L'auteur : gilgamesh
La course : Grand Raid Manikou
Date : 19/12/2008
Lieu : Grand Rivière (Martinique)
Affichage : 1511 vues
Distance : 127km
Objectif : Faire un temps
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Toutes les photos liées au récit sont sur l’album que j’ai créé sur la fiche de la course existant sur le site, où ici : http://picasaweb.google.com/nferru/RaidManikou?feat=directlink
Je n’avais jamais entendu parler de cette course jusqu’à il y a six mois. Et puis il se trouve que ma femme me parle un jour de faire un voyage en Martinique, pour fêter ses 40 ans. Je lui réponds qu’elle n’a que 38 ans et que la plage, c’est pas vraiment mon truc. Finalement je consulte les calendriers de course, à tout hasard, et je vois qu’en décembre a lieu ce raid, présenté comme suit : « Traversée de la Martinique du Nord au sud, 127 km, 6000 m de dénivelé. » Nom de dieu ! Il n’y a pas que des plages en Martinique ?!? OK, on casse la tirelire et on y va. Mais pas en février, en décembre. Et la plage, ce sera après la course…
Elle est décrite comme suit dans la littérature de l’organisation : « L’épreuve comporte trois zones bien distinctes : la jungle chaude et humide, aux reliefs abrupts du nord, les plaines vallonnées et rurales du centre de l’ile, aux interminables champs de bananes, et le sud chaud et ensoleillé, bordé de plages paradisiaques et bercé par l’Atlantique et les Caraïbes. 65 % de sentiers, 20 % de pistes à travers champs de banane, et 15 % de petites routes de campagne ». En dehors du site officiel, je n’ai pas trouvé beaucoup de retours d’expérience de la première édition. Peu d’ufos anciens participants (jpmary qui m’a donné quelques infos). Pas de récit sur le site d’Ufo, et un seul sur le site de Kikourou, par Pal 94. Il me sera bien utile, et m’alerte sur certaines des difficultés de la course : une partie nord qui peut être extrêmement boueuse, des traversées de gués ou de rivières dans la partie centrale qui obligent à se mouiller les pieds, et évidemment la chaleur, surtout dans la dernière partie en bord de mer, peu ombragée. Tout cela fait pas mal d’aléas et d’inconnus, surtout pour quelqu’un qui n’a jamais mis les pieds sous les tropiques. Je me demande bien comment je vais supporter la chaleur après un entrainement hivernal dans l’est de la France, avec fréquemment 0°C ou moins depuis début décembre.
Le départ a lieu à Grand-Rivière, dans l’extrême nord de l’Ile, le vendredi à 6H00 du matin. Grand-rivière a un peu des allures de bout du monde. Pour y parvenir, on doit emprunter une route sinueuse, qui longe la cote nord-est, assez sauvage, et qui s’arrête en cul-de-sac. Ici se regroupent environ 250 coureurs. Une majorité pour le grand raid, et les autres pour le « Jungle raid », qui part en même temps et permet de faire toute la partie nord jusqu’à Saint Joseph (55 km et 3000 m+). On peut voir quelques cracks de la discipline comme Guillaume Lenormand, et Ludovic Pommeret chez les garçons et Corinne Raux chez les filles. L’année dernière, il y avait aussi entre autres Christophe Jaquerod (vainqueur), Vincent Delebarre (abandon), Christophe Martin.
Il ne fait pas encore vraiment jour lorsque le départ est donné. Contrairement à mes habitudes, je me suis mis en bonne position dans le peloton, et j’attaque sur un rythme élevé dans les petites rues de Grand-Rivière. En général, j’ai pour seul objectif de terminer les ultras auxquels je participe, et je cours avec la seule idée de me préserver, soit pour la suite de la course, soit pour la course d’après. Mais là, j’en ai un peu marre, j’ai envie de me lâcher un peu, de prendre des risques fous : mettre un peu de vitesse dans l’économie gestuelle, passer de l’hyper prudence à la prudence, et même faire « une place » et « un chrono ». Mais ça veut dire quoi, « faire un chrono » sur une course comme ça, encore toute neuve et avec autant d’aléas ? En étudiant le parcours et les résultats de la première édition, je me suis convaincu que compte tenu de mon niveau, la barrière des trente heures constituait un bel objectif. Et pour la place ? Dans un des derniers numéros d’Ufo mag, il y avait un bel article sur le Sparthatlon, qui expliquait quels étaient les critères de « sélection » pour participer à cette belle course. Parmi ceux-ci, devait y avoir quelque chose comme : « avoir terminé dans le premier tiers des participants à un trail de plus de 100 km ». Et ben voilà ! 167 inscrits au grand raid Manikou, donc le premier tiers c’est les 55 premiers. En plus ça a l’air à peu près cohérent avec les trente heures. Même si je n’ai ni l’envie ni les moyens physiques de faire le Sparthatlon, ça me donne un objectif. C’est un peu débile mais l’essentiel c’est de faire avancer le bourrin.
Grand Rivière- Montagne Pelée – Morne Rouge (km 19).
Rapidement, on quitte les rues de Grand-Rivière pour attaquer la première et la plus grosse difficulté du parcours : la Montagne Pelée, qui culmine aux alentours de 1400 m. Le début de l’ascension alterne montées et replats, au milieu des premiers champs de banane. Puis la pente se redresse progressivement et le sentier se fait plus technique. On n’a pas encore trop chaud, mais l’humidité est palpable. Sous une végétation qui devient déjà assez luxuriante, je pense à mon dernier footing en métropole : j’avais 15 cm de neige et – 3°C. Le dépaysement est total, et c’est peu dire que je suis content d’être là : j’ai la banane jusqu’aux oreilles, et j’essaie de suivre le rythme plus élevé des concurrents du « Jungle raid », sans me mettre dans le rouge quand même. Arrivé sur le haut, ça devient carrément escarpé, et glissant. Il faut parfois mettre les mains. Les nuages s’agglutinent autour du volcan, ce qui est parait-il assez habituel. Le brouillard donne toutefois une ambiance particulière, et contraste avec les versants très verts et escarpés que l’on aperçoit. Devant l’horizon bouché, inutile de s’attarder au sommet, et on attaque assez vite une descente qui alterne rochers glissants et hautes marches, ce qui oblige à faire de grandes enjambées. Pas très bon pour préserver les cuisses et les genoux, mais pas très long non plus. On rejoint ensuite le parking de l’aileron, premier ravitaillement, et point de départ habituel pour les randos vers le volcan (par le sentier que l’on a descendu). Il est 8H30. Cette montée-descente sur la Pelée m’a déjà parue assez cassante, mais elle est suivie par une piste descendante beaucoup plus roulante jusqu’à Morne Rouge et j’essaie donc d’en profiter en allongeant la foulée.
Morne Rouge – Sainte Cécile (km 30)
Après la traversée du village de Morne Rouge, on attaque une partie plus rurale, en général sur des chemins assez larges avec une montée au morne Chalvain (522 m). La hauteur des sommets peut faire sourire les habitués des Alpes, mais il faut voir que s’il n’y a pas de grosses ascensions de type UTMB (à part la montée sur la Pelée), l’accumulation de montées et de descentes souvent abruptes finit par être usante, surtout dans les conditions climatiques propres à cette ile. D’ailleurs à partir de Morne rouge, on est plus à découvert, et beaucoup moins sous les nuages, qui restent accrochés à la Pelée . Du coup la chaleur se fait plus sentir, et je commence à mouiller systématiquement ma casquette et le buff que j’ai autour du cou. Le problème c’est qu’il n’y a pas tant de rivières que ça. En plus, l’eau des rivières de Martinique est beaucoup plus chaude qu’un torrent dans les Alpes. Du coup, l’effet rafraichissant est moindre tout ça sèche également assez vite.
Sainte-Cécile – Saint Joseph (km 50)
A partir de Sainte-Cécile, on replonge dans la forêt tropicale, et on n’en ressortira que plusieurs heures plus tard, à l’approche de la première base vie à Saint-Joseph. Ce sont ici des sentiers techniques et difficiles, encombrés de racines, et assez glissant et boueux. La végétation luxuriante est magnifique. Côté boue, il semble que nous soyons favorisés par rapport à l’année dernière, car les pluies n’ont pas été trop nombreuses ces derniers jours, et avec la température élevée, ça sèche assez vite.
Il faut d’abord se rapprocher des contreforts du morne Jacob par une montée pas très marquée et assez longue jusqu’au morne La Caillerie (582m). Il me semble que l’année dernière le parcours montait jusqu’au morne Jacob, un peu plus haut (883m). On redescend ensuite plus brutalement jusqu’à la rivière du Lorrain, et là, pas d’échappatoire, il faut traverser direct, avec de l’eau jusqu’aux cuisses. C’est rigolo mais je ne m’attendais pas à ce qu’on se mouille les pieds avant Saint-Joseph et le passage des gués qui s’ensuit. On attaque ensuite la montée vers le Morne Lorrain par la célèbre trace des jésuites.
On a fait les trois quarts de l’ascension (environ 500 m de dénivelée au total) lorsqu’on traverse une petite route au bord de laquelle a été installé un ravitaillement. A chaque ravito, des panneaux permettent de connaître le kilométrage effectué et le kilométrage jusqu’au prochain ravito. Je m’aperçois alors que sur la dernière section, j’ai fait 6 km en 1H30. Il faut dire qu’il était quasiment impossible de courir, même en descente mais c’est tout de même pas rapide. Je n’ose pas imaginer ce que ça peut donner par temps pluvieux avec davantage de boue. Une fois passé la route, on atteint rapidement le « sommet » du morne Lorrain (781 m), peu marqué, puis un sentier globalement descendant mais avec beaucoup de petites montées et descentes, des virages incessants, et toujours des racines (Morne des Olives). Je m’efforce toutefois de relancer dès que possible, même sur 10 ou 15 mètres. Puis on sort enfin de la forêt tropicale pour trouver une piste plus large et beaucoup plus roulante. Si elle est beaucoup moins technique, cette partie présente néanmoins l’inconvénient d’être beaucoup plus exposée au soleil. Il est maintenant plus de 13H00, et il commence à faire franchement chaud. Pour la première fois, je souffre vraiment de la chaleur.
Vers 14H00, j’arrive à Rivière Blanche (près de Saint-Joseph), qui marque la fin de la partie « nord » de la course, et constitue la première « base-vie » avec accès à des sacs persos. C’est aussi l’arrivée pour les concurrents du Jungle raid. Celui-ci a été gagné par Laurence Marin, avec une demi-heure d’avance sur le premier homme…Pas mal, non ? Elle avait terminée première féminine l’année dernière sur le grand raid. Pour ma part, j’apprends que je suis classé 49 ème, ce qui me contente tout à fait. Surtout, je suis encore en pleine forme.
Avant de pouvoir manger un morceau, il faut faire un petit check-up médical : tension, température etc. C’est la première fois que je dois faire un contrôle médical de ce type sur un ultra, et je trouve que c’est particulièrement bienvenu sur une épreuve où les risques de déshydratation sont très significatifs. RAS pour ma part, mais une température qui est quand même montée à 37,5. Il parait que c’est normal de monter un peu. Un autre concurrent est à 38,5 et on lui demande de se reposer alors qu’il voulait repartir rapidement.
J’ignore toutes les commodités de la base vie (douches, kinés, podologues…) et me concentre sur le poulet basquaise dont nous sommes gratifiés. L’endroit est plutôt agréable et l’ambiance très sympa, aussi bien entre coureurs qu’avec les bénévoles. Je mange en compagnie de deux anglais, dont l’un a couru jusqu’à présent en collant et tee-shirt manches longues malgré la chaleur. Ils sont fous ces bretons !…Mais ils iront au bout !
Saint-Joseph – Morne Pavillon (+ km 60)
Après tout de même 40 mn d’arrêt, je repars pour une des parties les plus plates du raid, qui va nous amener jusqu’au pied du morne pavillon. Mais il faut d’abord traverser une série de gués peu profonds.
Là, on peut voir à l’œuvre différentes stratégies : enlever les chaussures et les remettre à chaque fois, mettre des poches en plastique pardessus les chaussures (ça j’avais encore jamais vu…). La mienne, c’était de courir en éclaboussant le plus possible les autres coureurs…mais je m’aperçois rapidement que c’est super glissant et je dois me résoudre à marcher prudemment…Après ces petits passages pittoresques, on commence à traverser les fameux champs de banane, sur de larges pistes.Ces exploitations sont très bien tenues, et on a peine à croire que tout était détruit l’année dernière après le passage du cyclone Dean. Sur tous ces passages, j’alterne marche et course sans éprouver de difficultés pour relancer car le poulet basquaise m’a donné une bonne pêche (d’autres n’ont pas aimé. La bouffe est vraiment un sujet de société pour les français, même sur un ultra…). Avant d’arriver à une route départementale, petite surprise : encore une rivière à traverser, alors que je croyais en avoir terminé avec ce type de passage. Ici, on peut difficilement éviter de se mouiller les pieds et les cuisses. Mais le plus difficile est de progresser ensuite sur l’autre rive, le long de la rivière, sur un sol très glissant et en très fort dévers. On se raccroche à de petites racines…qui restent dans les mains. J’évite le bain total de justesse. Avec une tyrolienne ou du canoë, ça ferait vraiment raid multisports.
On arrive ainsi au pied du morne Pavillon. C’est le début de la partie « routière » du raid. Ce qui ne signifie pas que ce soit plat, car si le Morne Pavillon n’est pas très élevé (345 m), la montée est plutôt longue, et comporte des passages assez raides. Cette partie de petites routes en béton (très peu amortissantes) peut ne pas plaire aux purs trailers. Il est vrai que sur certaines sections, il faut par moment affronter une circulation un peu désagréable (du moins à l’heure où je suis passé). On a droit en contrepartie a des encouragements assez sympathiques des martiniquais qui arrêtent spécialement leur voiture. Globalement, on est très loin d’avoir un « public » comme sur les templiers ou l’UTMB, mais les gens de tous âges qui voient passer les coureurs devant chez eux les encouragent fréquemment et spontanément.
Je suis récompensé de mes efforts en haut du morne pavillon par un beau soleil couchant sur la baie de Fort de France. La nuit tombe tôt en Martinique (vers 18H00). Elle n’apportera qu’une fraicheur relative.
Morne Pavillon – Habitation Clément (km 70)
La descente du Morne Pavillon, assez abrupte, débouche à nouveau sur des pistes au milieu des bananeraies. Maintenant à la frontale, il me faut plus d’une heure pour arriver à l’habitation Clément. J’alterne toujours marche et course au gré du relief, mais une certaine lassitude commence à m’envahir. Les écarts entre coureurs sont maintenant importants, et je me retrouve vraiment seul pour la première fois. Je m’emmerde un peu, les jambes se durcissent, bref, j’ai mangé mon pain blanc.
L’habitation Clément est une des rhumeries les plus visitées de l’ile. Mais pour moi, hors de question de me taper un ti-punch. Sans avoir de nausées, j’ai du mal à avaler quoi que ce soit. Je suis un peu naze. Sachant qu’il y avait des lits, j’avais prévu dès le départ de faire un petit somme ici. Je mets donc mon plan à exécution et m’allonge 20 mn. Mais je n’arrive pas à m’endormir. Je ne suis pas assez crevé, et il est encore un peu tôt (environ 19H00). Rétrospectivement, je pense que cet arrêt était inutile, et que j’aurai du continuer en marchant tranquillement. Malgré l’arrêt prolongé, je repars en 47 ème position. On ne peut pas dire que le classement évolue beaucoup, ce qui est largement du au faible nombre de coureurs.
En repartant (vers 20H00), alors que j’ai l’esprit encore un peu embrumé, je tombe sur le caméraman qui doit faire le DVD de la course, et j’ai droit à une interview. Je ne sors que des propos insipides et sans intérêt, et j’espère aussitôt que ça va être coupé au montage. Je peux bien me foutre des footballeurs qu’ont entend sur Europe 1 ! J’ai pas fait mieux !
Habitation Clément – Stade du Vauclin (km 86)
Je passe les impressionnantes installations de la distillerie en me disant que je m’y intéresserais après la course, mais en fait je vais avoir droit à un apéro plus vite que prévu. En effet, alors que je marche tranquillement avec deux coureurs martiniquais un gars en train de prendre l’apéro sur sa terrasse nous encourage et nous demande si on veut du coca ou de l’eau. Un des deux autres coureurs demande du coca, et je me rends compte alors que j’ai oublié de faire le plein de mon camelback au ravito et je lui demande également de l’eau. Nous goutons son coca, et nous apercevons qu’il a un drôle de petit gout d’alcool ! Sur ce, notre bienfaiteur me remplit le camelback avec une bouteille d’eau, et, avant que j’ai le temps d’intervenir, me verse en complément les glaçons qui étaient dans son verre…et le fond de ti-punch avec ! Il insiste ensuite lourdement pour que je reprenne du coca, et me certifie qu’il n’y avait que des glaçons dans son verre ! La bonne blague ! En repartant, j’hésite entre tout rebalancer ou risquer l’alcotest positif au prochain contrôle médical…et je choisis la deuxième solution en me disant qu’ici, ils font quand même du bon rhum, et que ça peut pas faire de mal…surtout dilué dans 2 litres de flotte ! Par la suite, en voyant quelques coureurs bringuebalant, je me demanderai quand même si c’est la fatigue ou les effets de ce serial blagueur…
Après l’habitation Clément, nous devons passer les deux dernières difficultés du parcours : le morne Valentin (275 m) et la montagne du Vauclin (504 m). Le morne Valentin, avec là aussi quelques pentes raides, est vite avalé. Mais s’ensuit une transition plus longue en montagne russe, sur petite route éclairée, vers le Vauclin. On le repère facilement avec la lumière rouge qui éclaire son sommet. La nuit se fait progressivement très calme, et il n’y a bientôt plus grand monde dans les rues. En arrivant au Vauclin, changement de décor : on quitte la route pour prendre un sentier bien raide qui est en fait un chemin de croix. Cette partie là était encore extrêmement boueuse l’année dernière, mais là elle est sèche. Il n’y a donc pas de glissade, et juste du dénivelé à avaler (disons 200 m environ). La descente reste un peu délicate car raide jusqu’à ce que l’on rejoigne à nouveau la route. Il n’y a ensuite plus qu’à se laisser aller pour quelques kilomètres de descente en pente douce d’abord sur route puis à nouveau au milieu des bananes, sur des pistes en terre, jusqu’à la base vie du stade du Vauclin. J’y arrive vers 23H00. L’essentiel du dénivelé est avalé, mais la course est encore loin d’être terminée.
Stade du Vauclin – Macabou (km 95)
Bénévoles aux petits soins sur cette base vie, comme sur tout le parcours. Le petit nombre de coureurs favorise la convivialité et les échanges, ce qui est devenu beaucoup plus difficile sur les épreuves « de masse », et j’apprécie énormément. Je ne parviens toujours pas à manger beaucoup, mais je tiendrais jusqu’au bout à coup de coca et de …bananes évidemment. Je troque mes chaussures de trail pour des bonnes vielles runnings classiques, ce qui soulagera quelques échauffements et s’avérera un excellent choix. Il faut maintenant atteindre la cote à Macabou, mais ce n’est pas pour tout de suite, car il y a encore 11 km.
Et ces 11 km ne sont pas vraiment roulants. Le plat est une denrée rare sur l’ile. C’est une succession de montagne russes qui amènent lentement jusqu’au pied de plusieurs éoliennes. Elles forment de jour un bon repère visuel, parait-il, mais de nuit, on les entend avant de les voir, ce qui rend l’ambiance assez insolite. Enfin, deux grandes lignes droites très plates amènent au ravito. Nous sommes enfin en bord de mer. Il est plus d’une heure du matin, et il reste 32 km le long de la mer jusqu’à l’arrivée.
Macabou – Anse Trabaud (km 116)
Je me retrouve au ravito de Macabou avec 5 ou 6 autres coureurs qui vont se suivre ou se séparer au gré des circonstances et des aléas de course, mais qui finiront tous à peu près dans les mêmes temps que moi. Il y a parmi eux le futur premier V3, et le futur premier espoir (20 ans). J’aime bien ce genre de clin d’œil, l’ultra est vraiment un sport pour tous. Le petit groupe part un peu avant moi, car je prends le temps de finir ma banane.
Je repars, j’arrive à la superbe anse Macabou, et, surprise, je suis sur la plage ! J’avais imaginé à tort que cette partie était plutôt roulante, sur des sentiers en bord de mer, mais pas sur la plage. La plage, ça devait être après la course, avec les masques et le tuba ! Et que faire maintenant ? Courir sur 1 km de plage dans du sable mou, après une centaine de bornes de course ? Pas envie, pas capable, mais ce constat me frustre un peu. Je me suis rendu compte depuis un moment que sauf accident, j’allais réaliser les objectifs que je m’étais fixés. Pour faire moins de 30 heures, il faut que j’arrive avant midi, ce qui laisse de la marge. Niveau classement, les écarts sont déjà très importants, et les positions bougent peu. Je devrais finir dans les 50 premiers. Alors que faire ? Je suis sur une plage magnifique, bordée de cocotiers. La lune est légèrement masquée par les nuages, il y a un petit vent qui vient du large. Des oiseaux tournoient dans ma frontale (c’est quoi, des chauves-souris ?). Je manque d’écraser les crabes qui courent pour se cacher dans leur trou à mon arrivée Le bruit des vagues est venu relayer le chant à deux tons des grenouilles (toujours pas compris si c’est des grenouilles ou des crapauds). Bref, tout me murmure à l’oreille : cool, cool, profite de la vie mon gars. No stress. Alors OK, comme de toute façon je suis bien entamé et que j’ai déjà beaucoup ralenti, on va se faire une marche très cool. Y a juste à profiter de l’ambiance et à bien regarder les rubalises. D’ailleurs j’en ai loupé une, et je me retrouve au bout de la plage à grimper dans des branchages pour éviter de me faire mouiller par une vague plus forte que les autres. Je me suis planté trois ou quatre fois pendant tout le raid, mais à chaque fois c’était de ma faute, car le balisage de l’organisation était irréprochable.
Je rattrape le petit groupe un peu plus loin, et marcherai un long moment avec deux compagnons. Entre les plages, on trouve de vrais sentiers côtiers pierreux qui montent et qui descendent. Ça rappelle parfois la Bretagne. Pas vraiment roulant. Cela nous semble long, et nous adoptons une marche assez lente et somnambulique. Tout à coup, nous sommes tirés de notre torpeur par un type qui nous double en courant d’une foulée magnifique dans une petite montée caillouteuse. Pas possible !!! Celui-là il s’est super bien économisé !!! Mais en fait, c’est le premier concurrent du « raid bleu », la troisième course, qui est partie à minuit de l’habitation Clément pour aller jusqu’à Saint-Anne (50 km, 1000 m de dénivelé). Nous serons doublés au fur et à mesure par les autres coureurs, ce qui met un peu d’animation dans une nuit très calme.
Nous arrivons ainsi au ravito de la pointe Michel. Ici, le parcours va revenir temporairement vers l’intérieur, et rejoindre la baie des anglais après une nouvelle bosse, sur des chemins plus roulants. C’est ici que le jour se lève, avec quelques vues magnifiques, sur un fond de chants de coqs cacophoniques. Je n’ai plus qu’un compagnon de route, qui souffre de problèmes d’ampoules. A force de voir les concurrents du défi bleu nous doubler, je finis par avoir des fourmis dans les jambes. J’ai envie de recourir. J’en fait part à mon camarade du moment, et, pas solidaire, je le lâche au sommet en me remettant à trottiner. Les jambes tournent bien, et manifestement, le cap difficile de la nuit est passé. On traverse la baie des anglais sur des passerelles de bois (c’est une mangrove), pour se retrouver ensuite sur des sentiers humides et herbeux qui me rappellent les tourbières que l’on trouve sur le plateau de Millevaches. Le sol est souple, et je cours avec un réel plaisir jusqu’à l’anse Trabaud.
Anse Trabaud – Saint Anne (km 127)
Après cette anse vient la « savane des pétrifications », zone aride avec une végétation genre cactus. La variété des paysages traversés pendant ce raid est proprement incroyable, et pour un premier séjour en Martinique, je ne suis pas déçu (non, non, l’office du tourisme de m’a rien donné, je vous assure…). A la sortie de ce passage, je retombe sur la petite équipe de télé. Aïe, aïe, aïe, pas d’échappatoire, je suis le seul coureur pour le moment. J’ai droit à une nouvelle interview, avec des réponses encore plus ineptes. Pourvu qu’ils coupent, ça ne donne pas une bonne image des coureurs d’ultra !
Après le passage de l’étang des Salines, il ne reste plus de 7 ou 8 km, ça commence à vraiment sentir l’écurie. Je décide de lâcher ce qui me reste d’énergie, en essayant d’allonger la foulée là où c’est possible. J’ai l’impression de courir dans une carte postale, car on passe vraiment dans les coins touristiques (sans touristes à cette heure là !), comme la plage de l’anse des Salines avec en arrière plan, le célèbre rocher du diamant. Je double au passage le premier V3, puis le premier espoir, qui m’avaient largué avant, et les encourage à relancer. L’arrivée sur Saint-Anne réserve encore des surprises : petits passages étroits en bords de mer, rues de Saint-Anne en montagne russe…et arrivée au camping qui est de l’autre côté de la ville. Alors que je cours d’une bonne allure avant l’arrivée au camping, j’ai la surprise de voir le jeune « espoir » me mettre un vent et me redoubler d’une foulée aérienne. Ça fait plaisir de voir un type (jeune) finir aussi bien, car je n’aime pas ces images de types flingués à l’arrivée dont les médias se délectent les rares fois ou ils s’intéressent à notre sport. Je ne peux pas le rattraper, et je dois me contenter de doubler le camion poubelle, mon quatrième depuis le début de la course (là, pour la carte postale, ça le fait moins !). A l’arrivée, pas de foule en délire, une ambiance intimiste, mais surtout la surprise de voir ma femme et mes deux filles. Il est encore un peu tôt (8H45 environ) pour des petites filles en vacances, et je ne pensais pas les voir. Gros plaisir.
Au bout du compte, je finis 34ème en un peu moins de 27 heures. Je ne sais pas vraiment ce que signifie ce résultat, mais je m’en fous un peu car j’ai ramené plein d’enseignements et de questions sur la gestion du rythme, des arrêts etc.…Surtout, malgré quelques moments de lassitude, j’ai pris un gros pied dans des paysages somptueux. La banane, je vous dis !
Juste après l’arrivée, je me rends compte qu’il commence à faire très chaud, et d’ailleurs, je ne supporte plus la chaleur, même à l’ombre. La journée s’annonce très chaude, et je pense à ceux qui vont devoir finir toute cette partie sud en plein soleil, avec toute la fatigue accumulée. Je leur tire mon chapeau, car d’après ceux qui avaient fait la première édition, il y avait cette année moins de boue, mais des températures plus élevées. L’organisateur Patrick Chapelle avait raison lorsqu’il nous a dit lors du briefing que cette partie sud était la plus difficile à cause de la chaleur, malgré son profil apparemment moins dur.
Il y a là un vrai choix stratégique pour cette course : partir vite pour faire au maximum la partie sud la nuit sans la chaleur (mais on risque de se cramer dès la montagne Pelée et de compromettre la suite, et on ne peut pas profiter des vues sur la cote de jour) ou s’économiser dès le départ, mais au risque de faire la partie sud dans la chaleur de la journée du samedi. On peut encore partir doucement, roupiller sur une plage le samedi à l’ombre d’un cocotier après un petit bain, et repartir tranquillou dans la nuit le samedi soir, car les barrières horaires sont très larges (dimanche 8H00).
Côté dénivelé, je ne trouve que 4500 m qui se décomposent comme suit : Grand rivière – Saint Joseph + 2500 ; Saint-Joseph – Habitation Clément + 600 ; Habitation Clément – Saint Anne + 1400.
Au niveau de l’élite, c’est Ludovic Pommeret qui gagne. Il a mis 16H00 et ainsi battu de plus d’une heure le temps de Jaquerod l’année dernière ! 2ème le martiniquais Fred Tramma, et 3ème Christophe Leseaux, qui a longtemps été en tête mais a eu des problèmes sur la partie sud. Guillaume Lenormand est 4ème. Pour les filles Corinne Raux était largement en tête mais a du abandonner sur blessure pas très loin de l’arrivée. C’est Gabi Bellemare qui l’emporte. Il y a eu 106 arrivants sur les 167 partants.
Au final, vous avez compris que je ne peux que vous recommander cette course, en particulier pour son côté convivial. Il y a bien sur encore des trucs à améliorer dans l’organisation, mais globalement, ça tient vraiment la route et c’est fait très sérieusement.
1 commentaire
Commentaire de peky posté le 13-01-2009 à 13:22:00
Bravo pour ton récit qui donne envie de participer à cette course.
J'aime bien le côté intimiste de cette course.
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