Désert Cup 2002
Ayant participé à 2 éditions du Marathon des Sables, c’est avec
curiosité que je m’inscris donc à cette épreuve qu’est : « la Désert Cup ».
Elle se déroule du 3 au 9 novembre, en Jordanie dans le sens Pétra - Wadi Rum- Aqaba se situant au bord de la mer rouge. Au programme, 170 km non-stop en auto- suffisance alimentaire répartie en 13 CP ( contrôle de passage ), dont 42 km de pistes montagneuses entre 1100m et 1600m d’altitude, 23 km de pistes très vallonnées et enfin 105 km de dunes et sable très mou. L’organisateur étant le même que pour le Marathon des Sables, je fais une totale confiance à l’organisation pour la sécurité et le déroulement de cette épreuve. Ayant suivi un entraînement rigoureux, j’étais confiant de ma forme physique, malgré un sur- entraînement en fin de préparation. Je savais que j’avais les km dans les jambes pour aller au bout de cette épreuve. Malgré mon travail qui m’occupe 10h par jour, c’est juste la dernière semaine avant la course que j’ai trouvé un peu de temps pour préparer mon sac, avec la panoplie du parfait « raideur » ( boussole, sifflet, miroir, seringue aspi- venin, fusée de détresse…). Matériels obligatoires, sans oublier «le carburant» minimum : 5000 calories dont 2000 de survie avec 1litre d’eau, plus les vêtements pour la nuit très fraîche, pour un poids total de 7kg. Me voilà fin prêt. Direction la capitale, Orly sud où je retrouve plusieurs copains du Marathon des Sables. Après l’enregistrement des bagages, nous-nous envolons pour une durée de 5h et atterrissons à Amman, capitale de la Jordanie. Passé la douane avec fouille des bagages et des passagers, la sécurité à été très renforcée à cause de l’attentat de cette semaine à l’ambassade Américaine. De là, nous embarquons tous dans des cars, sous la surveillance de l’armée pour 4h30 de route. A mi-parcours, nous-nous arrêtons dîner dans un restaurant « à touristes ».
Arrivés au camp, en plein désert on nous dirige vers de grandes tentes bédouines pour passer notre première nuit tant désirée. A ma grande surprise, c’est le grand luxe ! De belles lampes éclairent l’intérieur avec des matelas et un Jordanien par tente pour nous servir le thé autour d’un feu, et pour couronner le tout, un concurrent avait ramené de la poire william. Bizarrement le ciel était de plus en plus étoilé ? Inutile de vous dire : Rien à voir avec le confort du Marathon des Sables.Après une super soirée, enfin je m’installe pour passer une bonne nuit très récupératrice. Le lendemain matin, je suis resté scotché tellement le paysage était beau ! J’étais comme un gamin, devant ses jouets au pied du sapin de Noël. Le camp était dans une plaine désertique, bordé de rochers ocres d’une centaine de mètres de haut, avec des petites dunes de sable rouge, fin et quelques plantes, arbustes complètent le décor sans oublier le soleil matinal qui illumine la beauté du site. Je suis monter tout en haut d’un rocher pour m'asseoir et admirer les lieux durant vingt minutes, j’en ai profité pour me détendre et faire le plein d’énergie. La matinée a débuté par un p’tit dej local mais copieux, suivi des contrôles techniques et administratifs, la vérification du contenu du sac à dos et remettre à l’organisation le reste de nos affaires personnelles hors course. Un très bon déjeuner a clôturé la matinée. Vers 13h avec quelques copains nous avons pris un car pour aller visiter la cité nabatéenne de Pétra. C’était géant mais l’air de rien nous avons fait 8km en marchant. De retour au camp nous avons eu le briefing d’avant course et le dernier dîner de l’organisation. Il est 19h, je vais me coucher pour recharger « les batteries » avant le grand jour. Après une superbe nuit, 5h du mat, il faut se lever et déjeuner, préparer les ultimes réglages. Pour la xème fois, je contrôle le contenu du sac. Ayant pris l’option de manger et boire que du froid pendant la course ( pour ne pas perdre de temps et m’encombrer d’un réchaud, gamelle …). Je me fais cuire par avance des pâtes que je mangerais durant la nuit.
Voyant tous les concurrents se préparer je ressens une ambiance d’inquiétude planer sur le camp ( comme des soldats s’apprêtant à monter au front). Pour ma part, j’essaie de rester serein, me relatant mon plan tactique de course que je vais essayer d’appliquer si mon corps et les conditions me le permettent. Il est 7h30, les cars viennent nous prendre pour nous amener à la cité de Pétra, sur la ligne de départ. Il y a plein de spectateurs et des V.I.P venus pour l’occasion. Nous, les anciens, sommes très détendus, cools, par contre les nouveaux sont très inquiets de ce qu’ils vont trouver : eh oui ! 170km ce n’est pas rien. Après les dernières recommandations de l’organisateur et du chef toubib, c’est vers 8h40 que P. Bauer donne le départ. Je me place dans les 20 premiers car 2km plus loin nous nous enfonçons dans un « siq « ( canyon très étroit ) et c’est en file indienne que nous attaquons l’ascension des 570 marches pour atteindre les plateaux de Pétra. Ensuite j’emprunte un sentier de montagne en lacets très caillouteux de 8km. Il nous amène à 1300m d’altitude pour atteindre le premier CP (contrôle de passage). Je l’atteins en un peu plus d’une heure, ce n’est pas mal vu les difficultés. Un rapide ravitaillement en eau et je redémarre. Je vais essayer de m’économiser pour durer et espérer atteindre le soir relativement frais et pouvoir faire la différence toute la nuit jusqu’au lendemain matin, car je sais que la nuit va être très dure physiquement et moralement. D’après les pros le fameux « mur » se situe aux environs du 120ème km, alors prudence. Mais je ne sais pas pourquoi : « je la sens bien cette course ! »Nous empruntons 4km de route, je me lâche mais je ne vais sûrement pas courir à cette vitesse là longtemps. Je traverse le village de Taiyiba et passe devant une école sous les applaudissements des enfants en récré. Je rattrape un coureur, lui demande : ça va ? il me répond en italien, nous nous comprenons mutuellement. Ayant la même foulée rasante, économique, nous faisons chemin ensemble. Le 2ème CP est atteint rapidement, le temps de me ravitailler et je repars vers le prochain qui se trouve à 1600m d’altitude. Le paysage n’est pas des plus beaux, on dirait que toute la misère du monde s’est abattue sur ce pays. Des montagnes de caillasses à perte de vue et pas un seul arbre ni herbe. Plus loin je vois un troupeau de chèvres, je ne sais vraiment pas ce qu’elles mangent ? les pauvres ! Après un fort dénivelé positif j’arrive au 3ème CP 35km, il fait très froid, 8 petits degrés, juste le temps de pointer et vite redescendre sur 7km de piste toujours cassante, attention aux entorses. Je me trouve à 1100m d’altitude toujours avec mon italien. Au 44ème km gros coup de pompe, 1ère alerte. Par expérience, il faut que je m’arrête manger, m’assoie au bord de la piste pour récupérer, à peine 2mn plus tard un 4x4 médical s’arrête et me demande en insistant si ça allait bien. Maintenant c’est sûr je finirai ma course tout seul car je pense qu’à deux il y en a toujours un qui n’est pas dans son rythme. Cela m’a valu de puiser dans mes réserves de nourriture qui étaient destinées aux autres ravitaillements. Je n’ai plus droit à l’erreur. Il va falloir gérer mon effort par rapport à mes calories restantes. Sinon, il faudra que je puise dans la réserve de survie et j’aurai de grosses heures de pénalités. Me voilà reparti le ventre plein ! ah ah. J’arrive au 4ème CP, 50ème km situé en bordure d’un village de tentes bédouines, l’endroit est agréable mais pas question de flâner, j’ai suffisamment perdu de temps comme ça. Faire le plein d’eau, pointer et repartir pour le dernier tronçon de piste de 15km avant de rejoindre la dernière partie 105km de sable. Ce dernier tronçon est très dur car je suis tout seul, personne devant, personne derrière, seul au monde. Pas de tentes ni bédouins, même pas un chameau, un paysage lunaire triste. Le soir commence à tomber, le parfait contexte pour faire craquer les plus endurcis. Mais vous me connaissez ? J’ai la peau dure. Dans ces cas « il ne faut surtout pas laisser gamberger l’esprit ». Penser positif, se remotiver est la clé de la réussite. Je vais vous avouer quelque chose qui ne se dit pas. A cet instant précis mes yeux sont tombés sur un caillou tout blanc, je l’ai ramassé. Il était d’une rondeur parfaite et d’un blanc aussi pur que la neige. On aurait cru une balle de ping-pong. Je l’ai tripoté, tenu dans ma main droite pendant 15km pour occuper mon esprit, et le fait de ne pas avoir craquer, je le dois à ce caillou, que j’ai balancé en arrivant au 5ème CP, 65km. Je constate que les organismes commencent à souffrir, il y a 2 concurrents mal en point sous la tente médicale. Le temps de se ravitailler et d’échanger quelques mots avec la presse puis repartir. C’est le début du sable, prendre cap 176° pour 15km. Après plusieurs km d’herbe à chameau et de sable, le ciel est menaçant je sens quelques gouttes, il est 16h45, il fait presque nuit. J’ai froid et n’y vois plus beaucoup, plusieurs fois je trébuche. Au loin, j’aperçois une ligne lumineuse qui correspond au passage d’une autoroute que je vais devoir traverser ( en dessous bien sûr !). J’arrive tranquillement au 6ème CP, 75ème km Pas du tout attrayant, il est en plein vent et on n’a vraiment pas envie d’y séjourner. J’enfile quand même un collant, sweat et coupe vent sans oublier la frontale. Au pointage un commissaire m’a dit que j’étais 27ème, super content je téléphone à ma femme pour lui annoncer la nouvelle. De plus j’étais en super forme, mon plan se déroulait à la perfection. Depuis le 1er CP personne ne m’a doublé à part mon italien que je retrouve en train de marcher. A son tour il a un coup de pompe, je fais 1km avec lui puis continu ma route. L’un après l’autre je décompte les concurrents que je double, c’est très motivant. Le relief est de plus en plus dur, ce satané sable mou qui travaille les muscles est en train de faire du « ménage » dans le peloton de tête. Enfin le 7ème CP 90ème km, se situe au pied d’une énorme arche naturelle. J’ai pris l’habitude de me ravitailler ainsi : Dès que j’arrive, j’enlève mes chaussures et chaussettes que je changerai pour l'unique fois à ce CP pour faire prendre l’air à mes pauvres pieds. Ensuite je fais le plein d’eau dans mes 2 bidons et mange ma ration (environ 300 calories). 1 doliprane de temps en temps et 2 tubes d’arnica en granule (homéopathique) que je répartis sur toute la course. Je remets mes chaussettes et chaussures, au total mes ravitaillements durent 5mn environ toutes les 2h de course. Je repars au même rythme sans faiblir, comme un métronome. Au fil des km je double des « pointures » comme Nouredine Sobhi qui a complètement explosé au 95ème km. J’arrive au 8ème CP, 100ème km que je passe en 13h05 et me retrouve 21ème au général. Moralement et physiquement tout va bien. Je traverse un lac asséché par endroit encore boueux puis arrive les dunettes de 5 à 10m de haut. Ma lampe frontale éclaire super bien. Je traverse une voie ferrée, puis une longue ligne droite qui n’en finit pas dans la nuit. J’ai l’impression que le CP recule au fur et à mesure que j’avance ! Enfin, il est en vu le 9ème CP, au pied du jebel hassani 110ème km. Je m’accorde 15mn de ravitaillement, car j’ai fait une 2ème énorme « boulette », j’avais pris 700 calories de pépites de pignon de pin pour leur haute valeur énergétique concentrée en très peu de poids mais au moment de les manger mon corps les a refusées. Je me suis retrouvé donc avec 200 calories toutes les 2 heures, c’est à dire une barre énergétique, c’est trop peu. En faisant très attention à mes efforts j’arrive à chaque CP à la limite de l’hypoglycémie, heureusement j’ai pas mal d’avance. Depuis le départ, quand j’arrive à chaque CP, mon compagnon de tente du 1er soir s’apprête à repartir et cela fait 9 CP que nous nous croisons. Par chance je retrouve un morceau de pain au fond du sac. Le terrain devient de plus en plus difficile. C’est du sable très mou avec plein d’ornières de 4x4, tout en côte et avec ça il fait très froid, 6 petits degrés. Arrive le 10ème CP 120ème km. Dans la nuit, chaque foulée étriquée me rapproche d’un rare bonheur. Epuisé, le corps entier devenu douleur je me trouve si minuscule dans ce gigantesque monde minéral et silencieux, un environnement surréaliste, merveilleux. Avec seul compagnon de route, un défilé incessant d’étoiles filantes. Par moment accompagné d’une musique douce produite par le vent s’infiltrant dans les rochers du Wadi-Rum sculptés naturellement comme des orgues. Le 11ème CP 130ème km me redonne le moral car « je double Dominique Nugre » complètement épuisé (sans me gonfler les chevilles), imaginez-vous un seul instant, on pourrait le comparer à David Croisille sur route, Puis le soleil levant fait son apparition sur les rochers rouges du Wadi-Rum, c’est un spectacle merveilleux. J’ai rarement vu un paysage aussi beau.Le désert jordanien, vrai désert absolu, dans son immensité aux couleurs pourpres et ocres. On entend tomber les heures de solitude dans l’éternité, et on entre dans ce monde comme on entre dans un lieu de prière. Pour qui traverse cet environnement hostile, il y a d’abord le silence : prenant, envoûtant, puis vient la méditation profonde, paisible. Et puis il y a la beauté sauvage, quasi-irréelle des paysages désertiques, à couper le souffle. Le sentiment de pleine liberté de ses jours et de ses nuits vécus hors du temps. Alors mon regard s’abandonne sur la ligne d’horizon sans limites. Après 20 heures d’efforts je me retrouve 13ème au général, une place inespérée, mais quand même à la hauteur de ma détermination et de la souffrance physique et morale de cette nuit. Dans une superbe vallée au sable rouge, j’ai vu un troupeau sauvage d’une cinquantaine de dromadaires au galop, c’était magique, irréel. Au 12ème CP, 145ème km je retrouve mon copain de tente ( Gérard Cain) nous nous arrêtons 10mn tous les deux. Je l’encourage et décidons de finir la course ensemble car même séparés de quelques minutes nous avions vécu de forts moments. Dans les portions trop dures nous marchons. Il faut gérer pour ne pas craquer, ce serait trop bête, si prêt du but ! La chaleur du Wadi-Rum commence à se faire sentir .13ème et dernier CP, 155ème km. Je ne résiste pas, je remplis une poche de 500gr de sable rouge en souvenir, tant pis pour le poids. Ces 15 et derniers km sont très éprouvants, toujours du sable mou en côte, nous marchons la moitié de l’étape. Impossible de courir, il fait très chaud environ 50° au soleil. J’ai une tendinite au pied gauche (releveur) qui commence à se manifester. L’arrivée n’est plus très loin. Malheureusement un concurrent nous rattrape dans les 3 derniers km. Tant pis, nous restons ensemble et passons la ligne d’arrivée à 10h40 du matin, 14 et 15ème au général sur 246 concurrents, après 26h36 de course. Je me rappelle les paroles d’un vieux bédouin, un soir au Marathon des Sables autour d’un feu de camp m’avoir dit :
« l’homme seul, qui court dans le désert est un fou ou un envoyé d’Allah ». Suis-je donc fou ? Avait-il raison ? Quoi qu’il en soit, j’essaie du mieux que je le peux par ces quelques lignes de vous imprégner un peu de ma folie, s’il y en a une !
B. CONSTANT
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