Récit de la course : Ultra Trail du Mont Blanc 2006, par PaL94

L'auteur : PaL94

La course : Ultra Trail du Mont Blanc

Date : 25/8/2006

Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)

Affichage : 3783 vues

Distance : 158.1km

Objectif : Terminer

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Le récit

Desolé pour la longueur mais le document initial etait pour partager ces moments avec les proches et surtout ne pas perdre la mémoire deja fortement elimée. J'ai donc fait un copier collé brut de fonderie.

Je me suis dit que ça pourrait servir pour raviver des souvenirs pour certains, des indications pour d'autres et si ça peut aider à ne pas passer à cote de l'essentiel ca sera toujours ça...

PAL94

UTMB 2006



Il est des mots qu’il nous est donné d’apprendre deux fois.

J’avais appris la déception suite à l’UTMB 2005, j’ai appris durant ma préparation l’enthousiasme l’euphorie, le plaisir, la certitude et pour finir le trac, le doute, l’abattement, la douleur, l’amitié l’émotion et l’accomplissement mais ce que m’a réappris cet UTMB 2006 une nouvelle fois c’est bien l’humilité. Cette humilité que vous impose cette course et qui vous fait vous incliner devant cet ultra comme on le ferait devant un vieux sage tutélaire. Un vieux sage blanchi comme le Mont Blanc et qui, avec cette même imposante sérénité, est là pour vous en apprendre encore plus sur vous-même.

Je ne pensais pourtant pas apprendre quoique ce soit que je ne sache déjà. Tout était bien planifié et prévu pour aller comme sur des roulettes : Dimanche 28 Aout 2005 sortie de la base vie de Chamonix où j’ai récupéré un peu et ruminé beaucoup. J’annonce à PAM ma certitude d’être là l’an prochain et de le finir cette fois. La mort dans l’âme et sous une pluie battante il nous a fallu arrêter à Champex, PAM par tendinite au releveur et moi avec les plantes de pieds complètement fichues. Champex notre objectif initial mais Champex si loin et si proche de Chamonix que le regret est là qui nous taraude. Je compte néanmoins que l’expérience nous servira et j’ai déjà en tête mon entraînement futur. Je vais me le préparer en cette fin d’année pour démarrer, dès passées les fêtes de fin d’année. Je sais qu’il me faut plus de sorties longues et plus de trails d’entraînement pour le dénivelé qui nous manque en Ile de France, trouver des solutions pour mes problèmes digestifs et surtout de pieds. Je me projette dans l’avenir et je me fais un super programme que je partage avec PAM et qui pour moi doit porter ses fruits. On se voit déjà passer la ligne d’arrivée, on a un moral de vainqueur, en béton. On en est sûr : en 2006 on ira au bout !.

En plus un paquet de fous vont nous rejoindre dans cette aventure et celle du 3C : Christian qui se tapera tous les trails de prépa en binôme avec moi, Béa, Jeannot dit Musclor, Pierre Rossi, Cedric, Jean Yves, Gerald, Marc, Jef, José, Sergio et Gilbert. Nous ferons de plus la connaissance en cours d’année D’Irina et de son mari qui eux aussi participeront à l’aventure. Ca va être super tous les copains seront là, ça va être la fête !

De fait je suivrai ce gros programme jusqu’au bout mais j’en verrai la limite pour ce qui me concerne :

Janvier 2006 après les fêtes, c’est parti : retour sur le terrain et entraînement sérieux.
Février ; entraînement suite et 2 semi marathons d’affilée pour donner du rythme (Bullion et Corbeil) malgrè une grosse crêve durant tout le mois.
Mars : Trail des 3 Chateaux 34km 1000d+ (très sympa, beau parcours et belle ambiance)
Avril : Auffargis 53 km 2000d+ (averse et gadoue et soleil pour finir mais sans la rubalise, les organisateurs ont un peu devancé le dé-balisage. Dur car que des petites côtes très sèches).
Mai : Grand raid Dentelles Ventoux 100km 4000d+ : Un nouveau départ pour ce trail et une organisation aux petits soins avec des bénévoles qui cherchent par tous les moyens à vous faire plaisir. A recommander en plus c’est pour une bonne cause la maladie orpheline de la Glycogénose.
Juin : Cro Magnon : 93km 4500d+ : prévu un peu plus mais la neige a contraint les organisateurs a réduire un peu la voilure néanmoins 3 semaines après le Ventoux ça charge quand même les baskets.
Juillet : Le TGV 72 km et 4000d+ : Très belle course sous un super beau temps. Course dont 90% se passe au dessus de 2000 m. Ce sera une galère pour moi l’accumulation couplée au boulot intensif de ces derniers temps et je paye le prix fort : début de mal de montagne, essouflement vitesse d’escargot, suffocation;évacuation hélico.

PAM lui a bien encaissé il est dans une forme éblouissante et l’accumulation que je m’étais programmée pour pallier au manque de dénivelé de nos contrées parisiennes semble lui aller comme un gant.
Christian, avec ses 2 jours d’entraînement seulement par semaine (je ne comprends pas comment il fait), encaisse tout sans problème.


Pour moi c’est une autre paire de manche j’ai vu trop grand ou alors c’est le travail trop prenant ces derniers temps qui m’a fait trop puiser. Il faut dire que comparé à mes deux comparses je fais quelques 20 à 25 Kg de plus (faut se les traîner !). Jusqu’à cette course tout était idyllique, l’enchaînement, l’entraînement, tout passait comme planifié et là patatrac rien ne va plus !
La course finie je rumine ce faux pas en me consolant car pour moi il s’agissait d’un trail d’entraînement. Un test d’effort en hypoxy ne confirme pas une prédisposition au mal de montagne malgré une tendance à la désaturation rapide dont je ne sais ce qu’elle peut donner comme symptome mais le médecin confirme ce qu’avait soupçonné son collegue sur le TGV : j’ai trop tiré sur la corde. Pourtant PAM et Christian ont bien encaissé. Néanmoins je galère pour me remettre de ce début de mal de montagne et pendant 3 semaines je ne ferai presque rien, trop épuisé et dégoûté. Lorsque j’essaye timidement de reprendre un peu plus sérieusement, je tombe sur la canicule de juillet qui épuise le coureur aussi rapidement qu’une pente à 50%. Du coup je reprends du poids supplémentaire, qu’il faudra que je me traîne plus tard.

PAM lui se refait un petit trail de 40 km : il est en pleine forme et je sens que s’il ne s’épuise pas en Août il va nous faire un carton et sûr : il va finir tranquille. Sans problème et je le vois aux alentours des 42h. Lui qui me dit que tout ce qui l’intéresse c’est de finir et que même 45 heures il s’en contenterait. Il se voit même verser une petite larme d’émotion sur la ligne d’arrivée, si il y arrive.

Décidément c’est la série noire : sans comprendre ce qu a pu la provoquée, je me réveille un matin fin juillet avec une entorse au gros orteil gauche, vieux souvenir du passé. Est-ce une partie des suites de la fatigue accumulée ces derniers temps et de l’entraînement trop intensif ? Apres tout il existe des fractures de fatigue pourquoi pas des entorses ? Bref j’essaye un peu de trottiner car plusieurs fois auparavant cette petite douleur était passée comme cela mais ça le fait pas. RDV d’urgence chez mon ostéopathe qui m’a guéri d’un cas similaire sur l’orteil droit. Pas de chance encore une fois, cela semble plus complexe que le cas précédent et mon ostéo favori va partir en congés. Il fait néanmoins ce qu’il peut en me prévenant que cela ne va pas être terrible pendant 15 jours. La course est dans 3 semaine ça promet !

Dernière sortie longue (la première depuis le TGV) avec les copains sur la Bièvre. 3 heures, la sortie car j’ai été tout le temps derrière dès le départ à me traîner et je les ai retardés. La forme ne revient pas décidément 5 semaines après le TGV !
Comble de joie la dernière semaine de boulot est la plus terrible et j’ai des coups de barre de plus en plus fréquents, je ne tiens vraiment pas la grande forme. Sur les conseils de mon collègue je commence une cure spécifique de vitamines et surtout de minéraux rares qui semble donner un léger mieux quand je pars en congés.
Départ en congés enfin mais en retard c’est maintenant la voiture qui a des misères et changement des roulements en catastrophe. Nous voilà enfin en vacances et Laurence autant épuisée que moi, commence juste à souffler.

Passage à la fête super réussie de Jean Yves et de Brigitte où je retrouve nos amis trailers à l’exception de Christian embolisé et réquisitionné par son travail. On est tous contents de se revoir et surtout de faire plaisir à Jean Yves et Brigitte qui se sont mis en quatre pour recevoir près d’Annecy famille et Copains. De fait nous passerons une super soirée en leur compagnie.

Pam lui revient d’une semaine de randonnée en Suisse et est en super forme bien qu’il n’ait pas trop goûté le froid en altitude de ce mois d’Août vraiment froid sur toute l’Europe.

Le lendemain c’est à notre tour de partir en randonnée en Vanoise question de se re-acclimater à l’altitude et d’éviter ainsi le plus possible les désagréments pendant la course. J’y vais cool car les derniers évènements m’ont amené à la prudence et je me sens encore convalescent. Pour le confirmer un passage sur le balcon Est du tour des Glaciers, m’occasionnera les mêmes symptômes que pendant le TGV. La suffocation, les palpitations et l’abattement sont heureusement vite combattus par une re-descente vers 1500 m d’altitude. Il va falloir y aller mollo !

Malgré des prévisions météo catastrophiques du genre « pluies entrecoupées d’averses » nous avons la chance de n’avoir qu’un après midi de gris avec petite pluie et notre randonnée ne se passe trop mal malgré les inquiétudes que m’occasionne mon orteil. Il me titille toujours un peu en fin d’après-midi. Ca va pour la rando mais pour la course ça risque d’être plus problématique passées les 20h de course. En prévision je prends rdv à distance avec un rhumato. sur Cham’.
En fin de rando on se pose une journée supplémentaire question de souffler à Bonneval sur Arc un des plus beaux villages de France. C’est ainsi un peu revigorés et surtout plus détendus que nous arrivons à Chamonix le mardi soir non sans une dernière galère en voiture sur la nationale coupée à plusieurs endroits.

Mercredi: Attente. Pour moi l’orteil étant toujours un peu enflammé et sensible après 6 heures de marche c’est le passage planifié depuis la Vanoise chez le rhumato-Ostéo. Le toubib que je verrai plusieurs sur la course m’indique que l’UTMB bouscule son agenda et qu’il voit depuis deux jours défiler un paquet de traileurs pour différents petits soucis comme le mien. Après examen sérieux il opte pour une petite inflitration qui calmera deux jours avant le départ la petite inflammation résiduelle sans pour autant « changer grand chose sur vos capacités ou non de faire la course » comme il dit. Je ne suis quand même pas très rassuré : je ne peux pas dire que j’aborde ‘’le sommet des trails d’Europe’’ dans les meilleures conditions : j’ai foiré mon entraînement sur la fin, j’arrive encore un peu fatigué et avec une inflammation à peine guérie. Le moral n’est pas au beau fixe et les encouragements que me prodigue Lolo qui me dit qu’elle est convaincue que je vais finir, n’y font rien. Même si j’essaye de lui donner le change, j’ai le moral en berne.

Jeudi : attente et récupération des dossards. On se retrouve avec Jef Jojo et Pam. Je croise José aux dossards il est bien mais n’est pas trop sûr de savoir jusqu’où il va pouvoir aller.
Tiens ! en me promenant aux alentours de la place du départ, je croise notre ami Dhom dans la rue. Il est un peu dubitatif lui aussi sur les suites de sa course car pénalisé par une entorse à la cheville.

Vendredi matin très déçu de ne pouvoir supporter les copains à Courmayeur (Pam m’a prévenu c’est impossible d’accéder et surtout de pouvoir retourner sans stress pour le départ) c’est donc par téléphone que je prodigue mes encouragements à la petite bande : Jean-Yves notre bibelot préféré arrivé le matin même, Gérald et Marc avec qui nous avons partagé la pasta à la casa Valério la veille ainsi que notre Jef qui part lui aussi dans l’inconnu puisque toujours avec des restes de fracture de fatigue. J’ai également leurs supportrices Brigitte Pat, Martine et Jojo toutes dévouées à leurs chers traileurs et très excitées par l’ambiance qui règne là bas.

Dernier repas avec Lolo en tête-à-tête et retour à la chambre où je tente sans réussite une sieste. Pas moyen de fermer l’œil, heureusement que j’ai passé une bonne dernière nuit aidée un peu par un somnifère léger merci stillnox ! (sinon c’est une nuite blanche assurée comme d’hab’ les veilles de courses).
Bon ca sert à rien de chercher à faire la sieste autant se préparer : ca me met de suite dans la course et le trac arrive aussi sec comme si je devais faire un discours devant 1000 personnes. Vivement qu’on y soit, qu’on en finisse me dis-je et la préparation des sacs des bases-vie et la revue du matos m’occupe suffisamment pour que le palpitant se calme un peu.

Christian a appelé, il a récupéré son dossard et a fait la pasta avec PAM et Cédric. On se donne tous rendez-vous à l’arrière de la ligne de départ.

Dernières photos , un coup de Mulet et on va poser nos sacs. Photos pour des trailers au dépôt de sac, et un en Kilt que je croiserai plus tard, ensuite on se dirige tranquillement vers le départ : il suffit de suivre le flot.
Arrivée au triangle de l’Amitié : ça grouille : 500 traileurs de plus à Cham’ sur la ligne de départ ça se voit.

Je cherche des yeux à la porte de l’église notre copain Dhom à qui j’ai promis de le saluer sachant qu’il va essayer de gagner sa course de l’opposé mais je ne le voit pas : le connaissant, il a du se planquer dans le confessionnal pour être sûr d’être le dernier à passer le portique.

Je retrouve toute la bande des traileurs sauf Pam qui traîne encore dans sa chambre. Les Tardif sont là Musclor et Béa ont l’air en pleine forme (ils se sont tapés les neuf jours du Paris Nice en Juin ça leur a fait les cuissots !), Pierre Rossi également avec malheureusement des restes de son entorse au ligament croisé, il y a quelques mois, Cedric qui vise les 35 heures comme Musclor et qui fera route avec lui, mon pote Christian en pleine forme (son entraînement m’a stupéfié car il a absorbé sans problème tous les trails avec une facilité déconcertante) et pour finir et pas des moindres le couple Malejonock avec notre petite Irina, reine du Ventoux qui va encore nous taper un chrono et nous prouver si besoin était que nous sommes des petits joueurs.
On plaisante et on se chambre avec Musclor mais bon c’est vraiment question de faire tomber le trac car j’ai l’impression de partir dans l’inconnu. Lolo nous tire le portrait tant qu’on est tous ensemble et encore une petite quand PAM arrive 10 mn avant le départ décontracté : alors lui, il va bien, il ne s’en fait pas !
Dernier bisou à Lolo qui va rejoindre sa position dans le virage : elle insiste pour venir me voir sur le terrain à Courmayeur ou Arnuva je lui dis que ce n’est pas la peine qu’elle va galérer pour y aller, tout ça et surtout car je ne suis pas si certain d’arriver jusque là.
Attente avec hélico et caméra, discours du maire, des sponsors, de Vincent… la pression monte. On s’assoie 5 minutes par terre; je m’interroge les yeux dans les godasses et ce mot d’humilité qui me vient à l’esprit et qui m’envahit : oui il n’y a plus que cela, cette course m’écrase comme le Mont Blanc au dessus, je me sens microscopique, vrai charlot comme ils disent sur le forum et je me dis que je ne devrait pas être là. Tout autour, que des traileurs affutés comme des rasoirs, cela me confirme un peu plus ce sentiment de mon inadéquation. J’ai pourtant ma feuille de route tel deubeuliou, calculée sur mes temps de l’an dernier dont je sais qu’ils suffisent pour les barrières horaires, j’ai tout le matériel qu’il faut, longuement étudié et pensé, la prépa au mieux (du moins avant juillet et le TGV) mais tout cela me semble vain, j’ai l’impression d’être vidé, pas prêt, le cœur n’y est pas.

Allez allez ! On se secoue, on verra bien jusqu’où j’irai. On se met debout car ça commence à pousser, Christian réitère son désir de partir tous ensemble et de suivre PAM , je lui dis que je ne le ferai pas car je sais que Pam va partir vite. Il a envie d’y aller, ça se voit. Il avait déjà annoncé qu’il fera sa course aux sensations sans se forcer à suivre ou à attendre, sachant bien que si on doit se rattraper cela se fera au fil de l’eau. Et je crois surtout qu’il veut être sûr d’arriver à Champex encore plus tôt qu’en 2005 pour pouvoir attaquer la suite avec une confortable avance sur les barrières horaires.

Enfin le départ est donné : 1492 dans les oreilles et les 2500 furieux sont lâchés dans la grande rue de Cham’. Ca part lentement mais passé le portique et le virage ça commence à courir. J’ai donné RDV à Lolo pour un dernier bisou à gauche dans le virage comme l’an dernier et catastrophe (décidément….), je ne la trouve pas et comme Piaf emporté par la foule je m’éloigne inexorablement d’elle sans avoir pu la voir. Pam je le saurai après, l’a bien trouvée et lui a remis sa clef sans oublier un petit bisou de bon vent (dès que j’ai le dos tourné, il en profite !). Les idées noires étant mon lot du moment je me dis que ce n’est pas bon signe d’autant que pour les confirmer j’essaye de suivre Christian et Béa mais ça va vraiment trop vite pour moi et je me traîne en suant à grosses gouttes, je les laisse s’éloigner et après quelques centaines de mètres à ce tarif, je profite de l’entrée du chemin de terre des Gaillands pour une pose technique et surtout souffler un peu. Mais jusqu’où vais-je aller comme cela ? Vais-je devoir déposer les armes encore plus rapidement que ce que j’imagine ? je me vois déjà abandonner aux Houches ou à Voza. Moi qui envisageais Champex comme une première étape à l’aventure, je vois ce petit village Suisse comme une destination inaccessible.
Me reviennent alors en tête les conseils de Mme Poletti à Bertone l’an dernier : se fixer le ravitaillement suivant comme objectif immédiat et voir après. Bon ben, je n’ai plus que cela à faire, un moment de lucidité me fait imaginer que pour que j’y arrive, il me faudra payer chaque tronçon au prix fort et que cette course splendide va être une épreuve pour moi à chaque mètre. Je me fais donc mon rythme comme je peux, soufflant quand il le faut et trottinant prudemment attentif aux moindres douleurs dans l’orteil et dans les tendons d’Achille qui me titillent déjà. Cette partie est roulante et je me rappelle qu’il faut en profiter mais sans se griller. Je rattrape ainsi Christian un peu avant les Houches non pas que j’avance mais ce reporter-fou batifolle et mitraille à tout-va ; c’est le roi du numérique. J’aperçois également Béa de temps à autre mais sérieuse comme toujours, elle est concentrée dans sa course. Je ne me fais pas d’illusion elle va nous mettre un boulevard car je me dis que Paris Nice a du lui donner des jarrets de bouquetin. Quant aux autres, je ne les ai pas vus depuis le coup du départ je les imagine déjà caracolant dans Voza, ils sont loin !

Arrivée aux Houches avec Christian et passés le ravito (sans soupe : il n’y en a plus) coup de fil de lolo qui me demande si tout va bien et m’indique que Pat et Brigitte font les PomPom Girls dans le coin. On finit par les retrouver et ça fait vraiment plaisir de les voir. Elles nous apprennent ce qu’on craignait, Jef a abandonné à Arnuva, trop de douleurs suite à sa fracture. Elles nous tirent le portrait et nous retrouvons Béa qu’on baratine un peu avec Christian (Musclor n’est pas là : on en profite !).

On attaque enfin la montée du col de Voza. Je joue le vieil habitué et donne au fur à mesure mes souvenirs à Christian : de mémoire il y a quelques rampes sèches qui m’avaient impressionné l’an dernier. De fait elles sont toujours là et il faut faire avec. Je les ressens durement et je prends mon mal en patience ce n’est pas la joie mais pour l’instant on avance et on est pas tout seul. Dans le peloton je reconnais derrière moi une voix familière : C’est Dhom qui continue sa remontée depuis l’arrière. Il m’apprend qu’il n’a pas gagné son pari et s’est fait souffler la dernière place sur le poteau. On devise quelque temps et je le laisse partir rejoindre son fils qui est dans la course également.

On a déjà perdu Béa mais on trouve Pierre Rossi avec Patrice qui lui sert de lièvre. Il est un peu dubitatif sur son rythme et me demande si je pense continuer au rythme actuel car il nous suivrait bien. Pas de soucis mais je lui indique que je ne sais pas trop comment je vais me comporter vu que je n’ai pas de bonnes sensations. De fait on va se perdre de vue très vite et je ne le reverrai plus avant Cham’. Son entorse au ligament croisé se réveillera et le contraindra à l’arrêt.
On enchaîne rapidement un petit arrêt pour enfiler le Gore-tex, photos successives de Christian sur les lueurs projetées sur le Mont Blanc. Tiens cette année je n’ai pas vu le vin chaud proposé comme l’an dernier. Finalement on arrive au sommet sans trop de mal même si cela m’a semblé dur. Pour l’instant ça tient et je me dis que ça pourrait être pire. Le Christian lui gambade à dégoûter un lapin. Je regarde ma fiche on est à peu près dans les temps, un petit retard mais ce n’est pas significatif à ce stade (km 13).
Nous amorçons la descente et Christian caracole devant, il est en pleine forme.
Je suis étonné de comment fonctionne ma mémoire car nous passons par des endroits dont je ne me rappelle pas du tout et pourtant c’est le même parcours.
Je me sens mi figue mi raisin et nous ne discutons pas trop avec Christian on fait notre chemin sans plus. Après bien des yoyos nous arrivons sur le bouchon dans la forêt avant les Contamines. On va perdre ainsi 15 bonnes minutes à poireauter et avancer au ralenti et cahin caha nous rallions aux Contamines.
Tiens c’est bizarre moins de cohue que l’an dernier pourtant nous sommes plus nombreux. Pas de chance par contre : plus de soupe ! j’aurais bien aimé me réchauffer un peu j’espère qu’au prochain ravito ca sera le cas. Je me dis que les organisateurs n’ont pas bien évalué l’augmentation en besoin de soupe générée par 500 traileurs de plus. Fort heureusement ils auront bien rectifié le tir car il n’y aura plus de problème sur les autres ravitos. On retrouve Béa remplissant sa poche à eau au même écoulement de la fontaine que nous : elle est arrivée avant nous, elle a l’air bien. Je la perds ainsi que Christian dans la foule devant les tables. Une bonne nouvelle enfin pour moi : contrairement à 2005 j’arrive à ingurgiter des aliments sans envie de vomir. Serait-ce un début d’embellie ?
Je me dirige vers la sortie et je fais quelques étirements en appelant à grands cris Christian dont je ne sais pas s’il est déjà sorti. Mon reporter sans frontière arrive tranquille : il adore les ravitos et nous repartons tranquille pour une section assez roulante avant d’attaquer du gros.
Je ne lâche pas les chevaux néanmoins car je sais que tout cela n’est que le début et c’est tranquille que nous croiserons Notre Dame de la Gorge. Je sens que le Christian a des fourmis dans les jambes mais il reste à portée. Je lui indique qu’on est un peu en dessous des prévisions mais que c’est OK. Dans mon for intérieur je mets cela sur le compte de mon manque de forme et je suis un peu inquiet : théoriquement avec l’entraînement qu’on a, nous devrions être hyper à l’aise dans les temps de l’an dernier. Je doute toujours de mes chances de rallier ne serait-ce que les Chapieux (déjà l’an dernier il y a eu des arrêts de traileurs pourtant bien entraînés ça peut donc aussi m’arriver me dis-je)
Je dis à Christian que s’il veut y aller, il ne faut pas qu’il se gêne mais c’est pas son truc il aime bien galoper en binôme. Je lui ai pourtant fait rater le TGV en juillet et ce n’est pas la consolation de la ballade en hélico qui a compensé, il ne m’en veut pas pourtant. Nous avons fait toute notre prépa ensemble et finit tous les trails la main dans la main et on se voit bien la finir pareil en beauté. Je n’ose cependant pas y croire; néanmoins petit à petit, je me sens libéré de la pression de la course et étrangement calme comme si j’étais en promenade. La nuit est splendide et les étoiles brillent dans un ciel cristallin.
Pas trop de poésie quand même, il nous faut monter vers la Balme. Nous y arrivons dans le même temps qu’avec PAM l’an dernier : on rattrape notre retard je comprend pas trop bien comment on a fait. Nous avons dû, sans nous en rendre compte accélérer le rythme : c’est vrai que je me traîne moins et que nous commençons à être moins doublés. Et c’est ainsi que nous rallions la Balme dans un meilleur rythme.
Ravito de la Balme : Difficile d’obtenir de la soupe ! Je poireaute en appelant Christian à gorge déployée est-il devant ou derrière ? Le voilà qui s’extrait des tables où il a fait une copieuse halte : j’ai un moment l’impression qu’il a l’air fatigué mais c’est peut être la digestion ou la lueur des diodes qui nous font des têtes de spectres. Faut pas chômer car le col du Bonhomme nous attend avec sa redescente terrible et j’ouvre la marche pour commencer l’ascension dans le cordon des lucioles. Cette vision de la procession quasi au flambeau m’impressionne toujours autant.
Un patator pour la montée c’est peut être psychologique mais c’est toujours du sucre. Et c’est parti pour un tour, je grimpe, Christian dans mes talons et on y va pas trop mal car on double les concurrents qui font une halte ou ceux qui semblent vouloir aller plus tranquillement. Je n’y crois pas mais j’ai l’impression de revivre j’ai toujours des douleurs de partout, le doute continue de me tarauder mais j’avance, je monte, douloureusement mais je monte !
Pas d’euphorie mal placée, je m’applique d’autant que la rampe de nuit est loin d’être roulante. C’est dans cette ascension tout à l’affût de mes sensations que je vais perdre petit à petit Christian sans m’en rendre compte. A un moment je me retourne, il est plus là mais avec toutes ces diodes on ne voit plus grand chose. Bast c’est rien, on se retrouve au col. Arrivée au col toujours aussi froid j’appelle : pas de Christian. Bizarre où peut il être ? il ne devrait pourtant pas être loin. Je fais le choix de continuer vers la croix du bonhomme tant que je suis bien car je connais trop la suite et je sais que je vais galérer dans la descente. Au pire on se retrouvera aux Chapieux.
Ca, malheureusement ça a vraiment été une très mauvaise décision, prise dans le feu de l’action et qui coûtera cher : je ne reverrai plus Christian. A ce moment je ne réalise pas cela, ça nous arrive de faire le yoyo mais on se retrouve toujours. Il faut préciser que nous sommes dans le peloton et qu’il y a foule mais une foule à la queue leu-leu. Je continue mon chemin persuadé d’entendre un tonitruant « UTMB ! », signe que Christian m’a retrouvé. Je reste néanmoins concentré sur mes pas car le secteur est trempé comme toujours et je m’applique à ne pas me mouiller les pieds sachant que c’est mon point faible.
Croix du bonhomme toujours pas de Christian j’attends 2 minutes il a du se faire coincer dans la procession je vais le retrouver aux Chapieux. J’aborde la descente au ralenti. Toujours aussi pourrie et trempée (les premiers 200 m ne l’étaient pas et j’ai eu un faux espoir). Me revient en tête le passage aux Chapieux sous le soleil 5 jours plus tôt, le seul endroit où stagnaient des nuages gris peu engageants, c’était précisément sur le col du Bonhomme. Pas étonnant que cela soit complètement détrempé. Je descends prudemment je me rappelle les 3 gamelles de 2005, je n’ai pas envie de réitérer l’expérience. Mes bâtons me servent plus d‘une fois à récupérer mon équilibre et rattraper la cheville qui part sur le coté prêt à faire une entorse. Je n’ai pas beaucoup d’équilibre et j’envie ces nombreux traileurs qui me doublent et qui ne semblent pas être trop affectés par le coté patinoire du chemin. C’est presqu’à la fin de la portion trempée que je me fais surprendre sans pouvoir récupérer : les deux pieds glissent d’un seul coup et en même temps sur le coté et je vais m’écraser de tout mon long la tête frappant violemment par terre. Même pas eu le temps de crier, je suis KO une seconde. Je me relève péniblement en gueulant (ça ne sert rien mais ça soulage) Je vois 36 chandelles et je suis couvert de boue. Pour une fois je remercie cette gadoue car je m’en tire bien, il y aurait eu des cailloux ou de la terre bien sèche, j’en aurais eu quelques séquelles et je ne m’en relèverais pas comme cela. Un peu sonné quand même et répondant mécaniquement aux traileurs qui s’enquièrent de mon état (la solidarité est monnaie courante chez les traileurs pas besoin de consignes), je poursuis ma descente avec encore plus de prudence vers le plan Varraro, promesse d’un chemin plus roulant. Les distances sont courtes sur ma feuille de route mais me semblent plus longues dans la réalité.
J’amorce enfin la piste vers les Chapieux et je m’étonne de ne pas entendre de musique je me dis qu’il n’y a pas d’orchestre cette année mais je suis encore trop loin. Petit à petit des bribes me parviennent. Ayant bien couru sur cette portion en 2005, je réitère l’exercice car je me sais être en retard sur mes prévisions. Ma foi mes jambes répondent pas trop mal et c’est sans m’arrêter que je dévale la pente sur l’air de ‘’Smoke under water’ et de ‘Wish you were here’’. Deep Purple et Pink Floyd toute ma jeunesse !

J’arrive en trombe (n’exagérons rien !) aux Chapieux à 4 h17, quasiment à l’heure où j’avais prévu d’en repartir après une demi heure de repos. Ca ne va pas du tout, je me traîne ! Je fais rapidement le niveau de ma poche à eau et j’entre dans la tente toujours aussi bondée et peu pratique quand c’est le peloton qui s’y trouve. Je cherche des yeux Christian, j’appelle pas de réponse il doit donc être derrière. Je m’assois à la sortie avec une soupe, marque mon temps sur ma feuille pour une fois et je pars à la recherche des toilettes pour une pose technique indifférable. Faut faire la queue : il n’y a que 2 wc. Par chance il n’y a pas trop de monde et ça va vite. En attendant, je détords mon bâton mis à mal lors de ma chute. Je perds bien 10mn dans l’histoire. Quand je ressors, je passe la tête dans la tente et appelle Christian à tue-tête pas de réponse mais faut dire c’est un tel souk… Je me dirige vers la sortie il est 4h32 je sais que la sortie passe à coté de l’arrivée et je scrute quelques instants les lieux à la recherche de la silhouette familière. A priori de ce que m’a dit Christian après coup il venait juste de rentrer dans la tente on s’est loupé à peu de chose. Sur le coup je me dis qu’il a du filer comme une fusée, arrivé et ne me voyant pas , reparti aussitôt pendant mon stage aux toilettes et je l’imagine déjà galopant devant. Heureusement il y a les portables. Ca ne passe dans ce trou mais dès que j’attaquerai la montée sur la Seigne j’aurai la ligne et je l’appellerai. Je pars donc confiant sur mes chances de le revoir et je me mets rapidement en route d’autant que je suis en retard en fait de 15mn mais dans le feu de l’action je ne sais pas pourquoi c’était pour moi de 35mn. Je tétanise un peu car je me dis que si je traîne, je vais finir par me faire coincer par les barrières horaires.

Direction la Seigne : Je me rappelle les débuts roulants où je sais pouvoir rattraper un peu le retard. Encore un patator pour la montée , ça sera toujours ça de pris .
Des que j’ai la ligne, message de Lolo et un de Pat qui m’encourage en me disant de ‘’ne pas lâcher le morceau’’ : 6eme sens féminin ou conjuration des PomPoms ?.
J’appelle Christian je tombe toute de suite sur sa messagerie il n’a pas allumé son mobile grrr !, je lui laisse un message et lui indique que je suis en route.
La petite route me va bien je n’ai pas l’impression d’avancer comme l’an dernier mais j’avance. Les sensations sont correctes mais étant seul, je suis trop à leur écoute pour être objectif. L’orteil pour l’instant ne me donne aucun soucis je sens juste bizarrement l’endroit de la piqûre faite il y a 3 jours.
Tiens ! le premier traileur qui pique un roupillon sur le bord du chemin adossé à la pente. Pas trop l’endroit et on lui en fait la remarque mais il n’a pas l’air de vouloir en tenir compte.
Je double et fais quelques mètres avec l’Ecossais en Kilt à qui je demande si au moins il n’a pas respecté la coutume, vu le froid de la nuit, ça le fait éclater de rire et il m’assure qu’il a pris ses précautions. ‘’I hope for you !’’.
Cela fait déjà 10 heures que nous sommes en course et je commence tout juste à me sentir à peu près bien. Il en aura fallu du temps ! Ce n’est pas la grand forme mais au moins je n’ai plus l’impression d’être à la ramasse. Je reste néanmoins humble connaissant l’énormité de la tâche. Surtout ne pas se laisser aller à une quelconque forme d’euphorie. La Montagne est là tout autour pour nous remettre à notre place si on l’oubliait.
Décidément ma mémoire me joue des tours : je me rappelais plus que c’était aussi long cette montée au col : plus d’une heure que j’avance et pourtant j’envoie (tout de suite les grands mots !). Ca me semble interminable et je me dis que cela confirme mes impressions du début : chaque mètre devra être payé au prix fort. Pas question d’avancer sans s’en rendre compte. Super ! ça promet pour la suite, même Courmayeur me semble loin.
J’essaye de rappeler Lolo et Christian mais il a du être écrit que rien n’ira comme prévu, le mobile que j’avais pourtant rechargé, m’annonce péremptoirement qu’il va tomber en rade pour cause de batterie faible : il me reste qu’une toute petite brique. Pour ne pas consommer plus je l’éteins complètement. Galère ! Je ne suis plus connecté : rayé des cartes radar. Lolo va s’inquiéter mais je me dis qu’elle sait que la couverture est aléatoire dans le secteur. Il faudra que je trouve une solution j’appellerai à Courmayeur, je demanderai à traileur de m’accorder quelques unités , on verra bien. Il ne me reste plus qu’à avancer continuer cette ascension du col, pas trop pentue certes mais qui me paraît interminable.
J’y arrive finalement dans la gelée blanche mais avec le bonheur de voir le jour se lever enfin et voir les premiers rayons de soleil, ça va chauffer mes vieux os ! Il est 6h50 je ne comprends plus rien j’ai maintenant 20 mn d’avance je n’ai pas pu rattraper 35 minutes comme cela. J’avance soit mais pas avec des sensations de lévrier. J’ai du me planter quelque part, on verra cela plus tard. Bon ! Il caille, le vent est glacial, et il faut bouger pour se réchauffer. Au moins on y voit sans lampe et ça change beaucoup de choses.
Descente vers Elisabetta sans trop d’encombre je me sens mieux et par moment j’ai même droit aux rayons du soleil en direct. Ca fait un bien !
Tiens, je m’attendais à trouver le ravito à cet endroit mais non ils l’ont mis plus bas cette année faut continuer encore pour mériter sa soupe. Le voilà enfin, pause maintenant au moins 10mn (le luxe !) comme planifiée (en plus j’ai toujours mes 20mn mais bon je sais que ce n’est rien dans un trail).
Soupe saucisson raisins sec poche à eau, étirements tout en scrutant la descente des fois que Christian déboulerait. Toujours pas en vue, tant pis on y va : l’arête Mont Favre m’attend et je n’ai pas oublié son ‘’hospitalité’’. Ca va être un bon test.
Grand ligne droite avalée en trottinant par moment dans la ligne droite pour doubler le lac Combal. Je marche maintenant car dans peu de temps le raidillon à droite ne va pas tarder à apparaître. Je salue des touristes qui ont passé la nuit sous la tente près du ruisseau. Je leur demande s’il n’ont pas eu trop froid dans cette humidité il me répondent : ‘’comme vous’’. Ca situe !
Le voilà ! Allez pas se poser de question, je sais que ça va être longuet de toute façon je n’ai plus que ça à faire : monter. Monter sans réfléchir. Sans réfléchir mais pas sans ressentir ! La pente est bien là comme avant. On est pas loin d’un cumul de 4000 m de D+ ça tire quand même. Pas y penser, continuer, je me suis fait à l’idée que cela sera dur tout le temps jusqu’à ce que j’arrête. Mais où ? là est la question. Courmayeur me semble promis mais je sais la descente éprouvante pour les ischyos. On verra, monter, monter, monter !. Je ne dois y arriver pas si mal puisqu’à 2/3 de la pente le traileur qui me suit me dis que je monte hyper régulier et me demande si ça me gène qu’il me suive. ‘’Ben non ! ‘’. Je n’avais pas réalisé que c’était le même depuis le lac Combal, concentré que j’étais dans l’effort et les yeux pointés 3 mètres devant moi pour pas regarder le sommet. Et vas-y que je te monte tant et si bien qu’on arrive au pointage. Je souffle regarde mes temps : j’ai presque ½ heure d’avance sur l’an dernier. Pas de doute même si les sensations sont douloureuses ça va mieux que l’an dernier ! Encourageant.
Maintenant direction Courmayeur au moins. On va bien voir ce que donne la descente hyper longue de 9km sur les cuisses. C’est parti, on joue à cache-cache avec le soleil dans la pente et ma foi ça le fait pas trop mal. Je reste très prudent quand même, pas se lâcher ça peut coûter cher. Finalement j’arrive tranquillement au Col Checroui sur des airs de musique maghrébine et je n’en crois pas mes yeux (déjà les hallucinations ?) , sur les déhanchements lascif et évocateurs d’une danse du ventre exécutée par une danseuse voilée. Aurais-je été plus loin que l’Italie ? Ou alors est-ce pour faire plaisir à Zizou ?
Blague à part il y a des tables au soleil et je décide de m’accorder une bonne pause si j’ai un peu d’avance autant que cela serve. Au programme soupe, re-soupe, saucisson, raisin sec. Décidément je fais dans le répétitif. Je suis néanmoins tout surpris de pouvoir ingurgiter des aliments ce n’est pas si souvent en course. Profitons-en. Je traîne comme cela 10 bonnes minutes. Toujours pas de Christian à l’horizon, j’espère qu’il ne lui est rien arrivé.
Allez faut repartir, rallier Courmayeur et on fera le point. Toujours en solitaire je trottine dans les lacets à mon rythme sans trop me laisser emporté par la pente. Trop rien à dire la dessus ça descend gentiment, il fait beau, je sens que ça tire un peu sur les cuisses mais après 4000 de D+ et de D- c’est un peu normal. La question est plutôt dans quel état de fraîcheur je pourrais repartir ? A ce moment là une des rares certitudes dans cette course, je verrai la montée de Bertone. Je me la rappelle éprouvante, encore un bon test.
Mouais ! Au lieu de gamberger sur l’après tu ferais mieux de regarder où tu mets les pieds et de te concentrer sur ta foulée car passée la route de la piste nous nous engageons dans le petit sentier qui descend en petit lacets. Pas non plus de souvenirs de l’avoir pris l’an dernier. Et pourtant nous sommes bien passés par là. Je double des randonneurs qui nous encouragent. Il y en a même une qui me colle au basque essayant de voir ce que cela donne de courir là dedans. Elle finit par renoncer en se disant qu’on est vraiment pas bien dès que nous débouchons sur le bitume. Quelques supporters dédiés à leur traileur préféré nous applaudissent néanmoins. Je salue au passage un survivant de la Diago 2004 dont j’ai reconnu le tee-shirt jaune qui ma fallu également chèrement gagné. Passage dans Dolonne dans les petites ruelles, je trottine plus mollement la descente m’a bien tiré sur la moëlle. Je débouche enfin sur la grande rue, je me rappelle le virage je ne suis plus loin de l’entrée de la base vie.
La voilà je vais pour y rentrer sous les applaudissements lorsque surprise : ‘’Voilà la grande Girafe » que lance Jef qui a déjà vu passer le Canari (PAM). Il est là détendu avec Jojo (j’ai appris en début de course qu’il avait arrêté à Arnuva prudemment et lucidement car toujours en but aux restes de sa fracture de fatigue).
Super sympa de les voir, ils m’avertissent que PAM est encore à l’intérieur et que Lolo va venir à Arnuva. Je ne pensais voir qui que ce soit. Je me dis que Lolo va galérer pour arriver en fond de vallée et je ne crois que moyennement que je la croiserai . Je leur demande s’ils ont vu Christian ou Béa : ni l’un ni l’autre. ‘’Si tu vois Christian engueules-le de ma part, qu’il allume son portable’’, je leur lance après un gros bisous avec Jojo (il y a des plaisirs dont il ne faut pas se priver !) et je rentre dans la base vie m’occuper un peu de mes pieds.
A peine entré, quelqu’un me saute dessus et me demande comment je vais. Tiens c’est mon toubib de Cham’ qui vient s’enquérir de mon état et si mon orteil va bien. Je le rassure tout va bien : même pô mal ! Bizarre quand même, comment m’a-t-il reconnu dans la foule des traileurs, il m’attendait ? Il m’apprend qu’il de planton médecin sur la base vie de Courmayeur.

Je prends mon temps, faut souffler, la suite est dure, la course je le sais commence réellement là pour la plupart des traileurs du Mont Blanc. Changement des chaussettes et badigeonnage de pieds. Ils ont l’air moins attaqués que l’an dernier et surtout la plante n’est pas blanchie. Bon signe. Recharge de patators. Je me change ou je ne me change pas ? Cédric nous avait dit ‘’si rien ne te gêne autant rester comme tu es habillé’’. C’est le cas, bon, on reste comme cela. .Je me relève un peu grippé quand même. J’hésite, massage ou pas ? Il y a du monde faut se déshabiller, je préfère finalement me diriger vers le buffet je me ferai des étirements plus tard.

Tiens le PAM qui est là. ‘’Tu flambes !’’ me lance-t-il, ‘’tu as été tout le temps pas loin derrière moi’ : Son mobile a bien fonctionné et il était informé en temps réel. Flambé ? si tu savais !
Je me pose quand même la question, je n’ai pas l’impression d’avoir brûler la piste tel un Attila du Mont Blanc si bien que cela. C’est peut être plutôt PAM qui a été prudent tout en se négociant un peu plus d’avance qu’en 2005. La suite prouvera que je ne me suis pas trompé. Je lui demande mais lui non plus n’a pas de nouvelle de Christian. Bon ! occupons-nous un peu de l’intendance : pause repas. J’en reste à mon régime avec en plus, luxe suprême, une bouteille d’eau gazeuse pour le sel et quelques yaourts, C’est le festin ! Bon ça ne vaut pas le confit de canard et la poêlée de ceps que je promets mais sur un trail c’est le bonheur. On discute un peu avec Pam qui s’est fait un copieux repas. Je ne comprends où il met tout cela mais alors lui rien ne lui fait mal durant une course. Je l’envie d’un tel appétit.
Finalement repus, Pam se dirige vers la sortie en me disant qu’on se reverra. Mouais ! Vu comme je le sens en forme je ne nourris aucune illusion là dessus.

Bon, fin de l’intermède gastronomique faut y aller, Bertone nous attend et surtout l’ascension dont je me rappelle qu’elle m’avait éprouvé l’an dernier.

Il est 11h45 et je quitte la base vie, Jojo est encore là, elle m‘indique que PAM est parti et que Jef l’accompagne sur un petit bout. Dernière bise à Jojo (par perdre de vue l’essentiel son mâle n’étant plus là). Ouais ! fini de faire le kakou je sais ce qu’il m’attend. Il fait beau, le ciel n’est pas menaçant comme en 2005, la météo se serait-elle trompée, le temps en montagne étant tellement imprévisible ?

Je traverse tranquillement la ville, réchauffer doucement le moteur, puis attaque progressivement le dernier km à l’aide des bâtons déjà re-déployés comme autant de béquilles ‘’aux foulées des vieillards sublimes’’ comme dira l’article du Dauphiné plus tard. Je croise Jef qui redescend après un bout de conduite avec Pam et ensuite Béa. Béa ? Ben oui arrivée après moi elle est repartie avant optimisant son arrêt à Courmayeur. Super Béa ! Quelle niaque elle a ! On discute avec Jef qui ne tarde pas à me laisser car il doit retourner rapidos sur Cham’ pour récupérer Muriel à la gare. Me revoilà encore une fois seul face à ce monument qu’est l’Ultra Trail. Puisque je suis un peu en altitude je tente le coup de rallumer mon mobile. Je viens juste d’y penser, preuve que je n’ai pas toute ma tête, le Trail ça fatigue un peu !
Qu’est ce que c’est que ce truc : le téléphone m’indique maintenant une batterie à ras la gueule ? Il est temps que j’en change. Pas encore de ligne je continue ma route, j’attaque le début du raidillon, la ligne revient avec des tas de message en attente . Tu m’étonnes depuis le temps que je suis hors ligne ! Le problème c’est que nous sommes en Italie et pour avoir les messages faut saisir son n° et son code secret. J’essaye mais c’est écrit petit (j’ai pas mes prothèses) et j’ai encore oublié le code, du coup je renonce. J’appelle Lolo et tombe sur sa messagerie, petit message question de la rassurer. Pas pratique avec les bâtons. Il faut grimper et là encore ne pas regarder en haut ne pas oublier qu’il faut monter, mériter l’altitude et surtout ne pas se rappeler ses moments de fatigue de 2005.
Mi pente une vibrations plus longue me sort de mon obsession, on m’appelle sur le mobile (je n’ai plus de sonnerie encore heureux que le vibreur fonctionne). J’aurais du prendre mon oreillette car avec les bâtons ce n’est décidément pas pratique. Enfin c’est Christian ! Kektufou ? Oukté ? je lui lance (le traileur fatigué adoptant le language proto-syllabique) Il est en train de sortir de Courmayeur (en fait il est arrivé j’étais encore à l’intérieur mais lui non plus n’a pas pu appeler.) Bon Jef pour le rassurer lui dit que suis pas loin à ¼ d’heure devant. Je mate ma tocante perplexe, pas glob !. J’hésite : je lui dis avec risque de lui casser le moral ou j’opte pour la franchise ? Deuxième choix après tout ces écarts ne sont rien dans ce genre de course : ‘’ En fait, je dois être 40 mn devant.’’ Mais pas de lézard je me prévois une perte de vitesse connaissant mes courbes de progression, ‘’continues, tu vas me rattraper’’.
Mais suis-je seulement objectif ? Dans cette ascension je ne me suis pas posé la question. Mon désir de voir revenir Christian, mon binôme de Diago celui avec qui j’ai partagé, Auffargis, Le Ventoux, le Cro Magnon, le TGV c’est à dire quelque part faire le choix d’attendre et la quête de l’UTMB qui me pousse en avant avidement comme un mort de faim, m’écartèle sans vraiment que me soit posée l’alternative en ces termes. Je monte taraudé par cela sans le comprendre, comme rongé par un mal mystérieux dont je ne connais pas la provenance et dont je ne suis capable d’analyser les causes qu’assis maintenant à rédiger ces mots. Décidément cette course m’apprendra tout !

Perdu dans ce délire de trail je continue mon ascension vers Bertone. Maigre consolation au conflit qui m’écartèle, je constate que je monte mieux que l’an dernier mais preuve que tout doit être marchandé, j’ai en contrepartie la sensation d’en ressentir plus durement et plus longuement chaque mètre.
C’est dans cette procession de pénitents courbés dans l’effort comme pour s’incliner respectueusement devant la montagne, que je rattrape notre inoxydable Béa, les yeux rivés par terre je la sens peinant dans le dénivelé. Quelles paroles prétendument rassurantes ai-je pu lui donner en la depassant sur ce chemin étroit ? J’ai maintenant le sentiment que cela était vide sans aide aucune pour elle. Je l’ai dépassée et trop rapidement perdue de vue. Jef m’avait dit qu’elle lui avait confié qu’hyper à l’aise dans les descentes (l’effet Paris-Nice) elle marquait un peu le pas dans les montées car toujours sujette à des restes d’asthme. Pensais-je à ce moment là la revoir sur le balcon vers Bonatti ? Pour ne pas l’avoir revue à Bertone je sais maintenant qu’elle en bavait plus qu’elle ne le voulait le montrer. Super-Béa pardonnes au gros blaireau que je suis de ne pas l’avoir compris.

L’arrivée à Bertone toujours raide. D’après les relevés de course, Pam a du partir quand j’arrivais ou pas loin mais ce moment là Pam pour moi est un canari filant à mach3 et je ne le cherche même pas dans ce ravito. Nous sommes plus dans le même monde, pour moi il est déjà très loin.
Pas de Mam’ Poletti ce coup ci ! (Pas grave j’ai bien retenu la leçon). Je suis tout seul comme un gland à ce ravito partageant avec moi que des pensées compulsives de distance, dénivelé, vitesse et de temps restant. L’an dernier nous devisions tranquillement avec Pam de nos chances d’atteindre Champex. Au lieu de ça, je suis là comme un robot à reprendre mes bâtons et repartir, exilé au milieu de tous vers une destination programmée et encore inconnue.
Le trail devrait être un plaisir mais avec le recul cela a été pour moi dans cet instant là comme un rêve anxieux dont on ne peut s’extraire et qu’il faut mener à son terme pour en sortir.

Bâton de traileur pour bâton de pèlerin, direction Bonatti puisqu’il faut continuer. J’ai en tête et sur mes documents que je n’aurais jamais aussi peu consultés lors d’un trail, le profil de ce qui m’attend, le balcon en yoyo et pour finir la descente roulante vers Arnuva.
La météo est de plus en plus une science exacte car je discerne les nuages s’amoncelant paresseusement dans les hauts du val Ferret, prémices de changement de temps. Je croise encore les doigts, espérant que la montagne fasse mentir les prévisionnistes.
Je croise quelques randonneurs sur le balcon et je me refais une santé petit à petit en alternant course et marche (Merci Cyrano !). Le ciel se voile de plus en plus. Pas bon. pas bon du tout ! Les souvenirs de la gadoue de 2005 me reviennent à la pèle. On ne pourrait avoir un petit peu de chance côté climat svp ? Cause toujours, tu es là pour en baver !
Dernière descente vers Arnuva je lâche un peu les jambes et les chevaux question de ma délacer un peu la fibre musculaire.
J’arrive à fond (j’exagère un peu puisque la photo n’est pas floue) pour tomber dans les bras de Lolo qui opiniâtre fait le pied de grue depuis quelques heures pour me voir. La pauvre ! Elle a dû galérer et je n’ai pas le sentiment de lui donner des motifs de fierté. Gros bisou quand même, elle n’est pas rancunière ni dégoûtée, je ne sens peut être par encore trop le traileur du dimanche (celui qui arrive à Cham’) . Elle me dit que Pam est là et m’attend (il se sent sûr d’aller à Champex maintenant mais ne veut pas attaquer ni la nuit ni Bovines tout seul : on le comprend). Elle a mitraillé Cedric et Musclor qui sont bien loin devant mais m’indique que Cédric souffre d’une entorse contractée dans la descente du col du Bonhomme. Elle en aura fait du dégât cette saloperie de patinoire ! Et pas qu’un peu j’apprendrai plus tard que José lui aussi y a succombé et du coup a été contraint d’arrêter aux Chapieux .

Pam est donc là ? Comme toujours s’empiffrant au ravito, quelle nature !
Il va pour partir après quelques photos et bises à Lolo : il ne perd pas le nord ! Il pousse un peu pour que je l’accompagne mais je dois remplir à la fontaine ma poche à eau et me poser un peu. Il part donc avec l’assurance que je le suis. Néanmoins je refuse de me laisser entraîner dans les certitudes et pour ma part je ne suis pas certain de le revoir. Je suis déjà content d’être arrivé là. Il convient de respecter la montagne, ne pas croire qu’on l’a conquise avant d’y être réellement arrivé. Ce qu’elle vous permet de gagner, elle peut vous le reprendre d’un coup.
Ravito donc et derniers bisous à Lolo qui m’assure que je vais y arriver et à qui je demande d’attendre le plus possible Béa et Christian pour les réconforter et leur tirer le portrait. Elle pourra voir Béa mais me téléphonera qu’elle a retardé jusqu’à l’extrême limite son départ sans voir Christian (qui de fait arrivera qq 10 mn plus tard),

L’heure de vérité pour moi, le refuge Elena et le Grand Col Ferret broyeurs de moyenne et éprouveur de volonté. Deuxième départ de la course ; là, on mesure ce que vaut tout notre entraînement et notre gestion de course. Pour les coureurs dans mes moyennes c’est malheureusement aussi synonyme de mauvais temps.
C’est pétri de ces certitudes que comme un veau à l’abattoir j’entame ce morceau de choix (du boucher !).

Je commence dans les rampes d’Elena à sentir l’accumulation de l’effort. Petite satisfaction au regard de ce qu’il reste, je me sens moins épuisé que l’an dernier. La pluie déjà apparue en crachin se fait maintenant plus insistante. Il faudra monter dans le froid et l’humidité. Le Gore-Tex léger que je promène depuis le départ m’est là encore d’une grande utilité. Sauf que stupidité de ma part j’aurais du détendre le cordon du bas car le vêtement se resserre sur mon collant et va me tremper petit à petit jusqu’au sous-vêtement. Ne me doutant pas de ce qui m’attend, je continue de gravir le plus haut col de la course. La procession joyeuse des lucioles des débuts s’est transformée en une longue procession de forçats se dirigeant résignés vers leur bagne. Le temps n’est plus à la fête et la météo fera que Champex ne risquera pas d’avoir le feu au lac.
J’ai tombé la casquette et adopté la capuche, vu le temps. Le froid et l’humidité sont là et j’ai froid aux mains. Comme je ne peux pas utiliser mes gants de soie, je m’arrange pour faire descendre les manches longues de mon gore tex sur les bâtons et du coup je me sens mieux.
Un motif de satisfaction : je ne souffre pas trop de l’altitude et malgré la fatigue de la montée je ne suffoque pas. C’est déjà çà.
Des fois il faudrait ne pas avoir de mémoire, dans cette montée dans le brouillard je revoie les glissades de l’an passé dans le versant helvète. Toute cette pluie n’augure rien de réjouissant.
C’est donc à petit pas économiques et sans prétention qu’après bien des enjambées, j’aborde les derniers mètres patinants du Grand Col Ferret dont cette année encore je ne pourrais apprécier le paysage.

Commençons donc puisqu’il le faut, la longue descente qui nous attend.
Direction en glissade vers la Peulaz. Où ai-je mis mes skis ? Mes craintes sont confirmées c‘est pire que l’an dernier, c’est une vraie patinoire et mes bâtons me sont d’un grand recours. Pas envie de me replanter. Je redescends prudemment mais en essayant de ne pas perdre de temps. Trottinant quand le terrain n’est pas trop pourri et surfant comme je peux sur la gadoue. Sous cette pluie et ce brouillard j’aperçois enfin le ravito de la Peulaz.

Coup de poêle sous la tente question de relever les temps. Et rentrée dans le bâtiment la tête courbée car je me rappelle la dureté des poutres. Ils en ont rajouté ou quoi ? J’en prends une quand même en pleine poire ; ça réveille ! Vu le temps pourri je choisis d’aller au fond vers la cheminée. Vachement original ! Je vais être le seul, tiens! Pas facile donc car il y a foule et faut se faufiler pour atteindre ce coin chaud. C’est un peu gadouilleux mais bon précautionneusement pour ne pas dégueulasser le matos, je quitte mon gore tex et enfile la petite polaire que je transporte depuis le début.. Je sens qu’avec cette humidité, la nuit qui va arriver et avec la fatigue, je risque un petit coup de froid. Je me restaure un peu en me réchauffant face à la cheminée, il fait bon.
Je me secoue, si ça continue, je vais squatter ici. Je ressors dans la grisaille me rappelant ce qui m’attend : le petit chemin, pleine face qui serait acceptable par temps sec mais là…

Pas de doute ils n’ont pas changé le parcours. Je sais que la portion est courte avant d’arriver à la route mais pas évidente. J’essaye de prendre un peu de vitesse et ça ne loupe pas, monstrueuse gamelle et je finis la tête dans le broussaille sur le coté complètement coincé avec les bâtons dans une position ridicule dont je ne peux me relever. Heureusement je faisais route entre deux traileurs qui me remettent sur pied. Merci à eux je ne les ai pas revus ensuite pour leur exprimer ma gratitude.
Entre descente et glissade j’atteins enfin la partie route qui débouche sur le pont de la Drance de Ferret. C’est plutôt rare d’apprécier le bitume mais là c’est déjà ça de pris. Allez ce n’est pas tout cela il faut y aller mais j’y vais dans le genre ‘’je descends de cheval’’. Détail plus que technique mais le slip mouillé me scie les cuisses et j’ai la chair à vif. J’ai rajouté de la vaseline mais je n’ai à dispo qu’une toute petite boite pour ne pas me charger et du coup ça ne suffit pas.

Tout en gambadant les jambes écartées sur cette portion plus roulante je raconte mes misères à Lolo qui m’annonce qu’elle a pu intercepter Béa qui a l’air d’aller bien. En revanche malgré qu’elle soit restée jusqu’au tout dernier moment elle n’a pu voir arriver Christian. Qu’est ce qui se passe ? a-t-il pris plus de retard , un problème ? Pas moyen de savoir. Je l’ai appelé mais son téléphone n’était toujours pas branché.
Passé le village de Ferret je débouche sur le petit chemin qui longe la rivière. Toujours autant humide ce chemin. L’an dernier je l’arpentais avec Pam mais là j’affronte dans la grisaille et l’humidité tout seul c’est moins motivant. Dans les lignes droites j’aperçois ça et là quelques traileurs au loin.
Bon continuons en essayant de ne pas se mouiller les pieds. Pour l’instant ça tient pas trop mal.
Je finis en démarche de cow-boy qui a séché sur un tonneau par déboucher à la Fouly.
Arrêt buffet, et direction rapidos à l’intérieur pour récupérer quelque chose pour mes échauffements dus à l’humidité. Au lien de bande d’élasto ,sur les conseils du toubib je me beurre les cuissots avec la ‘’graisse à traire’’ locale. Ca va mieux et ça commence à moins brûler. Un soucis de moins !
Manger maintenant: soupe chaude, saucisson j’hésite devant le fromage apetissant mais je renonce, ne voulant pas forcer la chance. J’arrive à manger et c’est déjà beau.
Bon c’est pas tout cela on en est qu’au 102ème km et 6100 de D+ dit comme cela c’est énorme mais pour celui qui veut rallier Cham’, il reste encore 56 kilomètres à se fader.
La nuit ne va pas tarder et le temps est toujours aussi pourri. Je me remets en marche dans la grisaille. Le long du torrent l’humidité est toujours autant présente et j’ai parfois l’impression que c’est pire que l’an dernier. Heureusement je suis bien équipé et je ne souffre pas du froid.

Nous abandonnons le torrent pour se rapprocher de la pente et longer la montagne. Cette portion est plus roulante si on peut dire et j’avance d’un bon pas, libéré de mes douleurs dues aux échauffements. La nuit tombe petit à petit et je ressorts ma frontale. L’obscurité aidant des petits groupes de traileurs se forment petit à petit. La nuit pousse au regroupement. Les petits groupes se rapprochant les uns des autres comme par capillarité et c’est en gros paquet que nous débouchons sur la crête Saleina et continuons en bon rythme pour descendre après bien des enjambées dans Praz de Fort.
Il reste encore au bord des ruelles, dans ce village endormi, quelques courageux transis pour nous encourager. On les remercie en passant, on ne se connaît pas mais ça fait toujours du bien et cela nous motive.
Arrivée enfin au ravito. On souffle un peu, soupe et re soupe qu’est ce que ça fait du bien ! Un peu de saucisson et quelques raisins secs. Je ressens un peu de fatigue du trajet déjà accompli mais je mesure qu’en comparaison de l’an dernier, je suis plus frais, preuve que notre programme d’entraînement n’était pas si mauvais que cela. Bon ce n’est pas tout cela il faut aller maintenant à Champex, étape suivant mais étape indispensable si je veux aller plus loin. Champex qui me semblait inaccessible pendant longtemps et que maintenant je voie enfin comme possible.

Je pars donc, laissant derrière toutes ces bonnes choses et la chaleur du ravito et des benévoles. j’ai l’impression de m’enfoncer dans la nuit noire et pendant un instant ma frontale ne me fait pas distinguer assez ce qui m’entoure tellement le contraste est total. L’an dernier je me rappelle que je n’avais pas bien vécu cette transition car impossible de digérer le peu que je mangeais j’avais vomi les quelques raisins secs que j’avais absorbés et aussi beaucoup de liquide ce qui n’avait pas aidé mon hydratation générale. Je vais quand même mieux cette année et cela m’encourage à aller d’un bon pas.

Est ce pour fêter cela mais en longeant la colline avant de redescendre sur Issert, j’assiste à un feu d’artifice tiré me semble-t-il de Champex. Intermède d’autant plus sympathique que pour le saluer la pluie s’est mise un peu en veilleuse ce dont je ne me plains pas.
Bon fini de rire, descente vers la route et traversée d’Issert, je sais ce qui m’attend. Enfin je sais, je crois car encore un fois je me surprends à découvrir le chemin raide qui commence l’ascension vers Champex. Dans mes souvenirs c’était plus étroit. En revanche mes souvenirs étaient bons pour ce qui concerne le pourcentage. L’an dernier j’avais trouvé le parcours jusqu’ici roulant comme on dit mais est-ce le déjà vu ? cela me semble plus dur cette année. Bon ben de toute façon il faut monter, donc je monte. A mon rythme, tranquille mais sans chômer. Quelques traileurs me doublent mais peu en comparaison de 2005 où les pieds au père Lachaise je me traînais lamentablement souffrant à chaque pas. J’avance et petit à petit les lumières de Champex se devinent et deviennent de plus en plus présentes. Cette portion si longue et éprouvante l’an dernier me semble finalement assez courte, preuve que quand on est fatigué et qu’on en bave, tout est changé. Les derniers lacets, des bénévoles faisant le pied de grue nous canalisent dans la bonne direction. Amélioration par rapport à l’an dernier, ils n’y étaient pas. Les pauvres, ils doivent cailler et je les remercie en passant. Bénévoles ce n’est pas une sinécure mais sans eux il n’y a pas de course.
Enfin la base Vie. J’y suis et je vais pouvoir me changer. Passage obligé devant l’orateur qui annonce nos numéros de dossard comme on annonce vos noms et qualités dans une réception mondaine. Technique néanmoins efficace car le temps de faire les dix mètres vers la tente et un bénévole m’amène mon sac. Je rentre sous la grande tente éclairée qui grouille de monde et dans laquelle règne une chaleur tropicale au regard des températures extérieures. A peine entré, je me fais héler par le canari s’agitant dans le fond. Je pensais qu’il était déjà loin et de fait il arrivé depuis un demi heure. En fait, il m’attendait avec impatience car n’ayant pas envie d’affronter la suite en solo. ’’Qu’est ce que tu foutais ?’’ me demande-t-il . ‘’Je prenais mon temps, pas envie de me griller ‘’. Je le sens dans les starting-blocks piaffant pour repartir. Il pensait qu’après Arnuva j’allais le rattraper. Mais étant parti après je ne risquais pas. Je voie néanmoins qu’il n’est pas entamé du tout et brûle d’en découdre. Je lui dis qu’il peut y aller car j’ai besoin de ma pose mais il n’a pas fini son repas (qu’est ce qu’il peut manger !) et doit encore faire quelques changements. Bon je me dépoile, changement de tee-shirt, slip, de collant et surtout de chaussettes. Pas glop ! mes pieds sont blancs comme je le craignais, les douleurs commençant. J’aurais bien mis mes pompes en gore-tex mais je sais que si c’est étanche pour l’eau extérieure ça n’évacue pas assez la sueur dans mon cas et cela empire la dégradation de l’assise plantaire. Faut vraiment que je trouve le remède. En attendant je me tartine à la podexine c’est ce que j’ai trouvé de mieux pour l’instant et enfile mes coussinets qui devraient me permettre de moins sentir chaque détail des chemins. Deux comprimés de vitamine c et de cafeine car dans la montée j’ai senti les premiers signes de fatigue et de lassitude dues à cette deuxième nuit déjà bien entamée. Ca y est au bout d’à peine 20 minutes, je suis prêt, le plein d’eau, une poignée de raisins secs attrapée au vol et j’indique à Pam que je suis fin prêt. Il faut y aller, Bovine nous attend !

Le retour à la réalité de la nuit est brutal. Il faisait trop chaud à l’intérieur et le retour dans le froid nous fige sur place. Il fait vraiment froid et humide ! Arrêt combiné en tremblant comme des feuilles pour satisfaire un besoin naturel et nous voilà partis. Nous longeons le lac et puis nous retrouvons le chemin qui a vu notre abandon l’an dernier. On double le passage qui donne sur l’abri atomique et ça y est, on attaque la suite ! C’est l’inconnu mais l’excitation de la découverte nous pousse en avant. Prudemment toutefois car nous nous remémorons les récits sur Bovine et nous nous préparons au pire. On ne va pas être déçu !
Après la longue descente ça remonte pourtant gentiment mais à un moment nous enclenchons sur un chemin plus étroit qui grimpe dur et les rochers font leur apparition au milieu d’une gadoue qui s’intensifie. J’envie nos copains du 3C qui ont pu passer là avant la pluie.

Un patator pour se donner du courage ! La montée est éprouvante et j’adopte un rythme tranquille sachant qu’après Bovine il nous faudra affronter les Tseppes. C’est interminable et je commence à ressentir l’accumulation. J’ai beau essayé de viser pour poser mes pieds mais ça devient un exercice complexe. La gadoue s’accumule sur les chaussures de trail et j’ai l’impression d’avoir deux blocs de terre spongieuse à la place des pieds.
Pam tranquille avance sans bâton. Léger comme il est ça ne le gène pas le moins du monde. Pour ce qui me concerne, je suis bien content de les avoir car il m’aide à mon équilibre et à ma progression. Mécaniquement nous progressons sur ce chemin rendu immonde par les précipitations. Nous savons que c’est long et nous prenons notre mal en patience. Pam a d’ailleurs cette expression ‘’c’est un jeu de patience’’ qu’il me répétera plusieurs fois. Drôle de jeu ! Epuisant, éreintant mais incontournable pour mériter la suite. Chaque pas est comme une révérence maladroite faite à la montagne. Nous nous prosternons inlassablement dans un progression trop lente au milieu d’un décor où le feuillage se mélange avec nos hallucinations.
Enfin péniblement après une éternité (bizarre comme le temps paraît long la nuit) on débouche enfin sur les alpages où les rochers disparaissent. Ouf ! je sais que le pourcentage va se calmer un peu. Pam m’a bien enrhumé dans la deuxième partie de la montée car il est déjà au ravito depuis 5 mn, prêt à repartir. Je prends un thé question de me réchauffer et de recharger en caféine. Pam n’a pas toute sa tête car il pense être en retard. Je le rassure, on est pas mal. J’ai pas trop envie de bourrer car il nous reste pas mal de km devant nous et puis je me rappelle le récit de Dhom je sais que la descente va être terrible.

Ca en revanche contrairement à mes prévisions de course ça se vérifie à chaque fois. Vous avez aimé la montée sur Bovine vous allez vous régaler avec la descente !
On remonte d’abord pour finir la crête , on tourne un peu derrière et on attaque la descente. Effectivement c’est bien devenu une patinoire. Ce n’est vraiment pas la joie. En, même temps ça tire sur les cuisses et l’équilibre n’étant mon fort je ne suis pas rassuré, assez de gamelles comme cela.
Le chemin serpente un peu et nous commençons à voir des lumières assez abondantes en fond de vallée. Des traileurs près de nous pensent voir Trient mais Pam leur indique qu’il s’agit plutôt de Martigny. Glissant dans la descente j’aperçois en face, la procession des diodes dans la montée des Tseppes. Ca va être encore dur ! Le chemin n’est vraiment pas terrible et en galopant là dedans comme on nous pouvons pendant un temps qui semble suspendu dans la nuit, l’arrivée enfin sur le bitume qui nous mène à Trient.
Pfou ! une étape de passée. Bovine c’est quelque chose, on nous l’avait promis, on n’a pas été déçu. Pam m’a encore distancé, il tient la grande forme !
Entrée du village nous sommes accueillis par un Dhom bien réveillé qui nous annonce ‘’Ici vous êtes déjà considéré comme finisher. Félicitations ! ‘’ Ouais, moi je veux bien mais on est encore loin ! Il nous annonce qu’il a du renoncer à Courmayeur à cause de son entorse et attend son fils qui ne devrait pas tarder à arriver. Il est content pour nous et cela fait plaisir à voir. Il plaisante comme quoi on lui porte la poisse et qu’il ne veut plus nous voir au départ d’une course car à chaque fois qu’il nous croise, il abandonne : Cro Magnon, TGV et UTMB. Pas grave car il a déjà largement prouvé ces capacités sur l’UTMB. On se sent quand même un peu coupables c’est vrai que 3 fois de suite …mais il ne nous en veut pas. Nous le quittons pour aller retrouver le ravito bien mérité. Il faut tourner un peu dans le village et nous arrivons dans la tente. Un coup de poêle à frire, Thé chaud, raisins secs je n’ai plus trop faim. Re vitamine C question de booster mais le moteur commence un peu à serrer.

Ca ne fait pas 5mn qu’on est là que le Canari pas bon en calcul mental sur ce coup là commence à s’exciter comme quoi on va pas être dans les temps. Je ne sais pas comment il calcule mais il s’imagine être ric-rac en temps. Je lui démontre qu’il se plante d’au moins une heure mais rien y fait il piaffe sur place. Bon ben si je ne veux pas que le volatile me fasse un coup de sang j’ai intérêt d’y aller. Il n’a pas l’air crevé le moins du monde. Je dois dire qu’en ce qui me concerne, je commence à sentir un peu la fatigue. Mes pieds commencent à me titiller un peu trop. Pas étonnant avec cette gadoue.
Allez, on se met en chemin direction les Tseppes. Cédric nous avait rencardés sur les lacets interminables à son goût de l’époque. On va voir. D’autant plus que le jour commence à se lever et ce n’est pas du luxe. Nous commençons à attaquer le premier lacet et effectivement ça grimpe correct. Ceci étant, c’est régulier et surtout pas pourri ni gadouilleux. Toujours ça de pris !
En revanche c’est vrai que c’est long. Pam continue de gambader devant anxieux du temps qui passe. Pour ma part je ne m’inquiète pas, je suis persuadé que c’est bon et qu’il faut gérer pour arriver sur Vallorcine et une fois là…

En attendant je prends bien soin de ne pas me mettre dans le rouge car il reste pas mal de kilomètres et par expérience je sais que ce que l’on gagne on peut le perdre 3 fois très rapidement dans ce genre d’équipée si on force trop son talent. La progression est lente et les hallucinations transforment les bas- côtés et mettent ainsi un peu d’animation dans notre quête de l’altitude. Toutefois la piste étant meilleure et le jour aidant, nous grimperons plus vite que dans Bovine.
Arrivée en haut, petit repos, petit ravito et on repart vers Catogne pour ensuite enclencher sur la descente. Ca a quand même bien tiré sur la bête et on ne relance plus aussi facilement. Passage sur un chemin pour faire le tour de la crête. Un vrai casse tête pour pas marcher dans la gadoue. Ca aussi pas terrible surtout que les grands écarts ce n’est pas trop le moment. Ca va quand même et je me surprends à commencer à y croire. Je mets vite mon mouchoir par dessus pas le moment de révasser. Surtout qu’on attaque la descente qui commence par un chemin correct mais ensuite pardon c’est encore une bonne piste de bobsleighs ! On y va pas trop mal tout en discutant avec quelques traileurs avec qui on joue à ‘’je-te-double-tu-me-doubles’’. Sur la deuxième partie Le Pam qui est hyper à l’aise nous la joue roi de la téléphonie mobile et appelle à tout va tout en descendant. Du coup je le distance un peu sans m’en faire. Des qu’il aura fini, il va revenir comme bolide. La descente sur Les Esserts et technique et grasse, beurrée à souhait.
Bondissant, glissant, trottinant, dérapant, patinant et surfant dégingandé, tout cela comme je peux pendant une durée incalculable je finis par débouler sur la cabine télésiège sans avoir pris une gamelle. Du coup je suis tout fier de moi. Deux trois mots avec les bénévoles qui ont improvisé un petit ravito et je vois le canari tout crotté qui débarque. Il vient de se prendre 2 gamelles coup sur coup m’explique-t-il et comme King Kong 2 il revient et il n’est pas content. Plus de boue que de mal mais je crois que maintenant il va éviter les acrobaties quand il téléphone.

Un petit de bout de piste et forestière et on bascule à droite non sans appeler un traileur qui a filé tout droit un peu fatigué. Pourtant le balisage est sans défaut. Petit chemin qui descend en lacet. Super plus de boue mais il y a un peu de caillou et de racines. Ca n’est pas très méchant normalement mais là mes plantes de pieds commencent à me lâcher et sont hyper douloureuses. Tant que j’étais dans la bouillasse je ne sentais rien mais là je ne rigole plus. Ca me fait un mal de chien à chaque pas. Je suis obligé de viser à chaque foulée et ce n’est pas terrible. J’en suis à regretter la gadoue , j’aurais tout vu ! Pam s’inquiète de me voir progresser comme cela et je lui dis qu’il y aille car je sens que ça va être l’enfer comme à chaque fois que mes pieds deviennent blancs. Seul consolation ça survient plus loin qu’en 2005. Le Canari voit bien que j’ai des difficultés et ma démarche sur les œufs ne le détrompe pas. Il reste cependant avec moi alors qu’il pourrait y aller. J’ai d’ailleurs calculé qu’à partir de ce point et vue sa forme il pouvait au moins gagner ¾ d’heure sur l’arrivée à Cham’.
Dans cette descente les yeux par terre tout à ma stratégie d’appuis, je me fais héler par quelqu’un qui me demande si ça va bien. Je lève les yeux : le toubib ! Décidément il est partout. Toujours interrogatif sur les suites de mon entorse, je le rassure : c’est pas l’orteil le problème !
Descendant vaille que vaille j’aperçois la silhouette de Muriel venue au devant de son canari traileur dont elle n’est pas peu fière (il y a de quoi).
Grosse bises à Pam donc et une également pour moi : ça fait du bien de voir un visage amical. On continue à descendre, je laisse Pam et Muriel me distancer, d’une part pour qu’ils se retrouvent et parce que ça ne se calme pas pour moi : chaque pas me tire un grognement. J’en bave et même si Muriel me chambre un peu comme quoi je flemmarde, j’ai du mal à donner le change. Je commence à trouver le temps long sur cette portion qui devrait être sans problème. Dieu merci j’aperçois pas loin le ravito et j’en entends les bruits et les acclamations. Peu avant c’est Lolo avec Martine et son chien que nous retrouvons. Ca fait plaisir ! Lolo me dis que tous le monde est en train de monter nous voir sauf Jef et Jojo qui attende encore l’arrivée de Musclor à Cham’. Ca m’émeut et me revigore. Par chance le final pour déboucher sur Vallorcine est moins caillouteux et je peux trottiner jusqu’au ravito.

Ravito express, on boit un coup et quelques raisins pour moi et je n’ose même pas voir ce que s’engouffre PAM. Le canari est tout excité , il a la crête et la plume gonflée et se voit déjà à Cham’. Faisant fi des prudents espoirs passés il veut maintenant passer sous les 44h et fixe unilatéralement qu’il faut qu’on arrive en 43h50. ‘’Question que ça ne soit pas trop proche de 44’’. Du coup il faut repartir fissa sinon il va me péter une durite. Marc qui nous a rejoint, détendu et sans trace de son équipée de la veille dans le 3C, Muriel, Lolo, Martine et le chien nous accompagne direction le col des Montets. On devise tranquillement et Marc me raconte sa course il est hyper content et n’a pas eu de soucis de crampe comme au TGV. La course lui a super plue. Je vois qu’il la bien gérée et a fait un super temps. Du coup le col des Montets est avalé sans s’en rendre compte et nous voilà descendant de l’autre côté. Le terrain est plus uniforme et moins douloureux pour mes pieds.
Qui voilà qui nous saute au coup Gérald notre Caribou (ça devient une vraie ménagerie notre petit groupe !). Il est tellement enthousiaste qu’il en embrasse Pam sur les deux joues tout surpris de tant d’affection. C’est vrai qu’il est content de nous voir autant que nous le sommes et son enthousiasme et son accent canadien si sympathique nous réchauffe encore plus le cœur. Il n’a pas l’air du tout éprouvé par le 3C dans lequel il a flambé lui aussi.
On commence à plus se sentir de joie, les copains qui arrivent nos belettes qui nous accompagnent main dans la main ça nettoie les douleurs de la course. Un peu plus loin encore une Pompom girl ! Pat la Cariboute qui elle aussi exulte et nous encourage comme une folle, tellement contente de nous voir que ça nous touche. Et ce n’est pas Fini c’est maintenant au tour de Jean Yves notre bibelot préféré (Podium sur le 3C, respect !) et Brigitte qui nous accueillent et nous enlacent avec plein de paroles réconfortantes. J’en reviens pas et PAM non plus de toutes ces émotions. Nous nous sentons submergés.

Arrivée à Argentières comme dans un rêve et applaudis par les spectateurs et voilà un ancien collègue de bureau en vacances dans la région qui me saute dessus pour me féliciter. Incroyable ! on est applaudi partout on a l’impression d’être des super héros. Pam me confie qu’il n’a jamais été applaudi comme cela sur une course. Et pourtant il en a fait !
Ravito avec du bon pâté et on repart seul : tous nos amis nous donnent rendez-vous à Cham’.
Là, dans l’euphorie de ces moments magiques, je commence à y croire mais il sera dit que jusqu’à la dernière goutte…

On devise avec Pam émerveillés par ces instants de chaudes amitiés et puis petit à petit la course reprend ses droits. Nous avançons pas trop mal et puis en longeant la voie ferrée, le revêtement commence à être moins uniforme, les cailloux font leur apparition et progressivement remettent à mal mes plantes de pied. Ca me relance, j’ai l’impression de marcher sur la braise, chaque caillou dépassant est comme un coup de couteau dans la plante, j’ai les pieds en feu. Du coup je suis obligé de viser à chaque pas pour choisir où je mets les pieds et notre moyenne s’en ressent. Pam essaye de me booster mais rien n’y fait c’est trop douloureux chaque foulée me tire des grimaces. Je ne suis vraiment pas à la fête. Une nouvelle fois car je vois qu’il piétine, je conseille à Pam de partir devant ; moi je finirai à mon rythme. Mais non, même s’il aimerait aller plus vite, il veut qu’on termine l’aventure ensemble. Suite logique pour lui de l’an dernier et de la préparation vécue ensemble. Mais c’est vrai que je me traîne, j’aurai du mettre à Champex mes chaussures de rando elles m’auraient mieux protégé la plante des pieds. Pourtant dès que le sol est égal ça va tout de suite mieux. Ce chemin au dessus de Chamonix sera un calvaire jusqu’au bout ; tant et si bien qu’il nous faudra 30 minutes de plus que nos suivants pour rallier Cham’ depuis Argentieres. Je ne brûle vraiment pas la piste !
Enfin après cette montée qui me semble interminable (pourtant elle ne fait que 150 m de D+), s’amorce la re-descente je sais qu’on est plus très loin et je souffle sachant qu’une fois sur le bitume ça ira mieux.
Pierre Rossi vient au devant de nous il va rejoindre son pote Patrice qu’il a du laisser continuer. Il nous apprend qu’il a été victime de son ligament croisé dans la montée du Col du Bonhomme et contraint à l’abandon.
C’est ensuite au tour de Jef de remonter vers nous. Il nous explique que ça fait un paquet de fois qu’il se tape cette grimpette. A l’affût de Musclor il a fait le yoyo et accompagné plusieurs coureurs un peu mal en point. Avec bibi ça en fait un de plus. Mais je sais la délivrance proche, ça y est le chemin s’uniformise pour faire place à une route forestière et je vois en bas le bitume. Je l’embrasserais tellement j’ai mal au pied. Enfin la route où on retrouve Lolo, Muriel, Jojo, Martine et tous les copains, on descend vers le carrefour et toute de suite ça va mieux plus rien ne dépassant, la charge repartie uniformément sur la plante des pieds et je me sens miraculé, la douleur s’estompe on va pouvoir se lâcher. Il reste à peine un kilomètre après le carrefour à droite on va courir, Lolo et Muriel sont là qui nous accompagnent et tous les copains.
On trottine et ça va de mieux en mieux, la foule s’intensifie et nous acclame nous et les quelques coureurs devant et derrière. Pam me redit qu’il n’a jamais été applaudi comme cela, je lui que comme final c’est vraiment royal et c’est avec le sentiment d’être acclamés comme des héros qui ont sauvé la planète que nous abordons le dernier virage pour être enfin face au portique d’arrivée.

Ces quelques mètres indescriptibles, qui nous ont fait rêver, tenus en haleine pendant un an et progresser pendant tout ce temps, ils sont là ! Si courts mais également si longs dans nos têtes. La pellicule sera là pour figer l’évènement mais elle ne peut rendre ce qui se passe en nous.

Ivre de joie nous passons enfin le portique que nous avions laissé 42h et 48 minutes plus tôt (j’en ferai plus tard la remarque à PAM qu’au niveau temps on fait encore mieux que ce qu’il pensait à Vallorcine.). Nous tombons sur madame Poletti qui nous embrasse et nous donne notre polaire si durement gagnée. Nous la remercions pour ce qu’elle fait et je m’excuse de n’être pas très reluisant mais toute à sa joie de participer à la fête des traileurs, elle n’en a cure. Elle n’a pas dû pourtant sentir que la rose depuis le temps qu’elle accueille ainsi tous les ‘’finishers’’.

On se sert la main avec PAM on se regarde sans discours, on se comprend, pas besoin de s’exprimer. Séparés par les barrières, nous tombons néanmoins dans les bras de nos belettes respectives. Un coureur à coté de nous sanglote dans le bras de sa femme, Pam me prend le bras sans parler ému en me désignant, d’un main tremblante le tableau. Finalement il l’a versé, sa petite larme. Doucement, je l’accompagne submergé également par tant d’émotions.

Ensuite ravito avec une bière pour moi (je ne l’ai pas volée celle là) et diverses photos avant d’aller nous reposer.

Décidément il me poursuit le toubib ! Toujours lui qui vient me demander encore comment cela s’est passé au niveau de mon orteil. Je le rassure une nouvelle fois et je le remercie de m’avoir reçu dans son cabinet. Mais quand même, il s’est trompé de produit ou quoi ?

Christian nous a rejoint et nous faisons une séance de photos avec lui, Gérald et Jean-Yves. Je le sens un peu déçu. De mon côté je me sens triste pour lui car il n’est absolument pas entamé et s’est arrêté à la Fouly juste après Béa, ne voulant pas continuer tout seul. Il avait largement la capacité de continuer, malheureusement nous avions trop d’écart (1h30) pour pouvoir nous retrouver. Il aura cependant ainsi que Béa, fait sa plus grosse course de l’année (102 et 6100 D+)et de sa vie si on excepte la Diago. Néanmoins cela m’attriste car il s’en est fallu peu de chose qu’il m’accompagne et je m’en sens en partie responsable.

Nous traînant finalement vers la navette nous retombons sur Dhom qui a récupéré son finisher de fils et qui nous enlace tellement content pour nous que nous ayons été jusqu’au bout. Finisher, lui aussi deux années durant, il partage avec nous l’émotion que cela procure.


Dans la navette enfin qui nous emmène récupérer les sacs et pour moi consulter un podologue, je somnole en me repassant plus ou moins le film : je n’y croyais pas et pourtant je suis allé au bout.
Je n’en tire aucune gloire ni fierté mais plutôt une sorte d’accomplissement et beaucoup d’émotions mitigées. Contentement et joie pour Pam qui finit sa carrière sportive avec Pégo-Sports par ce succès. Tristesse et remord pour Christian qui est resté derrière et avec qui je n’ai pu partager ces moments. Je sais que j’attendrai le jour où il voudra refaire le tour pour l’accompagner et ce coup ci …

Cette aventure continue de nous habiter et nous accompagne longtemps après dans nos souvenirs. Rédiger ce texte est pour moi un moyen de conserver tout ce vécu et surtout de garder intactes toutes ces émotions et ces moments magiques.

Quand j’essaye encore d’en faire le bilan je me dis que finalement plus qu’une polaire brodée l’UTMB ne m’aura laissé qu’un mot. Un mot qui m’a habité tout le long de la course et accompagné jusqu’au bout et qui peut être pour cela m’a permis d’y arriver. Un mot qui pour moi rimera toujours avec UTMB: ‘’Humilité’’.



2 commentaires

Commentaire de goyave posté le 10-11-2006 à 04:06:00

FELICITATIONS pour la course,pour le récit,et pour la leçon d'humilité qu'on a tendance a oublié !

Commentaire de Jack posté le 12-11-2006 à 12:30:00

Quel voyage !
Bravo pour ta course et le compte rendu fidèle.

Amicalement

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