L'auteur : Laurent V
La course : 100 km du Val de Somme
Date : 12/10/2019
Lieu : Amiens (Somme)
Affichage : 1338 vues
Distance : 100km
Objectif : Pas d'objectif
Partager : Tweet
Il est 4h30 quand mon réveil sonne, ce samedi 12 octobre 2019.
Étonnamment, j’ai bien dormi cette nuit. Alors que chacun de mes précédents Ironman accaparait mes pensées et hantait mes nuits, ce premier 100 km de course à pied est arrivé tranquillement. Comme une évidence.
Noyé par le travail et les préoccupations ces dernières semaines, je ne l’ai pas investi. Aucune préparation spécifique, je compte sur mon entraînement régulier, sans plus. Je vais y aller « au talent », comme dit mon fils en partant au collège sans avoir révisé l’interro annoncée.
C’est donc avec une certaine excitation que je me rends ce samedi au parc de la Hotoie, à Amiens, à 6h de matin.
Paradoxalement, je finis par m’inquiéter de ce manque de stress. J’espère qu’il n’y a pas là de la suffisance de ma part. Car je sais que, dans la longue distance, la roche Tarpéienne est proche du Capitole...
Je serai accompagné pour ces 100 km par une suiveuse vélo de luxe, mon amie Laurence.
Reine du tatami (ceinture noire deuxième Dan de karaté), Laurence ne connaît pas mon sport. Peu importe, elle s’est acheté un vélo pour l’occasion il-y-a trois semaines, a fait une sortie de 20 km pour l’étrenner, a couru Paris-Versailles il-y-a 15 jours avec moi, l’histoire de découvrir ce qu’était une course à pied, et c’est tout sourire et tout en confiance qu’elle s’apprête à prendre le départ pour cette longue journée de route. Elle est comme ça, Laurence.
Il fait donc nuit quand nous nous présentons au départ. J’aime cette atmosphère.
Je ne retrouve pas l’ambiance des départs d’Ironman. Pas de musique galvanisante, pas d’athlète en mode robocop tendu, pas de tenues clinquantes.
Alors que l’Ironman est la course bling-bling par excellence, à l’américaine, ici les choses paraissent simples, à l’ancienne.
À 10 mn du départ, les suiveurs cyclistes sont regroupés et partent, escortés, nous attendre au km 10.
Je reste avec mon frère Yann et mon ami Eddie, celui-là même qui m’avait donné l’envie de m’inscrire à cette course.
Et à 6h30 précises, le coup pistolet donne le départ. J’allume ma frontale. Et je me lance doucement. C’est parti pour ma folle aventure. Je fais attention à chacune de mes premières foulées. Je profite pleinement du moment. Je commence à réaliser la formidable épopée dans laquelle je me lance.
Le parcours commence par 2 tours d’un petit parc, avec 2 passages devant le speaker et les quelques spectateurs.
J’observe les coureurs. La plupart partent lentement, discutent, se saluent. Beaucoup semblent se connaître du circuit des 100 km, moins dense que celui des marathons. Un monde à part.
Déjà, en tête, des coureurs font la course. Championnat de France oblige. Je les regarde, fasciné. Un autre monde à part.
Je quitte le parc après mes deux tours en repassant devant le speaker en train d’annoncer que Monsieur Xavier Bertrand, Président des Hauts de France, n’a pu être présent mais est représenté par Monsieur Machin.... Je souris en pensant à ce pauvre homme dépêché à 6h30 du matin un samedi pour assister au départ d’une course amateurs.
Les deux tours de parc effectués, nous rejoignons le bord de Somme que nous ne quitterons plus de la journée. D’abord un aller jusqu’à Lamotte Brebière, à 14 km vers l’Est, puis retour par le même chemin de halage jusqu’à Amiens (donc 28 km A/R) avant de partir vers l’Ouest cette fois, pour 35 km, jusqu’à Pont Rémy, avant d’enquiller les mêmes 35 km de retour, jusqu’à Amiens. Et le compte est bon.
Il fait nuit. Je suis heureux. Pas en mode stress. Les coureurs sont encore groupés. Je regarde le fil de lumière des lampes frontales. La Somme à droite. Quelques rares passants regardent cet étrange cortège.
Je pense à mes 300 km en 10 jours cet été accompagné par mes deux garçons à vélo, le long du canal du midi. Je suis dans le même état d’esprit. En mode sortie souple et non en mode course. À l’inverse des courses Ironman, je n’ai pas l’œil rivé sur ma montre.
Déjà le premier ravitaillement du km 5. Je ne m’arrête pas. Juste un verre d’eau en passant. En fait, je suis pressé d’arriver au km 10, de retrouver Laurence.
À la lumière de ma frontale, je fais attention où je mets mes pieds. Je me remémore ma lourde chute, il y a un mois, mon nez et mon genou fracassés, mon arrêt contraint d’entraînement pendant huit jours.
Petit à petit, la nuit s’estompe. L’aube vire au rose et nous donne promesse de beau temps.
À la sortie d’un virage, j’entends des conversations et je vois enfin, de chaque côté de la route, les suiveurs cyclistes qui attendent.
Il fait encore bien sombre et il n’est pas aisé de distinguer son partenaire. Je vois les paires qui se forment. Je vois cette gamine de 15 ans heureuse d’accompagner à vélo son père (« ça va papa ? Tu n’as pas froid ? Tu n’es pas fatiguée ?... »). Je souris, heureux.
Soudain j’aperçois Laurence, à droite. Je m’arrête un instant pour échanger un mot et ranger ma lampe frontale dans une sacoche de son vélo. Je bois une gorgée du bidon qu’elle me tend et nous nous mettons en route.
Il reste 90 km et une nouvelle course commence. Je ne courrai plus jamais seul.
Le chemin est maintenant assez étroit, avec la Somme à droite et des étendues d’eau à gauche. Des canards sauvages nichent dans les herbes hautes. La lumière est maintenant orange. Le spectacle est magnifique.
Nous approchons du premier demi-tour, celui du km 14. Nous croisons les premiers coureurs en sens inverse. J’admire leur foulée aérienne. Je croise ensuite mon frère et mon ami Eddie, qui ont un bon km d’avance sur moi. J’arrive enfin au demi-tour et maintenant, je croise les coureurs qui sont derrière moi.
Je suis encore facile. Je discute avec deux coureuses de l’AJ Auxerre puis avec leur suiveur vélo.
Soudain, vers le km 20, j’aperçois Eddie qui marche le long de la route. Il boite. Je comprends que le claquage du mollet qu’il redoutait est arrivé. Je lui tape sur l’épaule, je marche quelques pas avec lui, nous échangeons quelques mots.
Je mesure sa déception même si je sais que, avec ses huit 100 km et ses 35 Ironman, il n’a plus rien à prouver.
Nous repassons maintenant par Amiens puis arrive le 30ème km. Ma moyenne est régulière : un peu plus de 10 km/h en comptant les arrêts aux stands tous les 5 km. Pas de « mur » du 30ème. Je suis soulagé.
Il est maintenant près de 11h du matin. Il fait bon, presque chaud. J’arrive à mon premier marathon en 4h20 (vs. 3h32 pour un marathon à sec ou 4h pour un marathon d’Ironman). Je suis encore très bien en j’envoie une photo à mes copains du RMA Triathlon.
À partir de maintenant, c’est un saut dans l’inconnu : je n’ai jamais couru au-delà de ces 42,195 km.
Très vite, je commence à gamberger. Je savais que le doute me gangrènerait le cerveau à un moment. Il me reste 58 km à faire, ça me parait soudainement énorme.
J’essaye de me rassurer : « allez Lolo ! Tu fais encore 8 km, c’est rien 8 km, et tu arrives à la moitié. Puis encore 8 km, c’est rien 8 km, et tu es au km 58. Et là, il ne te reste plus qu’un marathon, comme le marathon de l’Ironman que tu sais courir après 7h de sport ! ». J’occupe mon esprit par ces calculs. J’essaye de mettre mes jambes en pilotage automatique.
J’arrive finalement au km 50. Une nouvelle photo et je repars. Mon allure commence à baisser, même si je n’ai mal nulle part.
J’échange quelques mots avec Laurence. Elle me rassure. Elle trouve le juste équilibre entre le respect qu’il faut porter à une telle épreuve et le recul nécessaire pour ne pas se prendre trop au sérieux. Je lui demande comment ça va sur son vélo de ville tout neuf. Tout va bien, tant mieux.
L’espace entre les coureurs est maintenant nettement distendu. Il peut m’arriver de me retrouver seul avant de me faire dépasser par un coureur sorti de je ne sais où, coureur que je rattraperai en train de marcher quelques km plus loin.
Si le parcours est particulièrement plat, nous devons subir quelques montées pour emprunter un pont par-ci par-là. Ces bosses me paraissent des montagnes et je les monte en marchant.
Peu après le km 50, je croise le premier coureur sur le retour. Il semble être plus dans le dur que lorsque je l’ai croisé il-y-a.... 5 heures. Il a une avance significative sur le deuxième.
Plus tard, je croiserai la première féminine. Une hollandaise venue pour battre le record de son pays sur 100 km. Je serai frappé par son style aérien mais surtout par le large sourire qu’elle arbore en courant.
Je croise ensuite d’autres coureurs et nous nous encourageons respectivement. C’est sympa, ce respect réciproque. Et parmi ces premiers coureurs, mon frère Yann. Tout sourire, il est très en forme, trois semaines après les 100 km de Metz. Nous nous tapons dans la main, mais ne nous arrêtons pas vraiment.
J’ai tellement hâte d’arriver au demi-tour du km 65. Les km ne défilent plus. Je regarde ma montre tous les 200 m. À chaque virage, j’espère trouver le demi-tour. En vain. Je m’arrête faire pipi alors que je n’en n’ai pas envie. Juste pour avoir un prétexte pour m’arrêter.
Je demande, fébrile, aux coureurs que je croise si le demi-tour est encore loin. Ils me répondent « non », sans conviction.
Encore un pont à gravir, mon Himalaya, la descente et.... au loin : le demi-tour.
Il ne me reste plus qu’une ligne droite de 35 km et c’est fini !
À partir de maintenant, les coureurs que je croise sont derrière moi. Ce n’est sûrement pas charitable de ma part, mais quelque part, ça me réconforte de voir que j’ai moins de chemin restant à parcourir que d’autres.
Vient ensuite une interminable ligne droite. Je suis silencieux. J’essaye de sortir de la temporalité. Je ne pense qu’à mettre un pied devant l’autre, sans penser à rien d’autre.
Ma vitesse tombe inexorablement. Je ne comprends pas pourquoi, je n’ai mal nulle part. Mais je ralentis quand même.
Il me reste maintenant 26 km. Il est 16 heures. J’ai chaud. Ça fait bientôt 9 heures que je cours, sans discontinuité.
J’éprouve une sensation inconnue. Je ne suis pas grillé comme à l’arrivée d’une course, je ne suis pas dans le rouge, je n’ai mal nulle part, mais je ne suis pas bien pour autant, sans parvenir à analyser ce qui ne va pas.
D’un coup, je suis pris d’une angoisse. Il me reste 4 h pour terminer les 25 km avant élimination, mais je me perds dans mes calculs et doute d’y arriver. Mon esprit n’est plus très clair. Je commence des phrases à l’endroit de Laurence et les termine dans des balbutiements à peine forcés. Nous en rions.
À ce moment de la course, je suis heureux d’avoir mon ange gardien à vélo derrière moi. Je sais qu’il ne peut rien m’arriver.
Km 80 : nous rejoignons les marathoniens qui entament leurs deuxième semi et croisons ceux qui en sont à leur premier. Ils me paraissent si frais. Beaucoup d’entre eux nous saluent respectueusement, nous les cent-bornards.
Km 90 : j’envoie une nouvelle photo sur le Whatsapp du club. Je sais que beaucoup de ces amis sportifs s’intéressent à ma course et ça me motive.
Il ne reste que dix km. Ce n’est rien. Juste une éternité.
Ça me parait vraiment long. Je commence à marcher. C’est alors que Laurence m’encourage doucement, avec le sourire, à me remettre à courir. J’aime sa façon de faire, et je me relance.
Nous arrivons finalement à Amiens. Retour dans la ville, sur un trottoir, le long des bouchons.
Soudain le panneau du km 99. Une dernière photo que j’envoie au club avec le commentaire : « j’hésite à abandonner ».
Puis nous repartons pour le dernier km. Et là, métamorphose. Je retrouve mes jambes et me remets à courir à bonne allure. Dernier virage et entrée dans le parc quitté ce matin, il y a 12 heures.
Je retrouve enfin la même émotion qu’à l’arrivée d’un Ironman. Même si l’ambiance n’a rien à voir, la jubilation intérieure est là. Identique.
Reste 500 m, j’entends le speaker au loin. Je réalise d’un coup que j’ai couru 100 km et mes yeux se brouillent.
400 m : Je me retourne et vois Laurence qui suit mon accélération. Je lui crie de venir à côté de moi. Elle sourit encore en forçant sur ses pédales.
300 m : dernier virage. Je vois l’arche bleue de l’arrivée. Je suis tellement heureux. J’accélère encore. Je me nourris des viva des spectateurs.
200 m : je retrouve cette sensation que je n’ai connue qu’à l’arrivée d’un Ironman, une émotion qui ne ressemble à rien, ni tristesse, ni joie, mais cette impression d’être porté, transbahuté, roulé, écrasé, halluciné dans une même explosion.
100 m : les vélos sont dirigés vers la gauche, les coureurs à droite. Je ne cours plus, je vole. Je me mets à faire l’avion comme gamin dans ma cours d’école. Je suis submergé par l’émotion.
La ligne que je franchis.
Je regarde ma montre. 12h14 de course. Je ris. À cet instant précis, et pour quelques minutes encore, plus rien d’autre n’a vraiment d’importance. C’est génial. C’est énorme. J’ai réussi.
On me remet ma médaille de finisher. Je remercie. Et ce n’est que quelques temps plus tard que je réaliserai que c’est mon frère qui m’a remis ce précieux trophée. Comme un adoubement par ce champion qui a terminé en 9h et 3ème de sa catégorie, à peine un mois après les 100 km de Metz.
Je retrouve tout de suite Laurence. Elle semble aussi heureuse que moi. Nous tombons dans les bras l’un de l’autre.
Je la remercie de m’avoir accompagné dans ma folie.
Ni l’un ni l’autre n’avions vraiment préparé cette course. Et l’un comme l’autre avons été happé, par surprise, par l’intensité de l’événement.
Oui, nous avons été, pendant 12h14, dans un état d’harmonie mentale et physique irréel. Partageant cette émotion exceptionnelle que le corps apporte à l’esprit quand on en tire le meilleur. Tous deux hypnotisés par les battements d’un cœur qui bat pour permettre de courir 100 km. Un cœur qui bat.
2 commentaires
Commentaire de marathon-Yann posté le 25-10-2019 à 14:11:22
Un récit sincère comme je les aime ! Cent bravos à toi !
Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 26-10-2019 à 08:23:59
Et en plus, elle est très jolie ta suiveuse... et ceinture noire, tout pour plaire (je ne suis que 1er dan, je m'incline).
Bravo à toi, un 100km c'est aussi important qu'un passage de dan.
Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.