Récit de la course : Ultra Trail du Mont Blanc 2005, par Antoine GUILLON
Le récit
Amis Traileurs,
La lecture des récits de l’UTMB ainsi que vos nombreux échanges sur son forum m’ayant permis de trouver la motivation, le plaisir et de multiples réponses à mes questions muettes, je me décide à vous rendre la pareille.
En 2004, je craignais l’énormité de l’épreuve. Puis, en 2005, gagné par l’irrésistible envie d’aller plus loin et rassuré par « La Course Aux Etoiles » que je vous recommande, pendant laquelle je découvrais le plaisir d’évoluer dans la nuit, je me suis retrouvé avec une inscription validée sur Internet et un curieux mélange d’excitation et d’inquiétude.
Ma saison prit alors une tournure Utmbiste : de l’entraînement spécifique et une course préparatoire après la CAE de 76 km en mars, qui n’était autre que le Grand Raid du Mercantour.
Cet ultra là me permit de tester le matériel, d’entrevoir, de manière insuffisante d’ailleurs, que je ne digère pas efficacement les barres énergétiques ; que je consomme 70 litres aux 100,
soit 0,7 litre / heure de boisson énergétique par temps moyen, mais surtout que les bâtons sont indispensables. Sur ce point je remercie ceux qui ont débattu sur le sujet. En effet, n’en ayant pas utilisé au GRM qui affichait le même pourcentage de dénivelé sur 105 km, j’ai souffert lors des grosses ascensions et cheminais pendant 14 heures avec Benoît De Preville qui n’en avait pas non plus et qui, comme moi à l’arrivée, se demandait si nous n’étions pas dans l’erreur…
J’ai vécu la différence sur l’UTMB. Les bâtons, ce sont deux pattes supplémentaires !
Ils permettent d’alléger la charge musculaire en côte, d’amortir en descente, facilitent le franchissement des obstacles et ne gênent aucunement en pleine course, tenus un dans chaque main. De plus, la « bascule », ce moment où l’on passe de la marche à la course, se fait avec de meilleures sensations grâce au confort musculaire qu’ils apportent.
Côté entraînement, c’était environ 10 heures par semaine pendant 4 mois, excepté autour du GRM. Je vous indique ma recette volontiers. Elle se base sur la répétition de petites séances qui forment un volume, sans chercher LA grosse séance. De toutes façons, pour me rassurer quant à mes capacités à boucler l’UTMB, il m’aurait fallu soit avoir déjà bouclé le tour, soit tenter une sortie d’au moins 20 heures avec les risques de blessures et de fatigue que cela comporte.
J’ai donc cultivé l’inquiétude, source inépuisable de motivation, avec ce qui suit :
-rien de rigide, parfois 7 entraînements en 5 jours, ce qui signifie 2 jours de repos mais aussi 2 jours avec du VTT sur route ( ne me demandez pas pourquoi) le matin pendant 2 heures et une sortie trail le soir de 1h30. Je limite ainsi les traumatismes, je satisfais mon appétit sportif et je m’offre du repos dans la semaine.
- un rappel 2x10x 30’’x30’’ tous les 15 jours sur route.
Et chaque autre semaine :
- de la marche en côte à fort pourcentage.
- de la rando course de 2h30 maxi.
-2 sorties d’endurance avec cardio sur route.
A savoir que là où j’habite, dans l’Hérault, je ne trouve pas de plat.
Puis le dernier mois, j’ai supprimé le vélo comme avant chaque ultra, pour ne solliciter que les muscles qui participeront à l’ épreuve, tant pis pour les autres, réduisant ainsi mes semaines à 4 ou 5 heures et la dernière à 0.
Côté matériel, ne pesant que 51 kg, j’ai poursuivi dans l’allégé avec un sac à dos vtt ( décidément) de 7 litres, soit l’équivalent d’un sac de 20 litres pour un coureur de 150 kg !
Une paire de bâtons de 440g tenus à la main du début à la fin, une bonne lampe frontale + une seconde des plus petites qui soient, juste pour changer les piles de la 1ere . Voilà pour l’essentiel.
Niveau gueuleton, une quinzaine de gels de 25g, 6 barres énergétiques que je qualifie dorénavant de « barres d’estomac » si vous voyez ce que j’entends par là.
Une réserve légère de poudre énergétique au cas où cette boisson manquerait sur les ravitos.
Au total, le sac pèsera 1kg 450g sans l’eau soit au maxi 2kg 750g.
Je n’ai pas prévu de sac de rechange pour Courmayeur et Champex, que je veux aborder comme tous les ravitaillements.
Chamonix.
Enfin me voilà sur place la veille de la course avec Anne qui va passer une nuit blanche à suivre son hurluberlu de mari que je suis. Les montagnes prometteuses qui nous entourent et les traileurs anxieux à tout coin de rue posent le décor. Je suis plus décidé que jamais.
J’apprécie l’idée d’un départ le soir ; cela m’assure une nuit sans souci dans le coffre du Berlingo version Camping car amateur…
Le jour du départ est super. J’y suis enfin !
Les rencontres se succèdent, l’excitation monte gentiment à mesure que les heures s’égrainent et elles filent véritablement contre toute attente de ma part, à tel point que ma montre indique déjà 17h ! Il est temps d’y aller.
Sur place, ça discute beaucoup moins que la veille. J’attribue cela à la dernière mise au point psychologique. J’entends bien une vanne par ci par là mais çà rit plutôt jaune.
Mon dernier repas remontant à 13h, je m’achète une banane dans l’échoppe du coin, histoire d’aggraver mon cas dans le genre excentrique, puis la mange sur la place, entouré d’une multitude de trailers parfois hyper équipés.
Je ne me suis jamais tant préoccupé d’une simple banane de toute ma vie. N’est-il pas trop tard ? à coup sûr je vais regretter cette impardonnable gourmandise…C’est pas trop gras ? pas trop ci ? pas trop çà ? Ma femme est bien patiente car elle est la confidente de toutes ces tracasseries.
Encore une heure. Nous nous quittons sur des promesses de rendez vous utmbiques et je me tourne vers le départ, faisant ainsi un pas de plus vers l’inéluctable coup d’envoi qui me libèrera de ce qui m’étreint insidieusement depuis des jours, des nuits même où en rêve, j’ai loupé le départ des tas de fois ou bien l’ai pris sans chaussures ni camel back .
Je suis à 4 m de la ligne et m’imprègne de l’ambiance. Quelques discours et la musique est lancée en même tant que tombe le silence. Cet instant-là est merveilleux. J’ai la chair de poule. Je me souviens que mon objectif de 24h n’en était plus un à ce moment, qu’arriver au bout serait ma seule récompense, que j’arriverai coûte que coûte.
En fait la démesure du parcours m’apparaissait réellement, rendant utopique toute estimation et qu’importe !
C’est parti !
C’est le départ ! je souhaite bonne course aux plus proches coureurs qui comme moi piétinent 2 – 3 secondes avant de s’élancer pour de bon entre deux rangs d’une foule dense et interminable, acclamant, sonnant des cloches à en casser les tympans, nous poussant littéralement vers les Houches.
Cà file çà file ! trop vite à mon goût et je m’impose un rythme tranquille. Je profite de ces 8 km les plus faciles pour savourer le paysage et l’atmosphère de fête.
Une fusée passe à ma gauche, c’est Eddy Myrtal, sympathique réunionnais, qui me dira plus tard avoir tenté de rejoindre la tête de course.
Nous entrons dans le domaine du trail par un chemin en sous-bois très agréable à partir duquel les vitesses de chacun semblent stabilisées. Je ne me fais plus doubler. Une véritable sensation de plaisir m’envahit alors ; je suis simplement heureux d’être là. Finalement je me dis que ce n’est pas sorcier, qu’il faut aborder ce tour comme un entraînement. J’en était déjà persuadé des semaines auparavant et voilà que j’en ressens la confirmation dans ce sous-bois.
Je décide de manger une barre et comprends vite que ce sera la dernière ! elle me pèse.
A l’entrée des Houches, Anne m’attend. Je m’arrête pour répondre à sa question, « tout va bien, c’est super et heureusement puisqu’il reste quand même 150 km ! ». Je blague et repars, apprenant que je suis dans les 80 premiers alors que les spectateurs nous encouragent de plus belle avant la première ascension.
C’est le moment pour moi d’utiliser les bâtons.
Je les ai expérimentés 6 ou 7 fois. C’est peu, mais à lire vos messages leur maniement est naturel.
Effectivement, au regard de ce qui s’offre autour de moi il ne semble pas y avoir de règle et j’opte pour un appui des 2 à la fois.
Je rejoins Bruno Poirier qui me confirme que çà part toujours trop vite et je me dis qu’au train de ce montagnard averti je suis dans le wagon de la sagesse. Je laisse donc mes jambes prendre un rythme de croisière admirant ce que sans doute 2000 traileurs auront vu : les sommets enneigés flamboyant au coucher du soleil. Pour moi qui suis entouré de collines méditerranéennes, le dépaysement est fort agréable.
Enrichi de ce spectacle, je parviens au Col de Voza où je remplis ma bosse de chameau d’un litre, comme me l’indique mon bracelet en papier plastifié sur lequel j’ai quantifié pour chaque ravito : le litrage, car je ne veux pas me trimballer du poids inutile ( cela varie de 0,6 à 1,3 l ) mais aussi les km au début et à la fin de chaque difficulté ainsi que le cumul du dénivelé.
Ainsi je m’occupe, je sais où j’en suis, ce qu’il me faut et ce qui m’attend.
Je passe le contrôle à la 56e place et j’entame la descente caillouteuse dans un sous-bois sombre. Je ne tarde pas à allumer ma frontale car je ne tiens pas à buter dans une pierre ou une racine.
C’est parti pour une nuit à la belle étoile !
Si je ne me trompe pas, je devrais rattraper le 10e coureur au petit matin.
Pour l’heure la vigilance s’impose car entre chien et loup la pose du pied est dangereuse.
Etant à l’aise en descente, je rejoins quelques coureurs en échangeant un bout de conversation. Chacun peaufine son allure.
Après environ 2 heures de course je peux avaler un gel. J’ai préféré stopper toute alimentation solide pendant 1h30 pour « liquider » cette barre qui me gênait. Je décide donc de me délester des cinq autres aux Contamines.
Ce ravitaillement offre un contraste étonnant. Après la solitude que nous venons de traverser, une foule surprenante nous accueille. On se croirait au tour de France. Là, je prends conscience de l’impact de l’événement. Je n’ai encore jamais connu cela en trail.
Je remercie peut être pour la centième fois avant de retrouver Anne sur l’estrade du ravito. Sa présence me fait plaisir ; qu’elle ait faim ou non je lui donne mes barres et la rassure sur ma forme : qui veut aller loin ménage sa monture. Un dernier merci aux bénévoles qui sont aux petits soins et me voilà 46e devant ce qui s’appelle une montagne !
1350m de dénivelé d’un coup !
Il s’agit de se faire humble pour atteindre la Croix du Bonhomme.
Pendant cette longue grimpée, j’apprends réellement à me servir des bâtons. Je ne sais pas lire dans les traces de chaussures de trail, mais leur étude semble soudain me captiver. J’aurai le nez dedans pendant un temps interminable.
Mon rythme est régulier. Je me laisse parfois distancer sans jamais chercher à emboîter le pas.
Je garde en tête que j’adore les descentes. D’ailleurs, en comparant aujourd’hui les temps intermédiaires, je remarque que je descends souvent comme Christophe et Vincent. Il me faudra donc travailler davantage les côtes, c’est incontournable !
Le froid s’installe, ou plutôt nous allons à sa rencontre. Je ne regrette pas d’avoir enfilé un débardeur par dessus mon tee-shirt manches longues à la Balme. La présence de ma veste de montagne ficelée à l’extérieur du sac avec la casquette me rassure : je peux monter sans crainte.
Enfin l’amorce de la descente.
Grâce aux bâtons je cours immédiatement à mon allure. Je file droit, remerciant intérieurement Pascal Paracuellos de m’avoir procuré une lampe performante.
Une silhouette familière m’apparaît. Il s’agit de Werner Schweizer. Il semble étonné quand je l'appelle par son prénom et je lui réponds"qui ne te connaît pas? » Il rigole. Bien sûr, lui ne me reconnaît pas. Il faut dire que je n’en ai pas fait le vingtième de ses grandes chaussettes qui le caractérisent !
Je lui souhaite bonne chance et continue mon chemin. D’ailleurs chacun prend le sien dans ce dédale d’ornières boueuses et ruisselantes par endroit. Je double 17 coureurs en 5 km, un plaisir jambier !
Aux Chapieux , point de Anne puisqu’elle prend un repos bien mérité en m’attendant à Courmayeur. Par contre, un cuistot bénévole (je dis cuistot car la soupe était excellente) me conseille sa soupe pendant que deux autres vérifient le matériel obligatoire en ajoutant la quantité d’eau nécessaire au camel-back ; aux petits soins je vous dis.
Ragaillardi, heureux d’avoir franchi un gros obstacle comparé au Col de la Seigne qui m’attend, je cours sur la route qui monte gentiment vers le refuge des Mottets puis marche, comme le font d’ailleurs 2 traileurs avec qui je fais un bout de chemin. Eux marchent d’un pas rapide. Je dois même courir un peu pour rester en contact. Il me faut décidément m’entraîner plus en côte non de non !
Le Col de la Seigne est plus dur que je ne pensais. Trois balises d’un coup brillent dans le faisceau de ma lampe, ce qui est appréciable pour choisir son itinéraire dans les multiples bosses et trous. Il faut enjamber, pousser sur les bâtons, bref c’est raide pour ne pas changer.
Vers les 2/3 de l’ascension j’entends une locomotive se rapprocher. Au son de cette hyper ventilation je me dis « celui-là il n’ira pas loin comme çà »…Et qui arrive à ma hauteur ?
Saperlipopette ! c’est Werner qui contre-attaque ! Il s’agit donc de sa technique respiratoire. Je suis impressionné et ne peux que le regarder prendre le large ; et il y va bigrement !
A peine le col franchi, je le distance de nouveau et sur une partie plate j’ouvre un gel en tenant les deux bâtons dans ma main gauche, et je me prends une gamelle. Toute simple, à plat. Je repars avec une sensation désagréable au genou droit.
Au Refuge Elisabetta heureusement tout proche, je sers de premier client au service médical et en ressors avec le genou cryogénisé ; çà va bien, ouf !!
A titre indicatif, je sais aujourd’hui que cela n’allait pas du tout puisque la tête de péroné était désaxée. Mais ce n’était pas douloureux. Le résultat est qu’après deux mois et demi, je ne cours toujours pas car en plus, j’ai une lésion intra articulaire. Ma chance est que je peux pédaler, alors autant vous dire que je ne m’en prive pas.
Ceci étant une parenthèse, à ce moment j’avais encore plus de chance puisque je m’attaquais à l’Arête du Mont Favre, l’esprit occupé par la perspective de la prochaine longue descente qui me conduirait à Courmayeur.
Cette arête ne me laisse aucun souvenir, la concentration sans doute. Remarquez qu’après 9h de course et surtout à 4h du matin cela pouvait correspondre à un état de somnolence.
Par contre, et c’est là toute l’efficacité des bénévoles, l’accueil du Col Chécrouit m’a sorti de cette torpeur. Je n’ai rien pris, j’ai juste pointé en 16e position, chargé des encouragements dynamiques de la petite équipe. Merci mille fois, cela remplit les batteries plus vite qu’aucun glucose !
De là, les lumières de Courmayeur annoncent le gros ravitaillement.
Sur cette portion les bâtons sont efficaces pour amortir la foulée après chaque marche. Le sol est souple, des petits rondins marquent le nez des marches de 30 cm parfois. Il y en a pas mal. Je suis content de tirer parti des bâtons en descente. Décidément, ils me rendent service partout. Le moral est au top, pas la moindre contrariété.
Courmayeur
Avant d’entrer dans la salle du palais des sports, j’aperçois des plaques minéralogiques italiennes sur presque tous les véhicules. Bêtement je me dis qu’ils sont nombreux à être venus encourager leurs coureurs ! Puis c’est le tilt ! à 5h du matin notez que c’est pas mal : je suis en Italie ! Une drôle de sensation m’envahit. J’ai couru tant que çà !
A l’intérieur, la vision des montagnes de sacs me fait penser que certains vont s’embêter. Je n’ai pas à me poser de questions, je file me ravitailler.
Je retrouve Anne et prends le temps d’avaler une bonne soupe en sa compagnie. Voilà qui me réchauffe le cœur et l’estomac. Je place quelques pruneaux et deux morceaux de banane dans les pochettes qu’Anne a spécialement cousues à cet effet sur les sangles du sac à dos.
En fait je ne carbure qu’à cela + un gel toutes les 1h30.
Je m’inquiète de la présence de Dawa qui veut absolument me servir une autre soupe, que j’accepte, me fiant à son savoir.
Je donne un rendez-vous galant à ma femme pour La Fouly et je sors à la 11e place en compagnie de… Eddy Myrtal et d’un de ses amis. Nous montons de grands escaliers puis nous marchons sur la route pour digérer avant les hostilités.
Les écouter parler créole ajoute au côté insolite de la situation.
Il est 5h30, je cours depuis 10h30, une nuit blanche donc, je suis en Italie avec une lampe frontale dans un chemin à 20%, un népalais vient de me servir une soupe, on me parle créole et me dirige vers la Suisse pour aller à Chamonix !!!
Merci M et Mme Poletti, c’est unique.
Le moral est excellent, sachant qu’au Refuge Bertone plus de la moitié du dénivelé de l’épreuve sera atteint. De plus, je grimpe à l’aise, laissant derrière moi les deux réunionnais sans le vouloir, simplement par différence de rythme. Et puis le jour pointe, je vais pouvoir regarder autre chose que le tracé parfait et les marques de godasses car de toute façon je n’en tire aucun enseignement si ce n’est qu’il y a du monde devant.
Je ne suis pas encore dans les 10 premiers mais mon estimation n’était pas mauvaise.
L’équipe du refuge m’aide à remplir d’eau ma réserve, nous blaguons car l’euphorie ne me quitte presque jamais en trail, et je pars gaiement d’une bonne foulée.
J’ai l’impression de commencer une course.
En fait, jusque-là, outre le départ et quelques descentes, j’étais bridé. Là je peux m’exprimer pour de bon. J’en profite, sous l’œil indifférent des vaches paresseuses, marchant tout de même dans les raidillons et enchaînant de suite d’une foulée légère.
A la faveur d’une vue lointaine j’aperçois un coureur, puis un deuxième. Je prends aussitôt en repère un rocher près duquel ils passent et note mentalement l’heure.
Désillusion, moi qui pensais les rejoindre rapidement, le balisage m’envoie sur la droite pour un grand arc de cercle où, surprise, deux autres coureurs se suivent. Tout ce monde-là se trouve à 5-7-20 et 26 minutes. Un challenge se met en place.
C’est un vrai plaisir jusqu’à Arnuva.
Au ravito, un journaliste me pose quelques questions sur mon alimentation. Je crois avoir répondu que cela reste très personnel, qu’il n’y a pas de recette miracle. Je ne prends que ce que je digère et n’insiste pas avec le reste.
Si on me demandait quelle était pour moi la différence entre l’ascension du Refuge Bertone et celle du Grand Col Ferret, je répondrais : l’approche psychologique !
En effet, je n’ai rien vu venir pour la première, l’ayant abordée de nuit, tandis que la deuxième s’imposait à moi depuis le ravitaillement. Comme quoi le mental occupe bien une bonne place dans l’ultra.
Pour faire diversion, un superbe glacier scintille sur ma gauche. Je le regarde bien des fois à la dérobée.
Après un quart d’heure dans ce col, je me retourne pour avoir confirmation de ce que j’entends grandir à mes oreilles : la respiration de Werner ! Incroyable ! comment a-t-il fait ?
Il a couru, tout simplement, et sacrément encore ! j’en viens à douter de mon appréciation sur ma « foulée efficace ».
Plus loin, dans une pâture d’herbe grasse, une équipe télé se précipite au montage de tout leur bazar. J’ai beau me déplacer lentement, ils me loupent et me demandent donc de redescendre pour faire leur prise ! Je dis rarement non, mais croyez-moi, je n’envisageais pas de me taper plus des 8639m de dénivelé du programme !
C’est donc sur le ton de la plaisanterie que je leur ai répondu « non non mais vous avez un extra-terrestre derrière moi bien plus intéressant », et de leur donner son nom. Reprécipitation,
inutile d’ailleurs, puisque Werner enclenchait le turbo pour atteindre avec moi le point culminant du parcours, 2537m, non sans avoir dépassé un coureur.
Superbe descente.
Je lorgnais depuis longtemps mon bracelet qui m’annonçait les 20 km de descente qui s’ensuivraient…
Joie, j’y suis ! mais je n’y reste pas et dévale en une heure pour rejoindre Anne à la Fouly.
Je suis charmé par la beauté des lieux. Tout est net en Suisse. L’accueil ne déparait pas.
Ce qui m’inquiète un peu ce sont les 15h30 de course qu’affiche mon chrono. Jamais je ne suis allé aussi loin dans l’effort. Je me sens super bien pourtant, m’étonnant même de cette forme prometteuse, mais une panne survient si rapidement paraît-il…J’en fais part à Anne et reprends ma route, préoccupé par cette perspective d’environ 9h d’effort à suivre si tout se passe bien. Cette pensée reviendra souvent, « si tout se passe bien ».La panne inévitable, me dis-je, qu’elle survienne le plus tard possible ou jamais !
Comme je descends toujours, je mange de la banane et des pruneaux en courant tranquillement, sachant qu’après Praz De Fort, une grimpée non négligeable me sépare de Champex.
A Praz, j’apprends que je suis 8e et que 2 coureurs sont assez proches. Vue la forme que je tiens, provisoirement peut-être, serait-il possible de les rattraper ?
Cela me donne des ailes, et dans ce décor bucolique je ne tarde pas à échanger quelques mots avec le 7e puis à longer le joli lac de Champex bordé de chalets soignés.
On en oublie que 117 km sont parcourus !
Au pied du télésiège, toujours sur la route goudronnée, je me trouve à quelques mètres d’Hiroki Ishikawa. Je me souviens qu’il fait partie des favoris et il est tout surpris quand je l’appelle par son prénom. Alors que je ne parle pas le japonais ni lui le français, nous nous comprenons pourtant.
Il est fatigué. Je reste avec lui, l’encourage, et nous entrons ensemble dans le blockhaus de Champex d’en bas. Il demande à s’allonger pour dormir 5 minutes, ce qu’il fait sur un banc, pendant qu’en écoutant les détails que connaît Anne sur les précédents coureurs j’avale une soupe de plus. A présent, mes proches et mes amis du club de Taill’aventure qui suivent ma progression sur Internet doivent se demander comme moi si je peux encore tenir le coup. Je suis 6e, ce qui est inespéré, et 2 autres coureurs sont rattrapables.
Guillaume Millet est tout près. Je laisse donc Hiroki à sa sieste et ne tarde pas à apercevoir Guillaume qui attaque déjà le sentier de Bovine.
Les deux derniers obstacles.
Je peine à le suivre, mais pour une fois voici un coureur qui a un rythme très proche du mien. L’un derrière l’autre, tout en échangeant nos impressions, nous sommes penchés, le nez dans la pente. Que c’est raide ! Il me distance légèrement sous ce couvert de sapins.
Encore des rochers et des marches qui obligent à lever haut les patounes qui rouspètent un peu, je le sens… Une idée fixe revient inlassablement, plus que 2, deux difficultés, c’est tout. Je me fiche des km, encore 20 ou 50 peu importe pourvu qu’on me laisse courir ! Je m’invective pour la première fois « allez !il faut tenir, il faut tenir ! ». Les sapins laissent place à une belle végétation fleurie qui vient adoucir la souffrance du moment. Je pense beaucoup à ceux qui passeront ici de nuit, quel courage. Eux sont les véritables héros de cette épopée.
Je me promets d’être présent demain pour les accueillir, c’est sûr de sûr. Cette pensée me rassure, elle signifie que j’arriverai.
J’entends plus haut la respiration de Guillaume. Je souffle aussi ; cette marche me fatigue, il me tarde de courir. Enfin, je peux redresser la tête, de l’herbe partout ! Un sentier étroit me permet de trottiner et de rejoindre Guillaume.
Je suis très heureux d’atteindre le ravito de Bovine.
Sauf blessure, je sais que j’arriverai, il ne reste qu’un seul col à franchir et nous faisons route commune désormais.
Je resterai avec Guillaume dans la descente et il lèvera le pied à la montée suivante.
La descente qui nous occupe est très humide, glissante et le temps tourne à la pluie. Bonne idée de porter le collant long depuis Chamonix !
Nous nous présentons ensemble à Trient, piochons rapido dans le buffet quatre étoiles et bâtonnons aussi sec vers les Tseppes.
A ce point, 20h de course déjà ; la forme est meilleure, ravivée par la dernière descente et les encouragements. La présence de Guillaume qui règle l’allure sur cette grimpée m’aide sûrement.
La déclivité devient vite forte mais sans obstacles contrairement à Bovine et c’est bien mieux ! Mes jambes acceptent l’effort sans rechigner et n’attendent que l’ordre de cavaler de l’autre côté.
C’est bientôt chose faite. Nous prenons un bon rythme en nous méfiant des glissades. Là encore, chapeau aux coureurs nocturnes !
A Vallorcine, un affichage indique que Christophe et Vincent en ont terminé ! il existe donc bien une arrivée à ce tour de fous…
L’émotion monte, maintenant que je me sens proche du but. Anne y croit à cette arrivée.
Et mon corps qui accepte tout çà !
La clameur du public nous accompagne bien après le ravito, l’ambiance est à la fête.
Nous tenons le bon bout d’autant que le reste est quasiment plat. Guillaume me dit « nous sommes partis pour une arrivée à deux non ? ». « bien sûr » que je lui réponds. Je n’envisage pas les choses autrement. Mine de rien voilà 4h que nos forces se conjuguent.
Argentière déjà !
Il est 17h40, des cris, des « vous pouvez rentrer sous les 24h »nous assaillent.
Je ne m’en rappelle plus mais il paraît que lorsque ma femme m’annonçait que je pouvais rattraper le 4e j’ai répondu « je m’en fous un peu, l’essentiel c’est d’arriver au bout ».
Effectivement nous rejoignons François Quinio bien en peine. Nous l’encourageons à tenir et continuons sur notre lancée alors que les première gouttes commencent à tomber.
Nous sommes surpris du vallonnement qui oblige parfois à marcher.
Chamonix enfin !
Comme les chevaux sentant l’écurie,( moi aussi je dois sentir l’écurie…) rien ne peut plus nous arrêter dès lors qu’apparaissent les premières habitations chamoniardes.
Légère descente et enfin la route goudronnée tant attendue, synonyme de fin du voyage.
Il pleut toujours mais peu importe, car la joie de relever ce défi l’emporte sur tout le reste. Je suis transporté.
Le carrefour atteint, les trottoirs de la rue centrale sont pleins d’une foule qui applaudit encore et encore. Je remercie à droite et à gauche et me laisse aller jusqu’au bout de la boucle, le sourire jusqu’aux oreilles, tenant la main de Guillaume, les bras au ciel. Ces instants forts seront gravés pour longtemps. Quel bonheur ! la satisfaction vient de tout mon être. J’ai tenu le coup, dépassant même toutes mes espérances !!
Madame Poletti, accompagnée de Dawa, accueille et félicite les 2 quatrièmes que nous sommes en 23h45. Je la félicite à mon tour pour son organisation exceptionnelle et pour tout ce qu’elle a fait naître en moi.
Car l’UTMB n’est pas qu’une épreuve, c’est aussi une source de découvertes personnelles et d’émotions insoupçonnées……avec un fort goût de reviens-y.
Antoine Guillon
5 commentaires
Commentaire de Cyrille posté le 22-11-2005 à 17:51:00
Un vrai plaisir de lecture. Chouette chouette.
Commentaire de UPDA posté le 25-11-2005 à 20:30:00
Magnifique récit pour une course magnifique ! Merci beaucoup
Commentaire de valetdepique posté le 16-12-2005 à 18:55:00
Merci Antoine, car il est rare de lire le récit des premiers. J'espère que tu te remets de ta blessure et vive 2006
Commentaire de Eric Lamarque posté le 24-12-2005 à 13:40:00
superbe course et superbe récit, merci pour le club
eric.
Commentaire de tanguyla posté le 14-09-2008 à 15:16:00
Superbe témoignage, plein de l'humilité qui te caractérise, Antoine ! :-)
Ca donne envie que la fin aout au pays du Mont Blanc ait lieu plus d'une fois par an... ;-)
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