Récit de la course : Raid 28 2006, par LeSanglier

L'auteur : LeSanglier

La course : Raid 28

Date : 14/1/2006

Lieu : Bures Sur Yvette (Essonne)

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Distance : 80km

Objectif : Terminer

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Un raid soliDaire

Quatre décembre 2005, minuit trente, entre Saint-Etienne et Lyon. Koko, Gé et moi remontons doucement vers le premier ravito de la Saintélyon, et nous évoquons une nouvelle fois notre éventuelle participation au Raid 28 début 2006. Ce serait chouette non ? Il nous manquait deux équipiers, dont l’orienteur, puisque ni les filles ni moi ne sommes des pros de la carte et des boussoles. Phil était d’office embarqué dans cette histoire, et il a accepté de nous rejoindre sans même rechigner. L’appel fut donc lancé sur le forum UFO pour compléter cette dynamique équipe des « UFOs du 28 ». Loran fut le premier à répondre, et tout surpris d’avoir été « retenu », fut intégré à l’équipe en tant que co-orienteur, tâche qu’il partagerait avec Phil. Koko était toute désignée comme capitaine de charme et de choc, et pour ma part je me collerais au poinçonnage, étant sans doute le plus en forme de la bande, et n’ayant pas peur de faire quelques kilomètres de plus, dans des conditions difficiles si nécessaire. Gé serait notre étendard, notre porte-bonheur, notre élément dynamisant.

Notre équipe n’étant pas très expérimentée sur ce genre de course (doux euphémisme), nous avions décidé de suivre le parcours minimum, pour arriver au bout du raid sans risquer de se faire éliminer pour cause de dépassement des barrières horaires. Et sans être passé par Nogent-sur-Marne, n’est-ce pas Phil ? Nous ne chercherions donc que les balises vertes (pénalités de temps si on ne les trouve pas) en zappant les bleues (bonus de temps si on les trouve), et en essayant de ne pas trop nous dérouter du trajet le plus court. Si la forme est au rendez-vous, j’irai chercher seul quelques balises supplémentaires aux abords de notre chemin. Tant pis pour les pénalités, l’essentiel est de finir ensemble la course.

L’avant-course est l’occasion de se restaurer dans le gymnase, de saluer les têtes connues et de faire connaissance des inconnues, avec toujours autant de plaisir. L’ambiance générale est très sympathique, mais la pression monte petit à petit, surtout que Phil et Loran n’arriveront pas avant 21h ! C’est alors la course pour passer les contrôles obligatoires (nous sommes derniers, on ne pourra que remonter au classement !), recevoir nos doassards (équipe 19) et nous faire prendre en photo, tout sourire, et pas tout à fait propres (je n’ai pas eu le temps de laver mon collant et mes chaussures depuis ma dernière sortie gadouilleuse… La honte !). Brieffing des capitaines, l’heure passe à toute vitesse et nous mène à…

22 heures : Koko arrache sur la table les définitions de balises et les cartes et court nous rejoindre. Loran et Phil se partagent les documents, Phil aux définitions, Loran à la carte, et tous deux commencent les premiers reports. Lire la définition de la balise (« à l’extrémité nord de la clairière untel »), repérer la clairirère et son extrémité nord sur la carte, la pointer dessus au stylo rouge puis repérer le trajet le plus pratique y menant depuis le point précédent, voilà qui occupera nos deux acolytes un petit moment. J’observe pendant ce temps les autres équipes et m’imprègne de cette ambiance de départ de raid très particulière. Il y a beaucoup à apprendre en observant, notamment les favoris comme l’équipe 1 qui a gagné l’an dernier. Ils reportent les balises à une vitesse incroyable, et commencent même celles de la fin de parcours, pour éviter de perdre du temps plus tard : du travail de pro, il n’y a pas à dire.

Quelques minutes après, nous sortons du gymnase de Bures en courant, direction les bois. Nous courons pendant une petite heure groupés avec d’autres équipes, le temps que les rythmes différents et les options de parcours nous éloignent les uns des autres. Les premières balises sont assez évidentes, mais me mettent dans le bain, notamment celle cachée dans une petite ruine à droite du sentier. Nous décidons alors d’un petit « truc » pour nous prévenir du bon poinçonnage de la balise sans ameuter tout le monde, et toute la nuit nous userons et abuserons de nos petits échanges sur tous les tons, renforçant la connivence du groupe. Car nous sommes très liés les uns aux autres, nous commençons à bien nous connaître, ayant déjà couru et beaucoup échangé ensemble, et nous nous aprécions les uns les autres. C’est une condition sine qua non pour mener à bien ce genre de raid, car bien vite apparaissent des difficultés propres à faire éclater des équipes moins soudées.

Arrive le moment du premier gros jardinage : la balise est sensée se trouver à l’extrémité sud d’une clairière, et nous râtissons mètre par mètre le fossé qui borde l’endroit désigné par Phil et Loran. Seulement, nous n’étions pas dans ladite clairière, mais un peu trop au nord, au bord d’une large plaine. Pas bien grave, nous nous repenchons sur la carte, trouvons la clairière adéquate, et une fois sur place en quelques secondes la balise est dénichée. C’est vraiment une tâche ardue de reporter les balises, et compte tenu de leur passé, nos deux orienteurs se sont particulièrement bien débrouillés ! Il n’empêche que nous avons l’impression d’être largement à la traîne, ce que nous confirment les bénévoles aux différents points de contrôle obligatoires, qui nous annoncent régulièrement que nous sommes dans les trois dernières équipes en course. Hum, voilà qui n’est pas fait pour nous rassurer !

Il n’empêche que nous prenons du bon temps ! Nous arpentons tour à tour des sous-bois, des bords de champ, des pistes cyclables, des bas-côtés de départementales, des rues au sein de villages endormis… Ca monte et ça descend, c’est rarement plat, c’est très ludique. Nous évoluons dans une très bonne ambiance, chacun s’acquittant de sa tâche avec le sourire. Nous échangeons des histoires sérieuses ou marrantes, des anecdotes de course ou de vie, parlons du passé comme de l’avenir. Mais ces courts moments de discussion sont vite entrecoupés de reports de balise et de recherche de ces dernières. D’ailleurs, l’une d’entre elles nous donnera bien du fil à retordre. Posée à l’extrémité nord d’une élévation de terre perché sur une cote précise de la carte (126,5 si mes souvenirs sont bons), nous n’avons pas réussi à la dégotter malgré une dizaine de minutes de recherches actives à cinq ! C’est le premier échec auquel nous faisons face depuis le début de course, et ça donne un coup au moral de repartir, le carton de pointage intact là où auraient du apparaîtrent les petits trous du poinçon…

Conscients de notre retard, nous accélérons un peu l’allure et arrivons sur la commune de Buc, où nous sommes sensés trouver une balise à quelques encablures de la maison fermant l’accès à l’aqueduc. Nous arrivons par une direction imprévue en bas de l’aqueduc, et après un peu d’hésitations je remonte la côte pour chercher tout en haut, sans succès. Je redescends, et nous tombons sur un bénévole qui nous affirme que la balise est bien là-haut, le tout sur un ton un peu goguenard. Piqué au vif, je remonte une nouvelle fois, et râtisse les lieux plusieurs minutes, sans toutefois davantage de succès. Vraiment dépité de ne pouvoir offrir cette réussite à mes amis, je redescends la queue entre les jambes et m’octroie au passage trois jolies chutes dans la pente très boueuse. Mon moral en a pris un coup, mon orgueil a été touché par cet échec, d’autant plus que mes deux jardinages ont fait perdre un quart d’heure au groupe.

Quelques minutes après, nous arrivons à un passage assez inattendu. Notre chemin nous mène tout droit vers la Bièvre, petit ruisseau qui s’engouffre en cet endroit dans un tunnel, tunnel que nous n’avons d’autre choix que de traverser. Nous prenons tous une grand inspiration avant de nous jeter dans les vingt à trente centimètres d’eau glacée qui s’écoule au fond du sombre boyau. J’adore ce moment, il est deux ou trois heures du matin, nous sommes en plein hiver, et nous ne trouvons rien d’autre de mieux à faire que de nous tremper les pieds dans un ruisseau glacé ! Je cours sous le tunnel, immortalise le moment d’une petite photo et remonte sur la berge en vitesse. Sauf qu’on a omis de me dire qu’il y avait une balise au bout du tunnel ! Grmbl, je re-saute dans l’eau, court poinçonner et reviens, le sourire aux lèvres et les orteils recroquevillés… Loran avait fait l’acquisition de chaussettes étanches, et apparemment elles se sont avérées efficaces, sauf que l’eau est passée par dessus la droite… Mais son pied gauche est resté au sec ! Bon à savoir !

Notre chemin se poursuit, et nous retrouvons assez vite la Bièvre que nous longeons un moment, jusqu’à apercevoir une balise sur l’autre rive à quatre mètres à peine. Seulement, pas de pont, et l’eau semble assez profonde. Je m’apprête à y sauter, mais mes équipiers m’arrêtent, ils n’ont visiblement pas envie de me voir faire une hypothermie. Hum, je me laisse faire, et nous repartons d’un bon pas sur deux-cents bons mètres, puis soudain j’aperçois un gué. Ni une ni deux, il faut que je me rachète de la balise de l’aqueduc, je saute dans les quinze centimètres d’eau, traverse la rive et repars à bonne allure en arrière poinçonner cette fichue balise. Deux minutes de perdues pour vingt de gagnées, j’aurai mérité mon avoine de retour à l’écurie !

Nous approchons d’un château où est cachée, au pied d’une statue située aux abords de l’entrée principale, la balise suivante. Eh oui, mais l’entrée principale, c’est laquelle ? Nous faisons le mauvais choix, et râtissons soigneusement les abords de la bâtisse avant de nous rendre compte de notre erreur. Je file alors à travers le parc complètement détrempé (mes pieds sont de nouveau très humides) vers la bonne entrée, y trouve la statue, et la balise qui nous attendait sagement. Poinçonnage, et nous filons vers la suite de nos aventures, les yeux rivés sur les reflets des arbres à la surface miroitante des rivières, mares, étangs et lacs que nous croisons.

La nuit se tire, le petit matin s’approche. Nous croisons à plusieurs reprises l’équipe des « Trans’ Gaulois », une femme et quatre hommes tous finisher de la fameuse épreuve traversant la France. La féminine, Annick, est bien connue de notre petit groupe, et chaque rencontre est l’occasion de se charrier un peu et de s’encourager en même temps. Il n’empêche qu’ils ont beau être à notre niveau, ils poinçonnent beaucoup plus de balises que nous ! Notre chemin se poursuit toujours sous la peine lune, figée au milieu d’un ciel limpide et superbe. Peu avant le petit matin, nous admirerons à travers les branchages une singularité que seule la nature sait produire. Deux étranges nuages très fins et très longs forment une croix juste sous la lune, c’est superbe, majestueux, unique. Un signe ?

Encore un jour se lève sur la planète France, et je sors doucement de mes rêves… Mais contrairement à Saez dans « Jeune et con », je ne les ai pas perdus mes rêves, non, loin de là. Car même éveillé, je continue à rêver, mes coéquipiers autour de moi. La cheville gauche me tiraille depuis une bonne heure, moment où je me la suis tordue dans une ornière, les jambes sont un peu lourdes, les paupières en plomb, l’esprit divague quelque part où il fait doux, mais pour autant je suis heureux d’être là. Car c’est ici que m’auraient conduits mes rêves si à cette heure j’avais été dans un lit plutôt que dans une forêt, c’est d’ici et de ces amis qui partagent cette balade que j’aurais rêvé.

Le soleil nous redonne des couleurs à tous, un regain d’énergie, un second soufle. Nous repartons ragaillardis sur les sentiers, toujours aussi pressés par les limites des barrières horaires. Gé souffre sérieusement du genou droit, la voir serrer les dents me fait mal pour elle. Koko va un peu mieux, après être passé par un énorme coup de mou pendant quelques heures. Loran est toujours lucide et en forme, il est incroyable ! Phil va bien lui aussi, rien de méchant à signaler sinon son tibia qui commence à se rappeler à son bon souvenir. Quant à moi, je n’ai pas à me plaindre, rien de méchant hormis une méchante envie de dormir. Il faut dire que j’ai géré cet avant-course comme un débutant, les dix nuits précédent le raid ayant été très légères en sommeil. Je paierai ce déficit de repos dans les dernières heures, manquant du jus nécessaire pour aller chercher quelques balises supplémentaires, et c’est une erreur qui me pèse.

La matinée s’avance, et c’est de plus en plus de petits morceaux d’équipes que nous croisons. A croire que nous sommes parmi les rares à avoir échappé au désistement d’un ou plusieurs membres, ça paraît incroyable ! Nous courons encore, mais il semble que les autres soient davantage à la ramasse que nous, encore une constatation qui fait du bien. Qu’il est bon de se sentir vivant ! Encore une fois nous croisons les Trans’ Gaulois aux abords d’une « mare » (Loran qualifiait de mare toutes les étendues d’eau, sur celle-ci le Titanic aurait pu tenir à l’aise !) qui va nous occuper quelques longues minutes à la recherche d’une balise. Cette recherche sera la seule occasion du raid où mes coéquipiers auront sorti le GSM de peur de m’avoir perdu, il est vrai que je suis parti un peu loin en avant pour dégoter le précieux poinçon. Koko avait une grosse apréhension de perdre un compagnon, c’est ce qui lui était arrivé l’année passée, séance angoisse assurée ! Mais de ce côté nous avons été très raisonnables, lucides aussi, et malgré le fait que je m’éloignais souvent de quelques centaines de mètres, nous ne nous séparions qu’en parfaite connaissance de cause et n’avons jamais eu de sueurs froides.

Le groupe continue d’avancer, je laisse plusieurs fois mes compagnons pour aller poiçonner sur la droite ou la gauche du tracé le plus court quelque balise verte. La forme est bien là, les jambes répondent, même si je suis vraiment fatigué et que l’envie de dormir ne me quitte pas. Mais le plaisir de voir mes coéquipiers sourire lorsque je reviens avec quelques trous de plus dans notre carton l’emporte largement sur la fatigue. Les CP s’enchaînent eux aussi, et nous flirtons toujours avec les barrières horaires. L’organisation les a repoussées de 40’, voyant que nombre d’équipes allaient être trop juste de pas grande chose. Nous tombons sur l’équipe de Paulo et Ufoot (père et fils), qui motivent leurs trois équipières et arriveront au bout pile dans les délais, tous ensemble. Une grande réussite pour ces nouvelles raideuses.

En fin de matinée je m’octroie encore quelques balises supplémentaires (un « tipi » à 300m à gauche du chemin, une butte à 300m à droite, sous un petit pont les pieds dans l’eau, derrière un mini marécage…) puis finit par ne plus pouvoir faire grand chose d’autre qu’avancer péniblement en début d’après-midi. J’ai les pieds pourris d’échauffements et d’ampoules (les chaussettes trempées depuis le milieu de la nuit ce n’est pas bon du tout…) et chaque pas donne l’impression de marcher sur des oursins. Mais ça n’en reste pas moins léger à-côté des douleurs au genou dont souffre Gé, qui s’appuie sur un bâton pour marcher à partir de 13h. Koko a elle aussi les pieds bien attaqués, Phil soufre du tibia (il traîne une douleur depuis des mois, qui se réveille toujours au bout d’un moment en course), et Loran semble le moins amoché de nous tous. Il continue de nous guider sans faillir et de se comporter en parfait gentleman, un exemple.

Tant bien que mal, nous parvenons au dernier CP éliminatoire dans les temps. C’est un grand soulagement pour tous je crois, même si dans un coin de notre esprit on pensait peut-être qu’il ne serait pas plus mal d’en finir plutôt que de se traîner encore quinze longs kilomètres. Vrai qu’à 4km/h, ça nous promet encore de longues heures de marche douloureuse. Mais qu’à cela ne tienne, nous repartons affronter ce dernier tronçon, sûrs cette fois d’arriver au bout tous les cinq. Phil et Koko prennent le relais pour les balises, Phil parvient même à aller en chercher une jugée innaccessible par un concurrent revenu bredouille. Nous continuons de croiser, doubler ou nous faire doubler par des équipes décimées, la palme revenant à la 18, dont un seul équipier est encore en piste. Une pensée en passant aux abords de ce concurrent à la cheville en vrac, équipier de Koko l’année passée, concurrent malheureux qu’elle ira réconforter quelques instants en attendant les secours. Ces kilomètres de bord de route seront les plus longs pour moi, je suis épuisé et j’ai mal (enfin un mal très anodin et superficiel, je sais que je n’aurai pas de séquelles), et je sens que mes amis sont aussi touchés.

Enfin, nous voici dans les deux derniers kilomètres. Une dernière montée, et nous pénétrons dans le parc d’un château, où les promeneurs du dimanche après-midi nous observent comme des bêtes curieuses, ce à quoi nous ressemblons sans doute. Une nuit et les trois-quarts d’une journée passées à gambader en pleine nature en hiver, ça laisse des traces ! Koko poinçonne encore trois balises dans le parc du château, elle est toute joyeuse de courir les chercher, c’est un plaisir pour tous de la voir ainsi s’activer. Et puis nous abordons le dernier kilomètre, que nous allons courir intégralement, preuve que nous disposons tous encore de bonnes ressources. Main dans la main nous franchissons la ligne d’arrivée, nos mines réjouies prouvant sans conteste que c’est bien de la joie que nous ressentons à ce moment.

A cinq nous sommes partis de Bures-sur-Yvette, à cinq nous sommes arrivés à Nogent-le-Roi, dans les délais impartis (après ajout de 40’) en 18h20 de course et marche, pour environ 83km parcourus. Les trois-quarts d’un 24h passés ensemble dans la campagne, solidaires du début à la fin. Nous finissons seizième équipe par ordre d’arrivée, sur dix-huit équipes finissant complètes, et trente-cinq au départ. Vu l’impasse sur de très nombreuses balises, nous ne sommes sans doute guère mieux classés au classement final après pénalités et bonus, mais peu importe : nous avons vaincu le Raid 28, tous ensemble.

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