Récit de la course : Le Grand Raid des Pyrénées - Grand Trail 2010, par LutetienND

L'auteur : LutetienND

La course : Le Grand Raid des Pyrénées - Grand Trail

Date : 28/8/2010

Lieu : Vielle Aure (Hautes-Pyrénées)

Affichage : 4185 vues

Distance : 80km

Matos : * sac Eider, avec une poche à eau de 1.5L
* Asics Trabucco 12
* bâtons télescopiques (vieux Leki de rando)
* GPS Foretrex 401
* Cardio SX 625 Polar

Objectif : Terminer

2 commentaires

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Grand Raid des Pyrénées... mon premier 80km

Début 2010, avait germé l’idée de m’inscrire à un ultra-trail. C’est quelque chose que j’avais envie de faire depuis longtemps, et cette année aura été la bonne. Me voilà donc le Vendredi 27 Juillet à l’hôtel « La Neste de Jade » à Vignec, tout près de Vielle-Aure, en train de faire des préparatifs de dernière minute : mon sac était prêt depuis plusieurs jours, mais mon organisation ne me plaisait pas. Me voilà donc en train de tout redéballer, soupeser, trier, réorganiser,… Au total, j’allège ce que j’emporte de près de 300g.

Mon organisation finale

  • Mon sac Eider, avec une poche à eau de 1.5L (eau pure)
  • un bidon de 600ml (boisson energie « maison » au départ) ; 4 recharges pour refaire un bidon de boisson isotonique aux ravitos
  • une vingtaine de gels, barres que j’ai choisies assez variées (ça s'avèrera beaucoup trop !)
  • trousse 1er secours  de poche (125g) : 1 Lingette désinfectante, 1 Lingette Mercurochrome, Elastoplast fin (2 sections), Elastoplast gros (1 Section), bande élastique auto-adhésive (bandage), 2 cachets Doliprane, 2 cachets Immodium, 5 pansements seconde peau, Ficelle, Scalpel (pour couper Elastoplast), Epingle (pour les ampoules), Bandelettes Suture, Coton hémostatique, sifflet
  • textiles (1 haut long, 1 bas long, 1 paire chaussette courte, casquette, 1 veste Goretex)
  • PQ, Briquet, Gros sac poubelle, Petit sac déchets
  • téléphone mobile
  • carte du parcours/plan de marche plastifiée par mes soins.
  • bâtons télescopiques (mes vieux Leki de rando)
  • lunettes de vue de course (+ etui léger + chiffon)
  • GPS de poignet (Foretrex 401)
  • Cardio

Plan de marche

J’ai établi mon plan de marche en essayant de viser une arrivée au milieu du classement scratch. C’est en général la place que j’ai sur trails courts. Pour calculer le temps, j’ai pris exactement le milieu de la fourchette « premier coureur/dernier coureur » proposé par l’organisation, ce qui me donnait un temps total cible de 17h30. J’ai aussi croisé avec le site Softrun, qui donne un temps semblable pour le GRP 80km. Au final, le 250ème sur 499 arrivants mettra 17h35, ce qui est proche.

J’ai aussi essayé de prévoir ma stratégie de ravitaillement et je l’ai notée sur mon plan de marche. Je m’attends en effet à ne plus être très lucide en fin de parcours, et donc je me suis fait une check-liste de choses à faire à chaque ravito :

  • Départ : 1L eau seulement + bidon plein (le temps sera frais et il faut alléger pour la montée vers le col du Portet)
  • Merlans : ravito assez court, re-remplir poche à eau ET bidon (Artigues est assez loin)
  • Artigues : ravito consistant, re-remplir poche à eau 1L seulement ET bidon (s'alléger pour la montée vers Sencours)
  • Col de Sencours : ravito rapide, ne remplir que le bidon pour la montée vers Le pic du Midi
  • Col de Sencours (2) : ravito rapide, ne remplir que le bidon pour la descente assez courte vers Tournaboup
  • Tournaboup : ravito consistant / soins aux pieds / remplir poche à eau 1.5L ET bidon
  • Merlans : ravito court (plus que 2 heures de cours), poche à eau 1L ET bidon

Le départ

Le reveil sonne à 3:15. En fait, j’avais tellement peur de louper le réveil que j’en avais mis 3! Je suis content, car j’ai dormi d’une traite depuis la veille 21h45. C’est bon signe. J’avais préparé mon petit déjeuner (céréales, lait, barres,…) car je pensais que l’hôtel n’allait pas servir son petit déjeuner à 3h30 du matin. Et bien non : les gérants de l’hôtel avaient tout fait pour l’accueil des trailers, et un méga petit déjeuner était préparé pour nous. J’ai l’air idiot avec mes céréales et mon bol en plastique. La bonne nouvelle, c’est que je peux profiter de la bouilloire et me faire un thé qui fini de me reveiller.

De retour dans ma chambre, je mets le nez dehors pour vérifier ce que ça donne, question temps. La méteo montagne annonce « une mer de nuage de 1800m à 2000m, soleil au dessus, températures douces… ». Je fais un rapide calcul : il y a près de 40km de course au dessus de 2000m. Je me demande si ça vaut le coup d’emporter un textile haut à manches longues et j’hésite un moment à le laisser à l’hôtel, histoire de m’alléger de 250g de plus. Finalement, je me dis que c’est plus sûr de le prendre : on est en montagne, et si je galère la nuit en fin de parcours, je serais content de l’avoir.

4:15 : me voilà sur la place de Vielle-Aure pleine de monde (les 600 coureurs, leurs familles, mais aussi des habitants qui se sont levés pour nous encourager). Je m’assois en attendant le départ. Tous les coureurs sont par petits groupes et discutent. La rumeur court que l’UTMB a été arrêté. Je ferme les yeux et je pense à la course à venir. Le parcours défile sous mes yeux. Je l’ai fait quasiment de bout en bout deux semaine plus tôt en mode randonnée avec mon épouse et mon fils (4 jours de marche). Aujourd’hui, ce sera non-stop… si tout va bien. Je récapitule mes objectifs

  1. me faire plaisir. Profiter de cette expérience
  2. terminer. La distance étant nouvelle pour moi, cela veut dire être prudent sur la gestion de la course
  3. ne pas tomber. Pour cela, rester concentré toute la course pour éviter le faux pas. Ce serait trop bête de devoir arrêter l’aventure pour une faute d’inattention
  4. si possible finir le parcours en moins de 17:30

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L’ambiance un peu avant le départ (© Akunamatata)

5:00 Je suis dans l’aire de départ. Je me suis positionné à peu près au milieu et je me sens calme. Un peu d’appréhension, mais surtout, une grande envie de découverte de l’ultra. J’ai confiance : je me suis entraîné, je suis à l’aise en montagne, je connais le parcours grâce à la reconnaissance faite en famille. Ca devrait passer. Le départ est donné à 5:01. Tout le monde part en petite foulée sur la route qui relie Vielle-Aure à Vignec. Ca papote beaucoup. Je reste concentré : les coureurs sont encore serrés et il y a des bâtons qui s’agitent dans tous les sens. Un coureur qui était au bord de la route trébuche et tombe. Ca fait rire tout le monde. Un incident similaire m’était arrivé sur le trail du Pilat, et j’espère qu’il n’y pas eu de dégats. Il y a plein de spectateurs lors de la traversée du village de Vignec. Je suis heureux d’être là, de courir au petit matin. Il fait doux et je cours en tee-shirt. La file de coureurs s’étire et nous entamons l’ascension vers le col du Portet par quelques lacets sur un chemin forestier. Je déplie mes bâtons et me mets, comme tout le monde en mode « marche rapide ».

6:30 Nous sortons de la forêt juste avant Espiaube, à environ 1600m d’altitude. Ca fait maintenant près d’une heure qu’on marche dans la brume. Il fait de plus en plus frais et, malgré l’effort, je commence à avoir froid. Nous entamons la section la plus raide de la montée ves le col du Portet, via les pistes de ski. Je m’arrête finalement pour passer mon vêtement manches longues et je me bénis de l’avoir gardé dans le sac. Pas la peine de prendre froid dès maintenant, on n’a pas encore fait 10% de la course. A mi-pente, je me retourne pour voir les lueurs des frontales qui serpentent en dessous de moi. J’ai l’impression de bien monter, sans forcer et je me sens bien. Il fait un peu frais, mais je veille à m’hydrater et à me nourrir régulièrement. Le jour commence à poindre, mais nous sommes dans les nuages.

7:15 Nous arrivons au col du Portet (2200m), après 2:15 de course. Ouf, voilà le premier gros dénivelé derrière moi. Plus de 1400m de montée depuis ce matin. Je suis en avance de 30mn sur mon plan de marche. Nous sommes toujours dans la brume.  Première descente vers le restaurant de Merlans. Ca fait du bien de décontacter les cuisses, et je veille à courir relaché. Au restaurant, 1er badgeage. Je suis content, car je sais que mon fils vient de recevoir un 1er SMS lui signalant ma progression. Je prends un bol de soupe chaude, puis un second et 2/3 morceaux de banane, puis je repars. Ooups. J’ai failli oublier de recharger mon eau! Je reviens en arrière pour faire le plein, puis attaque la montée le long d’un teleski. Mon téléphone bipe. Un SMS de mon épouse « 35mn d’avance. Trop fort!. Attention à ne pas te griller » . Ca me fait plaisir de savoir qu’elle suit ma progression.

7:30 J’arrive sur le GR10, qui part en balcon au dessus du lac de l’Oule. C’est toujours la brume, et on ne voit ni le lac ni les sommets. Je commence à courir sur cette section horizontale, revenant en mode marche uniquement pour passer deux/trois petites difficultés (barres rocheuses, éboulis). J’arrive au refuge de Bastan avec pas loin de 45mn d’avance sur mon plan de marche. Je me demande si je ne vais pas trop vite, mais je me sens vraiment bien à cette allure, alors je décide de continuer sur ce rythme. Quelques mètres après le refuge, la montée plus raide vers le col de Bastanet commence. Très vite, nous sortons (enfin!) des nuages. On est à 2300m : les nuages sont bien plus haut que prévu. Je me retourne. La vue est suberbe. L’air est critallin et le massif du Néouvielle émerge au dessus d’une mer de nuage. Les couleurs chaudes du soleil du matin sur les montagnes contrastent avec le bleuté de la zone d’ombre dans laquelle nous nous trouvons.

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Massif du Néouvielle vu en montant vers le col de Bastanet © Akunamatata

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Vue depuis le col de Bastanet © Akunamatata

8:45 Arrivée au col de Bastan. Je suis 30mn en avance sur mon plan de marche. Des photographes sont postés des deux côtés du col. Sourire.

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Je m’arrête 2-3 mn au col, le temps de manger un gel et de serrer les lacets de mes chaussures en prévision de la descente. La vue depuis le col est superbe, mais la mer de nuages semble très proche. J’hésite à enlever ma tenue chaude, mais je me dis que je vais bientôt replonger dans les nuages, alors je la garde. Je commence la descente vers la vallée des lacs, d’abord prudemment, puis je me relâche progressivement. Après quelques centaines de mètres, je commence à sentir un début de crampes dans les mollets. Ca m’inquiète car il me reste encore 60km à couvrir. Je m’astreint à courir très détendu et le signal d’alerte disparaît assez vite.

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Descente vers les lacs © Akunamatata

La piste passe au refuge du Campana, où des randonneurs espagnols sont en train de se préparer à partir. Ils nous encouragent. La descente est longue et très technique. Je passe quelques coureurs, et je m’attache à rester concentré pour éviter la faute. Au Lac de Gréziolles, on replonge dans les nuages. La piste longe ce lac très long, et les bancs de brume lui donnent un air fantômatique.

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Un iceberg (?) dans la brume © Akunamatata

10:20 J’arrive en vue d’Artigues, avec 15mn d’avance sur mon plan de marche. Les cuisses commencent vraiment à chauffer, et je suis content d’atteindre la vallée. J’ai trouvé la descente très longue. J’ai courru quasiment tout le temps, et il me semble que le tableau des organisateurs avait sous-estimé la durée de cette descente. Ou alors, je commence à être entamé. Il me reste encore 50 bornes et 3500m de montée! Tout en trottinant, j’envoie un petit SMS rassurant à mon épouse. Le ravito est dans un bâtiment. Il y a beaucoup de monde qui joue des coudes. J’avais prévu une pause sérieuse, mais je n’ai pas trop faim. La soupe ne me tente pas alors ce sera banane (pour les sucres) et Tucs (pour les sel contre les crampes). L’appétit revient en mangeant et je grignote encore quelque Tucs. Le saucisson me tend les bras, mais je résiste courageusement, et me rabats sur un mini-sandwich pain de mie/jambon. Je sais que la montée vers le pic du Midi sera longue. Cette fois-ci les automatismes marchent bien : plein du Camelback, puis du bidon. Je sors du ravito. Il fait beau maintenant et il va faire chaud dans la montée. Je repasse en configuration tee-shirt. Le haut chaud que j'enlève est plein de sueur et je me dis que je vais transporter au moins 300g de transpiration pour rien. Ca me fait sourire un moment. J’attaque la montée en marche rapide. Le pic du Midi apparaît devant nous, juste dans l’axe de la vallée. Il est accroché par des bancs de nuage qui le cachent de temps en temps. Les installationsdu sommet semblent toutes petites : la route va être longue.

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© Akunamatata

Pendant toute la montée je vais être très régulier et rattraper des trailer un par un. Il me semble en doubler une petite douzaine. Le pic du Midi se rapproche peu à peu. Un nouveau SMS de mon épouse (« Super! continue comme ça » ) me donne du courage.

Il fait vraiment chaud par moment, mais le nuages passent de temps en temps devant le soleil, provoquant une ombre temporaire bienvenue. Je continue à boire régulièrement, mais je n’arrive pas à m’alimenter aussi souvent que je le devrais. Pour le reste, je me sens toujours bien. Je sais que le sommet du Pic correspond à peu près à la mi-course, et ça me rassure de voir la mi-course approcher peu à peu.

12:30 Arrivée au col de Sencours. J’ai une demi heure d’avance, malgré mon arrêt assez long (10-15mn) à Artigues. J’ai l’impression d’avoir vraiment bien monté. Le ravito est dans les sous-sol d’une maison en ruine. C’est assez serré, et ça se bouscule un peu. Je n’ai vraiment pas faim. Je grignote un peu de  jambon/pain de mie/Tucs/banane, mais pas grand chose. Je tope mon bidon et repars rapidement pour entamer la montée vers la vieille auberge des Laquets. Il y a deux semaines, nous l’avions montée d’un très bon pas en famille, et j’avais 15kg sur le dos. Là, j’ai l’impression d’aller moins vite… C’est clair, la fatigue est là. Plus j’avance dans la montée, plus j’ai l’impression d’être collé sur la piste. Les trailers qui redescendent nous encouragent. Je les envie d’être déjà dans la descente. J’arrive à l’auberge des Laquets et j’attaque le sentier sur l’arrête terminale, qui est nettement plus pentu. Ca devient de plus en plus dur, et j’ai l’impression de ne plus avancer. Je me dis que je n’ai pas assez mangé au ravito et  tente d’avaler un gel. Ce qui me rassure, c’est que personne ne me double et que tous les coureurs autour de moi ont l’air de souffrir. J’en double même un qui a l’air très mal. Il est avec un copain qui l’encourage, mais je vois qu’il n’en peut plus. Encore deux lacets. Il faut maintenant passer les rails d’un petit funiculaire. J’ai du mal à lever mes jambes pour l’enjamber.

13:30 Le sommet. Je cherche le Point de Contrôle. Il faut encore marcher quelques mètres. Ca y est, je suis à mi-course. Finalement, j’ai mis 55mn pour faire la montée depuis Sencours et à peu près 3h depuis Artigues. Je repars dans la descente, précautionneusement dans les premiers lacets, puis avec un bon rythme de croisière. Ca va de mieux en mieux. Tient, encore un photographe.

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Je suis de retour au col de Sencours. J’hésite un instant à m’arrêter de nouveau au ravito. Mais l’ambiance ne me plaisait pas, je suis bien lancé, et Tournaboup n’est qu’à 7km. Quelques secondes d’hésitation et je décide donc de « sauter » le ravito. Je suis maintenant assez seul sur la descente. Lac d’Oncet, on quitte les cailloux et on retrouve les herbages. Le sentier est très roulant et je cours de mieux en mieux. Je déroule jusqu’à Tournaboup, passant quelques coureurs, mais le plus souvent seul. Nouveau SMS de mon épouse (« Bonne continuation. Plus que 40km et 1400m de montée » ). Le « plus que » me fait sourire.

15:00 Arrivée au ravitaillement de Tournaboup avec 45mn d’avance sur mon plan de marche. J’ai été euphorique pendant toute la descente, mais je n’oublie pas mon coup de mou dans la montée vers le Pic. Il me reste 30km à faire et encore 1500m de dénivelé à avaler. C’est le moment de faire le point sérieusement avant d’attaquer ce qui constitue, dans ma tête, le dernier 1/3 de la course. D’abord manger. Je n’ai pas trop faim mais là, il faut vraiment se forcer car je me suis très peu alimenté depuis Artigues. Soupe, sandwich, Banane. Je bois beaucoup. Maintenant, le plein d’eau. Si je m’accroupis, je vais attraper des crampes c’est sûr. Il n’y a que deux chaises (bien sûr prises) alors je m’assied sur le cul d’un camion pour faire le plein. Passage aux toilettes pour une pause technique, puis, assis sur un muret, déballage des pieds pour voir où j’en suis de ce côté-là. Un petit échauffement dans la descente m’avait fait craindre un début d’ampoule, mais rien. Pieds nickel. Je les tartine abondamment de crême anti frottement. Je trouve une poubelle pour me débarasser des déchets accumulés depuis le matin. Une dernière vérification : si je repars, je ne peux plus m’arrêter avant l’arrivée et je dois finir. Dans mes cogitations d’avant course, je m’étais dit que si j’arrivais à Tournaboup pas trop entammé, je serais sûr de finir. Là, je me sens fatigué, mais loin de l’épuisement et je n’ai  aucun signe de douleur tendineuses ou de crampes. Je repars donc confiant. Je suis bien resté 20mn dans ce long « arrêt aux stands ».

Un SMS de ma tendre épouse : « Ca plane pour toi? Quelle avance! Ne te trompe pas de col » . C’est une référence à notre dernier passage, où nous avons pris par distraction le col de Madamète au lieu de prendre le col de Barège (mon fils se souvient encore des km en plus...). Aujourd’hui, pas de risque : le balisage est parfait.

Je commence la longue montée vers la cabane d’Aygues Cluses. Je continue à passer des trailers de temps en temps. Certains sont sur le 160km et j’essaye d’évaluer leur état de fraîcheur. Je les encourage quand je peux. J’ai décidé de faire la montée très « en dedans ». Je veux absolument terminer, et mon temps m’indiffère : pas la peine de s’emballer. Un hélico fait deux passages très bas. C’est FR3 région qui est en train de nous filmer.

Je vois maintenant le col de Barège, et il me semble qu’il commence à être accroché par la brume. Je me retourne. Des nuages sont en train de s’assembler assez vite derrière moi. Au vu de la brume du matin, je me dis qu’il vaut mieux éviter de passer le col dans la purée de poix, et je décide d’accélérer pour atteindre le col au plus tôt. Je ne m’arrête au ravito d’Aygues Cluses que le temps de remplir mon bidon et je repars de nouveau. Tient, un photographe.

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La montée vers le col de Barège est sèche et j’en bave un peu. Je continue à dépasser quelques coureurs.

17h25 Arrivée au col de Barège avec tout juste une heure d’avance sur mon plan de marche. Le col est quasiment dans la brume. Il y a une tente avec deux membres de l’organisation qui pointent les coureurs. J’entends l’un d’eux énoncer mon numéro de dossard. J’attaque la descente. Compte tenu de mon niveau de fatigue, je décide de la faire à l’économie. Je m’efforce de rester vigilant mais plus le temps passe plus je me rends compte que mon esprit « décroche » par moment pour penser à autre chose. A un moment, je loupe un poser de pied et je tords légèrement la cheville. La peur de ma vie, mais rien de grave. Je m’engueule intérieurement « ne me refait pas ça » et, du coup, me reconcentre pour de bon sur la piste. Cette fois-ci, on est gagné par les nuages. Je discute quelques minutes avec un coureur puis nous nous arrêtons pour nous rhabiller. J’enfile mon haut chaud, resté tout mouillé depuis ce matin. Mon collègue n’a plus rien à manger et il me reste plein de provisions. Je lui donne une pâte d’amande et en profite pour en manger une. Nous repartons et entrons rapidement dans les bois. Le chemin descend entre les arbres. Il est très piégeux : racines, pierres, poussière et il traverse de nombreux ruisseaux. Je fini par lâcher mon collègue. De nouveau seul, je termine la descente dans une brume de plus en plus dense. Il me faut marcher maintenant jusqu’à voir le lac de l’Oule, puis remonter sur son flanc pour rejoindre le prochain ravitaillement au restaurant Merlans. Il y a 6-7 km à faire, qui me semblent interminables. La pente est très humide et le sentier est parfois boueux. Je me loupe et je marche deux fois dans l’eau. Mes pieds sont mouillés. La fatigue et le brume conjuguées me donne de plus en plus froid. J’apperçois enfin le lac, et la montée me réchauffe un peu. Malheureusement, elle m’emmène au coeur des nuages et on je n’y vois maintenant plus qu’à 5-10 m devant moi. Nouvelle marche interminable. Le ciel s’assombrit. J’ai de plus en plus froid, mais je n’ai pas le courage de m’arrêter pour sortir ma frontale, ni pour m’habiller plus chaudement. Je ne veux pas me refroidir en m’arrêtant et je me dis que je ferais ça au ravitaillement. Mais que c’est long.

On y voit de moins en moins loin. Une cabine d’arrivée de télésiège émerge de la brume. Le ravito doit être tout prêt. On ne voit plus les balises. Surtout, ne pas quitter la piste, car on risque de ne pas la retrouver. Enfin, une lumière devant moi, à 10m.

19:10 Ravitaillement du restaurant Merlans. J’ai encore 45mn d’avance sur mon tableau de marche. J’ai froid et faim. Une soupe chaude, puis une seconde sont vraiment bienvenues. Je pense à tous ces bénévoles qui ont travaillé pour nous. Je rentre dans la salle. Il y règne une douce chaleur. Il y a des tables et, plus important, des bancs. Des coureurs sont assis, l’air épuisé. Je m’assois aussi et je me dis que je dois avoir la même tête qu’eux. Je tire de mon sac mon blouson Goretex, mon collant long et ma lampe frontale. J’enfile tout ça. Je me couvre la tête avec la capuche de mon blouson. Il faut que je garde ma chaleur pour le reste de la course. J’ai sans doute des ampoules, que j’ai senti monter pendant les 2 dernières heures. Je suis sûr que c’est parce que j’ai mis les pieds dans l’eau… Je repars assez rapidement

Nouveau SMS de mon épouse, qui a dû recevoir la notification de mon pointage au restaurant : « Encore un dernier effort avant le col! Courage, tu tiens le bon bout » .

Cette fois-ci, je suis sûr d’arriver et je peux tout lâcher. Je monte les derniers 200m de dénivellé assez rapidement. Le brouillard est maintenant à couper au couteau et suivre le balisage devient un vrai jeu de piste. Ca m’occupe l’esprit. Je passe le col du Portet. Deux ombres fantômatiques sont sur le côté et je demande par où il faut passer pour rejoindre la piste. Je bascule dans la descente. J’ai l’impression d’avoir encore pas mal de jus et je décide d’essayer de courir depuis le col jusqu’à l’arrivée, d’une part pour profiter le plus possible du jour qui commence à baisser et d’autre part … de me coucher plus tôt. Il me reste 7km à faire, 1400m de descente à enfiler. Je me sens bien et je me fais plaisir à courir sur le sentier qui longe une crête en pente douce. Je reste vigilant, mais la foulée n’est pas trop lourde et je me laisse aller au plaisir de courir. Je double régulièrement des coureurs qui, pour la plupart, marchent. Ce jeu de « saute-moutons » me motive et je continue à cavaler. Le sentier tourne à droite, je sais que je vais commencer à plonger vers Soulan. Je traverse un herbage sur lequel le sentier n’est plus visible. Il doit y avoir des balises, mais je ne les vois pas à cause du brouillard. Je continue en ralentissant, dans la direction générale qui me paraît la bonne. J'ai tellement mémorisé le parcours que j'ai l'impression de courrir sur la carte. Soudain, un coup de sifflet légèrement à ma droite le fait sursauter. Deux bénévoles ont monté leur tente à cet endroit stratégique et un de leurs enfants tente d’attirer les coureurs dans la bonne direction avec un sifflet. L’un des bénévoles est en train d’allumer un feu. Je regarde quelques instants les flammes danser, je salue les bénévoles et je repars.

Je continue à courir, maintenant à travers les fougères. Nouvelle alerte : je me tors le pied légèrement. Attention. Ne pas faire de bêtise si près du but. Je suis heureux, je me sens aérien et je continue à perdre de l’altitude. Arrivée au village de Soulan. Là encore, malgré le froid et le brouillard, il y a encore des spectateurs qui nous encouragent. Je continue à doubler des coureurs. Je rentre de nouveau dans la forêt que nous avions traversée ce matin. Les lacets. Ca va presque trop vite : je voudrais que ça dure encore longtemps. Juste avant l’arrivée à Vignec, je double encore deux coureurs. Je suis sur le bitume. Il me reste environ 2km. Je me sens bien et j’accélère. Je vois deux frontales à 200m devant moi. Je les rattrape. De nouveau 2 frontales assez loin devant moi. Je me donne l’objectif de les passer avant l’arrivée. Je me sens si bien que j’y parviens. Entrée dans Vielle-Aure. Je passe un dernier coureur, à 50m de la ligne. Pas très fair-play, mais je suis vraiment lancé.

21:12 Je passe la ligne d’arrivée après 16:12 de course. C’est une heure et quart de moins que mon objectif. J’arrête de courir et la fatigue me tombe brutalement dessus. Je cherche le point de contrôle et je m’éloigne, la tête un peu vide. Le gens applaudissent mais je ne crois pas que je les entends. Je suis si heureux d’être arrivé, d’avoir fait ce grand raid sans soucis majeur, et de terminer avec autant de fraîcheur.

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LutetienND à l'arrivée

21:30 Je suis sous la tente du ravitaillement d’arrivée et je bois mon 5ème coca. Je n’ai pas très faim, mais je sais que je risque d’avoir la fringale pendant la nuit, alors je me prépare deux sandwichs jambon. Prévenir la famille. Retour à l’hôtel. Douche. Grosse fringale : je dévore mes deux sandwiches. Dodo.

Bilan sportif

Ce raid s’est passé vraiment parfaitement pour moi. Préparation méticuleuse. L’idée de faire une rando de reconnaissance du parcours en 4 jours deux semaines avant semble avoir été bonne. Pas de chute, pas de douleurs tendino-musculaire, pas de crampes. Deux petites ampoules. Une course très prudente au départ et une remontée progressive (249ème au Portet, 230ème à Artigues, 224ème au Pic du Midi, 199ème à Tournaboup, 187ème à l’arrivée). Bonne concentration et lucidité tout au long de la course. De bonnes décisions à plusieurs reprises. Gestion de l’alimentation correcte, même si je pense que j’ai été tangent lors de la montée au Pic du Midi, ainsi que juste avant l’arrivée au refuge de Merlans. Et, miracle des miracles, aucune coubatures dans la semaine qui a suivi. Je m’attendais à être perclus pendant un 3/4 jours, mais rien de rien. Je n’en suis pas encore revenu. Je devais avoir de la marge sur ce parcours….

Bilan humain

Un peu -et finalement très peu- de souffrance mais surtout, beaucoup de bonheur. Je n’ai pas vu le temps passer et j’ai profité de chaque seconde de ces 16 heures de course. Merci aux organisateurs et à tous les bénévoles qui ont su faire de ce trail un trail à taille humaine, qui pemet de garder le contact avec la montagne.

2 commentaires

Commentaire de la panthère posté le 11-10-2010 à 12:49:00

whaou...t'as pas dû traîner après le restaurant Merlans.....merci de me faire encore une fois revivre cette belle journée grâce à ton récit!
bravo et bons trails!

Commentaire de LutetienND posté le 12-10-2010 à 00:50:00

Merci... ce n'est pas tant la vitesse (il y en a qui ont été beaucoup plus vite sur la section), que la sensation d'aller vite malgrés le brouillard et la fatigue.

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