Récit de la course : Grand Raid du Golfe du Morbihan - 175 km 2024, par marathon-Yann

L'auteur : marathon-Yann

La course : Grand Raid du Golfe du Morbihan - 175 km

Date : 28/6/2024

Lieu : Vannes (Morbihan)

Affichage : 456 vues

Distance : 175km

Objectif : Pas d'objectif

2 commentaires

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Regardez comme il vole

Ma famille s'en donne à coeur joie. Sur le groupe familial où nous partageons le suivi de ma course, ils vont jusqu'à citer Bossuet : "regardez comme il vole, à la victoire ou à la mort". Il n'y a pas à dire, ma famille a des lettres, et elle s'y connait en course à pied, car sur cet ultramarin comme sur tout ultra, tout peut arriver...

C'est mon frère qui m'accompagne cette année. Lui que j'ai surnommé parfois L'homme orchestre me servira de chauffeur, ravitailleur, assistant, supporter, reporter, photographe tout le weekend, qu'il en soit mille fois remercié. Pour commencer, il me dépose sur le port de Vannes, où nous partageons un dernier kouign aman et une dernière glace. Le soleil brille "dans le ciel et dans nos cœurs" (moi aussi j'ai des lettres et cite sans vergogne Alphonse, élève en 6eme). Je me faufile dans le sas, et c'est parti au son des bagads pour 175 km de promenade autour de la plus belle baie du monde, pour citer Céline (qui habite ici) cette fois.


Depuis que le sens a changé, l'an dernier, nous commençons par un petit tour d'honneur dans Vannes, histoire d'étirer le peloton, avant de nous lancer sur les sentiers en direction de Séné. Je ne sais pas si c'est lié, mais je trouve le public plus impressionnant dans ce sens, c'est assez fabuleux de voir tant de gens si longtemps sur une course aussi longue. Je retrouve Thoai, avec qui nous avions passé pas mal de temps sur la No Finish Line, mais il ne me reconnait pas, ce qui me vexe légèrement. Je retrouve aussi Augustin, qui lui me reconnait, à ma plus grande joie. Nous discutons un bon bout de temps avant qu'il ne se plie à sa méthode Cyrano et commence à alterner course et marche. Étant moins sage que lui, je continue à courir et nous nous séparons.


Le début de course est vraiment agréable. Il fait beau et chaud (vous admirerez la contrepèterie), le public est fabuleux, le paysage splendide, j'avance d'une foulée facile. Regardez comme je vole ! Je retrouve mon frère au ravitaillement du km 28, au gymnase Cousteau, visite oh combien sympathique. Je reconnais bien les passages où j'avançais si difficilement en 2018, ce pré que nous traversons et ce village où une pancarte nous indique l'arrivée ( 139 km cette année, c'est sûr que dans ce sens c'est plus loin). Je suis content de traverser cette prairie avec des herbes hautes tant qu'il fait jour, car le chemin est difficile à deviner.

L'arrivée au premier marathon, au Hézo, est bienvenue, même si je ne mange pas beaucoup. Si les ravitaillements sont plutôt copieux, il y a sur l'ultra marin un système de rampes à eau pour remplir les bidons qui donne à l'eau un mauvais arrière goût de tuyau d'arrosage, qui s'ajoute au goût de caoutchouc de ma gourde neuve. Beurk. Je ne sais plus qui nous a prévenu sur le forum de kikourou de cette particularité, mais j'y suis vraiment sensible cette année, et j'ai l'impression que cela contribue à me détraquer l'estomac. Déjà ?


À la différence de l'an dernier, il fait encore clair quand je repars, sans que je sache si je suis en avance ou si c'est parce que il ne pleut pas cette année. Dans les deux cas, c'est une bonne nouvelle. Nous empruntons des chemins que j'aime beaucoup, avec des passerelles en bois pour ne pas abîmer les plantes. Avec la lumière rasante du jour couchant, ce paysage respire le calme et la sérénité. La vue sur le golfe est magnifique. Un peu plus loin, ou alors c'était plus tôt, un public bruyant et enthousiaste s'est réuni dans un hameau, un peu à l'image du virage Pinot au tour de France, et nous porte littéralement. C'est aussi inattendu que génial. Quelques kilomètres encore, et je chute lourdement sur mon genou, à cause d'un caillou qui m'a fait un croche-pied, bien aidé par l'obscurité croissante et ma foulée de plus en plus rasante. Je vous avais bien dit que tout peut arriver !

Je n'arrive plus à manger au ravitaillement suivant, à Sarzeau (km 57). Il reste près de 120 km et toute nourriture me dégoûte. J'ai malheureusement, ou heureusement, suffisamment d'expérience de cette sensation pour ne pas m'en inquiéter. Je sais que cela me promet des moments pas très agréables mais que je peux tenir sur mes réserves jusqu'au bout.


Plus de mer pour le moment, nous avançons vers la Côte Atlantique à travers les terres. Il fait nuit de toute façon. Je chute une seconde fois, sans me faire mal cette fois mais cela me mets de mauvaise humeur. J'alterne maintenant marche et course, mais à la différence du Cyrano que fait probablement Augustin, à qui je pense, je subi le plus souvent les moments où je dois marcher. Niveau gestion de course, c'est pas ça.


Nous sommes maintenant sur le sentier du côté de Saint-Gildas-de-Ruys. Je ne devine pas grand chose de ces chemins que j'avais trouvé si jolis de jour il y a deux ans, mais entendre le bruit des vagues si près de nous a quelque chose de magique et vivifiant. Je croque dans une barre caféinée qui me maintient éveillé. Un peu plus loin, je suis à deux doigts de me vautrer dans une mare de boue collante, mais je me rattrape aux branches. Deux chutes, mais pas trois !


C'est l'avantage de ne pas beaucoup manger, je ne passe pas beaucoup de temps à la base d'Arzon. Nous sommes à mi-course, il est un peu plus de 3h du matin, et le bateau m'attend ! 


Je voulais faire la traversée de nuit, c'est chose faite. Comme l'année dernière, je suis assis à côté du Capitaine, dans une position qui me permettra de découvrir de nouveaux muscles. Ouille. La mer est calme, silencieuse, c'est toujours aussi génial. Je crois deviner au loin que le ciel s'éclaircit, dans une petite heure le jour se lèvera.


Je repars doucement vers Le Crac'h. Maintenant que la traversée est faite, il faut se fixer un nouvel objectif. Je calcule qu'en avançant à 6 km/h, pauses incluses, je mettrai moins de 24h. Ce sera mon challenge pour cette partie de course.


Comme souvent vers 4h du matin, j'ai un coup de moins bien. J'essaie de mordre dans ma barre caféinée, mais je n'en éprouve que du dégoût et je la recrache. Luttant contre les yeux qui se ferment malgré moi, nauséeux au point d'en avoir des crampes à l'estomac, forcé à marcher de plus en plus souvent, misérable et confus, j'envisage d'arrêter, sérieusement. Non pas parce que la douleur est devenue insupportable, mais parce que je sais que dès que la ligne d'arrivée sera en vue je vais oublier tous ces moments qui font partie de la course à pied, pour ne retenir que le meilleur. Abandonner serait une façon de figer mon état d'esprit et d'être fidèle à ce coureur là qui souffre. Bon, ce que j'écris est peut être confus, mais je vous rappelle qu'il est 4h du matin et que j'en ai marre !


Heureusement, le jour se lève et les choses s'arrangent. Avec la lumière du soleil, je n'ai plus sommeil, un problème de moins à régler. J'ai passé Le Crac'h . C'est étonnant, je passe littéralement des heures à guetter les ravitaillements, et quand j'y suis je n'y reste que quelques minutes. Nous retournons sur le sentier des douaniers, si joli. Alors que j'arrive à Saint Goustan dans le jour naissant (il doit être 7h du matin), j'ai la surprise d'y retrouver mon frère. Il est d'un réconfort énorme. Non seulement il m'apporte des compotes que je mange avec plaisir, mais il me rassure sur ma course, me disant que je navigue depuis hier autour de la 100eme place et dans le top 10 de ma catégorie. Mais plus encore que ces commentaires sur ma course, sa présence rassurante suffit à m'insuffler de nouveau un état d'esprit positif. Nous nous donnons rendez vous au Bono, et pour la première fois depuis longtemps je cours cette portion d'une traite. 

Nouveau boost au Bono. Nous nous donnons cette fois rendez-vous à Mériadec, tout près de chez Céline. J'avais demandé à mon frère de m'apporter une glace, profitant de cette proximité. Il m'en apporte trois, que je mange avec gourmandise.

 

Nous sommes maintenant rattrapés par les coureurs du 56 km, qui nous dépassent rapidement. Deux fois, trois fois, je rappelle des coureurs qui n'ont pas vu une bifurcation qui me semble évidente, ça me prouve que je suis encore assez lucide.

Lucide, mais fatigué. Bizarrement, c'est lorsque je m'arrête à un ravitaillement que je me sens le moins bien. J'en fais l'expérience à Lamor Baden, où un bénévole me conseille d'aller voir un secouriste devant ma mine défaite et mes demandes confuses et contradictoires. Je préfère retrouver mon frère qui est encore là (je me rends compte en écrivant ces lignes qu'il était tout le temps là), et ignorant ses invitations à me poser un peu, je repars assez vite. Pas si lucide que ça, finalement.


On m'annonce le prochain ravitaillement à 7 km. Heureusement que j'ai fait le plein d'eau, car il n'y a à Port Blanc qu'un point de chronométrage, sans même une rampe à eau. Mauvaise surprise. 

Par contre, nous courons maintenant le long de la plage, et ça c'est très sympa. Je m'écarte souvent pour laisser passer les coureurs du 56 km de plus en plus nombreux. Nouvelle surprise, à cause de la marée haute, nous devons courir dans l'eau rafraichissante qui m'arrive jusqu'à mi-mollet. Je fais le choix de garder mes chaussures pour éviter une blesssure bête, ce n'est pas désagréable mais je dois ensuite enlever quelques kilos de sable qui se sont infiltrés dedans. Alors que je suis assis pour effectuer cette opération délicate, un coureur me fait une tape amicale sur la tête en m'encourageant : "allez Yann". Aujourd'hui encore, je me demande qui est ce mystérieux et empathique copain.

Le ravitaillement suivant est à 14 km de Port Blanc, ce qui représente un temps certain à l'allure à laquelle j'avance. J'y arrive assez marqué. Alors que je reprends mon souffle au milieu de la foule dense des coureurs du 56 km, l'un d'entre eux, voyant mon dossard jaune, me fait part d'une admiration sincère devant la distance que nous parcourons. Cela me touche beaucoup. J'essaie de manger une compote que mon frère m'a laissé il y a quelques heures, mais elle ne passe pas, peut-être a t-elle eu trop chaud, ou c'est moi. Je n'ai même pas la force de me tenir à 4 pattes, c'est couché que je fais mon vomito, espérant vaguement que quelqu'un remarquera mon état pitoyable, mais ce n'est pas le cas malgré la foule. Je me suis rarement senti aussi mal. 


Après la pluie, le beau temps ! Quelques minutes à peine après cet incident, je tiens de nouveau debout et je repars pour les 16 derniers kilomètres. Je peux de nouveau alterner marche et course. L'objectif est toujours chronométrique, avancer à la vitesse ahurissante de 6 km/h pour faire mieux que l'an dernier, soit 23h, et j'y arrive plutôt bien. C'est assez absurde de se fixer un tel objectif, d'autant que je ne suis pas certain du kilométrage final, mais ça me permet d'avancer. Je reconnais certains chemins de l'an dernier. Le public est présent, et comme de très nombreux coureurs du 56, m'adresse des encouragements qui portent. 


Les derniers kilomètres me sont familiers, et passent presque trop vite. Déjà la presqu'île, déjà le pont de Kerano, déjà le port de Vannes. Je passe trop vite pour mon frère qui ne m'aperçoit pas, quelle ironie alors qu'il a passé sa journée et sa nuit à me suivre. Dernière ligne droite, j'ouvre les bras. Les mauvais moments sont oubliés, je finis en 22h09, j'ai volé vers ma victoire, la mort attendra !

 

 

2 commentaires

Commentaire de augustin posté le 13-08-2024 à 12:37:09

bravo l'ami! un plaisir de t'y retrouver, toi l'ultra récidiviste à la plume bien dégourdie. On se délecte de chaque récit de course!! à bientôt!

Commentaire de augustin posté le 13-08-2024 à 12:47:10

bravo l'ami! un plaisir de t'y retrouver, toi l'ultra récidiviste à la plume bien dégourdie. On se délecte de chaque récit de course!! à bientôt!

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