L'auteur : tikrimi
La course : Trail de Haute Provence - Cal à Lure - 80 km
Date : 30/10/2021
Lieu : Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence)
Affichage : 1994 vues
Distance : 80km
Objectif : Terminer
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Mon objectif de l’année, c’était la deuxième édition de l’Ultra Trail des Montagnes du Jura. Après un début d’année bien compliqué où je traînais ma misère sur les chemins jurassien, la forme revient de manière brutale à la fin de l’été, et j’ai l’impression d’être dans la forme de ma vie… UTMJ, tiens toi prêt, j’ai été le dernier à finir l’année dernière, mais cette année je vais venir pour jouer la gagne (c’est super important la préparation mentale, et dans ma tête j’étais prêt). Quelque semaines avant l’UTMJ, après deux saisons blanches pour Guillaume (enfin 2020 n’a pas été aussi blanche que ça… on a eu la neige lors de l’UTMJ), il n’a plus les points pour s’inscrire au tirage au sort de la CCC, et on cherche une course où je pourrais l’aider comme il l’a fait pour moi l’année dernière, et comme il aurait dû le faire encore cette année.
Nous voici donc inscrit pour le 80k du Trail de Haute Provence. Avec la saison de Guillaume tronquée par pas mal de blessures, ça va être tendu au niveau des barrières horaires, mais ça peut passer.
Place à l’UTMJ… il va vite s’arrêter pour moi après 30k. Ce n’était pas la bonne semaine. J’ai pris un bon coup de froid en début de semaine, et j’ai pris le départ encore fiévreux. Mais Guillaume a quand même pu faire le pacing pour Manue sur les 40 derniers kilomètres de l’UTMJ. Je me suis vite remis de mon coup de froid, j’ai toujours une très bonne forme, et à 15 jours de notre course, on fait une super sortie avec Guillaume… ça va bien se passer cette affaire, on y croit.
A quelques jours de l’épreuve, une alerte orange météo est annoncée pour un épisode cévenol et méditerranéen. Pfff, on a survécu à l’UTMJ… même pas peur, ça va bien se passer cette affaire, on y croit.
On retire nos dossards la veille. Ben c’est une grosse orga en fait. Top dotation coureur, beaucoup de monde au départ un suivi Livetrail, une région magnifique, et on nous promet une vue à 360° au sommet de la montagne de Lure. Ça va bien se passer cette affaire… mais la vue, on y croyait déjà pas.
Départ à 6h du matin en tee-shirt sous une pluie fine, mais pas de vent et des températures très clémentes. Nos sacs sont par contre bien chargés, il y a la totale : veste respirante, vêtement chaud, pantalon de pluie, gants alors que certains partent à poil… mais ça on y reviendra plus tard.
Pour la première partie de course, on a 4h pour faire 24k avec 1100m de D+. Ça va bien se passer cette affaire. Et ça se passe super bien. Quel kiffe. Guillaume grimpe bien (ça je ne suis pas surpris), mais en plus il ne rate pas une seule relance, s'alimente bien, descend pas trop mal, les sentiers sont top… et on court avec des mecs aiguisés comme des lames!!!
Bon, on est arrivé 4 minutes trop tard au premier ravito, mais il y avait encore pas mal de monde derrière, et déjà beaucoup d’abandons. Ben oui, ça fait quand même 4 heures que l’on court sous la flotte, et certains ont déjà très froid. Là je me dis quand même que c’est la sélection naturelle… ben oui, t’es à poil, t’as froid… mais tu vas attendre un peu la navette, parce que tu n’es pas le seul à être parti à poil là… tu t’en rappelleras pour la prochaine fois. Jusqu’à présent, je n’avais pas encore eu froid (pour que j’ai froid… il faut vraiment qu’il fasse froid), mais le fait de s’arrêter un peu au ravito, comme tout le monde j’ai froid. Mais Guillaume est aussi au top au ravito, il se change rapidement, fait le plein des flasques, et go, on repart.
On commence à monter la montagne de Lure. Il faut l’avouer, c’est une piste très large, et ça ne présente que très peu d'intérêt, et on prend de plus en plus de vent et de flotte. Guillaume commence à ralentir un peu le rythme, mais continue de bien gérer. Pile poil dans l’allure pour passer les barrières horaires. Je m’adapte et de temps en temps je force un peu l’allure pour pouvoir me réchauffer… mais wahou, j’ai froid. J’ai hâte d’arriver au ravito pour virer mes manchettes trempées, enfiler mon vêtement chaud et mon pantalon de pluie. Guillaume avait déjà utilisé ces mêmes jokers au ravitaillement précédent, et enfile une cape de pluie en plastique. Au ravito, c’est ouf. Les bénévoles font ce qu’ils peuvent pour réchauffer les coureurs en perdition. Ça va bien se passer cette affaire. De toutes les manières, y’a pas de choix : la tente déborde, et nous, on est pas si mal. On a fait l’UTMJ bordel, donc go, pas de question à se poser on avance… doucement mais tout le temps. C’est le mantra qu’il faut se répéter. Doucement mais tout le temps, doucement mais tout le temps, doucement mais tout le temps. C’est bon, ça commence à rentrer? Doucement mais tout le temps.
Guillaume est bien. Il avance lentement maintenant, mais tout le temps. Pendant les 10 heures qu’il est resté en course (oups, spoiler), il ne s’est pas arrêté une seule fois pour reprendre son souffle. Au top Guillaume. Et au niveau des barrières horaires, ben on est super larges: on a 3 heures pour faire les 10 bornes de crête. Bon, on a un morceau qui s’annonce bien compliqué, mais ça va le faire. Comme convenu, j’appelle Namoureuse pour lui dire que l’on devrait arriver à la base de vie de la station de Lure vers 14h30. On repart, ça va bien se passer cette affaire. De toutes les manières, y’a pas le choix, il n’y a plus de place sous la tente.
Des Colomby de Gex -> Grand Mont-Rond, on en a quand même fait quelques-uns sous des temps dégueulasses, ça ne va pas être pire là. Putain, mais elle sont où ces rubalises, soit y’en a pas, soit y’en a partout… hum, j’ai mené mon enquête, ça doit être à cause du vent. Bon, ils nous ont vendu 10 bornes de crête, et bien on va essayer de la suivre cette crête, on verra bien. Et là j’entends des voix, puis des cris, et je finis par voir un groupe de traileurs qui descendent une dame complètement désorientée qui ne tient plus debout. Ils me crient “viens nous aider, on est épuisé”. On a été jusqu'à 6 pour la descendre près de la piste forestière. Pour la petite histoire, cette dame était extrêmement expérimentée (un palmarès sur plusieurs pages, dont un podium dans sa catégorie d'âge à l’UTMB), et il y avait tout ce qu’il fallait dans son sac. C’est grâce à un geste complètement fou qu’elle a pu maintenir une certaine température corporelle : 2 traileurs se sont allongés contre elle pour la réchauffer le temps que les secours arrivent. Sa température corporelle était descendue à 26°, et les secours ont mis plus de 2 heures pour la réchauffer avant de pouvoir la transférer à l'hôpital de Manosque. Maintenant, je sais ce que c’est qu’une hypothermie. Ce n’est pas juste avoir froid et claquer des dents. Je commence à avoir bien froid moi aussi, et je ne sers plus à rien. Je repars pour essayer de rattraper Guillaume. Je le retrouve au niveau d’une route, mais plus de balisage. Bon, on va suivre la route, on verra bien. Cool, on finit par retrouver du balisage et deux camionnettes de l’organisation. On nous explique que le 150k a été arrêté, et ils nous demandent si on veut continuer. Le “on continue” met un peu de temps à sortir de la bouche de Guillaume, mais on n’est pas loin de la base de vie. On va déjà y arriver avec nos deux pieds avec la tête haute, dans les temps de la barrière horaire, et on verra bien. Mais dans nos têtes, on avait bâché je pense. Bon, je crois que là, ça ne va pas le faire en fait.
A environ 1k de la base de vie, je vois au loin une personne qui titube. Je cours vite pour lui porter secours, appelle de PC course, ils m’envoient un sms pour me géolocaliser, puis un des coureurs qui était déjà avec la dame en hypothermie arrive. Je renvoie Guillaume vers la base de vie, et nous voici à deux à essayer de ramener ce trailer au poste de secours. Et là, c’est pas la même histoire qu’à 6 avec la dame. Rapidement, on est complètement épuisé. Qu’est-ce que c’est dur de porter quelqu’un à deux quand on n’est plus très frais sur des terrains où c’est déjà pas simple d’avancer seul. Heureusement, après dix minutes, une personne à la recherche d’un autre coureur en détresse arrive. Une force de la nature ce mec. Il avait des chaussures cramponnables… mais pas besoin de crampons, il avait les pieds ancrés dans la boue bien comme il faut pour nous faire avancer.
Me voilà à la base de vie 30 minutes après la barrière horaire, où Namoureuse attend depuis presque 2 heures. Quelle galère ces courses pour les accompagnants. Pour moi la course était terminée, mais si on veut repartir, ben on peut repartir par un parcours de repli. 24k pas trop compliqués pour rentrer à Forcalquier. Guillaume n’arrive pas à se réchauffer, et comme il ne peut plus courir depuis un petit bout de temps, il ne se sent pas pour s’engager dans cette galère. Je suis plutôt frais, je me suis changé, je viens de manger chaud, de prendre des Haribo et une gorgée d’Orangina. La personne avec qui on vient de ramener le traileur en hypothermie à la base de vie se prépare pour repartir… je repars. Désolé Guillaume de te laisser là, et merci Namoureuse de me laisser y aller.
Ça descend pendant 10 bornes… ben on est vraiment bien tous les deux. Ça court tout le temps et plutôt bien. Une superbe descente, on se régale, et on a même la lucidité de s’arrêter pour se découvrir un peu… ben oui, on court… donc on chauffe. Pratiquement à la fin de la descente, on entend discuter, et on voit deux personnes en VTT. Ce sont les serres-files… oups, heureusement que l’on était plus rapide qu’eux. Mon partenaire en profite pour ralentir l’allure alors que je continue comme une balle (ou plutôt comme un pétard mouillé) vers le prochain ravito. Je prends un thé chaud, et fais le plein des flasques. Il reste maintenant 14k vallonnés, mais sans grosses difficultés. La nuit va tomber, et je décide de repartir seul : il fait bon, il n’y a plus de vent (juste une petite pluie), et je suis en bonne forme. Aucun problème pour relancer sur les parties roulantes, et je suis bien quand ça monte. Quel plaisir de dérouler alors que je suis en course depuis 13h. Pas le moindre coup de mou de toute la course, ni aucune douleur musculaire. C’est presque dommage que ça va bientôt s’arrêter cette affaire, et au final elle s’est bien passée.
Au dernier ravito, j’appelle Namoureuse (elle aura passé la journée dans la voiture la pauvre), et j’arrive après 15h de course dans un bel état de fraîcheur.
Je vais m’en souvenir de celle-là, mais globalement, j’ai kiffé. Je suis évidemment très déçu pour Guillaume. Avec des conditions normales, elle doit passer cette course. Il a été en mode guerrier jusqu’à la base de vie de la montagne de Lure, mais faire les 24k derniers kilomètres en marchant aurait été un chemin de croix. L’expérience continue de rentrer.
Le gros point noir : l’équipement des traileurs. Je suis le premier à râler sur la liste du matériel obligatoire que l’on nous demande souvent de prendre. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai transporté le pantalon de pluie, les gants imperméables et le bonnet alors que la météo annonce du temps sec et des températures douces. Mais franchement, avec la météo annoncée, comment c’est possible de partir à poil? Je ne parle parle des deux coureurs que j’ai vu en hypothermie (ils avaient tous les deux le matériel qu’il fallait et beaucoup d’expérience… ça peut arriver à n’importe qui), mais de beaucoup de personnes qui étaient congelées dans les ravitos, et qui ont monopolisés les 4x4 et beaucoup de bénévoles pour se faire rapatrier.
C’était franchement, une très belle organisation. Dans une situation de crise, ils ont pris les bonnes décisions. Gros merci aux bénévoles, et spécialement à ceux qui étaient sur la montagne de Lure dans le froid et la pluie à gérer les rapatriements. A refaire, car c’est vraiment un format assez roulant qui me convient bien.
1 commentaire
Commentaire de Arclusaz posté le 06-11-2021 à 19:14:52
Quelles conditions ! et quelle condition tu avais ! une sacrée course où en plus tu as fait le St Bernard. Bravo.
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