L'auteur : dpierrick
La course : TOR330 Tor des Géants
Date : 12/9/2021
Lieu : Courmayeur (Italie)
Affichage : 1620 vues
Distance : 348km
Objectif : Terminer
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Mon récit du TOR des Géants 2021
4 jours après la conclusion de cette aventure incroyable, voici un petit récit de la manière dont j’ai vécu cette course hors normes : le TOR des Géants 2021.
Le parcours, le tracé
Le TOR réalise une boucle dans le sens anti horaire autour du Val d’Aoste, avec un départ et une arrivée à Courmayeur. Il emprunte majoritairement les sentiers de haute montagne (la Via Alta 2) et certains ont même été jusqu’à le qualifier de « roulant 😉 ». Je n’irais évidemment pas jusque-là, il y a quand même de sacré coups de culs sur le parcours 😊.
Le TOR est présenté officiellement comme une course de 330km et 24000m de dénivelé positif. Sauf que, première blagounette lorsqu’on reçoit la dernière mise à jour du roadbook détaillé (issu de la trace GPS) quelques semaines avant la course : elle indique une distance de 348km, et 31 000m de D+ !!! Bon certes, on peut dire qu’à ce niveau là on est plus à 7000m de dénivelé près… mais en fait si quand même :D
Avant la course
Je m’étais préparé depuis plusieurs semaine à cette épreuve, notamment au niveau de matériel à emporter, que ce soit mon équipement à moi, le sac de course ou le sac d’allègement (qui est transporté de base vie en base vie pendant l’épreuve), avec une organisation et un classement de chaque élément très rigoureux. Première déconvenue lorsqu’on arrive pour aller retirer nos dossards : le sac d’allègement me semble ridiculement petit, et je suis donc contraint de me séparer d’environs un tier de mon matériel pour que tout rentre. Au final, à part le casque anti-bruit et les lingettes, peu de choses m’auront réellement fait défaut. On emmène toujours beaucoup trop, au cas où ! Seconde contrariété, la balise GPS qui m’est fournie (celle que je porte en permanence sur moi, et qui permet à l’organisation mais surtout à l’entourage de me suivre – ayant donné le lien du suivi live à la terre entière) n’a que 5% de batterie. J’arriverai à la faire échange en cours de course, mais elle ne fonctionnera pas toujours très bien pour autant, ce qui vaudra quelques frayeurs à ceux qui me suivent sur la dernière journée de course. Troisième contrariété de dernière minute, mes bâtons soi-disant pliables sont grippés, et ne se plient plus (alors que j’ai pris l’habitude de les ranger systématiquement dans les grosses descentes, histoire d’avoir les bras libres et de n’avoir à me concentrer que sur mes jambes).
C’est donc un peu ronchon que je retrouve mes compagnons de course sur la ligne de départ : j’aurais bien aimé un démarrage de course un peu plus serein. Heureusement, j’ai 150h devant moi pour retrouver un peu de bonne humeur.
Mes compagnons :
J’y retrouve Éric, un ultra trailer rencontré en 2012 sur l’Ultra Mitic, et qui malgré son physique de pétanquiste doit enquiller plus d’ultra trails en 1 an que moi en 10 :D
Et puis il y a évidemment Corentin, mon pote de trail et de rugby, mon coéquipier de PTL avec qui je suis venu jusqu’à Courmayeur.
Et enfin il y a ma pote Chouf, ma petite Chouf, rencontrée l’année dernière sur l’Echappée Belle, et qui grâce à sa joie, son enthousiasme et sa bonne humeur inoxydables m’avait permis de vivre une des plus belles courses de ma vie.
Je suis bien tenté d’essayer de faire la course avec Corentin, mais je me méfie du lascar : il est beaucoup trop affuté, et malgré ce qu’il peut en dire (« oui oui on va partir doucement, il faut gérer l’effort sur la durée »), je pense que je risque insidieusement de me mettre dans l’orange puis le rouge si je cherche à le suivre.
Je décide donc de partir avec Chouf et de courir au moins une ou deux journées avec elle (qui a un rythme un peu plus lent), histoire de me raisonner et de ne pas me cramer trop vite comme j’ai pu le faire sur d’autres courses. Finalement, ce n’est pas juste un ou deux journées que je vais passer avec Chouf, mais chacune – ou presque des 150h de ce TOR des Géants, du départ jusqu’à l’arrivée. Non seulement nos rythmes de courses sont finalement assez proches (je suis plus rapide en montée et elle en descente mais l’ensemble s’équilibre plutôt bien), mais surtout notre entente est absolument parfaite, son mental d’acier ne flanchera à aucun moment, et son optimisme et sa fantaisie contribueront à faire de chaque moment de cette course un vrai plaisir. Chouf, si un jour je choisis de faire le tour du monde en Moonwalk, je veux que tu sois ma coéquipière !
Le départ est donné le dimanche 12/09/2021 à 12h, et nous voici donc partis, Chouf et moi, à un petit train de sénateur, pour une balade de 7 jours et 6 nuits dans les montagnes italiennes.
Une course contre la montre.
Le compte à rebours est initialisé à 150h. Sur le TOR, on doit marcher et courir avant tout, manger, dormir, plus un certain nombre de petites activités qui peuvent prendre énormément de temps (réparer les bobos, mettre les fringues et les enlever – chose que l’on faisait au moins 40 fois par jour, faire le plein de tout aux bases vie) mais aussi envoyer des news aux proches qui suivaient la course, prendre quelques photos, se laver. A la fin, le temps de sommeil devient la variable d’ajustement. On a rapidement compris que chaque minute passée à ne pas courir était une minute de sommeil en moins, et plus la course passait, plus on se concentrait uniquement sur les tâches vitales. Pour autant, le sommeil sera toujours resté bien malgré nous le parent pauvre de cette agenda quotidien : Au final, j’aurai dormi moins de 7h, en 7 jours et 6 nuits de course !!! J’ai encore du mal à croire que ce soit humainement possible …
Conditions pour dormir
Il faut dire que rien ne nous aura facilité la vie pour augmenter le nombre d’heures de sommeil au compteur : Tout d’abord, cette année contrairement aux précédentes, les nombreux refuges hébergeant les ravitaillements n’étaient pas autorisés à laisser les concurrents dormir, pour des raisons sanitaires liées au covid. Une bonne majorité s’y sont tenus à la lettre, laissant parfois les pauvres concurrents somnoler sur un banc ou une table dans un chapiteau mal chauffé, bruyant et bondé (si si, c’est beaucoup mieux pour le respect des règles sanitaires). Quelques refuges laissaient quand même dormir les concurrents dans les dortoirs, mais nous n’avons jamais pu en profiter : soit parce que ce n’était pas le bon moment, soit parce que le chrono ne nous laissait pas ce luxe.
La solution officielle pour dormir durant la course était d’aller se coucher sur les lits de camps mis à disposition dans les 6 bases vie jalonnant le parcours (donc grosso modo, une occasion de dormir toutes les 24h – et qui ne coïncidait pas forcément avec une période de nuit).
Et là, je dois dire que je peine à comprendre comment l’organisation à pu négliger à ce point le besoin de sommeil, qui semblait plus être considéré comme un élément de confort supplémentaire que comme un besoin vital : le bruit dans les dortoirs étaient incroyable : entre ceux qui préparent tout leur sac et leurs affaires dans le dortoir à grand renfort de bruissement de sacs plastiques et de fermetures éclairs, ceux qui ronflent à en faire trembler la structure du chapiteau, ceux qui s’interpellent et se racontent à haute voix les exploits de la journée, l’équipe des kinés chez qui l’ambiance était plutôt festive… Les heures allouées au sommeil dans ce type d’épreuve valant de l’or, je pense qu’il aurait fallu que l’organisation impose une rigueur germanique quant au respect du silence dans les dortoirs (ce qui était parfois l’exact opposé).
Hallucinations et déconnexion
Si le manque de sommeil ne s’est pas trop fait ressentir durant les premières journées et nuits, les dernières furent plus difficiles. Plus le temps passait et plus les organismes étaient à bout. Plus on trouvait des coureurs affalés dans les ravitaillements dans des positions improbables, à dormir par terre, allongés sur les bancs, ou assis adossés à un poteau. La dernière nuit fut celle de tous les délires. J’ai vu un coureur redescendre toute une pente parce que selon lui les fanions fluorescents indiquant le chemin n’avaient pas les mêmes marquages que d’habitude. J’ai suivi un autre coureur en train de tituber dans un village, il s’arrêtait à chaque fanion pour mettre son nez dedans et respirer son parfum comme si c’était une fleur, puis faire demi-tour car il n’avait pas trouvé le bon. J’ai vu des coureurs affalés dans l’herbe humide sur le côté du chemin, n’ayant même pas eu la force de déplier leur couverture de survie pour être un peu plus au sec.
Moi-même j’ai dû affronter de longues périodes où je devais lutter chaque seconde pour ne pas céder à la tentation de m’allonger par terre et simplement me laisser aller. J’ai eu aussi ma période d’hallucinations, où je voyais constamment des gens, des familles, des spectateurs, sur les côtés du chemin et dans les rues des villages que l’on traversait (qui étaient évidemment déserts), j’ai même réussi à voir un éléphant et un ours sur un parking :-D
La pire période a été celle de la déconnexion, au matin du septième jour, jusqu’à ce que je voie enfin le soleil en face et qu’il remette de l’ordre dans mon cerveau. Durant cette période de 2 ou 3 heures, je ne savais plus quel était mon nom, ce que je faisais là, qu’il y avait une course en cours. Je ne savais pas où j’allais ni pourquoi j’y allais. La seule chose que je savais, c’est que je devais suivre cette fille (Chouf) qui avançait devant moi, sinon elle n’était pas contente. Heureusement qu’elle était là, sinon je crois que j’aurais pu faire absolument n’importe quoi.
Si un jour je dois m’inscrire de nouveau à une telle course (pitié, dissuadez-en moi svp :D), je m’obligerai à dormir au moins 2h par nuit (à partir de la 2nd), quelles qu’en soient les conséquences sur le chrono. Je ne veux pas courir de nouveau un tel risque.
L’alimentation
Le long du parcours, sont répartis 6 bases vie ainsi qu’une quarantaine de ravitaillements : pour le coup c’est plutôt pas mal, on ne s’est jamais retrouvés pendant plus de 10km sans de quoi faire le plein de carburant. J’ai été plutôt agréablement surpris lors des premiers ravitos par leur contenu : il y avait toujours des aliments sucrés, salés (très important le salé dans une course comme celle-ci !), et un « plat » chaud type bouillon et/ou pâtes. Sauf que l’on a rapidement compris que tout avait été commandé en très grosse quantité répartie sur tous les ravitos, et que l’on allait avoir strictement le même contenu à manger pendant toute la course. Au bout du 10ème ravito, je commençais déjà à me lasser des pasta al pomodoro. Au bout du 40ème …
Quelques chouettes surprises cependant comme ce ravito absolument au milieu de nulle part, où d’infatigables bénévoles faisaient griller des ribs et autres saucisses sur un barbek géant alors qu’il pleuvait depuis des heures. C’était juste divin. Et puis ce camp de pirates installé encore 10km plus loin, toujours dans un coin complètement inaccessible. Il y régnait une vraie ambiance de fête, et je me demande toujours pourquoi ils s’étaient faits suer comme ça à ramener une énorme cuisinière en fonte. Peu importe, la polenta au four qu’ils en sortaient faisait chaud au cœur et à l’estomac.
De manière générale, difficile de reprocher quoi que ce soit à l’armée de bénévoles qui animaient tous ces lieux de vie : ils étaient tous plus serviables, souriants et encourageants les uns que les autres. Grazie Mille évidemment !
Les paysages
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on en a vu passer du paysage, A toute heure du jour, de la nuit, au lever du soleil : des pierriers, des vallées, des cascades, des parties minérales, des herbages, de la forêt, des petits villages pittoresques, et puis des bouquetins, des marmottes, des troupeaux de vache squattant inexorablement le sentier.
Parfois lorsqu’on est dans le dur dans un ultra, on n’a plus la force de profiter des panoramas, toute l’énergie étant happée par la douleur ou la fatigue. Je peux dire que j’ai eu l’immense chance de réussir à apprécier le cadre exceptionnel dans lequel j’évoluais du premier au dernier (ou disons l’avant dernier) jour de la course, et à mesurer la chance que j’avais d’être là et de vivre cette aventure. Et ce spectacle permanent était d’autant plus apprécié qu’il était partagé à chaque instant avec ma coéquipière.
La blessure, le doute, l’envie d’abandon.
J’ai été épargné pendant très longtemps par les blessures et les douleurs durant la course. Le sixième jour (le vendredi), je me sentais encore en pleine forme (excepté le gros manque de sommeil). Les jambes allaient bien, le moral aussi. Et puis j’ai commencé à sentir une douleur dans le quadriceps gauche en descendant de la fenêtre du Tsan, douleur qui a très vite pris de l’ampleur, me rappelant un bien mauvais souvenir : une déchirure musculaire que je m’étais faite lors de l’ultra trail du Vercors, il y a quelques années. A l’époque, je n’avais rien lâché et j’avais encore couru 60km sur cette blessure, qui avait mis ensuite plus de 6 mois à disparaitre totalement. Cette fois-ci la situation était pire : il me restait encore 80km à parcourir, et surtout encore 8000m à descendre, alors que la marge sur la barrière horaire était de plus en plus réduite à chaque point de passage. Je serrais les dents mais chaque pas en descente me provoquait une décharge électrique dans la cuisse gauche. Je mettrai un temps infini à arriver au ravitaillement d’Oyace où m’attendait déjà Chouf depuis un certain temps. J’étais découragé, abattu, j’avais envie d’arrêter. Elle parvint à me convaincre de continuer jusqu’à la prochaine base vie, où je pourrai voir un médecin et me faire strapper. Les 1500m de descente jusqu’à la base vie suivante furent une autre partie de mon calvaire, durant lequel je testerai toutes les techniques possibles pour courir en descente avec une jambe qui ne plie plus. A l’arrivée à la base vie, re gros coup de mou. J’avais prise tellement de retard que je n’aurai pas le temps de dormir cette nuit-là, et je ne voyais absolument pas comment je pourrais me sortir de cette situation. Mais je parvins à me faire strapper la cuisse par une kiné qui semblait savoir ce qu’elle fait. Et puis j’avais toujours dit à ceux qui étaient prêts à renoncer que les miracles existent en ultra trail, qu’il faut savoir être patient le temps que l’orage passe. C’est donc en comptant sur un miracle que je repris le chemin avec Chouf pour ces 24 dernières heures de course. L’interminable descente du Col de Champillon m’apportera encore sont lot de douleurs et de doute, sachant que si j’en restais à cette vitesse d’escargot, je n’avais aucune chance de finir la course dans les temps. Mais à chaque instant où le renoncement était proche, un élément extérieur viendra rallumer le petit espoir qui restait enfoui au fond de moi et que l’épuisement m’empêchait de voir, et me poussera à poursuivre la course encore quelques kilomètres plus loin, au cas où.
L’arrivée
Et puis le miracle se produit. Après la descente de l’enfer, la pente devient plus douce. Le strap aura empêché que la blessure ne s’aggrave, et la jambe gauche retrouve même un peu de mobilité. Je parviens de nouveau à courir sur le long faux-plat descendant, faisant significativement remonter la vitesse moyenne. Je retrouve au ravitaillement suivant Chouf qui avait pris de l’avance depuis 6 – 7h. On refait les calculs, et on s’aperçoit que la fameuse dernière barrière horaire semble finalement accessible. Chouf aura eu aussi de nombreux moments de moins bien, de découragement durant la course, mais là cette fois c’est elle la solide de l’équipe, et elle reprend la tête de note équipage, intransigeante et surmotivée, et malgré les phases d’hallucination et de déconnexion du petit matin, le rythme est bon. On arrive finalement dans la matinée du samedi à la dernière barrière horaire du refuge Frassati, soulagés, infiniment heureux, et avec 1h d’avance. Avant derniers de la course, mais ça n’a vraiment aucune importance.
Reste encore les 20km et 2300m de D- jusqu’à Courmayeur, mais là il n’est plus question de réfléchir ou de douter. On oublie tout, les douleurs à la cuisse, les ampoules aux pieds pour moi, les problèmes d’estomac pour Chouf, et on dévale aussi vite que possible cette descente sans fin. Sur le parcours, on se fait en permanence doubler par les concurrents du 30km, partis derrière nous, et qui nous gratifient de « grande », « bravissimo », « dai dai dai ». Même les coureurs de la tête de course semblent impressionnés par notre parcours et nous encouragent chaleureusement.
L’arrivée dans Courmayeur est simplement magique, irréelle. Nous sommes quasiment les derniers, et pourtant le public nous encourage et nous porte comme si nous étions en train de gagner le Tour de France. Encore quelques centaines de mètres dans les rues piétonnes de la ville, les gens nous acclament, nous tapent dans la main. La ligne d’arrivée en vue, nous sommes encerclés par une dizaine de danseurs folkloriques qui nous accompagnent jusque sous l’arche dont nous avions tant rêvés. Ça y est ma Chouf, on l’a fait, nous sommes finishers de TOR des Géants, nous sommes des Géants !
1 commentaire
Commentaire de JuCB posté le 24-09-2021 à 05:00:27
Juste dingue : partir en mode Jalbhac sur le TOR. Totalement incroyable !!
C'est génial que vous ayez affronté ce monument ensemble. Bravo. Tu peux baronner tranquille !!! Bonne ET longue récup.
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