, il n’y  en n’a pas un pour racheter l’autre : ils sont tous plus fous les uns que les autres Clin d'œil. Comment ça, moi aussi ?

 

En  conclusion 3 choses simples :

- La première édition de cet Armorbihan a été organisée de main de maître par l’ami David Daveau : bravo à lui et vivement 2016 pour la 2ème édition. Il  faudra sans doute réfléchir à lui trouver du soutien car ce genre d’orga est évidemment au moins aussi  épuisante que la course elle-même.

- La course avec un partenaire cycliste apporte un plus extraordinaire. Sur le plan logistique bien sûr, c’est vraiment cool de n’avoir presque rien à porter. Mais  c’est surtout un vrai soutien moral qui  permet de repousser très tard la  lassitude.  Et c’est aussi un  (long) moment de complicité. A refaire !

- Il y a un an, lors du grand raid du Morbihan, j’avais eu l’impression de passer un gros cap dans le dépassement de limites. Ici, j’ai été beaucoup plus régulier et je n’ai pas eu ce sentiment de dépasser énormément mes limites : pourtant, la course était plus longue et plus exigeante. Je pense être allé vraiment plus loin, mais sans m’en rendre compte.

Voilà, et maintenant, place à la préparation du  grand  raid des  Pyrénées pour fin août Rigolant

12 commentaires

Commentaire de david a posté le 24-05-2014 à 18:31:30

je l'attendais avec impatience et je ne suis pas déçu !
bon, bien sûr ... félicitations à vous 2.
et au plaisir de se recroiser très bientôt. De telles courses ... ça rapproche !

Commentaire de Insomniac Trailer posté le 24-05-2014 à 19:37:28

Merci David. On se recroisera peut-être sur l'Intégrale Gérard Denis, alors ?

Commentaire de david a posté le 24-05-2014 à 21:05:38

je suis déjà inscrit !!!

Commentaire de RayaRun posté le 25-05-2014 à 08:40:04

Bravo à toi et à votre "couple" ! Jolie aventure ! Bonne récup'

Commentaire de Insomniac Trailer posté le 25-05-2014 à 14:00:01

Merci RayaRun ! Et bonne préparation pour la Montagn'hard que je ferai un de ces jours...

Commentaire de valdes posté le 25-05-2014 à 17:54:09

Oh put$@# la vache ... c'est quand même un truc de ouf cette course. Je suis ... scotchée/sciée/grandement admirative. C'est juste "dingue" déjà de finir. Mais en plus de finir avec plaisir. Et en plus de finir bien. Et en plus de vouloir remettre le couvert très bien.
Nul doute t'es un "E.T. traileur" à mes yeux. Un grand quoi. Un géant.
Bravo pour ta course et merci pour ton récit. Super binôme qui me donne vraiment envie de faire "l'assistance cyclo" sur une longue course ...
A bientôt, au golfe.

Commentaire de Insomniac Trailer posté le 25-05-2014 à 22:59:37

Merci Valdes, je vais rougir...
N’hésite pas à faire une assistance cyclo si cela se présente : c'est une excellente manière de vivre ce genre de course de l'intérieur.
Je ne fais pas le golfe cette année, mais on se verra peut-être au détour d'une course costarmoricaine :-)

Commentaire de Pascal P posté le 25-05-2014 à 19:57:58

Salut Thierry,
Très heureux que votre binôme ait pu rallier l'arrivée ! Bravo !!
Je dû partir dès mon arrivée, les heures de route + le boulot le lendemain...c'est un peu frustrant de ne pas voir arriver les copains et de ne pas papoter un peu. D'autant j'aurai voulu avoir des nouvelles de tes pieds ! Qui manifestement ont tenu le coup...
Tu as mené ta course magnifiquement. Content de t'avoir rencontré et encore bravo !

Pascal (de l'Indre)

PS. On devrait donc se revoir du côté de Roscoff fin septembre (si j'arrive à convaincre mon père pour l'assistance technique !)

Commentaire de Insomniac Trailer posté le 25-05-2014 à 23:04:30

Merci Pascal,
bravo à toi aussi, gros finish !
Les pieds vont étonnamment bien, et les chaussures aussi : je m'habitue de plus en plus à courir en très light.
Concernant l'intégrale Gérard Denis, j'y réfléchis... mais avec le GRP un mois avant, c'est peut-être excessif !

Commentaire de Bacchus posté le 25-05-2014 à 21:56:57

Merci pour ce CR magnifique. Belle course et très bonne gestion de l'effort.
Avec ça tu nous as mis une mine au jeux des 365H -;)

Commentaire de Insomniac Trailer posté le 25-05-2014 à 23:06:42

Merci Bacchus,
pour le jeu des 365 heures, tu vas pouvoir te rattraper, je n'ai rien fait cette semaine ;-)

Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 27-05-2014 à 18:13:58

Belle nouvelle épreuve. Bravo pour ton endurance et ... que la Bretagne est belle !

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