Récit de la course : Spartathlon 2023, par marathon-Yann

L'auteur : marathon-Yann

La course : Spartathlon

Date : 30/9/2023

Lieu : Athènes (Grèce)

Affichage : 592 vues

Distance : 246km

Objectif : Pas d'objectif

4 commentaires

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Il faut imaginer Philippidès heureux

Tout commence chez l'ostéopathe. L'an dernier, ce dernier m'avait débloqué le dos 3 jours avant mon départ pour le Spartathlon et ses 245 km. En ce début d'année, j'hésite encore à me réinscrire quand mon épouse retourne chez ce magicien. Elle me dit qu'il a encadré dans son cabinet le dossard que je lui avais offert en signe de reconnaissance. Le geste me touche tellement que je me rengage sans hésitation. Cette course ne parle pas qu'à ses participants !


C'est tellement vrai que nous sommes invités à déjeuner à l'ambassade de France à Athènes la veille de la course. Madame l'Ambassadrice nous reçoit avec un intérêt sincère, et se passionne tellement pour nos exploits que Son Excellence ira jusqu'à venir nous voir au départ à 6h30 au pied de l'Acropole. 


De tels gestes obligent.

 

Cette année , c'est certain, je vais vivre un Spartathlon différent. Alors que l'an dernier, j'étais venu en famille, c'est tout seul "comme un grand" que je suis venu cette année. Mais je retrouve la délégation française à l'hôtel et les liens se nouent très naturellement. Comme le dit très justement Pierre, dont je partage la chambre, nous sommes des navigateurs solitaires qui nous retrouvons parfois au port. Et dans le milieu de l'ultra, le Spartathlon ressemble au port d'Alexandrie.


Samedi, 5h30. Nous montons dans le bus qui doit nous conduire au pied de l'Acropole. Un coureur allemand demande : "c'est bien le bus pour le semi-marathon ?". L'humour est décidément la politesse du désespoir. Pour ma part, je n'en mène pas large. Je demande à Pierre : " pourquoi je me suis inscrit, déjà ?" J'ai fini l'an dernier avec 20 minutes d'avance sur le cut off, je n'ai pas forcément grand chose à gagner à remettre ma couronne d'oliviers en jeu, au contraire.


J'ai ma réponse tout de suite. L'effervescence du départ est contagieuse. Les coureurs se regroupent par pays pour des photos de famille, certains dansent d'excitation. Dernier au revoir aux accompagnateurs, le peloton se forme, et le départ est donné au moment où le jour se lève, comme un symbole. Je verse ma première larme d'émotion.

Je retrouve enfin mes chères routes grecques. Nous sommes partis un samedi alors que nous étions partis un vendredi l'an dernier, honnêtement je ne vois pas trop la différence au niveau de la circulation dans laquelle nous nous frayons un passage. Je reconnais certaines enseignes de magasin, mais je redécouvre avec surprise une côte en sortant d'Athènes que j'avais complétement oubliée. Nous sommes encouragés par des promoneurs matinaux et par les suiveurs des coureurs, reconnaissables à leur tee-shirt aux couleurs de leur pays. Nous nous retrouvons à courir sur la bande d'arrêt d'urgence de l'autoroute, avant de rejoindre, après une petite vingtaine de km, une route plus calme.


Mes premières sensations ne sont pas excellentes, mais les km passant, je les oublie, ce qui est bon signe. Paramètre essentiel, la météo s'annonce plus clémente que l'an dernier, presque 10 degrés de moins annoncés aujourd'hui. Je souhaite reproduire le schéma de l'an dernier : prendre 1h-1h30 d'avance sur le premier tiers de course, maintenir cette avance sur le second tiers, et gérer la fin. A chacun des 75 check point (cp), un panneau nous indique la distance parcourue, la barrière horaire, ainsi que la distance et l'heure limite pour atteindre le prochain cp. Ça en fait des calculs ! Je peux calculer mon avance sur la barrière horaire, la comparer avec l'avance accumulée au dernier cp, essayer de me rappeler ma progression de l'an dernier, le temps d'intégrer tout ces paramètres et je suis au cp suivant. 


Pour le moment, tout se passe bien, et ces calculs sont plus là pour m'occuper l'esprit que pour me rassurer. Je n'oublie pas de regarder les paysages, encore très urbains pour cette partie de la course, ni d'échanger avec les concurrents. Ça ressemble souvent à ça : 
"- hi, is everything ok ?
- yes, thanks 
- where do you come from ?
- Nederland/ Germany/ Brasil / Greece / Slovenia (rayez la mention inutile). You are French I presume "
(Note pour plus tard : travailler mon accent anglais)

N'empêche, c'est vraiment sympa d'échanger entre coureurs, et moi qui me considère comme quelqu'un de réservé, je m'étonne toujours de la transformation qui s'opère lorsque je cours et de ma facilité à engager la conversation. Comme si je brisais une carapace et devenais soudain plus sympa.


Premier marathon, atteint en 3h50 environ. C'est très rapide, mais la température est tellement agréable que je n'ai pas l'impression d'avoir trop pioché. Je salue les supporters français, fais une photo du bord de mer, tellement joli à cet endroit, et mets le cap sur Corinthe.


Il me faudra beaucoup de temps pour me décider à introduire un peu de marche dans ma progression. A chaque ravitaillement, je pense à une réflexion de Pierre : tu veux boire parce que tu as soif ou parce que tu as chaud ? Et je commence par bien me rafraîchir dans les bassines de glace avant de boire un gobelet, généralement de coca. Pour ne pas m'alourdir inutilement (je transporte déjà tout mon nécessaire, n'ayant déposé aucun drop bag), je ne rempli pas ma gourde, les ravitaillements sont suffisamment rapprochés, tous les 3 km en moyenne.


Julien me dépasse, à peu près au même endroit que Norbert l'an dernier, et comme Norbert il va me prendre plusieurs heures pour finir en un ébouriffant 28h30. Mais ça, ni lui ni moi ne le savons encore et je me contente de regarder s'éloigner doucement son tee-shirt jaune, choisi m'a t-il dit pour être bien visible des voitures.


J'arrive à Corinthe, km 80, le tiers de la course, en à peine moins de 8h. Se constituer une avance significative sur la barrière horaire, c'est fait. Après avoir avalé un yaourt, profité du sourire d'Habiba, qui n'a pas l'air trop déçue de son abandon, et regardé les multiples messages reçus sur mon téléphone, je repars, fermement décidé à gérer ma progression.


La première chose qui me frappe en quittant le cp, c'est le silence. Après une première partie de course suivant une route où circulent pas mal de voitures, souvent en agglomération, après un cp joyeux et animé, nous nous retrouvons dans le calme des oliviers. Et c'est bien agréable.


Comme depuis ce matin, les souvenirs de l'an dernier sont présents partout. Ici, j'avais été doublé par Balazs, là j'avais retrouvé mes supporters. Les arbres n'ont pas bougé. Il a fait chaud aujourd'hui, mais rien à voir avec l'an dernier. Les barrières horaires sont maintenant plus lâches, et mon avance continue à s'accentuer, presque sans effort. Au km 100, la chorale du hameau que nous traversons nous salue en musique, quelques notes qui m'accompagneront longtemps. Ils étaient là l'an dernier, mais je pensais que c'était pour un mariage et n'avais pas compris que c'était pour nous ! C'est vraiment une partie que j'apprécie, et je sais que ce sera encore plus joli plus loin.


Peu après, alors que je m'applique à marcher un peu, je suis rattrapé par un coureur dont le nom inscrit sur le dossard, Jean P., m'interpelle. Alors que nous pensions tous nous connaître entre français, un article de Ouest France nous avait surpris ce matin en annonçant qu'un natif de Grandville allait participer à la course la plus difficile du monde. J'ai enfin l'explication : cela fait 25 ans que Jean vie aux Etats Unis, et il courre d'ailleurs sous les couleurs US. Nous sympathisons rapidement.


Nous avançons longtemps ensemble, en discutant de choses et d'autres. A un moment où il a pris un peu d'avance, à moins que ce ne soit moi, je discute avec un espagnol de la région d'Alicante, région que je connais bien, et je lui raconte mes souvenirs de vacances dans sa région. Ensemble, nous profiterons de la bière offerte au ravitaillement suivant, le seul, d'après les bénévoles, à en proposer entre Athènes et Sparte. Puis je rejoins Jean et le mets en garde contre la montée vers Ancien Nemea, qui m'avait laissé un terrible souvenir l'an passé .


Mais preuve supplémentaire que cette année est plus facile, je ne vois pas cette montée. Nous nous amusons, avec Jean, à sprinter au cp suivant et à lever les bras : Sparte, c'est ici ? Surtout, nous nous émouvons 3 km plus loin à signer des autographes à des enfants qui nous tendent leur modeste cahier d'écolier. Très touchant.Je verse une nouvelle larme d'émotion, et je vous assure que la bière n'y est pour rien.

Jean est plus rapide que moi, et je ne veux pas me griller inutilement en cherchant à le suivre à tout prix. La nuit tombe et je sors ma frontale. Je m'attends toujours à voir se dresser une montée avant Ancien Nemea, mais celui-ci apparaît au bout d'un modeste faux plat. Je me rends compte à quel point mes sensations physiques de l'an dernier ont joué sur mes souvenirs.


C'est ensuite un Thierry en pleine forme qui me dépasse et propose de me joindre à lui pour viser les 30h. Non merci ! Je sais ce qui nous attend, et je connais mon niveau !


Ce qui nous attend, c'est la montagne. Mais avant même la montée, je traverse mon premier coup de moins bien. J'essaie de prendre un peu de nourriture solide au ravitaillement, un quart d'oeuf dur. Mauvaise pioche ! Celui-ci me détraque l'estomac. Une douleur musculaire se manifeste autour du mollet droit. Heureusement, il y a une kiné au ravitaillement suivant, et me faire masser me permet à la fois détendre le mollet et de reposer mon estomac. J'ai perdu à peine 10 minutes dans l'histoire, une paille.

N'empêche, la difficile ascension du Mont Parthénon me pose plus de problèmes que l'an dernier. J'arrive là -haut complètement épuisé, et je m'assieds longuement sur une chaise avant de repartir. Alors qu'il n'y a pas 3 km avant le cp suivant, je dois m'assoir deux fois dans la descente pour reprendre mon souffle. Les tiraillements dans le mollet sont toujours là, mais j'ai la chance de retrouver un kiné au cp suivant. J'entame une barre cafeinée que je mettrai bien 10 km à avaler. Celle ci me fait beaucoup de bien. Non seulement elle m'aide à repousser le sommeil qui m'envahissait, mais elle constitue une nourriture solide bienvenue.


Le jour se lève, doucement, comme si cet effort lui coûtait. Une brume épaisse nous enveloppe, apportant un voile fantastique au paysage. La lune se laisse encore deviner à travers ce rideau, puis ce sera le soleil qui tentera de le percer, ce qu'il fera avec nonchalence. La campagne reste silencieuse, et nous avançons comme des fantômes. J'ai parcouru 185 km en 24h, il me reste 12h pour 60 km, les choses sont plutôt bien engagées, malgré les tiraillements dans le mollet.


A ma grande surprise, je retrouve Jean au ravitaillement suivant . Il a eu un coup de moins bien et s'est arrêté plus d'une heure. Cela lui a fait du bien, nous repartons ensemble pour attaquer les 50 derniers kilomètres.
Je me souviens bien de la côte qui commence au km 200, cette fois ce n'est pas un jeu de l'esprit ! Jean me demande poliment si je veux marcher, mais je trouve sincèrement jouissif de pouvoir courir en montée après 200 km de course. Alors nous montons "à la japonaise", comme me le recommande Jean en me montrant un concurrent nippon qui nous dépasse : en faisant de toutes petites foulées, mais sans nous arrêter. Je retrouve en haut Gilles, qui a été contraint à l'abandon, et qui au lieu de rentrer dormir fait l'assistance d'un ami hongrois. Il a des mots gentils, et m'offre un Sprite frais et bienvenu. Merci, Maître Gilles !

Les 20 km suivant sont difficiles. La chaleur est bien présente aujourd'hui, et il n'y a ici aucune ombre pour nous protéger. A bout de force, je dis plusieurs fois à Jean de me laisser. Quelques kms plus loin, je me remets à courir, rattrape Jean, qui me dit à son tour de partir devant. Nous progressons ainsi jusqu'à la dernière côte, à 20 km de l'arrivée. Je la gravi péniblement, mais comme l'an dernier, arrivé en haut, j'ai le sentiment que plus rien ne peut m'arriver.


Par contre, Jean ne peut plus courir en descente. J'hésite un peu sur la conduite à tenir, mais il m'encourage à finir seul. Je peux aller chercher les 33h, m'assure t-il, à moi de lui montrer ce que j'ai dans le ventre. Nous nous donnons rendez-vous à Sparte, et je commence à cavaler dans la descente.


Un km plus bas, je retrouve Thierry, qui boite bas. Il a eu trois secondes d'inattention cette nuit, s'est un peu endormi, et s'est fait une sévère entorse en sortant du chemin. Depuis la montagne, il y a 60 km, il n'avance qu'au prix de violentes douleurs, mais hors de question pour lui d'abandonner. Un type en acier trempé, une détermination à toute épreuve. Et un état d'esprit fantastique, au lieu de s'appitoyer sur son sort, c'est lui qui m'encourage à bien finir.


Au moment où je relance ma course, je vois revenir Jean. Lui aussi s'est fait violence dans la descente, pour me rattraper et me dire de ne pas hésiter à prendre le drapeau français qu'il avait laissé pour lui au dernier cp. Ceux qui ont déjà piqué un sprint après 220 km de course apprecieront la portée de l'effort.


De tels gestes obligent.

Après un dernier faux-plat, c'est maintenant la plongée vers Sparte. Poussé par ces encouragements, je me fais violence à mon tour. Miracle, j'arrive à courir là où l'an dernier je ne faisais que marcher. Je m'arrête parfois pour féliciter les coureurs que je rattrape. Je suis reconnu à mon accent par un coureur hongrois avec qui j'avais parlé l'an dernier, il n'y a pas qu'en anglais que j'ai un accent remarquable ! Mais surtout je vole vers Sparte, ma montre me dira plus tard que je dépasse les 10 km/h dans la descente, imaginez !


Je ralentis sur les derniers km, de nouveau plat, mais je continue encore à trottiner, jusqu'au bout. Dernier cp, je ne m'y arrête pas, pressé que je suis d'entrer dans Sparte.


Enfin. Tantôt anonyme au milieu des voitures, tantôt reconnu à mon dossard et encouragé bruyamment par les passants ou les personnes assises à la terrasse d'un café, je trouve ces deux derniers kilomètres interminables. J'ai un doute sur mon chemin , à tel point que je demande à une habitante si je suis dans la bonne direction. Elle me rassure, je n'ai plus qu'à tourner à droite.


Je tourne à droite et me retrouve sur la plus belle avenue du monde. Décorée de drapeaux, bordée d'un public joyeux et enthousiaste, j'ai la chance de bénéficier d'une escorte royale : une nuée d'enfants de Sparte qui, à vélo, vont m'accompagner sur les derniers hectomètres. Un rêve de gosse. Je cours, enfant parmi les enfants, entouré de ces gamins enthousiastes, je tape dans les mains qui se tendent vers moi, et je m'incline devant Léonidas, après 32h40 d'une course sans pareille. L'orage peut éclater.


Le lendemain, Thierry, qui aura triomphé de son incroyable défi, portera fièrement un tee-shirt "il faut imaginer Philippidès heureux". L'absurdité de notre condition de coureurs résumée en une phrase, lapidaire comme il se doit. Il nous fait remarquer que, comme dans les jeux antiques, les athlètes qui étaient regroupés par pays avant la course sont maintenant mélangés, unis par les épreuves traversées. 


J'ai pour ma part à la fois de-mythifiée cette course, en ne cherchant pas seulement à la finir mais en visant un (modeste) temps, et je l'ai re-mythifiée, par la richesse des rencontres que j'ai pu y faire. Et c'est parfait. Après tout, pour paraphraser Camus à mon tour, peut-être les mythes sont-ils faits pour animer les rêves des hommes. Je vais bien dormir cette nuit, et bien rêver demain encore.

4 commentaires

Commentaire de philkikou posté le 19-10-2023 à 21:51:10

Bravo, chapeau, et récidiviste qui plus est !!! Je mets ton récit sur la pile des récits à lire très prochainement ;-)

Commentaire de philkikou posté le 20-10-2023 à 09:30:35

« Je cours, enfant parmi les enfants, entouré de ces gamins enthousiastes, je tape dans les mains qui se tendent vers moi, et je m'incline devant Léonidas, après 32h40 d'une course sans pareille. L'orage peut éclater. » beau récit, bien écrit qui nous fait bien ressentir l’ambiance si particulière de cette course ! Bravo à toi et à ta casquette Kikourou ;-)

Commentaire de hemerodrome posté le 24-10-2023 à 15:54:48

Le Spartathlon est unique, merci pour ce récit qui reflète bien l'ambiance de cette course, peut-être un jour de nouveau au départ ...

Commentaire de Laurent V posté le 03-11-2023 à 19:37:44

Comme c'est inspirant !
Merci de nous montrer la route.
Et bravo pour ce beau texte.

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