Récit de la course : Saintélyon 2005, par bruno82

L'auteur : bruno82

La course : Saintélyon

Date : 4/12/2005

Lieu : Saint Etienne (Loire)

Affichage : 6239 vues

Distance : 68km

Objectif : Pas d'objectif

1 commentaire

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Récit d'un exploit déraisonnable

C'était il y a un mois déjà...
La Saintélyon 2005, qu'est-ce que c'est ?

C'est 6000 coureurs qui s'élancent, entre 23h45 et minuit, une nuit d'hiver.
C'est des stands pleins de raisins secs, de tranches de pain d'épice et de verres de menthe à l'eau.
C'est 652 litres de vaseline déversés sur les jambes d'athlètes hors d'haleine.
C'est une nuit blanche dans la forêt.
C'est la doyenne de l'ultra.
C'est plusieurs centaines d'abandons, et à peine plus d'arrivées.
C'est une overdose de bêta-endorphines.
C'est un raid, pas trop typé trail ni bitume, enfin 50-50 quoi.

####### (Ce récit est disponible, avec d'autres informations encore, sur le blog http://ultradefonce.blogspot.com )########

Samedi 3 décembre 2005, 15h, Lyon
A quoi bon dormir, quand on s’apprête à passer la nuit à parcourir 68 km à pieds, entre St Etienne et Lyon ? Non. Soyons sérieux. Mieux vaut marcher dans les rues de Lyon, histoire de se mettre en jambes.
Et puis, ce périple dans la ville aura permis de mettre enfin la main sur la brochure officielle de présentation de la Saintélyon 2005. En page 3, on peut lire, à la section des « incontournables », des « chaussures mixtes (type Air Storm Pegasus) ; éviter les chaussures trop typées trail ou bitume ». Sic. Eh oui, tout de même.

Samedi, 21h, Stade de Gerland
Les navettes sont bien remplies. En même temps, rien d’étonnant à cela. Après tout, 6000 concurrents environ sont annoncés au départ à St Etienne. Dans la navette, l’ambiance est chaude et sportive. On écoute la conversation de deux de nos concurrents (oui, c’est une course après tout), assis juste derrière. Le ton est gai, enjoué même. Décidément, cette course s’annonce vraiment sous de bons auspices. Les gens ont l’air bien lunés, pas méchants. On a même croisé une dame, la quarantaine, qui avait déjà fait la course il y a deux ans en marchant, et qui la refait cette année. Elle avait mis 13h30 il y a deux ans pour parcourir la distance. « En marchant bien, quand même. ». Oui, madame, oui, mais nous nous courrons. 13h30 ? En marchant ? Finalement, on sera sans doute arrivés largement avant midi alors. La doyenne de l’ultra, la Saintélyon ? Vraiment ?
Enfin bon, on continue à écouter la conversation de derrière. « Oh ben moi j’avais un Powerpoint à faire pour un exposé demain. Mais bon de toute façon, je pense que je dirai au prof que je l’ai fait mais que je peux pas me lever de mon siège. ». Ah. Donc, les échos varient. Sur la droite, un monsieur sérieux, qui semble avoir déjà fait la course, annonce que la météo annonce du gel sur les crêtes. Il prévient également que « les 20 derniers kilomètres sont vraiment durs ». C’est rassurant. Si les 48 premiers passent vite, on n’aura pas à se plaindre, alors. Il souligne aussi que l’organisation a rajouté 3 kilomètres par rapport à la dernière édition, et qu’on risque de les sentir passer, ces 3 kilomètres. Oui, enfin bon, 3 sur 68 ça fait quand même peu, ne me dites pas que ça va tout changer. 15 heures plus tard, au kilomètre 65, on nuancera clairement cette opinion.

Samedi, 22h, Parc des Expositions de St Etienne, Hall B
Le Hall B est bien plein quand on arrive. Des gens dorment dans leur sac de couchage, contre la paroi du hall. Des vivres divers et des boissons chaudes sont généreusement offerts aux concurrents. La dame qui distribue les dossards remarque que l’on vient de loin (de Paris) pour faire cette course. « C’est la première fois que vous la faites ? – Oui, oui – C’est bien, vous ne le regretterez pas ! ». Bref, l’ambiance est vraiment agréable, presque familiale. Un haut-parleur diffuse la voix puissante d’un organisateur qui égrène les minutes jusqu’au départ du relais à 23h45. Oui, parce que les personnes de peu de souffle ont aussi la possibilité de participer à cette course, en constituant des équipes de 2, 3 ou 4 coureurs et en se relayant sur le parcours. Pas de ça pour nous. Le raid individuel, et lui seul. Départ minuit.



Samedi, 23h45
Top. Les relayeurs sont partis. Encore un quart d’heure pour nous. Juste le temps de se mettre en tenue, d’ajuster la lampe frontale sur le bonnet, et de déposer les sacs qui doivent être rapatriés à Lyon. Les bus sont déjà remplis des sacs des coureurs. Personne de l’organisation autour. Quand on relira plus tard le fascicule descriptif de la course, on verra qu’en fait les sacs devaient être déposés avant 23h30. Mais bon, on finit par trouver un homme de bons conseils, qui fournit une étiquette ad hoc à apposer sur le sac. Le temps de traverser le hall en courant, et l’on arrive à la porte juste pour entendre le top du départ. Et voilà. C’est parti. On passe la ligne de départ parmi les derniers, assourdis par les cris de la foule en délire devant le spectacle d’un tel dévouement à la chose sportive.


Dimanche 4 décembre, 0h30, St Etienne
Les premiers kilomètres sont sans surprise. Presque plats. Une bagatelle. On a même trop chaud. Les jambes fonctionnent bien. C’est (presque) un plaisir de parcourir ces rues désertes avec des centaines d’autres coureurs, alors que des gens, derrière tous ces volets fermés, se contentent de dormir. Quelques ronds-points plus loin, un homme est étendu sur l’herbe avec un tuyau dans la bouche, entouré d’ambulanciers. Il a dû partir un peu vite. Une fois traversés les faubourgs de St Etienne, les lumières de la ville s’éloignent et la route devient plus escarpée. Courir en montée, c’est plus difficile, c’est incontestable. Mais le premier ravitaillement est proche. On continue de courir. Quelques centaines de mètres avant le ravitaillement, sans préavis, ma lampe frontale rend l’âme. La sangle est cassée. Inutilisable. Elle n’avait que 5 jours. Désormais, une lampe pour deux. Mais voilà le ravitaillement. Déjà 7 km parcourus. Il est 0h50.

Dimanche, 2h
Les 8 kilomètres suivants sont déjà plus difficiles. Uniquement sur chemins (la course se fait à 55% sur routes et à 45% sur sentiers ou chemins). Suivant l’opinion majoritaire, on abandonne rapidement toute tentative de courir en montée (l’opinion majoritaire étant d’autant plus facile à suivre que, déjà, les meilleurs coureurs sont loin devant. Eh oui, le premier ayant parcouru les 68 kilomètres en 5 heures exactement, la moyenne est vite faite. Et à supposer qu’il court moins vite en montée, mieux vaut ne pas imaginer sa vitesse sur le plat). On marche donc rapidement dès que ça monte. Et déjà, on s’estime heureux quand on fait un faux pas sans se faire une entorse. Il est des bonheurs simples. Oui, parce que les chemins la nuit, avec une lampe frontale pour deux, c’est rapidement drôle. Mais une bonne fée semble veiller sur nous. On croise les doigts. Le deuxième ravitaillement se laisse déjà plus espérer. Quand on l’aperçoit enfin, on trouve un embranchement avec à droite les relayeurs qui s’arrêtent là et à gauche, les raideurs individuels qui continuent. S’arrêter là, déjà ? Une promenade de santé, oui.
Le ravitaillement est bienvenu. Le temps de se changer, et d’avaler quantité de fruits secs, cakes, et boissons – on regrettera vite cet excès, qui ne sera pas réitéré. 16 kilomètres. Il est 2h. Un peu moins du quart de la distance à parcourir.

Dimanche, 4h30
C’est alors que les choses ont commencé à devenir sérieuses. Peut-être que le fait d’avoir exagérément apprécié le pain d’épices au deuxième ravitaillement a joué, mais la légèreté des premiers kilomètres paraît déjà loin. Le chemin monte franchement désormais. Impossible de courir. Mais il faut quand même continuer de marcher assez vite. Pauline, qui court à côté, évoque les bienfaits des « endorphines », qui lui donnent ce « bonheur » de courir. Bonheur, dis-tu ? Visiblement, le pain d’épices a une action neutralisante sur les endorphines. Ce qui est rassurant en revanche, c’est que l’on continue de côtoyer pas mal de gens, qui adoptent une progression voisine de la nôtre. Et puis, il faut se dire que la partie sur chemins est vraiment la plus difficile. On va bientôt atteindre le point culminant du parcours, à 850 mètres d’altitude. Une fois revenus sur la route, ça ira mieux. On pourra courir, enfin. Surtout les 20 derniers kilomètres. On arrive malgré tout au ravitaillement de Sainte-Catherine. 30 kilomètres. Il est 4h30. C’est peut-être là que l’on commence de mieux comprendre ce que représentent 68 kilomètres. Parce qu’on en a parcouru 30. Et qu’il en reste 38. Dans la salle où le ravitaillement est installé, les coureurs sont nombreux. On s’étire. On discute. Certains parlent d’abandonner. D’autres dorment un peu. Les figures ne sont déjà plus très fraîches. Mais il ne faut pas trop s’installer, Pauline est là pour le rappeler. C’est vrai que plus on attend, plus on laisse à la douleur le loisir de se manifester, et plus il sera difficile de repartir. Allez, c’est reparti.

Dimanche, 6h05
Encore quelques kilomètres de montée et puis, enfin, on a l’impression d’avoir déjà parcouru une bonne partie du trajet. Devant nous, au loin, les lumières de la ville s’étendent à perte de vue. Déjà la banlieue de Lyon ? Après tout, c’est possible, à vol d’oiseau on ne doit pas être à plus d’une vingtaine de kilomètres. Les premières lueurs du jour sont déjà visibles. Mais très vite, on déchante. Les chemins en montée, c’est pénible, mais les chemins en descente, de nuit, avec une lampe frontale pour deux, c’est pire. Bien pire. Et l’organisation, de ce point de vue, a été généreuse. Elle offre aux concurrents une longue traversée du bois d’Arfeuille. En plein jour, le paysage doit être magnifique. Mais, de nuit, le charme est moins évident. Il a plu récemment et les flaques d’eau sont nombreuses. Autant d’occasions de tester la non-étanchéité de ses chaussures (et les Air Storm Pegasus, elles sont étanches, d’ailleurs ?). Pour des raisons inexpliquées, on parvient néanmoins à rejoindre le ravitaillement suivant de St Genoux (le bien nommé), sans entorses. Il est 6h05. On s’enquiert de la situation des premiers coureurs. « Oh oui, ils sont arrivés depuis longtemps. Ils sont passés ici un peu après 2 heures du matin. » Et l’on est au kilomètre 35… Bon. Mieux vaut ne pas trop traîner ici. Une dame se plaint des nombreuses chutes qu’elle a faites sur les chemins, et montre son genou à son voisin, qui prend une mine peu rassurante. Ne nous déconcentrons pas. Il reste 33 kilomètres.

Dimanche, 7h40
Après une courte montée, on rejoint enfin la route, en descente. Après ces heures passées sur des chemins, c’est une sorte de délivrance. On court les cinq kilomètres suivants, à bonne allure. Le pain d’épices est loin, maintenant. Les jambes avancent bien, c’est agréable. Les endorphines, sûrement. Cette fois, elles ont l’air de faire moins d’effet à Pauline. Mais il faut avancer. Si l’on arrive vers 7h au ravitaillement de Soucieux en Jarrest, 10 kilomètres plus loin, il ne restera que 22 kilomètres, sur routes et en descente (l’intérêt de ne pas lire attentivement le profil de la course avant le départ, c’est de pouvoir nourrir de faux espoirs). Et 22 km, après tout, ça ne paraît pas si long que ça à ce moment-là de la nuit. A ce compte-là, on peut être arrivés autour de 10h. La barre des 10 heures, voilà l’objectif. On rejoint donc un peu essoufflés le ravitaillement de Soucieux en Jarrest. A voir seulement l’état du buffet, on peut estimer le nombre de coureurs affamés qui se sont rués dessus avant nous. C’est dur. Même plus de menthe à l’eau. Et puis pas de place pour s’asseoir quelques minutes. Un coup au moral. Au mauvais moment.

Dimanche, 9h
On repart donc sans tarder. Et là, les choses se gâtent. Les endorphines se taisent, à jamais. 22 km, une bagatelle, vraiment ? Je n’ai pas le courage de repartir en courant, après ce ravitaillement en trompe l’œil. Le jour est levé maintenant. Je ne sais pas pourquoi, mais les kilomètres deviennent plus longs que dans la nuit. Peut-être parce qu’on les voit mieux. On alterne donc des périodes de marche et de course. Dans les jambes, ça commence à tirer sévèrement. Peut-être que ces changements d’allure fréquents n’aident pas. On finit par arrêter totalement de courir, en attendant le prochain ravitaillement, le dernier avant l’arrivée, qui ne doit pas être loin. Dans un petit village, on croise enfin un organisateur. « Il est loin le prochain ravitaillement ? – Oh là, c’est pas tout de suite, encore 3 kilomètres ! Trois kilomètres, oui… au moins ! ». Merci Monsieur. En fait de 3, il reste près de 5 kilomètres jusqu’au ravitaillement de Beaunant. Et 5 kilomètres, en marchant, c’est une distance. Au bout de 40 minutes, on décide de regarder la carte, pour en avoir le cœur net. Mauvaise idée… Non seulement il reste encore 2 kilomètres jusqu’au ravitaillement, mais en plus celui-ci est encore à 12 kilomètres de l’arrivée, avec une copieuse montée. Dans ma tête, c’était 8 et pas 12. Deuxième coup au moral. Les tiraillements dans les jambes sont de plus en plus aigus, et les genoux commencent également à formuler des doléances. Les derniers kilomètres avant Beaunant sont interminables. Après chaque tournant, on découvre une nouvelle ligne droite, les genoux crient et les mollets hurlent. Misère.

Dimanche, 10h40
Enfin, on arrive au ravitaillement de Beaunant. Un dispositif sérieux, cette fois, avec raisins secs et menthe à l’eau. Ouf. On s’effondre quelques minutes sur des chaises. La douleur est vraiment forte dans les jambes. On demande donc conseil aux membres de la Protection Civile, présents là comme aux principaux ravitaillements du parcours. « Oh ben, on peut vous faire un massage, si vous voulez ! ». Un massage ? Diable, je ne l’avais pas prévue celle-là. Mais c’est vrai que ça doit faire du bien, un massage. Le mieux, d’ailleurs, ce serait que Pauline en demande un pour elle, comme ça je pourrais négligemment l’imiter, sur le mode du « Oh ben après tout, tant qu’à être là… ». Mais elle ne dit rien. Je suis joué. « Non, c’est bon, ça va aller, il ne reste que 10 kilomètres de toute façon ! – Comme vous voulez ! ». On reprend donc la route. Mais à peine arrivé à la grille, je me rends compte que si je continue à marcher comme ça 10 pas de plus, une crampe va me foudroyer. Je suggère donc que l’on fasse demi-tour. Quand il me voit revenir, le Monsieur de la Protection Civile a un sourire aux lèvres. « Oui, en fait, finalement…. ». Donc, je demande un massage. « Pour vous aussi, mademoiselle ? ».

Dimanche, 12h
A 10h40, on repart, en attaquant la dernière montée du parcours, vers Ste Foy Les Lyon. Le massage a été efficace, c’est incontestable. Mais bon, impossible de se remettre à courir… Jusqu’à l’arrivée, désormais, il y a des pancartes tous les kilomètres. Il en reste 11. D’où un cas de conscience. Dans la brochure de présentation, il est mentionné que seuls les concurrents bouclant la distance en moins de 12 heures, recevront le Tee-shirt « Finisher » Nike. Ce Tee-shirt, c’est un peu la consécration, il faut bien le dire. On ne peut pas faire une croix dessus. Mais d’un autre côté, on calcule vite que 11 kilomètres, en marchant, et en une heure vingt, c’est… impossible. Courir à nouveau donc ? A 9 kilomètres/heure de moyenne jusqu’à l’arrivée ? Impossible aussi. Même si la force morale nous fait parcourir les premiers kilomètres, je ne donne pas cher de mes mollets au-delà. Et à faire les derniers kilomètres en rampant sur les quais de Saône, c’est mon TGV que je risque de rater ce soir. L’image du Tee-shirt « Finisher » s’évanouit donc lentement. Las. En haut de la colline de Ste Foy, il reste 6 kilomètres. On amorce la longue descente vers la Saône. Il est 11h45. Il y a même des escaliers à descendre par moment. Petits moments de torture. Les escaliers, désormais, c’est horrible ! Sur les quais, on rencontre une dame, les yeux rouges, qui nous montre une énorme ampoule à son pied. Mais elle veut finir la course. Elle décide de marcher avec une chaussure seulement. Respect.



Dimanche, 12h55
La brochure de la course mentionnait la « piste du Confluent entre Saône et Rhône, pour un final sublime dans le parc de Gerland ». C’est une vaste plaisanterie. En fait de final sublime, les derniers kilomètres nous font parcourir les zones industrialo-portuaires des quais de Saône. Je concède qu’à ce moment-là de la course, mes capacités d’appréciation des beaux paysages sont relativement émoussées, mais bon, « sublime », non. Au niveau de la pancarte « 3 Km », on se remémore la discussion dans la navette, la veille, à propos des 3 kilomètres rajoutés par les organisateurs par rapport à la précédente édition. Au rythme où l’on marche, les 3 derniers kilomètres, on va mettre une bonne quarantaine de minutes à en venir à bout. On ne pense plus à rien. Surtout pas aux jambes, non. On voue seulement aux gémonies les organisateurs de la course, qui poussent le luxe jusqu’à nous faire faire un large détour sur la presqu’île, juste avant l’arrivée… Enfin, on aperçoit le portique d’arrivée. Il est 12h55. « Km 68 ». Finalement, il reste des Tee-shirt « Finisher » Nike.

1 commentaire

Commentaire de riri51 posté le 07-05-2006 à 20:03:00

Félicitations,"finisher" de la saintélyon "maximum respect!!!

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