L'auteur : TortueTrélod
La course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous
Date : 19/10/2023
Lieu : Saint-Pierre (Réunion)
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Distance : 167km
Objectif : Pas d'objectif
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Premier récit de course, attention, il se pourrait que ce soit long, désolé par avance ! Je ne sais pas trop par quel bout commencer… juste pour situer c’est cette course qui m’a fait aller vers l’ultra trail, avec mon Beau-frère qui l’a fini en 2013 et à qui je faisais l’assistance, sans même savoir ce qu’était le trail à l’époque… L’idée s’est lancée un soir de 2017, où avec mon frère et mon beau-frère nous avons bien travaillé la descente… de rhum essentiellement ! Ce dernier me lance : « Pour les 10 ans de ma Diag, on le refait ensemble… » Sûr de moi, à ce moment, je lui ai dit oui bien évidemment, et c’était parti ! Il faut dire qu’à ce moment j’avais un vécu de course énorme… environ 10 mois ! Que j’avais été finisher d’au moins 2 trails dont un de 17km et que je ne faisais qu’à peine 30-35 kilos de plus que maintenant !! Y avait tout pour réussir non ?
D’abord la première épreuve : s’inscrire au package !! Prenez un ou des jours de congés, et votre patience, le 1er jour inaccessible (lundi), le 2ème (mercredi) ça plante au bout de 2h ; Bon rdv le lundi suivant et après 4h de patience ça y est ! Petit coup de pression, surtout quand la famille a prévu de venir... et que la course est « l’excuse » pour se rendre sur l’île ;
Retrait des dossards : c’était sur la plage de Saint-Pierre à Ravine Blanche, on le dit, on le sait mais il faut être patient (comme sur les routes Réunionnaise…). 2h45 entre le moment où on se met dans la file d’attente et la sortie, on peut gagner du temps en évitant les cadeaux, mais ça veut dire pas de « fameuse » casquette saharienne Grand Raid, à vous de voir. Comme je voulais la donner à notre fille aînée j’ai attendu… Une petite astuce que certains avaient, le tabouret 3 pieds pliable D4, bien pratique pour limiter le piétinement. Et on n’oublie pas la crème, la casquette, la flotte et les lunettes car ça tape fort !
Je trouve ça long mais on pouvait voir les baleines sauter et jouer avec leurs petits donc il y a pire comme décors…
Durant cette attente mon beauf m’annonce que son genou le fait vraiment souffrir et me demande de ne pas l’attendre car il ne sait vraiment pas si ça tiendra. Le temps de digérer la déception et d’essayer de le convaincre de tenter le coup, mais il insiste pour que je fasse MA course. Je me retrouve donc le jeudi matin à tenter un roadbook très sommaire pour donner les temps de passages à la famille afin qu’ils puissent venir me voir à Cilaos. Pour info on était 19 sur l’île pendant 15 jours !! Donc il faut s’organiser pour les déplacements. Avec ma femme et nos filles, nous sommes restés 5 semaines… je ne voulais pas faire le voyage pour rien !
Je ponds donc 3 temps prévisionnels (40h/35h/33h), avec 4 temps de passages intermédiaires, soigneusement découpés à la hache… et donc sans n’avoir rien préparé sur ces temps. J’ai un Roadbook bien fait mais pour 57h avec mon Beauf… je vais faire ça à la sensation et puis on verra bien. Ma femme pense alors que je suis barjo, et que déjà 40h ça serait fou. Je lui dis qu’elle a raison, que 40h je signe des 2 mains, mais que sur un malentendu ça peut faire moins… Il faut dire que de par mon travail, il m’arrive de côtoyer Camille Bruyas, qui sera 2ème Femme cette année et qui lors d’un échange sur la course qui arrivait où nous parlions de nos roadbooks respectifs, m’avait dit que selon elle, je pouvais viser 38h, environ. A postériori je pense que cela m’a « piqué », car avant cet échange, je ne me serais jamais imaginé sous les 40h.
Départ de Saint-Pierre :
Pas de contrôle du matériel obligatoire (ça a été fait lors de la remise des dossards), apparemment ça fait gagner beaucoup de temps. Les plus malins auront prévu des cartons ou même des tapis pour s’allonger sur le sol pierreux, je suis dégouté de ne pas en avoir, mais finalement je trouve une toute petite place où il y a de l’herbe dans le sas donc je peux me poser et rentrer dans la course. Car juste avant j’étais encore avec toute la famille et je voulais surtout que l’on profite de ces moments ensemble, sans que la course ne « mange » ces instants.
Les élites sont invités à aller se placer puis d’un coup, on sent la tension monter, ça s’agglutine devant la barrière et lorsqu’elle s’ouvre pour qu’on aille jusqu’à la ligne, de nombreux coureurs sprintent pour se placer et plusieurs tombent… je trouve cela assez risible, car on est parti pour 160km avec en plus un début très roulant donc, il y a, il me semble, largement le temps de bien se placer au besoin sur les 5 premiers km voir même toute la course, car on est lancé dans un beau chantier !
Saint-Pierre / Domaine Vidot : 14.2km / 668+ / 32- / 364ème
5-4-3-2-1 c’est parti !! Et c’est parti pour une ambiance de folie… je démarre sans trop m’emballer et surtout je sais où est ma famille et ne veut surtout pas les rater. Je les vois, nickel, le temps d’un câlin, un bisou à ma femme et nos filles et là je peux me focaliser sur la course. Ces 5km sont incroyables, les cris, les encouragements, les applaudissements, les tapages de mains… j’en suis presque gêné de recevoir autant de la part de gens que je ne connais pas, c’est étrange comme situation.
C’est essentiellement du « dur » jusqu’à Domaine Vidot, il y a quelques chemins mais rien de technique. Je fais attention au cardio pour ne pas me cramer car, on courre vraiment et je suis plus à l’aise lorsqu’il faut « randonner », je ne suis pas un vrai coureur. Donc je me retrouve à 5min/km au début et je me fais doubler, bien plus que je ne dépasse. Lorsque cela commence à monter, je vois des gens qui font des séances de seuil en côte (essoufflement et vraie course : pas trottiner, ni marche rapide). Je ne peux pas m’empêcher d’être toujours étonné, mais chacun sa technique. Je laisse donc filer et ne m’occupe que de moi. On traverse des champs de cannes et on a même droit à une petite bruine qui fait du bien, après la chaleur de Saint Pierre.
J’arrive au ravito en 1h35, je fais le plein des flasks, je mange une soupe vermicelle, un carré de chocolat et un bout de banane et ça repart 1min45 plus tard.
Jusqu’à Notre Dame de La Paix : 28km / 1830+ / 197- / 208ème
On commence à avoir plus de sentiers et quelques singles techniques mais cela reste raisonnable et « plutôt » facile. Comme la pente monte plus franchement cela me va mieux, on peut « enfin » marcher. Je trouve mon rythme et je commence à doubler. Je sens que la fraicheur commence à arriver. Et comme je ne veux pas risquer de me bloquer l’estomac, lorsque je rejoins une « grappe » de coureurs dans un single où on ne peut pas se dépasser, sauf certains débiles qui font chier les autres et y laissent une énergie folle pour quelques secondes/minutes que bien souvent ils paieront plus tard… je profite de ce moment pour mettre le manche longue (Mérinos de D4 super efficace). Donc en navigant de grappe en grappe j’arrive à Notre Dame de La Paix. Mais je suis surpris par les nombreux passages de « bitume » et « roulants », c’est qu’en fait il faut vraiment courir par moments et je n’avais pas prévu ça moi !
Arrivée en 3h53 au ravito, je prends ma routine : quelques mètres avant je recharge mes flasks en poudre maison (malto bio + sel), j’arrive je demande une soupe, le temps que cela refroidisse, je recharge les flasks en eau, et je mange ce qui me fait plaisir (banane et chocolat surtout), je prends même une deuxième soupe vermicelle et ça repart en moins de 3 minutes.
Jusqu’à Nez de Bœuf : 40.8km / 2544+ / 523-/ 186ème
En voilà une portion qui ne me convient pas… ça ne monte pas franchement, idem en descente. On y est en sentiers souvent larges et avec pas mal de passages sur « route forestière », à savoir les routes en grandes dalles de béton. Et je le redis, mais bordel qu’il faut courir et relancer !! Je suis un randonneur moi, ça fait des mois que je m’entraine à rester les mains sur les genoux… et là commence mon jeu habituel, à savoir, je rattrape en montée et je me fais doubler en descente. J’en ai pris l’habitude et cela m’amuse. Le ciel se dégage et les étoiles scintillent, c’est vraiment beau à voir. Car du fait d’un terrain assez facile, il est aisé de lever la tête pour profiter du spectacle.
Cette portion passe rapidement et j’arrive au ravito en 5h38. Et là je croise Géraldine Prost, ce qui me surprend, car à mon avis, elle est censée être bien devant moi, mais bon. Je fais donc ma routine habituelle, et hop 2 minutes après je repars
Direction Mare à Bout : 51.2km / 2594+ / 1015-/ 164ème
Dans la petite montée qui suit le ravito, j’engage la conversation avec Géraldine et lui demande si c’est elle qui est en retard sur ses temps ou moi qui risque d’exploser plus tard en partant trop vite. Je comprends alors que c’est bien moi qui pourrais le payer dans quelques heures. Mais comme je n’ai aucun repère précis et que les sensations sont bonnes, je me dis, tant mieux ou tant pis, je reste aux sensations et on verra bien. Le but est de s’amuser, non ?
Cette partie est tout en descente, mais le terrain ne me permet pas vraiment de dérouler tranquille. Il faut dire que je ne suis pas bien doué pour les descentes. Bien qu’il y ait des passages très faciles, la plupart du temps c’est un sol mal plat, pierres ou racines, avec également des marches. Ce n’est pas dur techniquement mais cela impose de la vigilance, et encore cette année c’était très sec apparemment. De plus il y a une brume qui n’aide pas à y voir bien clair. Et la vision des barbelés, parfois proches, m’impose de faire attention et éviter le dérapage pour ne pas à avoir m’y accrocher, comme le vainqueur de cette année par exemple qui en a tout sali sa belle tenue blanche… J’ai bien rattrapé quelques coureurs, mais de là à gagner 22 places, il y a un truc que je ne comprends pas, j’ai surement dû en doubler pas mal au ravito…
Arrivée en bas donc en 6h54. Toujours la routine habituelle, avec 2 soupes et 3 minutes après ça repart.
En route pour Kerveguen : 63.3km / 3596+ / 1124-/ 117ème
On y est ! Les montées sont franches et ça commence à être le chantier. Là clairement sur cette portion je rattrape du monde, je commence à voir pas mal de coureurs en souffrance (je précise coureurs car, étonnamment ou pas, à aucun moment je n’ai vu une coureuse en perdition. A croire qu’elles sont moins tête brûlée et ont une gestion de course bien meilleure…). Le sentier n’est pas très dur au début mais plus ça avance et plus c’est « joueur », des rondins humides par endroits, des pierres humides. Puis des blocs/rochers glissants sur lesquels la progression est chaotique, tout ce que j’aime. On pouvait sentir le « vent du vide », celui qui souffle lorsqu’on est sur une crête. Comme il faisait nuit, on ne pouvait voir, mais on devinait bien que par moments il y avait du gaz sur les côtés. C’est à ce moment que j’ai croisé Florent (qui finira en 34h28), je le dépasse et il croche derrière, donc je lui demande naturellement s’il veut passer. Mais en fait non, il a un coup de moins bien et glisse pas mal (la fatigue ça n’aide pas sur ce terrain) donc il me demande si ça ne me dérange pas de faire poisson pilote. Aucun souci pour moi, ça fait de la compagnie, car depuis le début je n’avais trouvé personne avec le même rythme que moi. En plus il parle, juste ce qu’il faut, et de fil en aiguille il m’explique qu’il vient d’Aix-les-Bains… donc de quoi on parle, bah des Bauges évidemment, vu que ce sont les plus belles montagnes du monde ! On s’enfonce tranquillement dans le jour naissant, les oiseaux commencent à chanter, les lueurs percent au milieu des arbres, ça fait du bien de sentir le jour se lever. Puis on arrive sur le haut du coteau, la végétation devient plus éparse et buissonneuse. Et là on profite vraiment du soleil qui se lève sur notre droite au-dessus des nuages et surtout avec, en ligne de mire, le piton des neiges dans toute sa splendeur. Le spectacle est sublime, seulement entaché par l’hélico de Canal Grand Raid qui vient casser la quiétude qui nous entourait. Un peu avant le pointage, il y a un point d’eau qui permet de remplir les flasks. Et quelques instants plus tard arrive la fin de la montée, on surplombe alors le refuge de La Caverne Dufour. C’est là que les bénévoles nous donnent le classement, que personne n’avait demandé d’ailleurs, en nous annonçant vers la 115ème place, 117 en fait. Je ne sais pas trop comment prendre cette nouvelle, car clairement je n’avais pas imaginé me situer à cette place, à ce moment de la course. J’oscille entre c’est top et oh putain maintenant va falloir tenir et ça peut péter à n’importe quel moment.
Arrivée au somment donc en 9h34.
Descente sur Le Bloc 67,9km / 3637+ / 2231-/ 127ème
Je me méfie, car c’est la 1ère vraie descente, qu’il ne faut pas se fumer les quadri si tôt, et que clairement c’est mon point faible. Juste avant de basculer, je croise 2 membres du PGHM que je charrie un peu, en demandant s’ils n’ont pas été rétrogradé pour devoir se farcir la circulation de randonneurs. J’ai le mérite de les faire sourire et me répondent que la vue en vaut la peine. C’est vrai que c’est beau, les nuages sont encore sur Cilaos, mais on aperçoit des trouées qui laissent présager de la chaleur à venir… Je démarre donc la descente tranquille, en essayant d’être souple. Alors autant avant on avait quelques marches, mais là on est vraiment dedans, il n’y QUE des marches, taillées ou naturelles mais c’est ça tout le long. Alors il faut jouer à trouver la pierre qui évite de trop « taper ». Et évidemment je me fais doubler, je me suis occupé à compter (11 qui passent et 1 que je rattrape), c’est ça j’ai perdu 10 places, mais je m’en fous. Cette descente est vraiment super joueuse et les bons descendeurs doivent vraiment se régaler car il y a moyen d’aller vraiment vite. Je pointe donc au Bloc en 10h28.
Du Bloc à Cilaos 72.5km / 3769+ / 2552-/117éme
Juste après le pointage on remonte un bout de route et hop, bifurcation à droite dans un single forestier, mal plat et tout en relance. On sent que le stade de Cilaos n’est pas loin, mais que ce n’est pas là tout de suite… ce n’est pas long, mais ça parait long. Puis après Plateau Chêne, on descend sur la route jusqu’au stade. A proximité il y a une multitude de tables, chaises, tonnelles prêtes à accueillir des coureurs, je suis surpris (je comprendrai dans quelques minutes). Je recroise mon collègue Savoyard, attablé qui me salue à quelques encablures du stade. Il commence à y avoir beaucoup de monde, les gens applaudissent et encouragent tous les coureurs, il y a des musiciens, c’est vraiment une course exceptionnelle, niveau ambiance je ne crois qu’il y ait d’équivalent. Ma famille est là, juste avant l’entrée du stade. Ma femme me dit que l’on se retrouve de l’autre côté, car ils ne peuvent rentrer par ici. Je me rappel très bien d’il y a 10 ans où c’était la même chose pour être avec les coureurs. Je file donc chercher mon sac de délestage, et là juste à l’endroit où l’on rentrait avant… SURPRISE ! Les accompagnants ne sont pas admis ! Ma femme explique aux bénévoles que ce n’est pas du tout ce qu’on lui a dit, mais rien à faire. Vigipirate et sécurité attentat sont leurs explications. Entendons-nous bien, je n’ai rien contre des bénévoles qui ont déjà la gentillesse de donner leur temps, mais c’est sur les arguments et choix de l’organisation et certainement de la préfecture. « Risque attentat » à Cilaos… non mais si c’est TELLEMENT risqué de faire rentrer des gens dans le stade de Cilaos, quid du Grand départ de Saint-Pierre où là on parle de milliers de personnes et idem sur l’arrivée à La Redoute !! Mais bon, on fait avec. Je dis à ma femme que je me débrouille pour attraper une assiette, de quoi remplir les flasks et qu’on se retrouve juste dehors. Et là, trop cool, il y a des pates uniquement en féculent, sauf que je ne mange que du riz en course. Et comme il y avait du riz sur les précédents ravitos, je me sens un peu con de n’avoir pas manger un plat plus tôt par conséquent... donc pas de repas. Je me dis tant pis, je vais rejoindre la famille, manger ce que j’ai et puis faire le plein des flasks avant de repartir. Et là, on m’annonce que le ravito n’est plus accessible si on sort… même en étant 5 mètres devant la sortie, on ne peut plus rentrer. Je négocie donc avec les bénévoles pour leur prendre des bouteilles d’eau et aller dehors rejoindre la famille. Ils ne sont pas chauds, mais en leur expliquant que de toute façon je l’aurais bu sur place et que cela ne change rien, ils acceptent (Merci à eux). Je l’ai un peu/beaucoup mauvaise car je sais que c’est le seul point où on se verra depuis le départ et avant l’arrivée (et que c’est vraiment important pour ma femme de me suivre sur les courses, je l’admire pour ça car c’est vraiment galère pour quelques minutes, surtout avec nos filles et là particulièrement, car « bouger » toute une famille c’est un sacré chantier). J’ai le sentiment que, dans la course, tout est fait pour généraliser les « Teams » d’assistance perso et je trouve ça dommage, car un ultra c’est aussi les rencontres sur les bases vie, entre coureurs bien sûr, mais aussi accompagnants, car je pense qu’il faut avoir la passion que l’on ait un dossard ou que l’on « supporte » (dans les 2 sens) un coureur. BREF
Je sors et là en quelques instants ma femme a réussi à préparer un mini-camp ou je peux me poser sur une natte, avec la famille autour, elle est vraiment trop forte. Je mesure la chance que j’ai de les avoir autour de moi. Et je prends la décision de ne surtout pas faire comme les ravitos précédents. On va profiter d’être ensemble, et prendre le temps. Ma femme me dit qu’elle a ramené un riz cantonais de la veille, au cas où !! Mais, quelle idée de génie, c’est exactement ce qui me fait envie, et je dévore le plat. On discute, on rigole, je change de chaussures (des MTC version 1, pour des MTC version 1), chaussettes et Nokage des pieds à fond. Je prends le temps et suis détendu, mais je sais que la course va démarrer réellement en partant d’ici et que cette première partie n’est que « l’échauffement ».
Je suis donc arrivée au stade en 11h05 et je repars 50 minutes plus tard. C’est long comme pause, mais aucun regret, ils se sont tapés la « route aux 400 virages » au petit matin, pour venir me voir, c’est le moins que je puisse faire, ne pas partir comme un voleur, de toute façon je ne joue pas le podium…
On repart vers Début Sentier Taïbit : 79.3km / 4336+ / 3001-/ 139ème
Juste avant de repartir, j’ai mon neveu de 17 ans, en tenue de course, sac prêt qui me demande si « ça me dérange, qu’il m’accompagne jusqu’au début du Taïbit ». Mais il est fou ou quoi, quel kiff c’est de pouvoir faire ça avec lui. Alors on repart ensemble, direction la descente, facile, vers la cascade de Bras Rouge. On papote tranquille, et on commence à rattraper du monde, en même temps j’ai dû sacrément me faire doubler pendant la pause à Cilaos, vu le nombre de coureurs que j’ai vu passer… Puis on attaque la montée, et là je comprends que la journée va être chaude, car il est un peu plus de 9h du matin et dès que l’on est à découvert ça tape très fort ! Le paysage est vraiment somptueux, on traverse la rivière (je mouille la casquette/aisselles/fémorale dès que possible), la vue sur la cascade et cette ravine creusée par des milliers d’années d’érosion ! (Oui je suis fan et alors ?). La montée est en single, un peu en dévers mais rien de bien dur techniquement. Puis on arrive au pointage en 12h54. La famille a pris la navette et est encore là, j’en profite pour des derniers câlins et bisous, je recharge les flasks et continue rapidement vers le Taïbit puis Marla.
Jusqu’à Marla 85,5km / 5174+ / 3483-/ 120ème
Il commence à faire vraiment chaud, et là, la pente est vraiment raide. Le sentier n’est pas difficile, mais la pente et la chaleur font que la progressions n’est pas bien rapide. Je rattrape « La Reine Marcelle » et échange quelques mots avec elle, quel honneur et surtout quelle gestion de course elle fera (j’en revient à : les femmes vs les hommes). Les parties ombragées sont les bienvenues, car cela commence à être « étouffant ». On voit bien la faille plus haut, mais on voit bien aussi que l’on s’en approche doucement aussi. Environ à mi-pente se trouvent les tisaneurs qui proposent leur breuvage, je m’arrête et prend celui pour descendre (je suis convaincu que c’est la même pour monter ou descendre mais bon… ça fait partie du folklore). Il y a un type avec un déguisement de chevalier kitch, et quelques percussions pour tenir le rythme.
J’atteins le sommet en 14h07, ce qui correspond à, environ, la moitié du chemin, en termes de kilométrage, de D+, mais pas de D- !! Mafate est « descendant » comme terrain, ça doit être pour ça que tout le monde y passe si rapidement…
Puis voilà la descente vers Marla, que l’on voit très bien en contre-bas. Ceux qui aiment les marches et les petits gravillons glissants vont être ravis. Ce n’est clairement pas ce que j’ai vu de plus simple comme sentier. Par contre les rares moments où on peut lever la tête (au lieu de regarder ses pieds), la vue est à couper le souffle, ces montagnes verdoyantes découpées dans le cirque et c’est sublime.
J’arrive dans l’îlet en 14h31. Je repars sur la routine (avec des fruits en plus) + nokage des pieds en préventif car je sais que ça va être long jusqu’à l’arrivée et qu’il vaut mieux anticiper. Je reste 7 minutes au ravito et c’est reparti.
Remontée jusqu’à Plaine des Merles : 92.9km / 5698+ / 3812-/ 116ème
Après Marla, il y a un faux-plat descendant plutôt facile mais en plein cagnard. Car depuis le Taïbit, il fait TRES chaud. Donc j’en profite pour m’arroser à la rivière. Et là, pour la 1ère fois je sens une baisse physique, dès qu’il faut relancer ou que la pente s’élève, je sens que c’est dur. Le chemin est fait de rondins par moments ou de marches, mais jamais technique, sauf qu’avec la chaleur, la fatigue etc… je sens que c’est dur. Bien qu’encourager par de nombreux randonneurs, la montée vers le col des Bœufs est fastidieuse et je suis ravi lorsque qu’un nuage vient me faire de l’ombre. Plus on s’approche de Salazie plus il y a de nuages, et ça fait plaisir. J’arrive donc vers le Col des Bœufs et là génial, il y a du vent frais, le bonheur !! Attaque de la piste forestière vers la Plaine des Merles, où le ravito nous attend et je continue ma routine… arrivé en 16h07 je repars 5 minutes plus tard (avec la fatigue on est moins lucide, je n’avais pas anticipé le remplissage des poudres maisons)
« Descente » vers Grand Place 106.2km/ 6250+ / 5376-/ 112ème
Après mettre « trainé » depuis Marla, je me dis qu’il est temps d’appliquer un des conseils de Julien, à savoir, « croche un mec en descente, et tu peux faire un truc bien ». Et bien quelques centaines de mètres après le ravito je me fais doubler par David (qui finira en 33h46) et une demoiselle du Zembrocal… et je tente de m’accrocher. On est sur une descente pas simple, c’est détrempé, on alterne boue, racine et pierre mais je m’accroche. Et je découvre les descentes qui remontent… il faut s’y habituer car si descente il y a, elle sera entrecoupée d’un ou plusieurs coups de cul ! Par moments je sens que ça tire côté mollet droit. Je mets ça de côté, pour ne pas focaliser dessus et entame une petite « négo avec mon corps » pour évaluer ce qui ne va pas et se dire que c’est « normal » t’es sur ultra ! Mais c’est là, et il faudra faire avec.
Avec David sans en discuter on se « partage les taches », il mène les descentes et moi les remontées. Je reprends un bon rythme et ça passe bien. Je profite des vues sur Mafate, ça envoie vraiment du lourd. Ce sentiment d’isolement et d’immensité du cirque est grisant. Les passages « en crêtes » (c’est super large hein !), permettent de bien apprécier le lieu. Le sol ne reste jamais le même bien longtemps sur le sentier Scout, et même sur la course en général. Car après le « boueux », il y a évidemment les marches, mais aussi le sol jonché d’aiguilles, les racines, les traversées de ruisseaux, les marches « naturelles » avec les pierres. Cela ne laisse pas vraiment de répit, il faut être concentré sans que ça soit technique.
Arrivé en 18h40, je me pose, on décide de prendre le temps, mais sans camper non plus. Donc je repars sur ma routine avec nokage des pieds ++ et surtout, ils avaient de la pastèque fraiche… je me suis pété le bide. Pendant ce temps on voit Géraldine Prost et Sysy Cussot arriver. Elles prennent beaucoup moins de temps que nous au ravito. La popularité de Sysy est énorme, elle est acclamée par les bénévoles et spectateurs c’est impressionnant. Bref 13 minutes d’arrêt et ça repart.
Direction Roche Plate 21h20 7’ 114.2km / 7324+/ 5903-/ 105ème
On part donc en montée (vers la Roche Ancrée je pense ?), ça met direct dans le bain, c’est raide et je passe devant pour mettre un petit rythme. On rattrape très vite Sylvaine Cussot, à qui on propose de prendre le train et qui nous explique que là, pour l’instant elle ne peut pas… puis vers la fin de la montée (qui oh surprise ! comporte « pas mal de marches ») on rattrape Géraldine Prost, avec qui on jouera au yoyo jusqu’à Roche Plate. On attaque la descente et David mets les gaz, je m’accroche pour suivre. On la fait de jour et c’est impressionnant car il y a quelques passages où, si tu te loupes, tu finis 100m plus bas. C’est dans cette descente que mon mollet droit décide de me « lâcher ». Je pense qu’il s’est dit, c’est bon pour moi, j’ai fait le boulot jusque-là mais c’est bon, maintenant RTT… du moins en descente, car les montées, pour l’instant, pas de soucis. On arrive donc à la rivière, et on hésite, baignade pour se rafraichir ou pas, finalement ce sera sans baignade. La montée de Roche Plate, Géraldine démarre en tête, avec une position qui me paraît étrange, elle est littéralement pliée en 2 à 90°. Puis je prends la tête du groupe, les paysages sont aussi beaux que la montée semble infinie… Les légères redescentes et les innombrables replats ne doivent pas y être pour rien. La toute fin est plus ludique, on passe de rochers en rochers, ça permet de varier les plaisirs… puis ils font retentir la cloche pour avertir que les coureurs arrivent. Tu crois que c’est le ravito, mais non le ravito il est plus loin (taquins les réunionnais ?) Dans la fin de section, avant d’arriver à Roche-Plate un troisième larron (Thomas qui finira en 34h59) nous rejoint.
Arrivée au ravito en 21h20, routine habituelle + préparation des frontales et même enfiler les manches longues, c’est qu’on s’y habitue à la chaleur... c’est surtout que la nuit commence à tomber et que Roche Plate est à presque 1300m !
Deux-Bras 25h00 128.6km / 8124+ / 7483-/ 107ème
On fait donc cause commune à 3, la nuit arrive et c’est plus sympa à plusieurs. Surtout que David connaît le parcours (il l’a fait en 2021) et cela permet d’échanger sur les difficultés à venir. Mais c’est là que les choses se compliquent, depuis la sortie de Roche Plate mon mollet droit « couine » et ne permet plus de courir. Il faut que je sois TRES attentif à ma pose de pied, en montée comme en descente, et même avec cela la douleur est intense, quel que soit le pas que je fais. La montée vers « La Brêche » est gérable, mais dès que l’on est en descente cela devient vraiment insoutenable. Je suis en lutte pour suivre dans les descentes (essentiellement faite de marches) vers Îlet des orangers. Arrivés au pointage « Îlet des Orangers » on nous annonce à la porte du top 100. A ce moment, je suis assez déconcerté, car je sais que physiquement ça ne va pas bien. Niveau énergie c’est bon, mais la douleur au mollet est telle que je ne crois pas avoir aussi mal depuis que j’ai « jouer au foot » avec un rocher 6 semaines avant la TDS. Sauf que là c’est persistant et pas au même endroit. A partir de là c’est vraiment compliqué. Chaque appui pied droit me demande d’être le plus léger possible. Chemin faisant, je vois que David prend régulièrement de l’avance, mais nous attend. Je le convaincs qu’avec ce qu’il reste à parcourir, s’il se sent bien qu’il y aille et se fasse plaisir. On traverse la rivière des Galets à guet, puis il finit par « partir ». Avec Thomas on reste ensemble jusqu’à la passerelle d’Oussy, puis mon mollet ne me permet même plus de trottiner sur le plat. C’est donc un long moment de doute qui commence. Il fait nuit, je n’avance pas, j’ai mal, comment vais-je finir, vais-je finir tout court ?? Je sais ce qu’il reste et que ce n’est pas rien (voir le plus dur avec la fatigue), ça va être long mais à quel point ?
Je fini seul cette partie mais cela permet de me « centrer », sur comment je suis, comment je gère les douleurs sur un ultra. En arrivant vers le ravito, après avoir re-re-traversé la rivière des Galets (mais cette fois hors de l’eau), je suis au bout du bout, les pensées négatives sont là, omniprésentes… les hectomètres avant d’arriver à Deux-Bras. Et puis là, surprise, 100 mètres avant le ravito, on m’appel par mon pseudo Kikourou !! Sauf qu’il s’agit en fait de mon frère, qui s’est tapé la rando depuis Dos d’Âne… D’un coup d’un seul, le simple fait de le voir et d’entendre sa voix me passe d’un mode où je subis à… Ok c’est quoi l’ordre de bataille pour aller au bout ! C’est dingue ce que l’effet des proches peut provoquer ! Je lui explique le bordel de mon mollet (qu’il faut masser) et que je suis « explosé », que j’ai besoin de me poser pour repartir. Mais que là encore (Vigipirate power), les familles ne peuvent entrer dans le ravito, mais les assistances sauvages avant ou après sont légion…
Je vais direct vers les Kinés… qui ont été géniaux !! il a fallu du temps, mais ils ont totalement débloqué mon mollet… quel bonheur !! Je prends le temps de manger du poulet et du riz, ça fait du bien. Ça plus le changement de chaussette (et bah oui, la rivière à guet) heureusement que ma femme a mis une paire dans le sac, perso je ne l’aurai pas mis. Je repars donc avec mon frère (merci d’avoir été là, sans lui la fin aurait été toute autre). On repart donc ensemble vers Dos D’Ane après une pause de 36 minutes. C’est assez indescriptible de pouvoir partager ces moments en famille. D’autant plus que ce n'était pas prévu… C’est vraiment un coup de boost énorme !
Chemin Ratineau (Kalla) 28h01 137.1km / 8996+/8104-/ 103ème
On attaque donc la montée de Dos D’Ane, qui pour moi, passe super bien je rattrape quelques coureurs, ce qui me rassure pour me projeter vers l’arrivée. Je vois mon frère qui a du mal à me suivre, ce qui me rassure quant à mon état physique… La montée est longue mais « ludique », il faut mettre les mains à plusieurs endroits, et comme dans toutes les montées ici, il y a du plat et même quelques « descentes » … Arrivé au sommet, je laisse mon frère en étant optimiste sur la suite, car le mollet va bien. Je n’ai même pas besoin de recharger en eau arrivé au sommet et je pars direct dans la descente vers La Possession qui démarre sur le bitume. Avec un passage, très court mais assez fou, où il faut littéralement s’accrocher aux lianes afin de passer. Ça ne dure vraiment pas longtemps mais c’est la mise en bouche du chemin Ratineau (Kala)… J’arrive au ravito juste avant d’attaquer le chemin, et ma routine est déjà prête, je reste juste 2’ et c’est parti pour le chantier.
La Possession 30h01 18’ 145.5km/ 9170+/8703-/ 104ème
Alors là les copains, on passe dans un autre level ! C’est-à-dire qu’après presque 140km, balancer une telle saloperie révèle au choix de la folie ou du génie. Il faut grimper sur des blocs, descendre des pentes avec un adhérence nulle ou presque, attraper les branches pour grimper et descendre dans un dédale, où, au final, tu sais bien que ça descend, mais vu le terrain, t’as le sentiment que pas tellement finalement. C’est génial autant qu’usant, mais mieux vaut le savoir car ce n’est pas vraiment roulant… En finissant la partie technique* (*MERDIQUE OUAIS !!), il y a un faux plat descendant et c’est là que mon copain le mollet me refait coucou !! Il couine dur et commence à me faire comprendre que là courir* (trottiner comme un octogénaire) va devenir compliqué. Je regarde mon dossard et voit le crypto Kiné dessus, donc en mode Na’FOUT, je me dis que ça va bien aller jusqu’au prochain checkpoint et que les kinés vont refaire un tour de magie. Donc je trottine quand même vaille que vaille… et par conséquent je demande aux bénévoles où se trouve le poste des kinés et qu’on me répond : « mais il n’y a pas de Kiné ici, seulement à l’arrivée ». Je crois que j’ai buggé à ce moment-là ! On me propose bien d’aller voir les infirmiers, mais bon ce n’est pas leur job. Donc je me résigne et tente l’automassage sur ma chaise au milieu de cette école immense pendant que des bénévoles adorables m’apporte un café. Après quelques minutes en relevant la tête je croise un visage connu (je suis nul pour le prénom, mais les visages ça je gère), il s’agit d’Antoine avec qui nous avons passé 8h sur la fin de l’UTB cette année. Il est étonné de me voir là, pour un métro qui ne connait pas l’île, et me motive à le suivre. Au final après 18 minutes d’arrêt (dans ma tête c’était moins, mais la fatigue) on repart ensemble vers le Chemin des Anglais.
Grande Chaloupe 32h 9’ 152.9km/ 9479+/ 9069-/ 114ème
J’ai extrêmement mal au mollet, mais je tente la « course », à 7km/h, sur la route en sortie de ravito, ça passe mais c’est dur. On arrive sur le Chemin des Anglais, au meilleur moment, on est en fin de nuit donc les pierres ont diffusé au max leur chaleur. Effectivement c’est mal-plat, mais ce n’est pas un calvaire non plus. Il faut jouer à suivre la bonne ligne, surtout de nuit avec uniquement le faisceau de la frontale. Je n’arrive pas à suivre son rythme, plus ça va, plus mon mollet me fait mal. Je le laisse donc filer et tente de m’imposer un rythme, mais malgré cela je me fais rattraper. Tant pis, maintenant on rentre clairement en mode survie, il faut avancer, finir et on verra bien ce que cela donne. Le défilement des dalles devient hypnotique, et je suis obligé d’agiter mon buff à la périphérie de ma vision pour ne pas m’endormir sur le chemin. Ce n’est pas dur, mais c’est long ! La descente vers le ravito, parfois en dévers, me fait vraiment mal. La pose de pied nécessite une bonne proprioception, ce à quoi mon mollet droit affirme de plus en plus sa réprobation. J’arrive au ravito clopin-clopant et n’ai qu’une envie, me poser sur une chaise. Je me « boost » en reprenant ma routine, et essaye de nouveau l’automassage, ce qui n’est vraiment pas une réussite. Après 9 minutes de pit-stop je repars en sachant que le chemin, dans mon état, va être long jusqu’à l’arrivée.
Colorado 34h11 161.9km / 10316+ / 9283-/ 122ème
La première montée est similaire au chemin des Anglais, on est toujours sur des dalles de roche volcanique, sauf que là ça monte raide. Les premières lueurs du jours arrivent et le chant des coqs Péi s’intensifie (scoop : ils chantent parfois depuis 3h du matin). Je me fais, encore, rattraper mais je me console en voyant le jour se lever. Puis après ce long passage en dalle, on retrouve une partie bitumée. Voyant que je n’avance vraiment pas vite, je tente de relancer, sans succès, à plusieurs reprises. Puis petit à petit, je sens que si je ne plis pas mon genou, mon mollet me « fout » la paix sur du faux-plat, je débute donc une « course » qui ne ressemble à rien, mais me permet néanmoins d’avancer plus vite que ce que je faisais à présent. Et soudainement, me revient l’image de Géraldine Prost, plié en 2 à 90° qui montait les marches dans Mafate. Et je me dis mais si elle fait ça, cela doit se tenter, et c’est ce que je fais. Et là, oh surprise, en poussant avec mes bras sur mes cuisses, je sollicite beaucoup moins mollet. Alors oui j’ai l’air con, mais j’ai moins mal et c’est ce qui m’importe à ce moment-là. Sur les passages de redescente sur le bitume je me force à trottiner, mais en verrouillant la cheville ça passe pour le mollet, il m’arrive même de faire des pointes, stratosphériques, à 9km/h, c’est fou... Ensuite arrive la seconde partie, avec la terre ocre et des passages où il y a un immense fossé au beau milieu du sentier, creusé par l’eau. C’est à ce moment que je me fais doubler par le pote de Casquette Verte, Loïc, là je suis HS, la douleur est telle que chaque impulsion pied droit est infernale. Puis au bout de quelques minutes, ça va mieux, sans aucune raison particulière. Et je me dis, aller on est bientôt arrivé donc autant en profiter et relancer, ce que je fais. Je pense que mon cerveau a débranché, car je me suis mis à courir en montée sans rien ressentir. Ni douleur, ni fatigue. Cela a duré presque jusqu’au ravito du Colorado. Je n’avais jamais eu cette sensation, c’est étrange car certes je n’avais plus mal, mais je ne ressentais plus rien non plus. Alors que pendant un ultra, c’est tout l’inverse qui se passe, tout du moins pour moi. On peut passer du très haut, au très bas, les instants où il faut gérer avec ton corps… mais là plus rien. Juste être capable de courir là où ça semblait impossible quelques minutes auparavant. Je rattrape donc Loïc et d’autres avant d’arriver au dernier ravito. Auprès duquel je ne m’arrête pas, j’ai assez d’eau et surtout, depuis 200m je sens que l’euphorie est passée et j’espère juste que cela va tenir un peu jusqu’en bas.
Arrivée 35h38 167.6km / 10371+ / 9941- /131ème
Alors là ça démarre gentiment après le ravito, puis après c’est une sorte de best-off de tout ce que l’on a vu sur la course : racine, rocher, marches, terre glissante, aiguilles, et chaleur, car ça commence à taper fort !! Je ne peux plus poser ma jambe droite en 1er pour descendre, chaque appui donne lieu à des insultes à la terre entière. Cette fois c’est mort, mon mollet a définitivement dis STOP et il va falloir faire avec (ou sans). Je sais que la famille attend à La Redoute, j’appelle donc ma femme pour lui dire : « mettez-vous à l’ombre, vue l’allure vous avez le temps ». Je fais vraiment ce que je peux, mais c’est chaotique, pour le moins. Finalement je vois enfin le pont, mais dans ma tête je me prépare en me disant que c’est encore long. En fait non, quand on arrive sur la route, c’est assez rapide ! Suite à mon « débranchage », j’ai un doute sur le fait de pouvoir profiter pleinement de cette arrivée, car cela fait un moment que je ne ressens rien émotionnellement. Or dès que je vois mon oncle, posté en éclaireur, à quelques dizaines de mètres du stade, tout monte ! Je l’ai fait, et j’ai envie de profiter de ce moment ! Je rejoins donc ma femme et mes filles sur la piste du stade, notre ainée me demande de courir et du tac au tac, je lui réponds : « non, j’ai envie de profiter ». Et c’est exactement ce qu’il se passe, rien ne sert de courir il suffit de partir à point, nous avons franchi cette ligne ensemble, en marchant ! Quel plaisir ce fut ! Car effectivement, sur ce genre de course, on passe plus de temps à marcher qu’à courir. Et cette arrivée, main dans la main avec ma famille, vaut très très chère à mes yeux. J’ai une chance immense, toute la famille est là pour m’accueillir c’est énorme !!! Je vois mon Beauf, alors que nous devions faire cette course ensemble au départ, je n’avais pas l’info de son abandon. Il me dit juste de profiter de ce que je viens de faire et d’être heureux. Mais quelles belles paroles, il a tout résumé être heureux, c’est tout ce qui compte. Je fini en 35h48, alors que j’étais parti pour 55h et que pour moi 40h était un super résultat, 35h extraordinaire ! J’ai quand même la lucidité de sortir 3-4 conneries au speaker, ce qui fait bien marrer la famille.
Pour l’anecdote, je me suis empressé de prendre ma douche puis d’aller voir les kinés, qui m’ont juste strappé … avec le niveau de douleur ils pensaient à une déchirure et ne voulaient surtout pas manipuler au risque d’aggraver. J’ai du bol, c’était bien une contracture qui est partie au bout de 4 jours.
Pendant ce temps la famille à bien profiter de l’arrivée pour arroser ma course, pendant que je récupérais* (*comatais lamentablement) sur la pelouse… puis pour repartir je me trainais tellement que j’ai demandé à la police de me ramener jusqu’aux barrières qui bloquaient la route pour rejoindre la voiture. Ce, qu’à ma grande surprise, ils acceptent !
Pour conclure, c’est une course extraordinaire, avec une ambiance folle et qui, si on le peut bien sûr, mérite d’être faite au moins une fois. Pour ma part, je l’ai faite, j’en suis ravi mais je ne pense pas y retourner, il y a tellement d’autres endroits à découvrir.
4 commentaires
Commentaire de Mazouth posté le 19-02-2024 à 15:21:39
Super récit !! Tellement précis et bien écrit que j'ai l'impression d'avoir fait le Grand Raid en 35h ! Sauf que je n'ai pas mal au mollet et que faut que je me remette à bosser... ;)
Commentaire de TortueTrélod posté le 19-02-2024 à 20:07:51
Merci beaucoup! Ravi de participer au ralentissement économique ;)
Commentaire de Benman posté le 19-02-2024 à 16:59:13
Merci. Ce récit est une mine d'infos pour qui veut se préparer un peu et imaginer à quoi s'attendre. Je vais je pense le relire un certain nombre de fois avec une carte à portée de mains...
Commentaire de TortueTrélod posté le 19-02-2024 à 20:15:25
Avec plaisir! C'était l'objectif que cela "aide", en espérant que mes souvenirs/ressentis soient le plus précis possible. Je laisserai les spécialistes locaux, corriger mes éventuelles erreurs. Bonne course en tous cas, profite bien!
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