Récit de la course : L'Ultr'Ardèche 2022, par marathon-Yann

L'auteur : marathon-Yann

La course : L'Ultr'Ardèche

Date : 4/6/2022

Lieu : Alboussiere (Ardèche)

Affichage : 633 vues

Distance : 222km

Objectif : Pas d'objectif

7 commentaires

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Ultra Ardèche !

Pourquoi faut-il aller si loin pour se rapprocher  de soi ?
 
Cette question, que pose Balasz Simonyi dans son extraordinaire film sur le Spartathlon, Ultra, nous serons nombreux à nous la poser aujourd'hui lors de l'ultr'Ardèche. Il faut dire que ces deux courses aux formats comparables ( 245 km et 1000 m d+ en Grèce, 222 km et 4500 m ici) attirent le même peloton de doux rêveurs, que je retrouve avec plaisir.
 
Nous sommes 67 au départ. Parmi nous, de véritables habitués de ce genre d'épreuves, qui enchaînent ces courses à un rythme impressionnant, avec une décontraction et une simplicité que j'admire. Pour ma part, je me suis rarement confronté à un tel challenge, que j'aborde avec ma désinvolture habituelle. Je me rendrai compte cette nuit que je n'ai pas rechargé ma lampe rouge, pourtant indispensable pour ma sécurité. Surtout, je réalise en m'habillant que j'ai pris deux chaussettes gauche. Ça peut prêter à sourire (heureusement que ce n'est pas deux chaussures gauche !), mais c'est une vraie c... Qui me coûtera de douloureuses ampoules au pied droit, et aurait pu me coûter encore plus cher.
 
Nous n'en sommes pas encore là. Pour le moment, nous prenons un départ prudent, comme si personne ne voulait prendre la tête de la course. Une sorte de concours de lenteur. Laurent, l'organisateur, a promis de nous envoyer sur les routes de son enfance, et je comprends tout de suite l'affection qu'il peut porter à ces chemins. C'est déjà magnifique, et ces routes désertes qui serpentent dans la nature nous semblent réservées. Le bonheur est dans le près.
 
Au gré du relief, je cours avec Anne-Gaëlle,  avec qui j'avais sympathisé lors des 100 miles, ici en Ardèche, Tatiana qui est venue de Russie pour cette course (il faut le faire !), Dominique, qui me parle de ses courses dans le désert ... Je m'accroche aux pas de Balasz (le même qui a fait le film, 5ème du Spartathlon) pour discuter un peu avec lui. Je lui dis, en hongrois, que mon épouse est hongroise. "sorry ?"  Je lui répète en anglais, ce à quoi il répond un "bravo" qui me laisse perplexe. Je le laisse filer.
 
Arrivé au Cheylard (km 49). Les bénévoles discutent entre eux :"il y en a 5 de passé, il reste une soixantaine de coureurs". Quoi, je suis 6ème?  cette nouvelle inattendue me donne un tel coup de fouet que je gravi en courant la montée vers Saint-Martin (km 57). Où je suis heureux de me doucher avec un tuyau d'arrosage. Il faut dire qu'il fait vraiment chaud, et que contrairement aux 100 miles, qui passent aussi par ici, la montée ne s'arrête pas à ce ravitaillement. Nous allons gravir les 11 km de l'Ardechoise, sur une route dont le goudron fond déjà à cause de la chaleur. 

 
Je commence à payer mes efforts dans cette interminable montée. Je me fais dépasser par une Anne-Gaëlle toujours aussi joyeuse. J'arrive à Borée (km 72) à temps pour la noce : un mariage a lieu juste en face de notre ravitaillement, et le contraste entre les invités endimanchés et le coureur transpirant que je suis est amusant. Je m'assied quelques minutes, le temps de chercher mes premières ampoules (à 150 km de l'arrivée !) et repars pour une section plus facile.
 
Nous alternons montées et descentes, ce qui me donne un prétexte pour alterner marche et course. Les paysages sont toujours aussi beaux, et je me régale. Je découvre des menhirs ardechois. Je suis dépassé par Julia, puis par Rolando et Sylvain. Nous passons au pied du mont Gerbier, source de la Loire. Je suis à deux doigts de m'offrir une glace salvatrice, mais le glacier est juste à côté de notre ravitaillement, et je ne veux surtout pas avoir l'air de bouder ces bénévoles qui, comme tous ceux croisés aujourd'hui, sont  extraordinaires.

 



Courant souvent seul, sans regarder ma montre, je joue au "mille bornes". Ça consiste à rechercher les bornes kilométriques que nous ignorons souvent en voiture, mais qui sont des indices si précieux pour les piétons. Parfois sur ma droite, parfois sur ma gauche, cachées ou en évidence, quand vont-elles apparaitre? Il suffit d'en compter une dizaine pour arriver au ravitaillement suivant. À un moment, je suis pris d'un authentique sentiment d'euphorie : je suis comme ivre, tout m'amuse, je chante "bonjour les meuhs" en croisant de paisibles vaches qui ne m'ont rien demandé. Quelques instants plus tard, je subis un véritable coup de mou, sans que j'arrive sur le moment à faire le lien entre ces deux événements. Peut-être un début de fringale, à force de ne manger que de la pastèque. C'est ma faiblesse sur ces distances, trouver la bonne alimentation, surtout quand il fait chaud.
 
J'arrive ainsi à Sagne (km 96) un peu à bout de force. J'essaie de mettre une compred sur une ampoule. Trois coureurs me rattrapent, ce qui me met un coup au moral. Je vois mon reflet dans le miroir des toilettes : je suis blanc. J'essaie d'attribuer cette pâleur au reflet de ma casquette blanche kikourou et me remet en route en oubliant l'un de mes deux bidons. C'est balot et ça confirme mon coup de moins bien.
 
Les trois coureurs qui m'avaient rejoins au ravitaillement me dépassent. J'échange quelques mots avec Aurélie, qui s'inquiète de me voir marcher dans un faux plat. Une longue descente me permet de me refaire un peu la santé. La chaleur tombe un peu. Je retrouve un drop bag au km 127, qui me permet de récupérer un deuxième bidon. Je demande aux bénévoles ce qu'ils ont de plus frais, on m'offre un peu de bière, j'apprécie.
 
Les kilomètres s'enchaînent, les ravitaillements constituent des pauses bienvenues. Je demande quel est le profil jusqu'au prochain. On me répond d'un air embarrassé : "tu sais, on est en Ardèche... " Et je repars pour 5 ou 6 km d'ascension. La chaleur tombe. Des nuages s'amoncellent au loin, on entend le tonnerre. Pas une goutte de pluie sur nous, mais un extraordinaire arc-en-ciel. Nous éviterons l'orage ce soir
 
La nuit est tombée . Je suis rattrapé par Luis, un coureur espagnol. Il marche plus vite que moi dans les montées, je cours plus vite que lui dans les descentes, nous faisons le yo yo.
 
Le ravitaillement de Antraigues (km 133) a lieu dans une école. Sur un immense tableau noir, sont inscrits les heures de passage des différents concurrents. L'occasion de prendre des nouvelles des copains. Zsuzsanna et Balasz sont passés en tête il y a plus de 3h. Je suis 13ème. Il y a eu de nombreux abandons, y compris parmi les coureurs de tête. Rolando vient d'abandonner, il dort dans le pièce voisine. Luis, qui me rejoint, demande qu'on le réveille dans une demi heure. Je repars dans la nuit.
 
Après 10 km de montée, arrivée à Saint Joseph (km 145). Dans la nuit silencieuse, une petite pancarte souhaite la bienvenue aux coureurs de l'ultr'Ardèche. Ca me touche. Le ravitaillement est bien silencieux, lui aussi. Sylvain dort sur un lit de camp, ainsi qu'Anne-Gaëlle qui a souffert d'hypothermie. Elle pourra repartir. Je passe plus de 25 minutes à ce ravitaillement, toujours à essayer de soulager mes ampoules, et à manger un peu de purée mousline. À ce moment, la meilleure du monde.
 
Je reprends la route. Les premières lueurs du jour vont apparaître, sans me donner le coup de fouet espéré. A 6h, après 24h de course, j'ai parcouru 165km, pas mal vu tout le dénivelé enduré.
 
Il fait grand jour maintenant. Notre route croise celle que parcourra le Dauphiné Libéré dans quelques heures. Je retrouve sur certains ravitaillements des bénévoles déjà présents hier matin, il y a une éternité. On me prévient :"c'est la dernière grosse côte". Mais quelle côte ! Pas une ombre, nous sommes coincés entre le marteau et l'enclume. Je discute avec un paysan qui me demande quelle est cette course qui passe par son village. Il n'a pas l'air impressionné par la distance, mais me prévient qu'il ne serait pas étonné qu'avec cette chaleur, il y ait un orage de grêle.
 
Chalencon, km 193. Fin de la montée. Je trouve enfin une épicerie ouverte, qui vend la fameuse glace Terre Adelice dont je rêve depuis la veille. Sorbet framboise. Le ravitaillement qui suit, la beauté du point de vue, la perspective de n'avoir qu'une petite trentaine de kilomètres à franchir, la fin annoncée de ces interminables ascensions achèvent de me remonter le moral.

 
Il me restera cependant une dernière épreuve dans la plaine : l'orage de grêle prédit par le paysan. En deux minutes, je suis trempé, n'ayant aucun endroit où m'abriter ni vêtements à enfiler. Une voiture a pitié de moi et propose de me prendre en stop. "Non merci Monsieur, je suis en compétition".  Bizarrement, cette douche me fait du bien, achevant de me réveiller et calmant la brûlure de mes ampoules, à laquelle je croyais m'être habitué.

 
Je ne reste pas longtemps à l'avant-dernier ravitaillement. Il ne reste que 16 km, je suis trempé et pressé d'en finir. J'avale un excellent bol de soupe maison et repart. Je  rattrape un peu plus loin Aurélie. Elle ne peut plus courir depuis plus de 15h, mais l'abandon ne faisant pas partie de son vocabulaire, elle a décidé de finir en marchant. Le courage incarné. Nous faisons quelques km ensemble, dans une nouvelle dernière côte, discutant de choses et d'autres. Puis, pour finir de me réchauffer, je me remets à courir sur la route fumante.

Derniers kilomètres. Une dame m'encourage par la fenêtre de son pavillon "Bravo, c'est beau ce que vous faites !" J'arrive à Albousière. Une bénévole est venu à ma rencontre et m'aidera à finir ma course, énième attention touchante dans cette journée si riche en cadeaux. J'arrive, ému, sous les applaudissements et tombe dans les bras de Laurent, qui a tout organisé de main de maître. Je ne suis pas certain de savoir pourquoi il faut aller aussi loin pour se rapprocher de soi, mais je sais que je vais recommencer.


Épilogue
Comme dans tout Astérix, l'aventure fini par un banquet. Au court de celui-ci, Zsuzsanna (3 victoires au Spartathlon, 5 à l'Ultrabalaton, et qui a brillamment remporté la course) , fait un petit discours dans lequel elle dit que cette course était la plus exigeante et la plus belle de celles auxquelles elle a participé. Le compliment nous touche tous, organisateurs comme coureurs.
J'ai appris il y a deux semaines que je pourrai aller vérifier cet affirmation à Athènes en septembre. C'est ultra !


 

7 commentaires

Commentaire de cloclo posté le 18-06-2022 à 05:37:50

Bravo Yann, c'est Ultra ce que tu as fait !
Et pour le Spartathlon, vérifie bien ce que tu emmènes ;-)

Commentaire de marathon-Yann posté le 19-06-2022 à 18:22:13

Merci cloclo ! J'ai effectivement appris plein de trucs pour le spartathlon !

Commentaire de galak42 posté le 18-06-2022 à 13:59:41

Félicitations et chapeau enfin Chabob!
Bonne récupération !

Commentaire de marathon-Yann posté le 19-06-2022 à 18:22:49

Ou même béret, comme on dit en Ardèche !

Commentaire de philkikou posté le 19-06-2022 à 18:09:56

Plein de raisons de mettre ce récit dans la liste d'attente de lecture !! Déjà bravo, et à plus une fois que j'aurai lu ton récit !

Commentaire de marathon-Yann posté le 19-06-2022 à 18:23:16

Merci, à bientôt alors !

Commentaire de philkikou posté le 24-05-2024 à 20:06:34

Après avoir lu le récit de Tidgi je me suis aperçu que j'avais mis ton récit dans la liste d'attente.. et qu'il attendait toujours !
Oubli réparé "Je ne suis pas certain de savoir pourquoi il faut aller aussi loin pour se rapprocher de soi, mais je sais que je vais recommencer." belle phrase résumé d'une telle épreuve !

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