Récit de la course : Saintélyon 2005, par amibugs

L'auteur : amibugs

La course : Saintélyon

Date : 4/12/2005

Lieu : Saint Etienne (Loire)

Affichage : 6117 vues

Distance : 68km

Objectif : Pas d'objectif

2 commentaires

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La Saintélyon 2005

La Saintélyon 2005? Je ne devais pas la faire. J'avais déjà participé aux éditions 2003 et 2004 et je pensais en avoir fait le tour et ne pas retrouver le plaisir des années précédentes.

26 août 2005 vers 20h10, UTMB, je passe aux Houches. Seb, mon neveu, est là pour m'accueillir et m'encourager ; ses yeux brillent ; il regarde et observe le comportement et l'équipement des participants. Chasseur Alpin de profession, un de ses instructeurs porte le nom de Vincent Delebarre... Seb a l'habitude des efforts longs et intenses... Le trait d'union est fait. Il lit et relit de nombreux CR sur Kikourou ; il m'interroge, me questionne, recherche toutes informations sur l'Ultra, concerte de nombreux forums ; ses entraînements redoublent... la force est avec lui. Et ce qui devait arriver, arriva ! « Je fais la Saintélyon, tu viens ? » Ma réponse est immédiate « non, pas cette année »
Deux jours après, je le recontacte « Ok Seb, je t'accompagne ; je vais quand même pas te laisser seul pour ton premier Ultra !»
Nous nous retrouvons le 03 décembre soir à Lyon dans sa belle-famille qui nous réserve un accueil chaleureux. Son beau-frère reste « cloué » devant nos préparatifs... Nok par-ci, élasto par-là ; une couche respirante, une deuxième gore-tex ; un gel dans chaque poche, le reste dans le sac ; vérification des deux lampes ; laçage serré mais pas trop... A 00h00, nous sommes sur la ligne, fin prêts.

Cette année, les conditions météo sont très bonnes ; température largement au-dessus de zéro, bonne visibilité et absence de précipitations. Je n'aime pas ces conditions quasi-idéales. Elles permettent certainement aux meilleurs d'améliorer encore leur « temps » mais pour ma part, un ultra doit rester une course où le chrono ne doit pas être le seul et unique objectif mais simplement un indicateur de performance. La seule préoccupation du chrono ne m'intéresse pas ; certainement parce que jamais, je ne ferai partie des premiers arrivant. Depuis plus de trois ans, je ne cours plus aucune distance inférieure à 43 km car je n'y éprouve plus aucun plaisir. Un ultra est une profonde lutte contre soi-même avec comme principale arme, la volonté. Et cette volonté quoi de mieux que les pires conditions pour la défier ?

Les premiers km s'effectuent sans aucune difficulté. Une pause est nécessaire à Seb pour qu'il retire son coupe-vent dans lequel il est entrain de bouillonner. Comme d'habitude, je porte ma gore-tex Millet et n'éprouve pas le besoin de la retirer, ma température corporelle étant bien régulée. La longue et monotone banlieue stéphanoise est assez rapidement avalée jusqu'à ce qu'on attaque le bon petit dénivelé précédent le premier ravitaillement. Comme je l'avais prédit, nous reprenons un nombre assez important de coureurs lors de cette montée où nous continuons de courir au même rythme. Juste avant le ravitaillement, je dis ironiquement à Seb « J'espère que je ne vais pas le payer un peu plus loin ! »...

Arrivée au 1er ravitaillement aux Sorbiers. Je suis déçu. Plus grand chose à manger, une gigantesque bousculade, des gobelets balancés partout ; je ne me souviens pas avoir vu cela les deux dernières années. Deux verres d'eau et quelques biscuits salés et nous repartons en marchant d'un bon pas. Les premiers chemins hors bitume et dans l'obscurité sont pour bientôt et la Saintélyon commence enfin !

Les chemins sont secs, la vue dégagée. Une petite brise pénétrante nous parcourt le corps dès que les chemins traversent des passages sans végétation ou en ligne de crête. Je trouve notre rythme un peu élevé je le signale à mon compagnon de course à plusieurs reprises. Après 10 km parcourus, je ressens une légère douleur au niveau du ventre. Rien de bien méchant apparemment et je n'en parle pas à Seb qui lui ne semble pas éprouver la moindre difficulté.

Saint Christo en Jarez en 01h56mn31sec. Premier gros ravitaillement. Nous croisons les relayeurs regagnant leur véhicule et finissons cette première étape sur un bon rythme. Au ravitaillement, le vent souffle fort et il est glacial. Difficile de se frayer un chemin pour arriver jusqu'à l'étroite fenêtre délivrant au compte goutte de quoi s'alimenter et s'hydrater. Seb est frigorifié ; ma gore-tex me préserve un peu de ce vent. Nous ne nous attardons pas et reprenons la route seulement quelques minutes après notre arrivée. Mes douleurs intestinales s'intensifient et apparaissent les premières nausées. Je préviens Seb de mes problèmes vers le 16ème km Je ne suis pas inquiet ; ce genre de péripétie m'arrive systématiquement sur toutes les courses auxquelles je participe, mais c'est vrai, rarement si près du départ.

Je fais mon possible pour garder l'allure que nous suivons depuis Saint-Etienne mais me rends rapidement compte que je n'y parviens pas. Les périodes alternées marche-course sont de plus en plus rapprochées et tous les prétextes sont bons pour que je décide de marcher : une légère montée, un terrain instable, un regroupement de coureurs... Seb me confirme qu'à voir ma tête je n'ai vraiment pas l'air d'aller bien ! Arrivée au ravitaillement suivant à Moreau. Difficile d'atteindre les tables qui sont pratiquement vides ! Pourtant, il y a encore du monde derrière et je me demande bien ce qu'ils vont trouver à leur arrivée. Je réussis tout de même à récupérer un verre de thé tiède ; la bousculade aidant, un participant se retourne brutalement et dans son mouvement me renverse une bonne partie de mon thé sur mon gant ! Aucune excuse, aucun pardon, ce valeureux participant qui cherche apparemment à « péter » un chrono, zigzague rapidement entre les coureurs et repart vaillamment à la quête... à la quête de quoi ? Lui seul le sait !
La chaleur du thé détrempant mon gant laisse rapidement place à une humidité froide et désagréable. Je pense un instant changer de gants mais je n'ai même plus le courage ni l'envie de retirer mon sac. 25 km ont été parcourus et la route est encore longue ! Alors autant conserver le peu d'énergie qu'il me reste à progresser. Je me renferme un peu plus sur moi-même et préfère ne plus prononcer aucun mot, me concentrant sur chaque pas me rapprochant un peu plus de l'arrivée. Par instant, quelques mots de rage me permettent de sortir de ma torpeur ; je rassure aussitôt Seb en lui expliquant que ces mots me sont destinés, je m'auto-motive !

Sainte Catherine est en vue et cela fait 03h30mn30sec que l'on est parti. Je profite du stand Petzl pour changer les piles de ma frontale. Sympa l'accueil chez Petzl et en plus c'est gratos ! Mes deux frontales marquent des signes de faiblesse depuis déjà... depuis le début de la course en fait ! Erreur de débutant ! Mes deux frontales n'éclairent quasiment plus ! Par chance, Seb avait une lampe de main éclairant comme un projecteur mais à utiliser avec modération vue la consommation de piles !

La petite salle de Saint Catherine est bondée de coureurs debout, assis, couchés. Quelques gâteaux salés dans une main, deux crèmes de fromage dans l'autre, quelques morceaux de banane avalés, deux verres d'eau pour couronner le tout et je rejoins Seb à l'entrée de la salle. Mon ventre est toujours en vrac et contrairement à ce qu'on pourrait penser, je ne m'y habitue pas ! 20 km que je traîne ce mal de ventre et j'ai fermement espoir que les prochains km me permettront de m'en débarrasser.

La grimpette qui succède ce ravitaillement est une galère ; j'ai l'impression de ne plus avancer ; je me cale derrière Seb et m'accroche autant que je peux, mais il marche encore trop vite. Je lui dis pour la première fois de partir seul mais il refuse. Je ne compte plus les km mais les mètres ; chaque pas jusqu'au sommet est un appel à l'abandon. Mais si mon physique est entrain d'abdiquer, la tête est là pour prendre le relais. Mon cerveau commande à mes jambes de marcher faisant fi de la douleur ; machinalement ; la ligne d'arrivée est devant nous, là-bas, loin, à Lyon. Enfin, le sommet ! Les minutes m'ont paru des heures ; chaque mètre, chaque centimètre parcouru a été une victoire. Descente du bois d'Arfeuil. A chaque foulée, mon pied droit racle le sol, signe pour moi d'une fatigue avancée. Le sol n'est pas glissant mais reste encombré de racines et pierres dépassant du sol, véritables pièges à coureurs. La descente est presque achevée ; plus que quelques dizaines de mètres avant de retrouver un terrain un peu plus accueillant. Quelques secondes d'inattentions et je butte dans une pierre, plongeant droit devant moi. Seb ne s'aperçoit pas tout de suite de ma gamelle. Le coureur me succédant m'interroge aussitôt sur la gravité de ma chute ; je le rassure en me relevant aussitôt et en reprenant le fil de la course sans dommage apparent. Cette chute est simplement à ajouter à ma longue liste de gamelles ; ceux qui me connaissent un peu savent que les vols planés sont très réguliers et font partie intégrante de ma vie de coureur ! Cette dernière se soldera simplement par l'index et le majeur de la main gauche bien égratignés, en sang et enflés durant 15 jours.

Je redoute la montée courte mais raide nous menant jusqu'au ravitaillement de Saint Genoux. Cependant, cette dernière se passe sans trop de difficultés ; tout au moins pour l'état physique dans lequel je suis. Seb poursuit son chemin sans ressentir de douleurs ; régulièrement, il s'inquiète de mon état de santé qui ne s'améliore toujours pas. Je lui répète une nouvelle fois de partir seul mais il refuse obstinément. Nous ne nous attardons pas à Saint Genoux ; le vent, la foule sous l'étroite tente et le bruit du groupe électrogène nous poussent à repartir rapidement. Après quelques centaines de mètres montants sur route goudronnée, je sais qu'une longue descente nous attend jusqu'au ravitaillement suivant. Cette descente sur laquelle j'avais pris tant de plaisir l'année dernière sera pour moi, cette année, une nouvelle galère. Tous les prétextes sont bons pour que je marche ; nous venons juste de dépasser la mi-course et mes portions marchées sont déjà plus longues que mes portions courues ! Je commence à calculer mentalement mon heure probable d'arrivée à Lyon si je ne fais que marcher !

Enfin, Soucieu ! Le dernier gros ravitaillement. Ravitaillement est un bien grand mot car il n'y a pratiquement plus rien. Je demande de l'eau plate et il n'y en a plus ! Les aliments solides se limitent à quelques morceaux de gâteaux salés et quelques carrés de chocolat. Un comble pour un « gros » ravitaillement. Je me contente malheureusement de ce qui reste et ingurgite tant bien que mal un verre de sirop. Seb est directement allé aux toilettes remplir sa poche à eau et s'est contenté de son ravitaillement personnel. Je le retrouve devant les toilettes et profite de ces quelques minutes pour m'asseoir sur les marches d'escalier nous faisant face. Je suis à quelques mètres de la personne chargée de pointer les coureurs qui abandonnent ; dehors, devant la porte, le bus transportant les relayeurs et les abandons attend les retardataires pour repartir. Je n'ai qu'un geste à faire pour mettre fin à ma Saintélyon 2005, pour mettre fin à cette course contre la douleur. Les images du bus me frôlant lors de mon passage aux Chapieux durant l'UTMB quelques mois auparavant me reviennent à l'esprit. Mon corps me dit d'arrêter mais ma tête m'ordonne de continuer « J'ai su résister fin août, je résisterais aujourd'hui ». Et puis, il y a Seb. Je me vois mal lui dire que j'abandonne, que finalement, je le laisse arriver seul ; qu'il n'a qu'à vivre sa vie et moi la mienne ! Ca non, ce n'est pas possible ; je ne l'imagine pas une seconde. On est parti à deux, on finira tous les deux. Seb me guette, surveille mes gestes ; il se doute que je suis proche de baisser les bras ; que je suis à deux pas de tendre mon dossard au pointeur. Longues secondes indécises. Puis tout à coup, le bus repart ; sans prévenir ; sans demander s'il reste des personnes qui souhaitent monter. « Mince, je l'ai loupé ! Je dois aller au bout. Je vais aller au bout ! » Mon regard croise celui de Seb, il nous reste 22 km à parcourir. Dehors, le jour pointe son nez, il est 06h00. La température et le vent nous rappellent rapidement à la dure réalité de la course. J'espérais un sursaut d'énergie mais je vais de mal en pis. Quelques km après le ravitaillement, je répète à Seb « Vas-y, fais ta course, je n'abandonnerai pas, je n'abandonnerai plus ». Ces mots suffisent. Il sait que je vais aller au bout. Rapidement, je vois sa longue silhouette disparaître dans le prolongement de la route. Il court vite, je marche doucement.

Je calcule et recalcule mon heure d'arrivée à Lyon. Il est 06h15, il reste 20 km ; je ne compte pas arriver avant 10h30 à ce rythme là. Mon ventre ne me permet pas d'aller plus vite. Cela fait 40 km que je ne vais pas bien et l'arrivée est encore loin. Je marche, toujours et encore. Cela fait 01h30 que je n'ai pas couru.

Le dernier ravitaillement est en vue et mes intestins me laissent peu d'espoir de finir la course en petite foulée. L'accueil est jovial ; je réussis à manger une crème de fromage et un peu de pain d'épice. J'avale un gel Bio abondamment arrosé d'eau plate. Tout le monde a le sourire ; chacun est interrogé sur son état de forme et un petit mot sympa accompagne le départ vers la longue montée de Sainte Foy. Je suis rejoint par une coureuse qui effectue ce raid pour la première fois en solo ; la montée se passe donc en papotant jusqu'au passage devant l'hôpital où elle retrouve sa foulée de coureuse et moi mon train de marcheur ! Jamais je n'ai parcouru une aussi longue distance avec une douleur continue au ventre : 50 km. Cela a commencé au dixième km et j'attaque le 60ème.

Je passe devant la boulangerie qui chaque année réveille mes papilles et m'apprête à entamer la longue descente vers Lyon. Mes jambes se mettent à me démanger dans le sens noble du terme. Elles ont besoin d'exercice. Je me tente à quelques petites foulées et je sens l'ensemble de mon organisme adhérer à cette idée ! Adieu mal de ventre, adieu galère, je sors la tête de l’eau. Mon allure reste lente mais je cours. J’ai une pensée pour Seb qui doit maintenant être proche de l’arrivée. Il me reste 8 km et je décide de ne pas me brider ; j’irai jusqu’où il me sera possible d’aller et au rythme que mon corps voudra bien tenir. Plus les mètres défilent, plus je retrouve de l’assurance. Je double un premier coureur, chose qui ne m’était pas arrivée depuis plusieurs heures. Puis, j’aperçois un groupe dans lequel se trouve la coureuse de la montée de Sainte Foy. Mon objectif n’est pas de le rattraper mais je sens que mon allure est nettement plus rapide que la leur ; quelques minutes plus tard, je suis à leur hauteur et rapidement je passe en tête du groupe avant de les distancer. Les marches d’escalier tant redouter sont sautées une à une sans entamer ma foulée. Je rattrape un coureur qui a besoin d’un coup de main pour récupérer son portable dans son sac et appeler sa femme qui l’attend à l’arrivée ; je m’arrête, l’aide à prendre son portable sans qu’il soit obligé de jouer au contorsionniste et reprend ma foulée sans éprouver la moindre difficulté. Je ne pense pas à la ligne d’arrivée ; je savoure chaque mètre parcouru. J’échange quelques paroles avec les deux motards chargés de faciliter le passage des coureurs. Arrive la longue ligne droite longeant le fleuve. Le vent est fort, très fort. Il ne me gène pas particulièrement mais je me rends compte que l’euphorie que j’ai vécu ces derniers 5 km est révolue ! Je ne me pose pas trop de questions et décide de marcher 1 km à partir du panneau 3 km. Ce que je fais sans trop y être poussé. Le petit groupe de coureurs me repasse et je n’essaye même pas de m’accrocher. Le demi-tour permettant d’avoir le vent dans le dos me permet de repartir de plus belle, jusqu’au passage du pont qui, de nouveau, contraint à retrouver le vent de face. Le dernier km n’est qu’une succession de marche et de course jusqu’au 200 derniers mètres que, traditionnellement, j’effectue en courant. L’arche d’arrivée est franchie en 09h10. Pas d’émotion démesurée ; je recherche Seb parmi la foule sans parvenir à le trouver. Je l’appelle sur son portable et il est déjà parti prendre sa douche et a piqué un premier roupillon. Il est arrivé 50 minutes avant moi en bonne forme.

J’ai mis longtemps à faire le bilan de cette course, mais aujourd’hui, je suis convaincu que cette Saintélyon a été une véritable épreuve, un défit. Un combat contre moi-même, contre la douleur. Je ne suis pas particulièrement fier de ma performance mais je suis satisfait d’être parvenu à continuer, à progresser toujours et encore.
Aussi, je suis content pour Seb ; il est arrivé au bout de son premier ultra sans jamais fléchir ; sa performance aurait sans doute été meilleure s’il n’avait pas été bridé par mon allure escargotuesque durant une bonne partie des km parcourus ensemble.
Aujourd’hui, je continue d’être persuadé qu’un ultra reste un tête-à-tête avec soi même. Tenté de courir à deux est, à mon avis, une fausse bonne idée. Partir ensemble, certainement ; rester ensemble, non. Rendez-vous l’année prochaine Seb, même heure, même endroit et sincèrement, bravo à toi. Et un clin d’œil à qui tu sais qui a bien du se marrer en nous regardant !
[image:Repos avant le départ]IMG_5579 réduite.JPG[/image

2 commentaires

Commentaire de vboys74 posté le 23-02-2006 à 19:15:00

T'inquiete pas pour ton allure escargantuesque,c'etait un vrai bonheur de participer a ce 1er ultra avec toi!Merci encore.
seb

Commentaire de riri51 posté le 07-05-2006 à 19:44:00

Bravo belle leçon de persévérance

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