L'auteur : Snybril
La course : Le Grand Trail du Saint Jacques Ultra - 123 km
Date : 10/6/2022
Lieu : Saugues (Haute-Loire)
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Distance : 126km
Objectif : Terminer
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« Hey, ça va ? Tu as besoin de quelque chose. »
Voilà un autre bon samaritain qui m’apostrophe. J’ai comme une envie de le mordre. Mais comme je suis bien élevé, je préfère répondre mollement.
« Ça va, ça va. Mais j’en ai plein les bottes. »
L’autre a cru que je voulais discuter alors il enchaine. Il me demande si j’ai besoin de quelque chose. Si j’ai à manger, à boire. Et même il se permet de me conseiller de m’arrêter, de prendre une pause.
Je grommelle plus que je ne réponds, alors au bout de quelques instants il me lâche le fatidique :
« Allez courage, tu vas y arriver ! »
Et le voilà reparti, façon cabri au milieu du sentier. Heureusement qu’il va plus vite, sinon je l’aurais vraiment mordu, ou tout du moins un coup de pieds dans les parties.
Je me contente de trainer un pied après l’autre. La bave aux lèvres, le regard éteint. L’an prochain j’arrête le trail et je postule pour un rôle de figurant dans walking dead. Je crois que j’ai du potentiel.
Pour l’heure, j’en ai juste marre d’une telle sollicitude. Le gros problème du trailer moyen, c’est qu’il est sympa. Il ne se bat pas pour un chrono, mais il préfère prendre le temps d’aider son voisin.
Des comme ça, j’en ai vu plein. Des dizaines je dirais. Frais et dispos. On dirait qu’ils ne font pas la même course que moi. Au bout d’un moment, se faire doubler par tant de gens, trop gentil, ça agace.
Ouais, je galère. Laissez-moi juste souffrir en paix !!!
Je regarde distraitement ma montre. Me voilà rendu au kilomètre 90. Il reste encore 5 bornes à faire pour le prochain ravito et surtout 35 kilomètres avant la ligne d’arrivée. En marchant tout le long comme ça, la journée promet d’être loooongue. Le soleil de midi brille au zénith et le thermomètre a déjà dépassé les 30° dans un ciel sans nuages. J’ai encore soif et je n’ai plus d’eau. Mais qu’est-ce que je fabrique ici ?
Bienvenue dans l’Ultra Trail du Saint-Jacques 2022. 123km de souffrance avec le petit « by UTMB » qui augmente sensiblement les tarifs (+60 euros en un an quand même, ça fait cher le running stone).
Tout d’abord, soyons honnête, c’est bien le côté qualificatif à l’UTMB World Series qui m’a donné l’envie de participer. J’habite au beau milieu des Alpes et d’habitude je rechigne un peu à faire des kilomètres pour enfiler un dossard. Outre le côté commercial du trail façon business, j’ai aussi été séduit par l’idée de découvrir un peu plus cette région. C’est quand même très beau la haute Loire.
En arrivant sur place, première déception. Entre le parking des coureurs, le retrait des dossards, les douches et massages post-course il y a des kilomètres à faire à pied. Et comme c’est la première fois que je me frotte à une telle distance, je n’ai pas très envie d’entamer mon capital fatigue avant le départ.
J’ai la chance d’avoir ma plus grande supportrice sur place, en la personne de ma génitrice venue m’encourager et accessoirement faire l’une des randos proposées par l’organisation. Pendant 2 jours elle sera donc de corvée de taxi. L’idée, marcher le moins possible.
J’arrive donc au retrait des dossard, à côté de l’arrivée. Ça monte fort en direction de la cathédrale, je me demande dans quel état je serais pour cette dernière côte. Dans le doute, je prends en photo le portique des finishers. Au moins je serais passé en dessous une fois.
Le départ sera donné à 21h, j’ai donc le temps pour prendre un dernier repas, une petite galette, histoire de charger quelques calories de plus et les si précieux glucides.
L’ambiance est bon enfant dans la navette qui nous emmène à Saugue, ça discute pas mal. Je ne suis visiblement pas le seul à être parti à la chasse aux Running Stones. Nous sommes quelques-uns à nous frotter pour la première fois à une telle distance, à défier les 100km. C’est l’amicale bouliste de Saugue qui nous accueille et je découvre pour la première fois la gentillesse des bénévoles. Celle qui me permettra de tenir, même quand je serais dans le dur. J’en profite pour m’empiffrer de madeleines et prendre quelques cafés, histoire de ne pas m’endormir tout de suite, sur le bord du chemin.
Même le speaker est accessible. Il organise l’entraide, entre celui qui voudrait se faire prêter une frontale ou celui qui a perdu ses lunettes. Bien loin des standards impersonnels du « by UTMB ».
Enfin l’heure fatidique se rapproche. Après un dernier tour aux toilettes, je fais partie des derniers dans le sas de départ.
« 5… 4… 3… 2… 1… Amuseeeez-vouuuus ! Que du bonheur, que du bonheur ! »
Premier petit bouchon à deux cents mètres à peine du départ. Le temps de sortir du stade. Le chemin continue par un faux-plat montant, au travers des villages. Comme d’habitude, ça court trop vite pour moi. Je ralentis l’allure.
Me voilà dans le petit groupe de queue, on est 4 ou 5 à clore le peloton. Ça ne m’inquiète pas plus que cela, mais ça tape forcément sur le moral. Alors inconsciemment j’accélère un peu. Je le paierais plus tard. On arrive, sur les hauts plateaux et le paysage doucement vallonné s’ouvre. Le soleil se couche et une sensation de sérénité s’empare de moi. Je me sens invincible. Enfin sauf que j’ai ma petite douleur à l’arrière du genou gauche, celle que je traine depuis six mois. Mon tendon d’Achille sur le pied droit me fait aussi un peu mal. Je réalise à ma plus grande honte, que les trailers aussi peuvent faire partie des Tamalous.
Petite déception, on ne croisera pas la bête du Gévaudan, ni même sa sculpture en bois qui trône sur les dépliants touristiques de Saugue. Le soleil est maintenant couché. Il fait encore jour, et le sentier est facile. J’ai l’ambition de sortir les bâtons et la frontale à Saugue. Quelle bêtise !
D’une part, les passages dans les bois sont bien plus sombres et les sentiers tendent des pièges aux noctambules téméraires. Vers 22h la nuit est maintenant bien noire, le moment idéal pour débuter les monotraces techniques. Je me dis que ça ne va pas durer longtemps. Et que de toute façon les frontales des autres coureurs suffiront à éclairer mon chemin.
Ça devient dur. Mais je m’obstine. La monotrace descend. Elle est affreusement raide et la terre sableuse me fait glisser. Mes chaussures sont vieilles, elles n’ont plus beaucoup de crampons. Je tombe une première fois. Pas de bobo, sauf pour mon amour propre. Les coureurs devant et derrière moi m’aident à me relever. A peine quelques mètres plus loin, deuxième chute. Toujours sans conséquence. Une dizaine de minutes plus tard, je suis toujours dans cette saloperie de monotrace casse-gueule. Et, je me casse la gueule. Plus violemment cette fois. Je m’agrippe comme je peux en faisant un gros câlin à un arbre qui passait par là. Je repars. Mon bras droit me fait mal, mon dos aussi. Au détour d’un rayon de lumière de la frontale du coureur derrière moi je jette un coup d’œil à mon avant-bras, couvert d’éraflures. Le sang s’est mêlé à la terre. Ça fait crade, peut-être que je rapporterais une petite gangrène comme souvenir. L’aventure, c’est l’aventure.
La terrible descente s’arrête enfin. Il faut maintenant remonter. On passe devant une jolie chapelle, joliment éclairée au milieu des bois. Et puis le sentier devient plus large, plus facile. Je profite des concurrents qui me doublent pour voir le chemin.
Enfin nous arrivons sur Prades. J’ai fait 15 kilomètres depuis le départ, plus de 450 mètres de dénivelé positif et ça fait 1h50 que je cours. Je suis dans le timing prévu. Le ravito est vaste. Et après avoir rechargé mes flasques et mes bidons. Je sors enfin ma frontale et mes bâtons, un trailer averti en vaut deux... Où pas ! Je m’empiffre encore, beaucoup ! Je ne m’assois pas, mais je repars quelques minutes plus tard, en marchant. J’ai les mains encore pleines de pain d’épice, de quatre quart et d’amandes. Miam !
Le début de la deuxième étape longe la rivière, gavée de saumons d’après le panneau. Je suis bien content d’avoir allumé ma frontale. Ça m’évite de me faire une cheville dans les cailloux. Puis les choses sérieuses commencent, un beau kilomètre vertical. Le coin a l’air très chouette, sauf qu’il fait nuit. Je me sens en forme. Alors que j’arrive au col de la Pierre Taillée et son ravito de soupe improvisé je décide de ne même pas m’arrêter. Grossière erreur. Tout ça pour gratter quelques minutes au chrono. Je ne vais pas attendre pour payer cash mon erreur de jugement. Le sentier est plat, large. J’éclaire les quelques centimètres devant mes chaussures. Et je vois au dernier moment un arbre qui me barre la route. Comme je vais pour le contourner, je loupe une branche cachée traitreusement au milieu des hautes herbes. Et paf, ma quatrième gamelle ! Le vol plané me vaut une belle note artistique mais aucune blessure.
On arrive enfin au sommet de cette interminable montée. Une jolie croix domine les collines alentours. J’en profite pour NE PAS faire de panoramique du paysage. La lune est pleine, brillante mais le reste est d’un noir d’encre uniforme.
Côté ventre, ça me fait mal. J’ai trop mangé, trop vite au ravito de Prades. Ou bien un truc qui ne me convenait pas. C’est peut-être tout simplement l’ischémie gastrique du traileur qui me rattrape.
Comme d’habitude, à la descente, les bâtons me gênent. Ça me pèse sur les bras et me déséquilibre. J’ai la flemme de m’arrêter pour les ranger. Que dira le dieu chrono tout puissant de ces quelques secondes perdues ? Je me rends bien compte que ma lucidité en a pris un coup, au milieu de la nuit.
Je continue de trotter, mais le moral n’y est plus. Que ce retour à Prades est looong. Il me semble beaucoup plus long que la montée. En plus, on ne peut pas dire que l’on profite des paysages.
On doit être au kilomètre 25 et je suis déjà dans le dur. Il me reste encore 100 bornes à faire et la tentation de l’abandon caresse ma conscience. J’aurais vraiment dû m’arrêter au ravito précédent, je suis parti bien trop vite, quel imbécile j’ai été de ne pas sortir les bâtons pendant la première étape. Bref je m’auto flagelle et ça ne sert à rien.
Je serre les dents et je prends la résolution d’une vraie grosse pause au prochain ravito. Ça ne suffira pas à diminuer ma fatigue mais au moins à me regonfler le moral. Je ne peux pas abandonner maintenant. Pas après 27 semaines d’un entraînement exigeant.
Alors je continue de trottiner, malgré les douleurs dans les jambes et la tête qui dit stop. Je pense, j’espère, que dans quelques heures le lever du jour me fera du bien au moral. En attendant j’avance. Lentement mais au diable ce chrono de malheur. Si je dois flirter trop près des barrières horaires, tant pis. Au moins j’aurais tenté le coup.
Enfin, au bout d’un virage je reconnais le pont et l’entrée dans Prades. Cela fait plus de 5h30 que je cours, j’ai déjà fait 38 kilomètres et plus de 1500 mètres de dénivelé. Je suis toujours dans mon timing. Et j’ai même le temps de prendre une grosse pause. Je refais le niveau avec mes poudres magiques. Des glucides pour faire tourner la machine, des protéines pour soulager les muscles. Je mange, toujours beaucoup trop, mais plus lentement. Je prends le temps de me poser sur une pierre et de souffler un peu.
Vingt minutes plus tard, me voilà de nouveau debout. Je pars en marchant et en mangeant, comme d’habitude. Le mental et les jambes vont mieux. Une étape en pleine nuit sans rien de remarquable. Un gros dénivelé qui passe bien, pas de chemin ni trop raide ni trop technique. Je papote un peu avec mes concurrents avant que l’on ne se double et se redouble de manière impitoyable. J’ai l’espoir de voir le jour se lever en arrivant sur Monistrol.
Perdu, j’arrive à 4h50 par le pont Gustave Eiffel, il fait encore nuit noire. J’ai plus de 50km dans les jambes et 2300m de dénivelé. Ça doit être mignon aussi Monistrol sur Allier, de jour ! Je prends le temps de manger, beaucoup, comme d’habitude. Il y a de la soupe. Je me penche vers la bénévole avec ma petite tasse et je lui lance « J’aime beaucoup ce que vous faites. » Elle sourit, visiblement on partage les mêmes références.
D’après ma préparation, la prochaine étape devrait être cool. Que 7km et 500mètres de D+. Une rigolade. Je range mes bâtons et je repars confiant. J’ai près de 3 heures d’avance sur la barrière horaire. Le moral est bon. Le chemin serpente gentiment le long de la rivière. Je trotte et je n’ai mal nulle part. Ça fait du bien !
Sauf que d’un coup le chemin bifurque à droite et s’arrête, face à la montagne. Ben, par où qu’on passe ? D’après quelques traces de sangliers… Erf, de traileurs.
Il faut aller « dré-dans-l’pentu » ! Mais pourquoi j’ai rangé mes bâtons ? Le gus devant moi arrive à passer. A mon tour d’essayer. Je garde un mauvais souvenir de mes gamelles, mais après tout je ne risque que le ridicule.
Ça passe. J’enchaine les passages techniques, à m’agripper aux racines, aux branches, aux pierres, à tout ce qui me donne l’illusion de stabilité. Je me dis que les traceurs de ce trail sont sacrément facétieux. Les miracles arrivent parfois. Je ne suis pas tombé une seule fois. Enfin ça se calme un peu, on fait des zig-zags dans les pierriers, très raides. Le cheminement est bien marqué, mais il faudrait éviter de glisser dans le trou. Le jour se lève alors que je rejoins les crêtes. Encore quelques kilomètres et je profiterais d’un magnifique panorama sur les gorges de l’Allier. C’est grand, c’est beau, dommage qu’une photo ne rende pas justice à une telle immensité.
J’arrive à St Privat d’Allier sans souci majeur. C’est un joli petit village, perché au-dessus des gorges. Je prends mon temps, je me pose. Après tout, j’ai encore 20 minutes d’avances sur l’horaire que j’avais prévu. La prochaine étape sera plus longue, avec plus de dénivelé. Mais je ne ressors pas les bâtons. Après tout, ça commence par une grande descente histoire de se mettre en jambes.
Pas de piège à la descente. Par-contre les montées sont sévères. Pour la première, je pensais à une petite bosse d’une vingtaine de mètres. Que c’est raide ! Ça durera plus de 250 mètres. Et pourtant, je m’épate à monter quand même. Je double quelques concurrents, moi qui d’habitude ne double jamais en montée. Et sans bâtons. Je commence à nourrir l’espoir d’arriver avant le timing prévu.
A Saint Jean Lachalm. Le soleil est bien levé. Même si les températures restent supportables, les coureurs recherchent l’ombre. La journée sera chaude. Je pense distraitement à ma petite famille, qui dort encore alors que j’ai passé la nuit dehors. On s’inflige des trucs bizarres dans le monde du trail. La bonne surprise du ravito, c’est de trouver du pain, du fromage, du jambon et du saucisson. Ça fait du bien un peu de salé aussi.
Juste après le ravito, le sentier devient très sympa. De beaux points de vue le long de la via-ferrata. Je descends moins bien que d’habitude, incapable d’enclencher le mode turbo et de rattraper les coureurs. Les montées deviennent plus dures en revanche. Elles ne sont pas vraiment plus raides. Ce sont surtout les jambes qui ne me portent plus. J’enchaine mon deuxième coup de bambou. J’en ai marre et je n’avance pas. Le petit groupe de coureurs dans lequel je me tenais est maintenant loin devant. Et puis je n’arrête pas de me faire doubler. J’ai beau clamer que je vise surtout la place de finisher et que je ne joue pas le chrono ni le classement, ça me fiche un sacré coup au moral. Je sers les dents et comme toujours, un pas après l’autre, on finit toujours par progresser. Comme le chemin est plat, j’essaie de relancer. Je n’y arrive pas. Alors je me fais des petits jeux pour éviter à la cervelle de bloquer le corps. Je trottine, une minute. Puis je marche. Je trottine deux minutes, puis je marche. Je trottine encore, mon allure est de 7’30 au kilomètre. Allez j’essaie de tenir sur un kilomètre, ça passe. Un autre kilomètre. Dans la tête je me fais des calculs savants pour me concentrer sur mon objectif prioritaire du moment. Arriver le plus vite possible au prochain ravito.
Alleyras, enfin. Toujours pas d’ombre, ni d’endroit pour m’assoir. Je me pose sur le rebord d’une église et je fais des allers/retours pour reprendre à manger. Question boisson, j’alterne entre la St Yorre et l’eau plate sans pouvoir étancher ma soif. En regardant ma montre, je remarque que mes pauses sont de plus en plus longues. Mon avance sur le timing prévu a fondu. Je me prépare à affronter la dure réalité, je serais forcément en retard. D’autant qu’il reste beaucoup à parcourir.
La plus grosse étape m’attend, plus de trois heures avant la prochaine étape. Une longue montée sous la canicule. Et peut être au bout la récompense d’un lac. Je sors les bâtons, au moins pour le côté psychologique.
Je passe la première grande montée comme je peux. Ça redescend, puis ça remonte encore. Assez raide, la pente devient rapidement de plus en plus plane pour rejoindre le plateau.
Les sentiers sont maintenant bien larges, plats ou en léger faux plat. Ma voici dans une grande section facile. C’est là qu’il faudrait relancer. Sauf que ce n’est plus possible. Même les petits jeux de la section précédente ne fonctionnent plus. Je n’arrive pas à trottiner plus de quinze secondes. Et ça me double, encore et encore. Les élites sont passées depuis longtemps et je ne reconnais plus les coureurs. Je réalise qu’il s’agit des coureurs des autres épreuves. Le maratrail et le 72km. Forcément ils sont plus frais que moi. Et les bougres, ils avancent. Mais souvent ils s’arrêtent à mon niveau. Me demandent si ça va. Si j’ai besoin de quelque chose. Au début, malgré une petite honte, je suis fasciné et enchanté par une telle fraternité entre les coureurs. Alors je papote un peu par ci par là. Ça fait passer le temps.
Et puis ça commence à m’agacer, de plus en plus. A me démoraliser. Je rentre dans ma bulle, je deviens taciturne. Et j’évite à tout prix de regarder les dossards. Pour ne pas voir que ce sont les concurrents de ma propre épreuve qui me doublent.
Comme prévu, l’étape est très longue. Elle s’étire, interminable. Surtout au rythme de la marche. La seule chose qui me rassure, c’est que beaucoup d’autres sont comme moi. A ne plus courir malgré la facilité du chemin. Nous entrons en forêt. Au moins ça nous évite l’insolation. J’imagine que le lac n’est plus très loin maintenant. Une coureuse en sens inverse nous annonce gaiement. « Prochain ravito à 5 kilomètres ! ».
Chouette. Sauf que… Après un rapide calcul, je réalise qu’il me faudra plus d’une heure et demie pour faire ces quelques kilomètres à mon rythme actuel. Alors la bonne nouvelle se retourne et me fiche une nouvelle baffe au moral.
Je suis dans le dur comme on dit. Sauf que contrairement aux fois précédentes, ça ne passe pas. L’épreuve est juste trop longue pour moi. Je songe de plus en plus sérieusement à l’abandon. On marche dans cette forêt depuis une éternité et jamais on ne voit ce satané lac. Je me file des coups de pieds aux fesses pour trottiner. Des petites sessions de 30 secondes. De toute façon je n’arrive pas à faire plus. Mes cuisses sont dures comme du bois et chaque jambe pèse son quintal.
A un moment, on aperçoit le lac au loin, au travers des branches. Puis on ne le voit plus. Mais au moins le sentier redescend. Sauf que ça ne devient pas plus facile pour courir. La douleur change juste de camp, après les cuisses et les mollets, ce sont maintenant les quadriceps qui font mal.
Je ne verrais le lac qu’au tout dernier moment, en arrivant sur un vaste chemin de type balade poussette qui en fait le tour. Les promeneurs sont nombreux à être venus se mettre au frais. Alors pour la galerie je me force à trottiner. Mais le ravito ne vient pas. J’ai l’impression que les traceurs se sont amusés à nous imposer un tour de lac.
Ravito du Lac du Bouchet. Enfin ! J’en suis venu à bout. Il est 13h45, curieusement j’ai gardé encore un peu d’avance sur l’horaire prévu. J’ai fait 95km et plus de 4800 mètres de dénivelé. Ce serait dommage d’abandonner maintenant. Même en marchant tout du long je termine dans les barrières horaires. Alors non, je n’abandonnerais pas. Le ravito est très complet. De la soupe, des pâtes, du pain et du fromage et toutes les cochonneries habituelles sucrées. Sauf que le sucre, je n’en veux plus. C’est bien la première fois que ça m’arrive. Il parait que c’est l’un des premiers signes de la déshydratation. Et du sucre, mon corps en aura besoin pour continuer. Alors, malgré le dégout je me force à manger des pates de fruits, du chocolat, du quatre-quarts, des fraises tagada. Bref le bonheur habituellement. Sauf-que là, ça me donne envie de vomir.
Il n’y a pas de chaise, ni de banc. Alors je m’assois par terre, pour dérouler les jambes. Quel supplice de simplement s’assoir. Tous mes muscles s’y refusent. Je finis par m’écrouler enfin au sol. Pour souffler et ranger les bâtons. Normalement je n’en aurais plus besoin. Et je me dis que vu qu’il me reste surtout de la descente, je serais mieux équilibré pour aller plus vite.
Etant donné mes difficultés pour m’assoir, je ne reste pas si longtemps au ravito et je repars. Ça monte raide. Pas très technique, mais très raide. Je regrette déjà d’avoir rangé mes bâtons.
Encore d’autres coureurs qui s’arrêtent à mon niveau pour me porter assistance. J’imagine que je dois faire peur à voir. Faudrait que je fasse un selfie en mode sale gueule, mais j’ai pas l’énergie de sortir l’appareil photo. Un pas après l’autre, j’affronte cette terrible montée. C’est la deuxième plus grande étape du parcours. C’est quand même curieux d’avoir tracé les grandes sections, peu techniques lorsque les coureurs sont trop rincés pour avancer.
Curieusement, le début de la descente se passe mieux. Mes appuis sont bons, les jambes répondent et revoilà que je double des concurrents. Je ne dirais pas que j’ai l’impression de voler, ce serait exagérer. Au moins je ne souffre plus trop et le moral remonte. Malheureusement, on finit par ressortir de la forêt. Et le soleil m’écrase par terre et me rends à ma condition de bipède fatigué. Qu’importe, je profite que les jambes sont là et je trottine jusqu’au prochain ravito.
Saint Christophe sur Dolaison. Aucun endroit pour s’assoir. J’emprunte une chaise à l’un des bénévoles. Je bois flasque après flasque. Il fait trop chaud. Le goût pour le sucré est un peu revenu. Et l’appétit est là de toutes façons. Pas de crampes à l’estomac.
Quand il faut repartir le moral est toujours là. Il ne reste que deux petites étapes et pas beaucoup de dénivelé. Je sens déjà l’odeur du finisher en moi. C’est pas bien compliqué, un finisher ça pue la transpiration.
Je repars de St Christophe comme de tous les ravitos, en mangeant. Les mains sont pleines, ça me donne un petit répit de marche avant de me forcer à courir. En trottinant, je maudis une fois de plus les traceurs, à nous imposer des détours et des montées à travers champ. J’y aurais choppé une tique. Sans aucun point de vue ni objectif esthétique, juste histoire de nous rajouter des kilomètres et du dénivelé.
J’arrive en vue de la dernière étape. Les bénévoles se font rares. Il y a juste une barrière chrono au milieu du chemin. Sans personne autour. Et surtout pas de ravito à l’horizon. Je voulais finir au coca pour tenir et arriver triomphalement sur la ligne d’arrivée. Je papote avec d’autres concurrents qui m’assurent que si si. Il y a bien un ravito, plus loin. Déjà que je trouvais curieux un ravitaillement à moins de dix bornes de l’arrivée.
J’arrive au panneau 5km et toujours rien. Je cours encore bien un kilomètre et au détour d’un virage, un gamin souriant m’annonce que le ravito est là juste à côté. Et qu’il reste 5 km. Je réponds à son sourire. Il y a bien un ravito, ça n’a aucun sens pour moi. Mis à part pour attraper une poignée de fraises tagada, je ne m’arrête pas. Je n’ai presque plus d’eau mais tant pis. Il faut finir maintenant.
Je m’imagine une descente cool vers le Puy. Sauf que le sentier bifurque à gauche, pour monter et aller crapahuter sur les rochers du Parc des Chibottes. C’est ludique et je devrais trouver ça rigolo. Mais pas là. Je râle et je rouspète sur cette idée saugrenue de nous faire encore grimper à ce moment de la course. J’enchaine les panneaux 4km, 3km avant l’arrivée. Et je ne vois toujours pas le Puy. Je n’imagine pas comment en moins de 3 km on sera arrivé au centre-ville.
Puis enfin, par miracle le chemin devient large et roulant. Il daigne enfin descendre vers l’arrivée. Je me ferais tous ces derniers kilomètres en courant. Je ne sens plus mes jambes. C’est bon signe, elles ne me font pas mal.
En ville, la volaille fait la circulation. Des voies sont réservées pour les coureurs. Je me dis que c’est la première fois que ça ‘roule’ bien dans le centre-ville du Puy en Velay.
Et puis enfin elle est là. Je la redoutais depuis 2 jours mais elle m’a attendu patiemment. La montée raide vers la cathédrale. Contre toute attente, l’adrénaline, l’endorphine ou bien les fraises tagada me portent et je termine fièrement. Je cours jusqu’à la ligne et je pose pour les photos finish.
Une gentille bénévole me passe la médaille du finisher autour du cou. Une grande fierté, mais surtout un immense soulagement m’envahit. Mes jambes aussi ont pigé que c’était la fin. Quand j’essaie de me remettre à marcher elles ne tiennent plus et manquent de me faire tomber, m’effondrer de manière ridicule. Mais l’honneur est sauf. Je ne tombe pas. Ma plus grande supportrice est là à m’attendre et m’acclamer. Merci maman !
J’aurais terminé cet Ultra Trail du Saint-Jacques en, 22h et 39 minutes. Soit cinq minutes de moins que dans mes prévisions. Je rêve maintenant d’une douche et d’une bonne nuit de sommeil.
Dans ma tête le « plus jamais ça !» du kilomètre 90 s’est déjà transformé en « à quand la prochaine ?». Mais c’est une autre histoire.
J’ai aimé
Quelle gentillesse, quelle franche camaraderie entre les coureurs, on peut même parler de fraternité
La gentillesse et le sourire des bénévoles
Les ravitos, nombreux et bien fournis
Les chapelles et les monuments, toutes ces vieilles pierres illuminées dans la nuit
Le paysage des gorges de l’Allier au petit matin
La vue sur le Puy à l’arrivée
J’ai moins aimé…
Pas de trace GPS et l’image du parcours totalement inexploitable
Pas de sac de délestage
Le coin le plus casse gueule au début, dans la nuit
Les sections les plus roulantes au bout de 90km de course
Pas d’ombre ni de place pour s’assoir pendant les ravitos
Des tours et des détours franchement inutiles, histoire d’accumuler du D+ et des bornes
Les leçons que j’ai retenues (ou pas)…
Ne pas partir trop vite (d’un autre côté je me le dis à chaque fois)
Prendre une vraie pause à chaque ravito, même quand je me sens en forme
Quand il fait nuit, je sors la frontale. Je n’attends pas le prochain ravito
Quand je suis dans le dur, il faut ralentir mais toujours avancer. Ça finira par aller (un peu) mieux
C’est un lieu commun, mais en dehors des vraies blessures, tout se joue dans la tête. Même dans les pires moments, je n’ai jamais ressenti de douleur forte. Des jambes tétanisées, les muscles qui rechignent et qui tirent, des sensations très désagréables. Oui, mais c’est surtout une sorte de paresse infinie qui m’empêchait de courir. Tant qu’on tient debout on peut marcher. Tant qu’on peut marcher, on peu trottiner.
1 commentaire
Commentaire de Bacchus posté le 20-06-2022 à 10:48:38
Bravo pour ta course. C'est vrais, il a fait très chaud, j'étais sur le 74 et j'en ai bien bavé, je ne me voyais pas faire 50km de plus. Chapeau
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