Récit de la course : La Fortiche de Maurienne 2001, par l'toutou
L'auteur : l'toutou
La course : La Fortiche de Maurienne
Date : 21/7/2001
Lieu : Valloire (Savoie)
Affichage : 1539 vues
Distance : 120km
Objectif : Pas d'objectif
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Le récit
comment vous dire tout ce que j'ai vécu... pas facile.
je vais plutot vous dire ce que j'ai ressenti.
tout d'abord, vendredi après midi, arrivée à Valloire, nous retrouvons, Patricia, Maël et moi, nos amis réunionais, l'équipe 7 lieues aventures du raid gauloise, et enfin le lapouneur et sa charmante biquette... sentiments mitigés sous le chapiteau de départ :
- angoisse sourde de ce qui nous attend...
- envie de partir tout de suite pour faire "baisser cette pression"...
- joie de revoir d'autres amis traileurs et coureurs de montagne rencontrés dans tant d'autres courses de longues distances...
- découverte de nouveaux amis qui ont couru l'anapurna mandala trail (la course qui aujourd'hui me fait le plus rêver), revenus de la bas avec une lueur d'humanité dans les yeux qui fait plaisir à voir, ils ont redécouvert les vertus de la vraie vie ! le monde n'est pas perdu tant qu'il reste des hommes comme ça ! ;-) ...
la nuit, après la pasta party va être courte, agitée... combien de fois vais je me relever pour vérifier mon matériel, la liste des obligatoires, mes objets fétiches : mes épingles, mon débardeur bleu et jaune... non, je n'ai rien oublié, je peux dormir.
3h du mat samedi, pas besoin de réveil, je suis déja debout. je m'habille en silence, patricia essaie de dormir encore un peu, son week end va aussi etre très long!!
sensation étrange de rentrer à l'intérieur de soi... calmement, méticuleusement, j'enfile tous mes vétements, je suis complètement à ce que je fais... je souris, je repense à cette maxime Zen "quand je bois le thé, je bois le thé " ! Ca y est j'ai compris !! Soit tout le temps à ce que tu fais, le plaisir est là...
je suis prêt, je vais vers le départ, seul dans la nuit fraiche, il fait clair, le ciel est limpide... une main prends la mienne, c'est maël qui m'a rejoint, il ne pouvait plus dormir et ne voulait pas me laisser seul... il angoisse... nous voila sous le chapiteau, une agitation fébrile règne et paradoxalement une impression de concentration intense me saute au visage. nos pensées vont il me semble tous vers le même but... l'arrivée au bout d'une idée, d'une envie, d'un objectif.
le controle des sacs se passe dans un joyeux "bazar". raymond ramina essaie sans succès de nous discipliner, impossible, plus personne n'écoute.
l'heure avance, un à un les copains arrivent, pierre et ses équipiers et équipière (la pauvre brigitte, sa première course de montagne, elle, la marathonienne, sera la fort'iche, joli challenge) , Nicolas (organisateur du grand raid) et Reine May, Bernard et Odile, lapouneur et sandra. Ca y est j'ai aperçu Patricia, elle me manquait déja... ma préparatrice mentale est là, tout va bien, je deviens dépendant !! dernier controle, j'enfile la polaire, je l'enlève, je la remets... tout va bien !! finalement, je pars en collant long, adidas de trail, short sur le collant, carline millet, débardeur "coureur du monde", casquette à saharienne amovible (un bien joli produit de chez raid light). mon sac est bien plein : couverture de survie, poche à eau de 2,5 l pleine de maxime à 60 gr au litre, boussolle, coupe vent gore tex, polaire au cas où, des barres, des tubes de gel, le sifflet et le matos de soins, bande et compeed, ca commence à faire du poids... mes 2 batons, mes mitaines de vélo.
nous nous retrouvons dehors, c'est l'heure du départ... derniers bisous, derniers sourires, dernières poignées de mains, ca rigole mais l'atmosphère est lourde de tension accumulées...
5,4,3,2, 1, feu nous voila lachés. va falloir avancer maintenant. il fait froid (0 ° à valloire, -8 au col de la plagnette).
je suis rapidement chaud et détendu, une longue, très longue journée commence !! lapouneur me rejoint : il parait que je suis parti vite... je m'en suis pas aperçu, je suis bien, déja le col des rochilles se profile à l'horizon dans un soleil levant magique... une première grosse cote... le lac des cerces, il gèle, le sol est glissant les nèvès scintillent... des instants hors du temps, hors du monde... je suis contemplatif.. je suis seul... je suis heureux... le col de la plagnette 2530 m (déja 1150 de D+ et 12 k). la combe qui redscend vers le col des 3 croix est splendide, dans sa 1ère partie, plusieurs fois nous traversons un torrent, les rochers sont couvert de glace, je glisse une fois et plonge la jambe jusqu'à mi mollet dans l'eau glacée, ca réveille !! la 2éme partie est bien moins sympa, une large piste cassante... rien à dire. la remontée vers valmeunier commence, de longues séries d'escaliers inégaux, une piste nous amène vers la station ou un ravito nous attends. Maël m'attends sur le bord de la piste, Patricia me passe les nouvelles provisisons de course que je lui demande. Pierre gagnère me rejoint, Lapouneur aussi, nous repartons quasiment ensemble mais rapidement chacun prend son rhytme, la montagne l'exige...à vouloir suivre le rythme d'un autre, on se "casse " rapidement.
la longue montée vers le col des marches est bien entamée. je repense à cette expression latine "Carpe diem", "Cueille le jour" et en effet, je le cueille, je le goute, j'ai choisi et j'assume, tout va bien... nous sommes des privilégiés de pouvoir ainsi utiliser notre corps comme nous l'entendons, sans autres limites que celle que nous nous sommes fixés.
Cathy Freeman l'a tatoué sur son bras : " 'cos i'm free" . et c'est bien de ça qu'il s'agit, d'une de ces dernières libertés que nous laisse notre société aseptisée, policée, réglementée, controlée, assurée... ici rien de tout ça, je suis libre et j'en profite.... je pense aux miens, à ma femme, à mes fils... merci d'être derrière mes folies, mes impulsions et de m'aider à les vivre.
voila le passage du col encore 1240 m de D+ . la descente vers bissorte commence, des névés nous offrent quelques glissades rafraichissantes, des joies d'enfant qui dévalent des pentes ennneigées. je suis resté un enfant et espère le rester encore longtemps. déja la montée vers la crête des bataillères est devant moi. vers la fin de la montée, des crampes sur l'avant des cuisses me causent pas mal de soucis !! le comble : c'est bernard un réunionnais qui me dit de me passer de la neige sur les cuisses... et il a raison, les crampes passent rapidement et la longue descente vers Modane commence. il est 13H34, j'ai parcouru 50 k et 3110 m de D+. je sais que je vais revoir la famille à val fréjus, je ne suis pas au mieux, je doute... "carpe diem", mais je suis moins lyrique, pour l'instant je suis mal; mon genou droit est très douloureux. je descends en crabe pour le soulager... je commence à penser à m'arrêter. je dois etre en forme pour le GR5 !!
je repars de valfréjus avec Nicolas et Reine May, ca refait un peu de moral. la traversée de modane n'est pas des plus agréable, ma décision est prise j'abandonne à Avrieux, au pointéliminatoire avec médecin. dans la longue portion faux plat montant vers ce ravito, je réfléchis... je n'abandonnerai pas en arrivant mais simplement après avoir vu les kinés, j'ai l'impression que ce sont les muscles qui souffrent et non l'articulation du genou. il doit y avoir quelque chose à faire....
à avrieux patricia et maël m'attendent pour m'accompagner jusqu'au médecin : tension 13/??, glycémie 1,67, j'ai perdu 3kg.. de ce coté là, ca va. je me présente aux kinés, je leur explique. de leur efficacité dépend la suite de ma course. je me retrouve entre les mains de 2 kinés aux mains magiques. après 10 min sur leur table, je me sens bien mieux. Kévin m'a dit au tél tous les espoirs qu'il met en moi, je ne peux pas ne pas tenter !! Tous vos appels, tous vos soutiens me regonfle.... je mange une assiette de pate et ma décision est prise. j'en parle à Patricia, je vais jusqu'a Bramans et si ca passe, je vais jusqu'au bout. dans cette portion il y a de tout, du plat, de la montée et de la descente. un bon test. si ca coince, cligno à droite et je rejoins l'arrivée en voiture pour voir les copains. ma préparatrice est d'accord, GO!
j'arrive à bramans en bon état, je continuerai donc.... (80 K et 3700 m de D+) il est 21 h 00
la nuit va etre longue, j'ai un peu oublié "carpe diem", je sais que je dois avaler le "monstre" qu'est le mont froid 1800 m de D+ d'une seule traite, sans aucun replat... surtout que le co-organisteur traceur, thierry mermoz, nous y a tracé une directissime de chez directissime, droit dans la pente !!! il me dira après la remise des prix qu'il s'en ait beaucoup voulu, il a participé à la course (il finit 3ème), la trace qu'il avait voulue pure était vraiment très difficile.
l'année dernière, j'ai mis 1h45 pour sortir du mont froid avec mon ami xavier, cette année il me faudra 3 heures pile, tout seul tout le long pour avaler cette terrible montée... comme le dit raymond ramina, la course commence avec le mont froid... pour moi l'aventure ne fait que continuer, j'aime la nuit... et là, je suis gaté, une limpidité que rien ne vient troubler, les étoiles scintillent (j'ai même vu Miss Pao - private joke), la voie lactée brille de tous ses feux. j'ai même surpris quelques étoiles filantes ! un régal ! quelques uns de vos appels téléphoniques me surprendront, essouflé, fatigué mais heureux d'etre la ! vous m'avez bien aidé. ah! si seulement tous les gars du monde voulaient se donner la main...!!! pendant un grand moment yannick Noah m'a accompagné : "...j'entends la voix des sages et je chante avec eux..." j'oubliais, dans la montée, j'ai délivré un mouton coincé dans un grillage électrifié, ca pique !!! il n'a pas demandé son reste et se demande peut etre encore pourquoi ce toutou était là. je garde l'image sublime de ces lucioles nous tracant le chemin droit dans la pente et qu'il ne faut pas perdre de vue, la nuit est si noire !!
la crète me laisse le temps de changer mon message sur le portable et de vous avertir que je suis sorti de cette bosse. jusqu'à 13 h je ne pourrais plus vous entendre, mais je sais, je sens qu'il y a du monde avec moi.
la courte descente vers le col de solliéres me rapproche d'un ravitaillement fort sympathique. à une heure aussi tardive, dans un froid intense, une bande de bénévoles généreux nous attend avec des couvertures. un grand feu de bois flambe. au moment ou je m'y trouve, un groupe de coureur est en train de manger les cotelettes et les saucisses qu'ils s'étaient préparées... pour un peu je me coucherais, les yeux mi clos à savourer l'instant... "carpe diem" est revenu !! et puisque je suis libre, je vais repartir courir les chemins et sentiers pour aller au bout de mon objectif, "cos' i'm free".
à ce moment de la course, il y a un changement, le col des randouillards étant vraiment trop dangeureux, nous sommes contraints de redescendre par les pistes de ski jusqu'à environ 2000 m d'altitude. la prochaine remontée fera donc 700 m au lieu de 300, une paille !!!
la longue remontée vers le fort de la turra commence par une piste forestière bien monotone. après une montée directe et une traversée déversante à souhait, le point de controle m'apparait, pas un bruit, seul le feu brille, à mon approche, un jeune sursaute et s'extirpe péniblement d'un sac de couchage. c'est vrai qu'il fait vraiment froid... quand on bouge pas et que l'on attend l'arrivée d'hypotétique "fadas" lancés dans une course de "fadas" comme me l'a dit en anglais approximatif, un allemand que je rattrapais : "it's crazy run for crazy runner made by a crazy boy !"
il me reste à aller vers le pas de la beccia que tout le monde annonce comme périlleux. le passage des barres rocheuses, dans l'état de fatigue dans lequel je me trouve, me semble fort long et périlleux. je trouve même que l'organisateur a du "culot " de nous faire passer par là... mais enfin patricia et maël m'attendent à savalin et j'ai vraiment hate de les voir. j'arrive au petit jour à ce point de controle, il est 5h35 lorsque je réveille patricia qui dort dans la voiture, nous entrons ensemble sous la tente du controle, maël s'est endormi sur un lit de camp, veillé, dorloté par une équipe de gens du cru au service des coureurs depuis hier après midi....
il ne reste plus qu'une derniére bosse et j'en aurais fini....
je me restaure, reprend un peu de chaleur humaine, d'amour et je me sauve, le confort est difficile à quitter. dans l'entrée de la tente, je croise mes amis du raid gauloise, il sont ensemble depuis Bramans et semblent bien fatigués. l'impression de solidarité qu'ils dégagent fait plaisir à voir.
la montée à pattacreuse se fait dans une espèce de cheminée où beaucoup poseront les mains tellement la pente est grande. heureusement il n ' y a que 300 m de D+. un nouveau replat puis la longue crète jusqu'à malamot, point culminant de la course à 2900 M. plus rien ne peux m'arrêter, je sais que je ne suis pas encore au bout de mes peines mais je sens déjà l'écurie. le soleil se lève sur le lac du mont cenis et la vue est grandiose.
la longue descente jusqu'au barrage m'est très pénible. les névés du début de la descente ne m'amusent plus, je ne glisse plus, mes muscles sont trop raides. au détour d'un rocher, un chamois aussi surpris que moi de notre rencontre me subjugue par son démarrage et sa facilité à courir en pleine cote... "court chamois, court..."
je sais que je dois retrouver mon assistance au pied du barrage et du plus loin que je peux, j'essaie de les apercevoir. ca y est c'est eux, je les vois. nous traverserons le barrage tous les 3 ensemble et maël va m'accompagner dans la dernière partie. il y a encore 5K et 300 m de D+.
je commence à regarder la montre... et si je finissais en moins de temps que le grand raid... allez Maël, aide moi , on accélère... le fort de ronce est là tout proche, il faut le contourner, je tremble, j'ai froid, je suis bien... dernier pointage, il est 9h55... plus qu'une légère descente, mes yeux piquent, je crois que je pleure, j'ai mal, maël me donne sa main, les haut parleurs m'encouragent... Patricia est là !! j'ai vraiment une boule d'émotions au fond de la gorge, c'est dur mais c'est beau, c'est bon, j'y suis arrivé. raymond ramina m'attend les bras ouverts, comme il attendra tous les arrivants... un drole de mec !!
29 H 08, environ 120 k et environ 8000 m de D+ plus loin !! je fait partie des privilegiés qui peuvent s'offrir ce genre de ballade... merci la vie, merci les miens ! "carpe diem"...le plus longtemps possible, comme s'il s'agissait simplement de le vouloir et " 'cos i'm free"... et je compte bien le rester !!!
Voila, c'est fini, je pars ma polaire finisher sous le bras vers les kinés, je tiens à les remercier de m'avoir remis en état à Bramans. le massage qu'ils vont me prodiguer ne me rendra pas mes jambes de vendredi mais ils font un boulot remarquable....
Et bien voila, je vous ai tout raconté...
merci à vous tous.
A+
José
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