L'auteur : marathon-Yann
La course : Spartathlon
Date : 28/9/2024
Lieu : Athènes (Grèce)
Affichage : 450 vues
Distance : 246km
Objectif : Pas d'objectif
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"Quand l'existence lui semblait froide ou pénible, Herbert allait chercher son rêve pour s'enfuir avec lui." Herbert est un personnage de roman mais je fais comme lui. Quand je fais face aux moments moroses de l'hiver je ferme les yeux et m'imagine dans mes chères montagnes grecques. Et pour vivre mon rêve, je m'inscris - le dernier jour - au tirage au sort du Spartathlon. Je paie -le dernier jour- mon inscription pour l'épreuve. Et je me retrouve -à la première heure- au pied de l'Acropole, chaussures de running aux pieds et sourire innocent aux lèvres.
Le Spartathlon, vous connaissez peut être. Une course de 246 km à accomplir en moins de 36h. Une course trouvant sa justification dans un évènement historique fondateur pour les fondus de l'ultrafond. En 490 av JC, l'armée perse fond sur Athènes. Les athéniens envoient un messager, Phillipides, demander de l'aide à Sparte, à 250 km de là. D'après les récits, il y arrive avant la nuit du lendemain. Pas de bol, les spartiates célèbrent une fête religieuse et ne peuvent pas se battre. Mais les Athéniens remportent la bataille de marathon et mettent les perses en déroute. Avec une nouvelle histoire de Philipides (le même ?) qui meurt en annonçant la victoire à Athènes .(«νενικήκαμεν»« Nenikekamen ! », « Nous sommes victorieux ») En 1982, des anglais veulent vérifier s'il est possible de relier Athènes et Sparte avant la nuit du lendemain. Ils partent à 5, 4 arrivent, le Spartathlon est né avec son délai de 36h.
La puissance de cette histoire, l'aspect sélectif et international de la course, la hauteur du défi physique proposé constituent les piliers de cette course. Combien sommes nous à y penser parmi les 400 coureurs qui se massent au pied de l'Acropole, alors que le jour va bientôt se lever ? Je ne sais pas, j'imagine que plus prosaïquement nous pensons aux barrières horaires qui mettront une bonne moitié d'entre nous hors course, et à la chaleur (34 aujourd'hui, 37 demain vers Sparte) qui ne va rien arranger.
C'est -presque bizarrement -un peloton joyeux qui se met en route, précisément au moment où le soleil se lève et teinte le ciel d'Athènes d'une belle couleur orange. Avec l'Acropole en toile de fond, c'est magique. Je m'amuse à voir un gros chien noir faire sa sieste sur la voie piétonne que nous empruntons, il se lèvera nonchalamment, mais le molosse est tellement impressionnant que personne ne lui demandera de se pousser plus vite. Plus loin , un autre chien tenu en laisse gigotera en montrant son ventre pour mieux se faire caresser par un passant, et j'ai presque envie de me joindre à eux tellement cette position me rappelle celle de mon toutou . Vous l'avez compris, le début est facile et je prends le temps de regarder autour de moi.
Pour ma troisième participation, je commence à bien connaître le parcours. La partie en ville avec une petite côte au bout, le ravitaillement où je bois en vitesse un gobelet d'eau avant de m'élancer pour quelques kilomètres sur la bande d'arrêt d'urgence de l'autoroute. Amusant, mais tellement bruyant, j'ai hâte que l'on passe le semi pour me retrouver sur des routes un peu plus calmes.
Il y a une barrière horaire à chacun des 75 cp (check point), et je vais passer les prochaines 36h à évaluer l'évolution de mes temps avec celles ci. Craignant vraiment la chaleur de l'après midi, je me dis qu'il serait bien de creuser mon avance ce matin , avant la canicule. Alors je creuse, comme nos ministres le déficit budgétaire. 20 minutes, une demi heure, 45 minutes au marathon, c'est chose faite.
Nous sommes maintenant au bord de mer, et cette partie est l'une de mes préférées. La vue est magnifique, et donne envie de faire une pause fraîcheur dans la mer transparente. Je m'autorise enfin à marcher un peu dès que la route s'élève, mais j'avoue avoir du mal à ralentir alors que la chaleur est bien présente. Je discute un peu avec Katerina, une coureuse de Macédoine. En raison d'un incendie sur un pont, nous faisons un petit détour qui nous amènera à courir une nouvelle fois sur l'autoroute. Passage insolite mais très chaud sur le bitume noir.
J'attends Corinthe avec impatience. Je sais qu'après le passage sur le canal, les barrières horaires seront plus souples. Surtout, nous emprunterons des routes moins passantes, qui nous sembleront réservées. Je retrouve au CP Alain, l'accompagnateur de Sylvain, qui prend soin de moi avec une touchante attention. Je prends des nouvelles du peloton des français. Gilles, notre modèle à tous avec ses 18 Spartathlon terminés, a du mettre le clignotant, cette course est décidément impitoyable. Les autres mènent leur combat, devant ou derrière moi.
Je repars au milieu des oliviers, bien décidé à gérer mon avance. J'alterne maintenant course et marche de façon plus régulière. Au km 100, comme ces deux dernières années, une chorale chante pour nous. Je prends le temps cette année de sortir mon appareil photo, et les chanteurs semblent ravis de m'adresser sourires et signes d'amitié La vidéo serait magnifique s'il n'y avait mon index devant l'objectif, quel âne je fais, il me faudra revenir !
Plus loin, c'est une photo mentale que je fais, et celle là je ne la manque pas : ce sont deux enfants qui me demandent timidement des autographes sur leur cahier d'écolier. Tellement touchant !
Km 100, atteint en 10h30. Mon temps de passage est finalement comparable à celui de ces deux dernières années. Il y a deux ans, j'avais commencé à concéder du temps sur la barrière horaire, pour finir en 35h55. L'année dernière, au contraire, j'avais continué à creuser mon avance pour finir en 32h40. Comment les choses vont-elles évoluer cette année ?
Pour le moment, je me dis qu'il faut temporiser, et qu'après une journée sous une chaleur comparable à celle d'il y a deux ans il faut absolument gérer. Je m'impose donc de ne plus augmenter ma marge, en jouant sur mes temps d'arrêt aux ravitaillements. Même si je me félicite de cette gestion "intelligente", une petite voix en moi se demande si je ne suis pas en train de me mentir. En fait, le constat est que j'ai besoin de ces repos, et que je n'ai plus la force d'aller plus vite que la musique. Avec deux heures d'avance, rien d'inquiétant, mais je ne suis pas si serein.
La montée vers Nemea est riche de ces petits événements qui meublent une course. Je signe de nouveaux autographes à une petite fille haute comme trois pommes, trop mignonne. Plus loin, je suis rattrapé par Péter, un coureur franco-hongrois dont je suis ravi de faire la connaissance. Alors que la nuit vient de tomber, je suis rattrapé, mille fois hélas, par Michel en voiture, contraint à l'abandon. Au lieu de rentrer se coucher, il va passer sa nuit avec ses suiveurs à assister Florian, qui lui va finir à une hallucinante troisième place. Quelle équipe !
C'est la mi-course, dans une ambiance chaleureuse. Pause, je me pose un peu, depose mes soucis, dispose mes affaires autour de moi, compose de nouveau mon sac, y entrepose de nouveaux souvenirs et las de ces jeux de mots pourris je repars doucement dans la nuit. Je sais que je suis lent dans les montées et relativement rapide en descente, ça me permet de conserver ma marge sur les 10 km suivant, où nous redescendons ce que nous avons monté. Mais je ne peux plus me mentir, je suis cuit. Pour rajouter à mes malheurs, les frottements de mon short font que je suis presque en sang. Je demanderai à un ravitaillement de la vaseline qui me soulagera un peu, mais le mal est fait, et je finirai en sang, et dans la vaseline. Je ne sais pas encore que ma valise a été égarée à Athènes et que je n'aurais pas de vêtements de rechange avant de pouvoir en acheter à Sparte, lundi. Fun fact.
C'est toujours un émerveillement pour moi de courir la nuit, et cette fois ne fait pas exception. Je suis vraiment dans ma bulle, ne trouvant pas cette année de coureur avançant à mon rythme avec qui discuter. Ça ne me gêne pas. Alors que nous nous approchons de la montagne, j'entends des hurlements dans la nuit, sans savoir s'il s'agit d'oiseaux, de chiens ou d'autres animaux. Il y a des loups, en Grèce ? Des minautores ?
Et je commence l'ascencion de la montagne. Pour moi, cette montée ne concerne pas que le sentier raide et escarpé qui nous conduira au point culminant de la course, base Mountain, mais dix bons km avant, sur une route que je ne peux gravir qu'à la marche. 500m de D+ en 10 km, c'est beaucoup pour moi, piètre grimpeur.
Je vous ai dit que je marchais lentement ? En l'espace de 3 cp, je perds 45 minutes sur la barrière horaire, malgré toute ma bonne volonté. Il ne me reste qu'1h15 d'avance, ce qui est convenable, à condition de stopper l'hémorragie. Je ne fais vraiment pas le fier. Comme il y a deux ans, je gravis plutôt bien le sentier à 20% qui nous mène au sommet. Mais ce n'est pas dans la première partie de la descente que je vais reprendre un peu de temps, celle ci est tellement raide et glissante qu'une concurrente préfère la descendre sur les fesses, comme je le ferais sur une piste noire au ski. Je marche sur des œufs.
La portion suivante est un peu plus roulante, et dans le silence et la brume de la nuit je repense à Philipides. Je vous ai raconté l'aller. Ce qui moins connu, c'est que Phillipides a du retourner annoncer la réponse des spartiates à Athènes. Il parcours donc deux fois ce chemin. Et dans la nuit, il voit apparaître Pan, qui lui dit qu'il trouve les Athéniens ingrats et leur ordonne d'ériger un temple à sa gloire. C'est cette réponse que Phillipides apporte aux généraux athéniens. Qui remportent la bataille de marathon et construisent le temple au pied de l'Acropole. Avec la fatigue, j'imagine très bien un Dieu grec sortir de cette brume et m'engueuler !
Le jour va bientôt se lever et j'ai le sentiment que beaucoup se joue maintenant. C'est l'avantage de connaître le parcours. Je sais qu'il y a encore une belle montée au km 200, après il restera 10 km un peu difficiles, probablement sous le cagnard. Je vais encore y laisser des plumes, avant la descente finale qui devrait bien se passer. Pour le moment, la route est plate, la température est idéale, pas question de perdre du temps ici. Je fais l'effort de trotter, l'hémorragie est enfin stoppée, non sans effort.
Au petit jour, je suis aidé par les encouragements d'Alain, Gilles et Françoise, qui savent me rebooster. Je prends des nouvelles de Florian, qui a fini 3eme, de Sylvain et Christophe, qui maintiennent une avance de quelques minutes sur les barrières horaires depuis une centaine de km, vraiment chapeau à eux. Sébastien n'est pas loin derrière moi. Personne n'a vu Thierry depuis longtemps, Nathan et William ont du abandonner, bref j'ai des nouvelles de toute l'équipe.
Je repars seul sur des routes que je reconnais bien. Phénomène curieux. Je me rappelle nettement de chaque virage, de chaque km. J'y associe des souvenirs précis de discussions tenues avec mon épouse. Ici, on s'était dit que ce serait bien d'atteindre ce cp avant le lever du jour. Là, elle m'avait dit que ce n'était pas la peine de perdre du temps pour photographier ce temple. Douceur, compréhension, encouragements, c'est tout elle. Sauf que je sais pertinemment que j'etais seul sur ces routes ces deux dernières années, et que je suis en train de confondre ma petite voix intérieure avec celle de mon épouse. La définition de l'amour fusionnel. Chérie, je t'aime.
Autre sensation étonnante. J'éprouve un sentiment de condescendance pour les coureurs qui me doublent, parce qu'ils ne savent pas qu'ils sont "chez moi". Je suis tellement dans mes pensées que je plains les autres coureurs de ne pas les partager et de ne faire partie que du décors. Un peu prétentieux , non? Ou complètement barré, comme vous voulez.
Km 200. On pourrait penser que c'est presque fini, mais je sais que c'est loin d'être le cas, au contraire. D'abord, la longue côte où j'étais si fier de courir l'année dernière avec Jean. Ça ne sera pas le cas cette année, je marche, plutôt lentement. Ensuite, le plateau que je craignais tant. Quelques nuages rendent la chaleur plus supportable, c'est pas si chaud que je l'imaginais. C'est un peu une tôle ondulée, une succession de passages montants et d'autres descendants. Je marche la plupart du temps, trottine quand ça descend, ce n'est guère brillant. Je ne ressemble plus à grand chose, j'ai un peu la tête de la victoire de Samothras. Je surveille mon avance à chaque CP. Une pensée dangereuse m'envahit. Je me dis que les gens semblaient plus impressionnées par ma course finie en 35:55 ("quel combat ça a du être !") que par celle finie en 32:40 ("facile, non ?"). J'ai presque envie de brûler toute mon avance, de finir dernier classé pour montrer ma parfaite gestion de course (sic). C'est donc sans crainte que je me traîne dans la descente vers Sparte, me réjouissant presque chaque fois que je suis dépassé.
Heureusement, alors que je suis sur la mauvaise pente, dans tous les sens du terme, avec 20 petites minutes d'avance et une dangereuse apathie de ma part, je retrouve Gilles à 10 km de l'arrivée. Avec son éternel enthousiasme et la puissance cachée derrière son grand sourire, il trouve les mots pour me relancer. Je cours enfin dans la descente, assez pour reprendre 10 minutes sur la barrière horaire. Avec une demi heure à 5 km de l'arrivée, c'est quasiment gagné.
Je me hâte lentement vers l'arrivée. Lentement, car je suis cramé , cuit et archi cuit, sans aucune énergie. Je me hâte, car je n'ai qu'une seule envie, m'asseoir enfin, m'allonger, m'effondrer. Je me contrefiche de l'arrivée victorieuse aux pieds de Léonidas.
Et puis j'entre dans Sparte.
Ça commence par quelques applaudissements qui tombent de balcons. Ça se poursuit par les coups de klaxon des voitures que je croise. Puis au détour d'un virage, un groupe de supporters me réveille définitivement à grands coups de sifflet qui accompagnent mon nom. Plus question de marcher ! Je profite enfin de l'instant ! Dernier virage. Les gens ont l'air tellement heureux de nous voir, à moins qu'ils ne soient heureux pour nous je ne sais pas. Les enfants de Sparte forment un cortège autour de moi en vélo. L'un d'entre eux me prend la main, et nous avancerons ainsi, lui sur son vélo, moi courant à côté, me prenant pour la reine d'Angleterre à force de saluer le public chaleureux. Et devant moi, ravi de tout ce vacarme, le silencieux Léonidas qui m'attend.
Épilogue
Je vous ai raconté l'histoire de Phillipides, l'aller comme le retour. Mais pour moi, le plus intéressant c'est l'analyse qu'en fait Scott Jurek, rapportée par JF Lefief.
Pour Scott, l' histoire de Philipides résume tout ce qu'il faut savoir de la course à pied. Philipides a couru pour rien, finalement, puisque les spartiates lui ont refusé leur aide, et pourtant ce qu'il a retiré de sa course est inestimable. En rencontrant Pan, symbole de la nature qui lui demande plus de respect, il renoue le lien avec la nature, ou avec sa nature (avec lui-même ?) qui le rendra victorieux. Ce n'etait pas l'objectif qu'il visait mais il a obtenu de sa course quelque chose d'inattendu et tellement plus précieux.
lire JF Lefief, La folle histoire du trail pour l'histoire de Pan, et Jorn Riel La circulaire et autres racontards pour celle d'Herbert. Deux super bouquins, très différents !
3 commentaires
Commentaire de philkikou posté le 23-10-2024 à 22:57:46
A lire prochainement sur mon écran !! En préambule Bravo, chapeau !!!
Commentaire de keaky posté le 24-10-2024 à 13:35:43
Chapeau pour ce voyage mythique mais bien réel !! Bravo !!
Commentaire de philkikou posté le 27-10-2024 à 13:15:35
Bien se connaitre (et connaitre la course ça peut aider), courir avec le corps mais surtout avec la tête pour gérer les hauts et surtout les bas physiques et / ou mentaux.
Vraiment chapeaux pour ta course et merci pour le récit très riche à tout point de vue !!!
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