Récit de la course : 100 km du Périgord Noir 2004, par annick
L'auteur : annick
La course : 100 km du Périgord Noir
Date : 24/4/2004
Lieu : Belves (Dordogne)
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Distance : 100km
Objectif : Pas d'objectif
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Le récit
Belvès 24 avril2004
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Instant fragile. Trois petites perles au bord des paupières. Instant décisif. Quelques paroles d’un bénévole attentionné dont le regard laisse percer un soupçon d’inquiétude à mon égard. Instant fugace. Je pince les lèvres pour dépasser l’instant. Réflexe, conditionnement dicté par la loi que je me suis forgée : sortir de la spirale où je suis enfermée depuis l’été dernier. Rompre avec ce goût amer que laissent les abandons successifs. Casser, casser tout. Revenir à des jours meilleurs. Redonner de la saveur à mes ultras pour pouvoir sereinement me projeter vers demain.
Je suis au km80 , et pour quelques paroles aimables d’un bénévole attentionné, j’allais me transformer en fontaine. Fontaine ? Quelle ironie ! quand la gorge est sèche, trop sèche, la soif démesurée, et que la sueur s’évapore avant même de pouvoir tracer son chemin sur la peau. Je n’ai pourtant pas ménagé mes arrêts à chaque ravitaillement, en buvant systématiquement deux verres d’eau plate et/ou pétillante, sans compter la Saint-Yorre/ Caloreen que madame mmi transporte dans son panier à l’avant de son vélo et que j’avale hors ravitaillement dès qu’elle est à mes côtés.
Trois petites perles au bord des paupières : une pour la soif, une pour la faim, et une pour…la rage ! Pour évacuer la rage qu’a fait monter en moi cet autre concurrent quelques kilomètres plus avant. Un concurrent ? non, un goujat qui, quand j’arrive à sa hauteur se targue d’une réflexion d’un phallocratisme que je croyais naïvement révolu, et en tout cas bien malvenue dans les circonstances du moment. Si encore il y avait mis un peu d’humour ! Il n’aura droit pour toute réponse qu’à mon mépris silencieux, sans un seul regard à son encontre.
Km80 . Instant fragile. Trois perles au bord des paupières que je reconnais trop bien. Je sais ce qu’elles me disent et ce qu’elles m’enjoignent de faire. Signes annonciateurs d’une hypoglycémie latente et d’une déshydratation en marche. Ca tombe bien, j’ai soif et faim. Depuis le ravitaillement précédent, j’ai singulièrement ralenti l’allure, sentant le pincement de la faim et de la soif, à la recherche d’une dépense énergétique contenue. J’ai aussi trempé ma casquette saharienne dans une bassine d’eau, frissonnant ensuite au contact de la toile mouillée sur la nuque. Je ne savais pas à cet instant que cet équipement que j’avais le matin même proposé à mmi, lui faisait alors cruellement défaut. Non, mmi, je ne sacrifiais pas mon bien-être au profit du tien. J’avais aussi mon bob, et tu sais mon bob, je l’aime beaucoup aussi. Mon bob, il est quelque peu anachronique, et c’est peut-être pour ça que je l’aime tant. Et encore plus depuis que Christophe, l’organisateur du RMV, alors qu’il adressait l’année dernière un mot à chaque concurrent, après 10 jours d’avancée le long de la Méditerranée s’est tourné vers moi en disant : « Annick, si je ne retiens qu’une image de toi, ce sera avec ton bob ». Alors, tu vois, mmi, casquette ou bob, tout me va !
Quand mmi a refusé la casquette, nous étions à quelques minutes du départ. Départ un peu précipité. Nous avons rejoint la ligne d’arrivée, face à l’attroupement de coureurs, au moment où le départ était donné pour le handisport de la course. Nous, c’est-à-dire, cyrano, mmi, et moi. Pas le temps de stresser ou de prendre froid avant le départ. Juste le temps pour moi de saluer quelques spartathlètes, Stéphane Mathieu, Thierry Foucaud, de reconnaître Henri Girault, et nous étions déjà partis.
Pendant 30 bornes, je n’ai de cesse de me ralentir : 30 km dont une grande majorité en bordure de fleuve, la traversée de 2 beaux villages que nous reverrons sur le parcours de retour. C’est beau, c’est plat, mais je n’ai toujours pas réussi à trouver un rythme où je me sente bien, une allure qui aille toute seul sans que j’aie besoin d’exercer une vigilance soutenue pour me freiner.
Cyrano nous a proposé la veille d’essayer sa stratégie de course qui alterne course et marche selon un protocole bien défini. Mon entraînement n’étant pas basé sur cette méthode, je préfère ne pas tenter l’essai maintenant. Sa méthode pourtant m’intrigue, et quand je vois son résultat sur 24 h, ça m’interroge. Moi, je suis abonnée à la vitesse spécifique et aujourd’hui, je compte bien la dérouler le mieux possible, telle que j’aimerais l’adopter lors de mon prochain et premier24 h qui approche maintenant à grands pas, à échéance de4 semaines. J’ai bien aussi travaillé la vitesse spécifique 100 km, mais compte tenu d’une forme incertaine, on (mon coach Heubi et moi), on joue la sécurité. Et puis, il y a le moral à rétablir pour la suite. C’est l’enjeu. Et la devise du jour sera : « lentement, mais sûrement ».
C’est après le passage des 30 km, alors que le terrain devient plus vallonné qu’enfin je n’éprouve plus la nécessité de contrôler ma foulée. Je retrouve des terrains qui me sont plus familiers, je n’en prends conscience qu’à ce moment. Mes terrains d’entraînement habituels présentent quelques petits dénivelés, et j’ai d’autant plus recherché les côtes que j’étais en préparation de ce 100 bornes réputé pour ses difficultés. Ce qui corroborerait une fois de plus l’avantage de la préparation réalisée dans les conditions les plus proches de celles de la compétition. Je me régale même du faux plat qui monte à Sarlat, en empruntant le parcours d’une ancienne voie ferrée, à l’approche du passage des 50 km.
Au passage des50 km, je suis accueillie par madame Cyrano qui me propose mes ravitaillements récupérés du vélo de madame mmi que je n’ai pas revue depuis le30 ème km.
« Ca va ? »
«Pour l’instant, je gère. Et les autres ? ».
« Ca fait bien ½ h qu’ils sont passés. Je vais retrouver Jean-Marc à la Roque Gageac ».
Je me dis à cet instant que je ne suis pas prête de revoir mmi !
Km50 . Mi-course. Arrêt pour les concurrents du 50 km et de ce fait véritable seuil psychologique. Une2 ème course commence. Les concurrents se font alors très rares, ou du moins sont-ils suffisamment espacés pour que je me retrouve seule un long moment. La meilleure façon pour moi d’aborder cette2 ème portion est de me remettre mentalement dans les conditions d’une sortie longue d’entraînement. Partir tranquille comme pour les séances habituelles de 25 ou30 bornes, sans penser à plus. La gestion du 100 bornes ne m’apparaît alors pas évidente. Pour les spécialistes ou ceux qui privilégient cette distance, sans doute est-ce relativement plus facile. J’en suis à mon4 ème 100 km, et sinon l’adoption des règles élémentaires concernant l’alimentation et l’hydratation, qui valent également pour la plupart de ultras, j’ai vraiment le sentiment d’être une novice. Car ce sont4 «100 km » perdus dans une foultitude d’ultras de toutes sortes qui depuis 10 ans m’ont fait goûter à presque tout ce qui se rencontre en la matière, excepté les grands froids et la très haute montagne.
Mon4 ème 100bornes : Millau en1993 , Cléder en1998 , Les étangs de Sologne en2002 , et ce 100 bornes du Périgord noir que j’ai choisi parce que la date s’inscrivait bien dans mon programme de l’année que j’ai voulu progressif, avec aussi l’intention daller titiller les 10 h au 100 km avant…mes 50 ans. Je n’ai plus beaucoup de temps pour cela. Il a pourtant bien fallu que je me départisse de cette ambition chronométrique. A défaut de pouvoir marier cette fois-ci assurément le plaisir de courir et la recherche du chrono, j’ai privilégié le premier. Bien m’en a pris.
Pour ce4 ème 100bornes, je refais donc l’apprentissage au fil des kilomètres, essayant de mémoriser les sensations pour me rappeler…pour la prochaine fois, établissant aussi des rapprochements avec les 100 km déjà vécus. Des choses reviennent à ma mémoire, mémoire intellectuelle et mémoire sensorielle, les deux confondues. Retour en images et en sensations sur mes 100 km précédents, où viennent s’entrecroiser les décors et les souvenirs d’autres ultras, et notamment ceux les plus récemment courus, peut-être parce que la mémoire y et demeurée plus vive, et que des parallèles peuvent plus naturellement se faire jour. La chaleur n’est peut-être pas étrangère à cette situation.
Un fleuve, un bateau qui glisse sur le fleuve. La Dordogne devient canal du Midi, le bateau se transforme en péniche, la chaleur n’est pas encore canicule. Depuis 2 jours, la température s’est mise à grimper de manière spectaculaire et inattendue, frôlant à une certaine heure de l’après-midi les30 °C dans certaines portions du parcours. Chaleur, oui, mais pas canicule. La température est somme tout similaire à celle que j’ai connue en septembre 2003 en Grèce, au début du Spartathlon. L’hiver et les mois ont passé, mais l’effet des nombreuses heures passées sous le soleil n’est pas totalement oublié, estompé. Ce souvenir sonne comme un rappel rassurant, car ce n’est pas la chaleur qui alors m’avait fait stopper ma course.
50km et5 h31mn de course. Inévitablement, je projette une heure d’arrivée de course. Il y a malgré moi toujours ce calcul du chrono qui me fait faire quelques prédictions sur mon temps éventuel d’arrivée. Je note mes temps de passage tous les 5 km et depuis le début, à chaque passage des panneaux kilométriques, j’évalue un temps fictif d’arrivée qui après le 50 km, ira grandissant mais que j’accepte comme tel. Je repousse à chaque fois l’idée qu’il me faudrait maintenir telle allure pour atteindre les objectifs qui se dessinent. Le temps, je le connaîtrais à l’arrivée, mais il ne doit en aucun cas me dicter quoi que ce soit. Le chrono n’est pas l’objectif du jour !
Km61 . La Roque Gageac. Je retrouve cet adorable village ocre adossé au coteau et surmonté de son château, que j’avais atteint le matin après25 km de course. Il reste alors presque40 km pour atteindre l’arrivée. C’est peu après, avant le65 ème km que je rejoins à ma grande surprise mmi qui marche, accusant un passage difficile. Il m’apprend que cyrano a stoppé à La Roque Gageac. Quelques pas ensemble à faire le point, et j’en profite pour remettre la main sur ma bouteille de Caloreen-St-Yorre que transporte madame mmi.
« Tu recours avec moi ? »
Mmi me laisse poursuivre seule. Je passe le pont pour aller chercher la boucle qui longe d’abord un petit cours d’eau, et dont le frémissement ravit mes oreilles. Ce petit bonheur s’est transmis comme une onde de choc bienfaisante à tout mon être qui, si j’en juge par le temps réalisé entre le60 ème et le70 ème km, enregistre une légère accélération.
Km70 . Fin de la boucle où je suis accueillie pour mon plus grand plaisir par la famille cyrano, ce qui me permet à l’occasion de retrouver mon ravitaillement personnel. Jean-Marc n’a pas l’air trop meurtri par son arrêt. J’ai en tête son descriptif de la course qui annonce sur le dernier quart du parcours quelques difficultés supplémentaires. Quoique je ne me sente pas trop mal, je ne parviens pas à mesurer si mon état du moment est adapté pour envisager sereinement la suite du parcours. Pas vraiment inquiète, mais pas totalement confiante. Interrogative plutôt. Cyrano tient à me rassurer en m’indiquant que je vais trouver quelques portions ombragées dans les kilomètres suivants. Celles-ci seront apaisantes, mais insuffisantes pour calmer la température de l’air ambiant.
Chaleur, pas canicule, mais chaleur tout de même, qui finit par marquer ma cadence. Les affres de ce printemps soudainement précoce commencent à me taquiner. J’ai beau continuer à doubler les concurrents depuis le km30 , sans jamais m’être laissée dépasser, j’ai été contrainte de ralentir l’allure. Ca va nettement moins bien, et je sais à cet instant que je dois m’économiser pour éviter que ce moment délicat ne vienne à empirer et se transformer en une situation de non-retour. Je demeure concentrée sur la seule nécessité de ne pas commettre d’impair, de ne pas m’abîmer dans des pensées alarmistes, et me convainc du bon usage de la patience en attendant des moments plus heureux. Atteindre le ravitaillement suivant sans forcer et là tenter de me reprendre un peu. Boire, manger. Boire encore plus. J’ai aperçu des pastilles de sel sur les tables de ravitaillements, et je décide que je vais en prendre pour éviter de grosses pertes en eau. Forte de ces résolutions fortement commandées par des besoins physiologiques prégnants, j’absorbe quantité de liquides aux trois ravitaillements qui suivent : 4 verres d’eau avalés goulûment au premier de ces ravitaillements n’étancheront qu’un court moment la soif qui quelques kilomètres plus loin me tenaille à nouveau et me fait rêver à une bière fraîche à l’arrivée. Je n’aurai pas besoin d’attendre l’arrivée pour cela, car j’en viderai 2 verres au ravitaillement qui suit, sous l’œil étonné d’un bénévole. La faim commence aussi à se faire sentir en raison sans doute de l’heure de ce milieu d’après-midi. Il me faudra passer trois ravitaillements soit environ 10 km avant de retrouver des sensations plus favorables, et de reprendre pied dans la course.
Village de St-Cyprien. Le retour. Pas mécontente de laisser définitivement derrière moi ce coureur qui a fait monter une telle rage en moi , et qui au gré des ravitaillements, se retrouvait encore et toujours dans mes pas, avec toujours et encore une attitude et des propos insupportables, qui inondaient et tuaient mon énergie.
C’en est fini. Je suis revenue à une forme de plénitude tranquille. J’ai étanché ma soif, assouvi ma faim, et repris mes esprits. Les kilomètres défilent sous une foulée moins rapide qu’au matin, mais avec une sérénité complètement rétablie. Ma foulée semble toutefois moins ralentie que celle des coureurs que je continue à doubler jusqu’à l’arrivée. La fin du parcours ressemble à un long faux plat jusqu’à la monté »e très franche des 2 derniers kilomètres, ceux-là mêmes que nous avons gaiement descendus le matin. Ca grimpe, et je cours. Ca grimpe et je cours encore jusqu’à atteindre l’arche d’arrivée tranquillement heureuse, en11 h32 mn 32 s.
C’était mon4 ème 100 bornes. Il m’en faudra d’autres pour apprendre encore, et peut-être un jour passer la ligne sous les10 h. C’est un rêve que j’aimerais faire éveillée, mais qui au fond n’a qu’une importance relative.
Annick
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