Récit de la course : SwissPeaks Trail - 170 km 2020, par Zorglub74

L'auteur : Zorglub74

La course : SwissPeaks Trail - 170 km

Date : 3/9/2020

Lieu : Le Bouveret (Suisse)

Affichage : 2658 vues

Distance : 160km

Matos : quelques paires de baskets, des T shirts, des shorts plus ou moins long et tout le reste

Objectif : Se défoncer

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Swisspeaks 160 - Une découverte du Valais Suisse pourtant tout proche

Après l'annonce de l'annulation de l'UTMB auquel j'étais inscrit je me suis tourné vers cette petite ballade qui restait proche de la maison et qui avait sensiblement le même format.

Les lectures des différents récits des quelques éditions des années précédentes plus ou moins tronquées à cause de la météo indiquaient clairement que le parcours était sensiblement plus velu que celui de la Grand'messe et que l'encadrement était particulièrement plus light… un peu d'aventure quoi.

Au moment de l'inscription j'espérai encore faire le Tour des Fiz comme entrainement de milieu d'été mais celle-ci a également été annulée. L'entrainement a donc consisté en des sorties au Salève, quelques rando-courses matinales dans les aiguilles rouges, de grandes ballades pyrénéennes durant l'été agrémentées de quelques cols à vélo. Bref un joli mixte pas trop structuré avec du volume, du plaisir, de jolis paysages et une cheville gauche retournée deux fois de suite en fin de printemps.

Je me suis finalement rassuré moins de 15 jours avant la course avec un aller-retour rapide à la Jonction suivi le lendemain d'une belle journée brouillardeuse et bruineuse à souhait autour des Aiguilles Rouges (50 km – 3800 m et 10h). Rassuré car effectué sans trop de douleur, inquiet car ne représentant qu'un petit tiers du projet à venir.

C'est donc en toute humilité que mon plan de course jeté sur le papier est passé progressivement de 30h à 33h puis 36h voir même une option survie de 38h. En sachant qu'en 2015 j'avais fait l'UTMB en 30h30 je me rendais bien compte que la première marque représenterait un bel exploit 5 ans plus tard tout en espérant arriver tout de même avant la nuit au Bouveret.

Départ du fond du Val d'Hérémance au Sud de Sion et arrivée au Bouveret au bord du lac Léman

Avec un départ prévu à 10h00 du pied du barrage de la Grande Dixence les étapes principales étaient les suivantes pour une course en 33 ou 38 h:

Plampro : 22 km 13h30 ou 14h00

Champex : 52 km 19h00 ou 20h15

Finhaut : 73 km 23h00 ou 1h15

Barme : 103 km 4h30 ou 7h30

Morgins : 127 km 12h30 ou 16h45

Blansex : 150 km 15h15 ou 20h00

Le Bouveret 167 km 19h00 ou Minuit

Et pour une fois j'ai imprimé le profil de la course avec tout un tas de renseignements intermédiaires (temps, altitudes des points principaux, distances intermédiaires, premiers 1/3 jusqu'à Champex, moitié à Salanfe, deuxième 1/3 à Morgins…)

J'ai largement profité de la présence de ma fille en tant qu'assistante de luxe pour prévoir une énorme quantité de matériel pour des changements réguliers de tenue (4 paires de baskets, autant de chaussettes, du long, du court, des gels à profusions, du chaud pour la nuit…) et pour contenir mon matériel en course plutôt que le mini sac salomon j'ai préféré mon vieux sac lafuma orange DDE utilisé sur les montagn'hard et qui peut être rempli et vidé sans trop réfléchir avec un camel back en plus des deux bidons optionnels sur les bretelles. Au diable le petit surplus de poids.

Avec le dossard n° 522 (début à 500) j'étais théoriquement placé dans le groupe de celles et ceux qui seraient devant. Mais une rapide analyse des forces en présence avec les cotes ITRA des meilleurs m'a montré qu'il ne fallait absolument pas essayer de partir avec les deux premières femmes nettement meilleures mais qu'avec un peu d'espoir le podium des vieux était à portée de main… Juste pour me mettre une saine pression sur les épaules après deux courses récentes bien foirées :

la montagn'hard de 2018 (anniversaire des 10 ans) où j'ai abandonné par manque d'entrainement et douleurs aux genoux du côté des pentes du Joly puis le 90 km du Mont-Blanc l'année dernière où en voulant jouer au plus léger et en partant à sec et trop vite derrière la petite chinoise j'ai fait un véritable yoyo avec l'hydratation qui m'a finalement séché aux Bois.

Avec Audrey nous avons récupéré le dossard au Bouveret le mercredi soir après le travail puis sans nous attarder nous avons remonté la longue vallée du Val d'Hérémance jusqu'au pied du barrage de la Grande Dixence. L'hôtel situé au-dessus du parking servait de base-vie pour les concurrents de la course des "adultes" (320 km depuis le glacier d'Aletsh) partie lundi à minuit et ayant connue des conditions météorologiques plutôt hivernale… Nous ne sommes que des adolescents avec notre coursette de 160 km qui démarre en plein jour et dans des conditions idéales de fin d'été.

Le soir au pied du barrage de la Grande Dixence, la neige tombée en début de semaine n'est pas très loin

Après un bon repas d'avant-course (röstis + sardines à l'huile + petite bière) je fini de préparer mon sac et les nombreux sacs suiveurs qu'Audrey m'apportera aux nombreux points où l'assistance est autorisée. La fin de nuit complètement dégagée avec une magnifique pleine lune est bien fraiche (3 degrés) et je suis content que le départ ne soit qu'à 10h00 ce qui permet de rester bien au chaud dans le T4 jusqu'à 30 mn du départ sous un immense ciel bleu.

Le Val d'Hérémance et les sommets vaudois en rive droite de la vallée du Rhône au petit matin

 

Petit peloton oblige c'est en toute tranquillité que l'on se place sur la ligne pour écouter les derniers conseils. Il y a moins d'émotion que sur un départ de grande course mais c'est peut-être mieux ainsi. En guise de musique de départ nous avons droit à une petite vidéo du Ménestrel, un coureur qui fait des ultras avec son ukulele et qui était sur le 360 l'année dernière.

Un peloton de 330 personnes au pied de la base vie de la Grande Dixence pour un départ masqué

A 10h00 nous sommes environ 300 à nous élancer encore à l'ombre du barrage mais nous rejoignons vite le soleil sur une piste 4x4 suffisamment large pour que le peloton s'étire tranquillement. Le court échauffement d'avant course à près de 2000 m d'altitude n'a pas été suffisant et je sens les jambes bien lourdes ainsi que le souffle un peu court pour avancer efficacement sur cette portion roulante. Rapidement je me laisse doubler par les plus vaillants tandis que la tête de course est déjà quelques virages plus hauts.

Arrivé sur le barrage et ne me sentant pas dans la meilleure forme je sors donc déjà le téléphone pour quelques premières photos que j'envoie à la famille et aux collègues du boulot… c'est peut-être un bon moyen pour me ralentir un peu et éviter le surrégime en suivant un rythme trop soutenu au départ.

Le lac de la Grande Dixence

 Les jambes sont dures de cette première montée à froid mais la journée s'annonce magnifique

Je me laisse donc doubler le temps d'envoyer quelques messages et je reprends en légère descente avant l'ascension proprement dite du premier col de la journée, celui de Prafleuri qui culmine à 2940 m.

Le vallon menant au col de Prafleuri

En remontant tranquillement en mode rando rapide coureur après coureur je parviens jusqu'à la hauteur de Manu (Elnumax) avec qui nous discutons tranquillement tout en admirant le paysage qui s'ouvre devant et derrière nous (Montfort, Rosablanche, Pigne d'Arolla…).

La Rosablanche et le glacier de Prafleuri, nous aurions dû passer dans le secteur en avril lors de la PDG malheureusement annulée

Derrière ce premier verrou nous pénétrons dans le monde minéral qui est recouvert par une fine couche de neige tombée en début de semaine dans la zone du col.

Le Grand Désert saupoudré de blanc devant le Mont Fort

La progression en courant n'est pas évidente mais pas impossible non plus en se concentrant bien. Le ravito prévu avant d'attaquer le col de l'Ouvie n'existe tout simplement pas, mais ce n'est pas grave car j'ai suffisamment d'eau pour atteindre Plamproz. Dans cette section un peu technique pour remonter au col je pensais que Manu allait rapidement me rejoindre mais je ne le vois plus derrière moi et j'attaque donc tranquillement la descente derrière des petits groupes de quelques coureurs.

Au Col de l'Ouvie, vue sur le massif des Combins à gauche et avec les Grands Jorasses et le massif du Mont Blanc au fond

On commence par un joli cahot de gros blocs avant une longue traversée plus roulante avec le massif des Combins en toile de fond, c'est splendide.  Je me sens bien et rattrape un peu de monde dans les longues traversées jusqu'au-dessus du lac de l'Ouvie avant de me caler tranquillement derrière un gars qui descend bien jusqu'au lac puis à la queue d'un groupe de 3-4 pour la descente nettement plus raide qui plonge vers la vallée et le ravitaillement de Plamproz.

 

Plongée vers le val de Bagne après le lac de l'Ouvie avec le massif des Combins en toile de fond

Sur cette portion j'ai conscience de descendre un peu plus vite que prévu mais c'est tellement agréable de n'avoir qu'à suivre en se laissant trainer par l'allure du groupe que je ne boude pas mon plaisir. Juste avant la route je croise un copain qui remonte la course à la rencontre d'un héro du 360… Au ravito les mesures COVID ne sont pas si lourdes que cela, il faut juste sortir le bol plastique pour que les bénévoles puissent mettre dedans ce que l'on désire (lard cru, pain, fromage, pastèque, …) je retrouve Audrey ce qui me permet de changer une première fois de chaussures tout en assistant à l'intermède ukulele du ménestrail (Philippe Genevaux) qui arrive quelque temps après mois et qui offre ses notes et sa bonne humeur aux bénévoles.

J'en profite bien et prendre un maximum de plaisir sera désormais le mantra à suivre tout au long du chemin.

La remontée sur l'autre versant est d'abord assez brutale, nous avons quitté l'univers minéral de la haute montagne pour des bois plus humides sur 700 à 800 m avec un petit sentier bien raide qui me convient tout à fait avant de déboucher vers la cabane Brunet sur des alpages et une vue dégagée sur le Mont Fort, le Bec des Rosses et la station de Verbier.

Regard en arrière vers Fionnay dans le val de Bagne depuis les environs de la cabane Brunet

Le mode rando dans les pentes raides me convient bien et je grimpe cette portion en rattrapant quelques coureurs du 360 avant de refaire le les niveaux d'eau au bassin à Brunet. Nous sommes de nouveau dans les alpages et j'avais repéré cette partie nettement plus roulante où j'alterne marche rapide et relance en compagnie d'un alsacien que j'ai rattrapé et qui n'a déjà plus le goût d'aller jusqu'au bout de l'aventure.

Les alpages après la cabane Brunet

Sur cette partie en balcon très plaisante nous rattrapons en peu de monde et arrivons à la cabane de Mille placée sur un balcon entre le Val de Bagnes que nous quittons et le Val d'Entremont qui mène au col du Grand St Bernard.

 

La cabane de Mille et son balcon devant le massif du Mont-Blanc (des Grandes Jorasses à gauche au second plan au Chardonnay)

La vue sur les premiers sommets du massif du Mt Blanc est superbe  (Aiguilles du Tour, d'Argentière et Dolent qui marque le triple point frontière; ce sont des coins où je promène mes spatules en hivers et que je connais bien alors que les sentiers que nous parcourons me sont totalement inconnus…). Pour l'heure je rempli mon camel et un bidon, fais un petit mélange de fuits secs, pain et charcuterie et m'installe quelques minutes dans un transat au soleil avant de repartir seul vers la crête qui mène du Mont Brûlé vers le Six Blanc. La descente qui suis est très longue et de plus en plus raide au fur et à mesure que je me rapproche de la vallée en aval d'Orsière.

Depuis le Mont Brûlé la vallée d'Orsière et le col de Champex au permier plan et l'envers des aiguilles du Chardonnay et du Tour au fond

Je progresse tout seul et double de plus en plus de concurrents du 360 pour qui la route commence à être longue. J'arrive finalement au fond de la vallée en même temps que le soleil se couche, 1800 m de descente c'est quand même long et cela fracasse quand même un peu les jambes.

La remontée sur Champex se fait avec une fraicheur bienvenue, j'arrive à bien relancer en trottinant un peu sur les quelques faux-plats et je rejoins mon alsacien avec qui nous reprenons notre discussion interrompue. Lors de ma dernière montagn'hard (celle des 10 ans) où j'avais préféré bifurquer à droite à l'épaule du Joly pour retrouver la douceur de St Nicolas de Véroce plutôt que d'affronter la longue nuit dans la pampa du Beaufortin il était devant moi et a également abandonné  alors qu'il était 5e quelque part au fond de la vallée des Contamines… comme quoi les jambes avancent mais la tête commande. Pour l'heure il désire toujours s'arrêter après la fenêtre d'Arpette qu'il n'a jamais franchie, je lui suggère de pousser au moins jusqu'à Finhaut. Je le laisse à quelques encablures sous Champex et me remets à courir en arrivant vers le Lac. J'ai la bonne surprise de trouver là Danièle une collègue de travail venue tout exprès de Lausanne pour me voir passer et m'encourager, cela fait chaud au cœur. Elle commence à m'accompagner le long du lac lorsque j'aperçois Audrey qui profite des tous derniers rayons du soleil en grande discussion avec des randonneurs qui font le tour du Mont Blanc.

Elles partent donc toutes les deux en voiture jusqu'à la base vie du Val d'Arpette située 150 m au-dessus du village que je rejoins en longeant un bisse dont la température rafraichit bien l'atmosphère. Je suis encore en forme tout en pensant que sur l'UTMB il ne me resterait à ce point qu'un gros marathon alors qu'aujourd'hui je n'ai fait qu'un gros ¼ ou un petit 1/3 de la distance et qu'il me reste pas loin de 3 marathons.

Il n'y a pas trop de monde à la base vie, j'en profite pour manger une bonne assiette de riz mouillé avec du bouillon, enfile un TShirt manches longues mais reste en short car il ne fait pas encore trop frais. Je repars bien ragaillardi par la présence d'Audrey et Danièle pour remonter le long val d'Arpette et essayer de franchir le col avant la nuit. Les premières centaines de mètres en fond de vallée sont bien fraiches et je sors mon sweat, le bonnet et les gants pour pouvoir me réchauffer avant de nouveau tout ranger dans le sac une fois quittée la fraicheur du torrent et alors que la pente s'accentue. Je me félicite d'avoir pris un sac suffisamment grand duquel je puisse sortir et rentrer facilement le nécessaire. Je n'ai personne devant moi ni derrière et espère encore atteindre le col avant qu'il ne fasse noir, mais l'ascension est vraiment longue et je vois quelques lampes qui s'allument au-dessus de moi. Je sors finalement ma frontale alors que les gros blocs sous le col remplacent le sentier facile et rattrape quelques "adultes" du 360.

Juste sous la fenêtre d'Arpette, les dernières lueurs sur les Alpes valaisannes

Au col je prends le temps de ranger les bâtons et de répondre aux questions d'un caméraman qui ne doit pas voir grand-chose dans le noir puis je m'élance dans la descente d'abord un peu technique pour rejoindre Trient. Je double un peu de monde (360 et 170) sans trop distinguer qui est qui. Je n'ai pas sorti la grosse frontale que je réserve pour plus tard et malgré la lumière moins intense de cette vieille Spot je me fais plaisir à courir sur ces sentiers raides et caillouteux avant de rejoindre la route qui mène à Trient. Le ravito qui n'est pas comme prévu à la cabane du Glacier mais plus bas me semble bien loin mais j'arrive encore à bien courir. Placé juste en amont du village du Trient cela a permis à Audrey d'arriver directement en voiture. Elle m'y attend avec Rafal, un autre collègue venu lui aussi tout exprès de Lausanne pour me voir 10 mn (il fera le marathon dimanche).

Au menu de ce ravito exprès situé en plein air et donc un peu frais : lard, fromage, pain et remplissage d'une bouteille de coca-eau pour me rafraichir. Cela fait du bien d'avoir un peu de monde avec qui discuter des impressions du moment et plaisanter sur le chemin restant à parcourir, surtout de savoir qu'elle sera encore là à Finhaut juste avant la longue nuit en montagne. Je reste en short, ne m'attarde pas et repars seul les bâtons toujours accrochés sur le sac pour une petite montée bien sanglier dans la forêt de Tête Noir qui domine la route qui va à la frontière. Toujours personne devant ou derrière sauf dans la descente où je rattrape deux gars avant de croiser la route principale et de m'enfoncer dans la profonde vallée creusée par les torrents de Trient et des Eaux Noires. Il n'y a que le train à crémaillères qui puisse circuler dans cette vallée étroite entre Finhaut et les Marécottes puis la vallée du Rhône; la route passe par Trient et le col de la Forclaz avant de rejoindre la vallée du Rhône à Martigny. Le sentier devient moussu et bien humide au fur et à mesure de la descente avant de remonter très raide une fois les deux torrents franchis. Je fais cela sans bâtons en me disant que c'est un bon moyen de ne pas être en surrégime avant la nuit. Certains dans l'organisation considère que cette zone a des petits airs de Réunion … en pire… Je n'ai pas d'avis n'ayant pas encore fais l'expérience de la Diagonales des fous même si cette aventure me tente bien, mais sans bâtons c'est quand même un sacré challenge.

A Finhaut Audrey m'attend dans la salle de sport qui sert de base-vie. Quelques coureurs du 360 dorment sur des matelas au bout de la salle.

Je mange bien et me change pour le reste de la nuit dont je crains qu'elle soit très fraiche. Un ¾ pour le bas, un Tshirt manche longue en haut et craignant vraiment le froid j'embarque en plus une doudoune légère (qui restera finalement dans le sac avec le sweat…). Je change également baskets/chaussettes. Audrey m'apporte une aide bien précieuse et prévoit d'aller dormir quelques heures au col de la Forclaz où elle sait pouvoir garer le T4 sans trop de souci. Elle n'est pas certaine d'être au RDV à Barme qui sera tôt demain matin. Je pars donc pour une longue étape sur des sentiers d'abord inconnus jusqu'à Salanfe. Absorbé dans mes pensées sur la large piste 4x4 en sortant de Finhaut je loupe la trace qui part dans le talus à droite et m'en rend compte quelques centaines de mètres plus loin… C'est un bon avertissement, la fatigue aidant on n'est moins concentré sur le suivi des balises et lors de moments d'absence on peut facilement continuer sur des mauvaises traces qui paraissent évidentes. Dans ce cas une seule méthode, revenir sur ses pas jusqu'à retrouver la dernière balise. La montée au col de Fenestral est très longue et très pentue, depuis le plan des marais à 1900 m on sort des bois et cela ressemble au col du Tricot de la TDS en plus sauvage. Je vois devant mois 5 ou 6 lampes qui ne se rapprochent jamais et derrière les lucioles sont également très loin. Finalement je rattrape un gars juste au passage du col sous une nuit étoilée magique. La descente derrière est vraiment très technique dans des gradins rocheux où il y a juste une trace puis par un sentier creux bien mouillé jusqu'à Emaney. Je double un peu de monde sur cette portion toujours sans vraiment savoir s'il s'agit de coureurs du 360 ou du 160, ce sont des ombres avec une lumière sur la tête et la nuit ne prête pas à la volubilité, nous sommes un peu tous dans notre bulle. Par une large boucle au fond de la vallée je remonte jusqu'au col d'Emaney dont la fin est bienvenue car je suis un peu plus dans le dur. Heureusement il fait étonnamment doux et la pleine lune est magnifique. La descente puis la légère remontée le long du lac pour rejoindre l'auberge de Salanfe passent plutôt bien. La base vie correspond à une bonne moitié de la course et les voyants sont encore au vert. Des couvertures placées à l'entrée du sous-sol où se trouve le ravitaillement et un chauffage d'appoint font que je m'y sens bien. L'ambiance est bien moins austère que ce que je craignais sur la base des récits des années précédentes qui passaient là dans des conditions bien plus humides. Tout en discutant avec les bénévoles présents je déguste du fromage de l'alpage voisin et me refait une santé avant d'affronter la fin de la nuit. J'y suis seul, mis à part quelques concurrents du 360 qui dorment derrière un paravent fait de couvertures. Un coureur espagnol dont le frère est sur la grande course arrive au moment où je ressors. La petite italienne est passée là quelques minutes avant mais je ne la vois pas lorsque je remonte de l'autre côté du lac. Le début de la montée au col de Susanfe est plutôt rapide mais je trouve que le col se fait bien attendre alors que le jour se lève. J'y arrive seul dans une ambiance lunaire mais ne m'attarde pas même s'il y fait étonnamment doux et rejoins rapidement le refuge et son point de ravitaillement situé à l'extérieur. Je plains les bénévoles contraints à attendre dans la fraicheur les rares coureurs, je fais le plein des bidons et repars rapidement n'ayant pas envie de me refroidir ici. Je connais ces sentiers pour les avoir parcouru quelques fois soit en direction de la Haute Cime soit lors d'un tour des Dents Blanches au départ de Samoëns.

Au levé du jour, regard en arrièe sur le Pas d'Ancel bien sombre et sinistre au pied du Ruan, gravit par cette face il y a plus de 25 ans

Le précipice qui borde le pas d'Encel ne me surprend donc pas mais il est vrai que sur cette course il y a des passages techniques que je n'ai rencontrés sur aucune autre et dans lesquels il vaut mieux être bien attentif. J'ai un petit coup de moins bien dans la petite remontée avant Barme où je me fais proprement déposer par Jorge Galve le coureur espagnol qui était arrivé juste après moi à Salanfe.

Et c'est avec plaisir que je vois Audrey arriver à ma rencontre sur le replat de Barme.  Dans la rosée matinale je me change complètement tout en dégustant les crêpes préparées à notre attention que je mélange allègrement avec un peu de lard et de fromage. Je retrouve là Giuditta Turini la petite italienne avec sa famille ainsi que Benjamin Hall un coureur australien dont je sais qu'il est vétéran comme moi accompagné par sa femme. Voici deux locomotives potentielles pour la suite du parcours… si je parviens à accrocher mon wagon car pour l'heure arrivés avant moi ils repartent logiquement avec quelques minutes d'avance. Alors que je suis sur la Croix d'Increne juste après le ravitaillement je les aperçois en contrebas, ils ont 4 à 5 mn d'avance. Cette avance reste stable alors que nous remontons vers la Pointe de la Ripaille mais je n'arrive pas à faire la jonction. Alors que nous étions jusque là sur des sentiers plutôt techniques nous abordons maintenant une section de larges pistes 4x4 voir 2x4 à flanc de montagne qui parcourent les alpages débonnaires au-dessus de Champéry sur lesquelles j'ai du mal à relancer alors que devant tout le monde galope.

Les Dents du Midi à gauche devant la Tour Salière et le Ruan depuis les alpages au-dessus de Champéry et des Crosets

En plus je fais quelques photos des vapeurs de brumes s'élevant au-dessus des alpages éclairés par les premiers rayons de soleil sur le fond sombre des Dents du Midi ainsi je suis sûr de ne pas pouvoir les rattraper… La journée s'annonce magnifique, dommage que dans ce secteur des Crosets jusqu'aux Portes du Soleil il y ait ces longues sections de pistes qui contrastent étonnamment avec les sentiers très techniques que nous avions durant toute la nuit. Au ravito des Crosets je retrouve Audrey accompagnée de mon père qui est venu pour la journée. Je m'assieds un moment pour manger quelques pates accompagnées de fromage dans l'herbe à l'extérieur et je repars sur ces pistes que je maudis jusqu'au col des Portes de l'Hiver. Nous ne sommes pas à l'UTMB, la course est peu connue même par les locaux et c'est toujours plaisant d'échanger quelques mots avec les randonneurs croisés durant cette journée en leur expliquant d'où l'on vient et où l'on va… C'est le côté intimiste et sympa de ce type de course. Par contre le fait d'être quasiment en permanence seul sur des distances aussi grande est un peu pesant, je ne me sens pas véritablement en mode course, j'avais déjà connu cela sur la montagn'hard mais le temps de course était moitié moindre. Quand on est pendant des heures d'affilées tout seul on n'a plus vraiment l'impression de participer à une course, même si pour beaucoup se type d'épreuve longue est vécu comme une aventure j'aime quand même bien le côté confrontation compétition et pour l'heure il me manque un peu. Bien sûr on rattrape de temps en temps ceux du 360 mais c'est juste le temps de dire "bravo…bon courage…" et nous ne nous attardons pas, la différence de vitesse de progression reste tout de même important.

L'arrivée au ravito suivant en faux plat le long du Vièze de Morgins est vraiment longue même si la fraicheur du ruisseau et l'ombre des arbres sont bienvenues. Comme aux Crosets il est situé à l'intérieur d'un restaurant mais mesures Covid obligent un seul accompagnant est autorisé alors que je suis le seul coureur dans cette grande salle vide. Je prends donc mon bol de pâtes pour manger sur une petite table à l'extérieur avec mon père et Audrey tout en envoyant quelques photos et lisant les commentaires sur le groupe Whatsapp des suiveurs.

Pose "comme au resto" à Morgins il ne manque que la bière...

Je n'ai jamais été aussi interactif sur une course, c'est une première, d'habitude le téléphone reste rangé dans le sac quasiment en permanence.

L'après-midi est déjà bien entamée et je pense retrouver rapidement Audrey et mon père au prochain ravito après le Bec du Corbeau que je pense être une formalité. Grave erreur… la montée cassante très sèche sur des traces plus que des sentiers dans la forêt est entrecoupée de longues sections plus roulantes à flanc qui semblent nous mener loin du sommet au Nord avant de revenir de nouveau par quelques raidillons et sections roulantes sous le sommet pour une dernière pente bien raide. En plus en débouchant sous le restaurant du Corbeau j'assiste médusé au déversement, par un paysan local manifestement peu enclin au passage de la course à proximité de son territoire, d'un tombereau de fumier en plein sur le chemin qui débouche sous le restaurant. Les déjections fumantes et odorantes recouvrent quelques fanions et m'obligent à me glisser entre le dit tas fumant et malodorant  et la grange voisine….

La vue à 360° depuis le Bec du Corbeau vaut peut-être le détour mais sur le moment je ne suis pas très réceptif à cette plaisanterie d'autant plus que la descente juste derrière est brutale avant de rejoindre des alpages plus agréables à fouler. J'y retrouve Audrey et mon père qui prennent le soleil à côté du VW. Le ravitaillement de Conche au beau milieu des alpages avec lard et fromage local est parfait. Nous discutons tranquillement avec les bénévoles qui sont aux petits soins sans savoir qu'ils ont concocté un dré dans l'pentu bien velu en guise de dessert…. Les 150 m de montée le long du filet du parc à bestiaux est bien senti… ils nous permettent d'accéder à un système de crêtes entre la France et la Suisse qui offrent une vue splendide sur le Chablais à gauche (Mont de Grange, Cornettes de Bises…) et sur la vallée du Rhône et les sommets vaudois que je ne connais pas à droite.

Les Dents du Midi sont bien loins derrière moi désormais, une pensée pour celles et ceux qui sont encore dans le secteur

Les paysages austères et les cols pierreux du début de course sont désormais loin derrière nous. Je parcoure des alpages plus paisibles que je ne connais pas du tout où paissent des troupeaux entre le Morclan, la Pointe des Ombrieux, la Tour de Don, la Tête du Tronchey…

La ligne d'arrivée est en vue, plus que quelques crêtes et vallons boisés

Même la longue descente vers Torgon passe comme une lettre à la poste, sur cette portion j'ai vraiment une pêche d'enfer et c'est avec plaisir que je retrouve pour une dernière fois mon assistante de luxe avec mon père quelques km en contrebas du ravitaillement de Blansex inaccessible en voiture. Ce point de RDV pour l'assistance est autorisé même si comme pour beaucoup d'autres ravitaillement l'accès n'est pas facile à trouver pour l'assistance… une fois de plus la course n'a pas l'aura des grands événements, il n'y a ni flux incessant de voiture ni foule le long des chemins et Audrey a souvent eu un peu de mal à trouver les points de ravitaillements et bases vies….

Nous nous retrouvons de nouveau sur une piste 4x4 pour atteindre le ravito de Blansex qui est bien agréable, j'y mange quelques tranches de jambon cru qui me rappellent celles de la montagn'hard, au soleil la température est agréable et je rejoins rapidement le petit col. S'ensuit une longue descente solitaire dans une forêt de feuillus d'abord agréable mais que je trouve de plus en plus sombre, humide et oppressante au fur et à mesure de la descente. Ce ne sont que des impressions peut-être exacerbées par la sensation d'être bien seul et bien loin des sommets enneigés de la veille mais il commence à me tarder d'en avoir fini. Alors que je remonte vers Taney je croise le compagnon de ma petite italienne qui ayant terminé à la première place du 360 vient tranquillement refaire quelques centaines de mètres de dénivelé pour venir encourager sa chérie vers ce dernier ravitaillement inaccessible en voiture, manifestement elle est juste devant moi (voir capture d'écran live d'un collègue, mais je ne la vois pas...).

L'italienne Giudita est juste quelques virages devant moi avant Tannay mais je ne l'ai jamais vue depuis les alpages des Crosets tôt le matin.

Cette dernière montée en partie sur une piste 4x4 est bien éprouvante mais après un dernier ravitaillement bien convivial j'arrive encore à courir un peu autour du lac pour rejoindre la brèche qui domine la dernière grande descente. Les jambes ne sont plus d'attaque, je ne vois personne devant et il n'y a personne derrière, je trouve cette dernière descente dans les bois vraiment très longue, les dernières centaines de mètres de dénivelé passent lentement, je n'arrête pas de contrôler ce qu'il me reste à faire sur ma montre et quand je pense être descendu de 100 m je n'en ai fait en réalité que 50… je suis désespérément lent. Je m'arrête même plusieurs fois pour faire quelques dernières photos et pisser… preuve que pour une fois j'ai géré l'hydratation de main de maître grâce à mon camel back et aux deux bidons complémentaires.

Plus que 800 m à descendre mais que cette dernière descente était longue....

Je pensais arriver avant la nuit mais les bois sont bien sombres et 1 km avant d'atteindre la route je suis contraint de sortir la frontale.

Enfin j'arrive au bord du lac, je sais que ce dernier km le long du lac peut être long je me force donc à trottiner tout le long encouragés par les convives qui sont attablés sur les terrasses le long de la piste cyclable. A l'arrivée j'ai l'énorme surprise d'y trouver outre Audrey et mon père, ma sœur, mon beau-frère et mon neveu venu tout exprès de l'autre bout du lac après leur journée de travail pour m'accueillir ici. Il y a également Roland un autre collègue de travail et sa femme qui sont là pour me voir franchir cette ligne d'arrivée.

Après presque 35h de course j'arrive bien fatigué, c'est sûrement l'ultra le plus dur et le plus long que j'ai fait (mis à part l'UTMB de 2011 qui nous faisait passer par Martigny mais j'avais fait une pause de 4h à Champex). Pourtant je ne suis pas aussi atteint physiquement que lors des 90 km de Chamonix où le rythme me semble beaucoup plus élevé. Est-ce parce qu'il ne faisait pas trop chaud et que je me suis tout le temps hydraté ? Mais je me suis assez rapidement remis sans trop de grosses courbatures. Comme quoi avec l'âge tout comme le vin je me bonifie.

Les bénévoles ont été aux petits soins à chaque ravitaillement, attentifs à nos petits désirs malgré les contraintes liées au covid; un énorme merci pour leur engagement. En dehors des ravitaillements, c'est très simple il n'y a personne sur le parcours ce qui est tout à fait normal à partir du moment où le balisage est tout à fait correct.

Je suis vraiment content d'avoir terminé cette course quelques minutes derrière la première femme (Manon Bohard longtemps parmi les premiers ayant finalement abandonné c'est l'italienne Giuditta Turini qui gagne). Je suis par contre bien loin du premier vétéran Benjamin Hall que j'avais rattrapé pourtant à Barme en fin de nuit… comme quoi je n'étais pas si rapide que cela sur la deuxième moitié de course. Une douzième place qui fait du bien après mes échecs des années dernières sur ultra et mon tour du Lac du Bourget en demi-teinte en fin d'année dernière.

L'année prochaine ce sera de nouveau l'UTMB avec une grosse envie de bien faire et passer sous les 30h voir sous les 28h histoire de ne pas arriver trop tard dans la nuit pour profiter de l'ambiance sur la ligne.

Je ne reviendrai pas prochainement sur la SwissPeaks car la solitude m'a un peu pesé sur quasiment les 2/3 du parcours ainsi que l'ambiance moins alpine après les Dents du Midi.

Un gros merci finalement à Audrey et mon père mes assistants de luxe ainsi qu'à toutes celles et ceux qui m'ont suivi en direct sur nos petits groupes whatsapp familiaux et professionnels.

Je n'ai fait que quelques photos pour alimenter les conversations au fur et à mesure mais ici il y a une petite vidéo sympa qui permet de se rendre compte des paysages traversés.

Vidéo pour les paysages en mouvement https://www.youtube.com/watch?v=CObuZX1xtxg

 

Pour les statistiques sur la base de ma montre Ambit 2 c'est ici :

Col de Prafleuri : 7.5 km 11h15

Col de l'Ouvie : 10.5 km 12h00

Plampro : 19.5 km 13h30  arrêt 15 mn   prévu 13h30 ou 14h00

Cabine de Mille : 30 km 16h00 arrêt 5 mn

Fond de Vallée en aval d'Orsière : 39.5 km 17h30

Champex : 47.5 km 19h00 arrêt 20 mn   prévu 19h00 ou 20h15 

Fenêtre d'Arpette : 52.5 km 20h50

Trient (Peuty) : 58 km 22h00 arrêt 15 mn

Finhaut : 65 km (pas de signal dans les gorges) 73 km ? 23h45 arrêt 30 mn prévu 23h00 ou 1h15  j'étais très optimiste sur la Fenêtre d'Arpette

Col de Fenestral : 69.5 km 2h00

Col d'Emaney : 79.5 km 3h30

Auberge de Salanfe : 85 km 4h30

Col de Susanfe : 89.5 km 5h45

Cabane de Susanfe 91.5 km 6h10

Barme : 98 km  8h00 prévu 4h30 ou 7h30  j'étais bien optimiste sur les cols de nuit

Les Crosets : 109 km 10h10 arrêt 15 mn

Col des Portes d'Hiver : 112 km 11h10

Morgins : 121 km 12h30 arrêt 20 mn prévu 12h30 à 16h45 

Bec du Corbrau : 126 km 14h00

Conche : 128.5 km 14h30 arrêt 10 mn  prévu 15h15 à 20h00

Ravito privé autorisé au-dessus de Torgon : 140 km 17h00 arrêt 5 mn

Blancsex : 142.5 km 17h40 arrêt 10 mn

Tanay : 148 km 18h50 arrêt 2 mn

Le Bouveret 160 km 20h45  prévu 19h00 à Minuit

4 commentaires

Commentaire de tikrimi posté le 11-10-2020 à 10:02:22

Bravo.
Au niveau des pauses photo, moi je dis que tu bluffes. Il n'y en a aucune dans l'article :D

Commentaire de Zorglub74 posté le 11-10-2020 à 10:43:03

Je n'ai pas encore eu le temps de mettre les photos que déjà le récit a été lu ;-))
Les voici donc je me demande après coup comment j'ai fait pour arriver au bout car à chaque fois j'ai le c.. posé sur une chaise....

Commentaire de jano posté le 12-10-2020 à 12:00:34

encore le mythique lafuma DDE !! enfin de moins en moins orange quand même...

Commentaire de PhilippeG-638 posté le 18-10-2020 à 12:22:35

Félicitations pour ta course !
L'an dernier j'avais adoré cette épreuve (sauf notre départ le soir mais cela a changé pour votre édition) et contrairement à toi c'est cette relative solitude que j'adore même si j'aime beaucoup échanger avec les autres coureurs mais on peut ainsi se concentrer sur soi et profiter comme en égoïste de ces beaux paysages.
Par contre tu connais bien le coin ;-)
Au plaisir...

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