Récit de la course : Trail Verbier St-Bernard - La Traversée 2010, par Tartine

L'auteur : Tartine

La course : Trail Verbier St-Bernard - La Traversée

Date : 3/7/2010

Lieu : Verbier (Suisse)

Affichage : 2913 vues

Distance : 61km

Objectif : Objectif majeur

1 commentaire

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Grandiose Traversée

 

La Fouly–Verbier : grandiose Traversée.  

« Maintenant, jeune encore et souvent éprouvé,
J'ai plus d'un souvenir profondément gravé »
  

L’eau chaude bienfaisante de la douche coule voluptueusement sur mon crâne et mes épaules. La fenêtre de la chambre grande ouverte absorbe quelque brouhaha microphonique lointain, mais l’hôtel demeure ouaté et silencieux. Je ferme les yeux et savoure ce moment de calme avec moi-même. La tension retombe ; les images toute fraîches commencent à sédimenter ; quelques flashs de couleur jaillissent ici et là. La nuit peut tomber sur Verbier : ma course est finie, et se sont insinués dans mes jambes, dans mon dos, dans mon esprit, les merveilleux paysages du Bas Valais.   

Ce Trail avait deux ans ! Verbier remplaçait Sierre ;                                                                                                                 Déjà la Traversée perçait sous Bourg-Saint-Pierre …                                                                                                             Mais avant nous voici au départ : La Fouly                                                                                                                           C’est un bus coloré qui nous y a conduits;                                                                                                                               L’ambiance est bon enfant, on admire la Grand Lui                                                                                                                 Fichtre ! les cors des Alpes, il est bientôt midi ! 

Pour son premier véritable trail long, mon camarade Olivier n’a pas trop l’air tendu. Dans la zone de départ, j’aperçois également mon pote Nicolas, musique branchée aux écoutilles. Je m’étire, allume ma Garmin, respire calmement. Un coup d’œil vers le ciel pas totalement bleu me laisse envisager une météo capricieuse. La vue du glacier de l’A-Neuve, fils du Dolent, père de la Reuze, donne un pincement au cœur, comme on constate l’abandon de marges morainiques de plus en plus étendues. Tiens ! un gars avec des chaussures de mangas montées sur coussins d’air ; pas de doute, il s’agit de N. Mermoud, chaussé de ses Hoka –je dois dire superbes- développées avec C. Aubonnet. « Ca change la vie », me dit-il lorsque nous échangeons quelques mots. Pourquoi ne pas les essayer un jour, effectivement. 

Mais pan ! C’est parti. 

Un ruban de bitume pour étirer la pâte déjà brisée, un hélico pour saupoudrer d’images, 700 fruits gorgés de vitamines … vivement le goûter. Mais d’abord le hors d’oeuvre, avec une pente rapidement soutenue et les premières gouttes de pluie. Je me suis juré de partir tranquille, de savourer du début à la fin. Le mois dernier, je n’avais pris aucun plaisir à courir le Faverges, probablement trop préoccupé à terminer rapidement (ce qui créa l’effet inverse). De Diou ! faut-il déjà sortir le k-way ? Ca fait suer. J’aime bien dire « k-way » ; ça me rappelle mon enfance. La production de ce truc, que l’on portait en banane autour de la taille, a été stoppée en 2008. Saviez-vous qu’un français (Jean-Claude Duhamel) l’a inventé en 1965 ? Au début, il était baptisé « en cas ». Bon ! le Velcro, c’est suisse, mais le k-way, c’est français. C’est comme ça. 

La plupart des concurrents d’aujourd’hui s’en moquent ; je le vois bien. Ils restent en débardeur. Moi c’est décidé, je me couvre. L’avenir me donnera raison. Au Col de la Fenêtre s'ouvre un paysage patagoniesque : averses, bourrasques, névés, lac enneigé. Grosse ambiance ! Je m’efforce de conserver une foulée efficace et économique en évitant de trop patiner sur la neige et dans la boue, et c’est sous une pluie battante que j’atteins le Grand Saint Bernard.  

Ici, les chanoines n’élèvent pas des chiens porteurs de tonneaux … ils perpétuent cette tradition d'accueil et de réconfort, pour les randonneurs, les pèlerins et ceux qui cherchent un soutien spirituel. A la vue de l’Hospice, ma gorge se noue et les larmes me montent aux yeux. Le souvenir d’Olivier, qui aimait tant cet endroit, et dont les cendres ont été dispersées ici même, me touche plus intensément que prévu. Je crie son nom. Je nous revois en peaux de phoque gravir le Mont Fourchon. J’entends encore sa douce voix tintée d’accent vaudois. Sa gentillesse manque à notre monde cruel. 

Nous devons avaler encore 500 mètres de dénivelé pour atteindre le col des Chevaux. Etrange, comme nom. Je croyais qu’Annibal avait traversé avec des éléphants ! Ou peut-être faut-il y voir une allusion au passage du Premier Consul Bonaparte en 1800, immortalisé par le peintre David sur son fougueux destrier ? Toujours est-il que pour l’heure, l’eau ruisselle sur les gneiss, et je suis assez fier non seulement d’avoir encore les pieds relativement secs, mais aussi de dépasser la première féminine … de la boucle, qui ne cesse de me demander si la seconde est loin derrière. Comme je n’en ai aucune idée, je lui réponds, dans un pei mensonge « don’t worry : over 30 minutes ». Comme ça personne ne stresse.  

La bascule dans la descente nous réserve une petite surprise … de longues langues de névés (dévalées sur les fesses), des torrents impétueux qu’il faut franchir tant bien que mal, un terrain vraiment glissant. Gaffe ! de toutes façons, maintenant c’est fait … les pompes sont gorgées d’eau. Je passe cette partie technique avec beaucoup de prudence. Le moindre faux pas peut être fatal. Une chute dans le torrent, et on se fracasse sur les rochers 10 m plus bas. D’ordinaire, je ne ressens jamais ce sentiment fugitif de peur au cours d’un trail, mais ici la nature exprime toute sa sauvagerie, sa puissante beauté. On se sent tout petit.  

Le trail, c’est aussi cela : le bonheur d’évoluer dans de grands espaces, de respirer à pleins poumons; c’est ce sentiment de liberté où l’on fait corps avec la matière et où l’on reprend contact avec sa sauvagerie originelle. Au-delà de l’exploit sportif et du sens du dépassement, il est bon de retrouver ce côté guerrier qui génère l’estime de soi et la reconnaissance des proches, ce dont notre société moderne normée et castratrice nous détourne. 

Ce qui me plait aussi, dans cette discipline sportive, c’est le mystère alchimique qui décide de la réussite ou de l’échec d’une épreuve - ou même d’une saison : facteurs que l’on maîtrise (préparation, choix de l’équipement, mental) ou qui nous échappent (forme du jour, météo, imprévus de course). Parfois tout roule, les temps de passage sont respectés, on ne connaît pas de défaillance et on profite de tout. D’autres fois quelque chose cloche, déçoit, vide … on ne sait pas toujours pourquoi. 

C’est ce que je me dis, en traversant désormais des paysages plus doux, sur des chemins plus accueillants bordés de milliers de fleurs aux longues tiges, éclatantes à cette saison. La pluie a cessé, mais l’humidité exhale des odeurs de bruyère alors que nous longeons le Lac des Toules. On peut pratiquer ici un sport unique en suisse : le « rap jump », qui consiste à dévaler le mur du barrage dans un harnais d'aile delta.

 

Bourg-Saint-Pierre nous accueille enfin, après 27 km et 3h40 de course. Je suis dans mon plan de passage à la minute près ! Cette étape à Bourg-St-Pierre, charmant village chargé d’histoire, nous permet de reprendre nos esprits, recharger les batteries, et nous donne à admirer de remarquables greniers et raccards de bois construits sur pilotis typiques du Valais, aux madriers soigneusement assemblés.

 

La montée vers le Col de Mille s’effectue souplement. Une première partie relativement soutenue mais régulière nous permet d’admirer forêts de mélèzes et alpages bucoliques. Je durcis un peu le rythme. Ensuite, le large chemin fait place à un terrain plus accidenté fait de grosses pierres plates plus ou moins stables, puis d’un rocher délité. Je commence à refaire quelques places. Alors que Pierre-Alain – le cuistre !- se fait actuellement rôtir la couenne aux bains des Pâquis, il s’est ici remis à pleuvoir. Une constante pour les passages de cols !    

Après une descente agréable d’environ 1h30, je me retrouve à Lourtier, où une foule de gamins nous tape dans les mains. C’est un moment que j’aime bien. L’un d’entre eux m’annonce que l’Allemagne a infligé un 4-0 aux argentins ; tout cela me semble tellement dérisoire. Fidèles à leur réputation, nos amis valaisans ont dressé de belles assiettes de charcutaille et de fromage auxquelles je tente de résister. Manquerait juste un petit Chasselas pour donner un coup de fouet avant la grosse bavante qui nous attend ! 

C’est peu de le dire … Les 13 étoiles du Canton tournoient dans ma tête, tant la pente est raide sur cette dernière montée. 1'200 m de D+ sur à peine 5 km : c’est pas humain ! Je n’en vois pas la fin. Les cuisses sont en caramel mou. Et on me double ! Non mais ya pas idée. Ho hisse, la saucisse ! Finalement ya une fin à c’t’horreur. Et une belle récompense. Non seulement le ravito nous attend, mais le ciel s’est dégagé, et nous jouissons sur ce plateau de La Chaux d’un panorama ex-cep-tio-nnel ! Du Grand Combin aux Dents du Midi, en passant par l’Aiguille du Chardonnet et tutti quanti. Un berger est là, que je salue en prenant le temps de m’arrêter quelques secondes pour discuter. Il ouvre les bras vers l’horizon et s'exclame, le visage illuminé : « Là, on a tout ». « Adieu », lui lance-je en lui serrant le paluche (qu’il a rugueuse). Et me voilà reparti tout fringuant. Pour un peu, cette lumière du soleil couchant me retiendrait bien davantage sur les hauteurs de Verbier. 

Mais il faut bien se résoudre à descendre un jour des cimes éthérées, surplombant les nuées, « loin des miasmes morbides », comme dirait Baudelaire. Je rejoins vite un coureur tout musculeux à l’allure sympathique qui m’avait doublé dans l’ascension. Nous bavassons. Il semble connaître chaque pierre de ce chemin finalement plus vallonné que prévu, et me sert de GPS avant d’attaquer la descente finale. Nous filons tels des elfes à toute allure. Nous doublons like crazy. C’est bon de se lâcher. Bientôt, les derniers hectomètres de bitume. Une fanfare nous accueille. La foule en délire m’acclame (environ 3 personnes) tandis que je danse en exécutant un 360 les bras en l’air façon Rabby Jacob. Tiens ! mon coéquipier a disparu. J’apprendrai le lendemain qu’il s’agissait en réalité du curé de Verbier, celui là même qui bénit la patrouille. Chapeau bas, mon Père. 

Alors que je franchis l’arche après 9h41mn d’un parcours magnifique et contrasté, le village se laisse progressivement envahir par l’obscurité. Vivement la douche !

 

1 commentaire

Commentaire de akunamatata posté le 26-06-2011 à 22:36:00

joli traversée !

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