Récit de la course : Le Grand Raid des Pyrénées 2019, par poildepoilly

L'auteur : poildepoilly

La course : Le Grand Raid des Pyrénées

Date : 22/8/2019

Lieu : Vielle Aure (Hautes-Pyrénées)

Affichage : 2987 vues

Distance : 220km

Objectif : Pas d'objectif

1 commentaire

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Voir Luz et mourir

Voir Luz et mourir

 

Pourquoi s'inscrire sur un 220 km alors que l'an passé, j'ai dû abandonner sur le 160 km à Cauterets après 100 bornes ?

Cette petite question me taraude l'esprit et je ne peux m'empêcher de penser que je suis complètement illégitime sur cette ligne de départ en ce jeudi 22 aout. Je me rassure depuis 6 mois en me disant :

    1. que le contrat, c'est d'arriver à Luz pour réussir à atteindre la barre des 160 km et

    2. que l'effondrement de la voute plantaire qui a causé mon abandon est réglé par une paire de semelles (sauf que bien évidemment toute la semaine précédant le départ, des symptômes bien inquiétants sont réapparus)

Bref, je rase les murs sur la place de Vielle Aure, d'autant que j'ai fait le choix de laisser la frontale dans le sac pour ce départ à 6h comptant sur la lumière des copains ce qui complète ma panoplie d'escroc !

Enfin, le troupeau s'agglutine, on se tient chaud, on tape dans les mains et go ! Nous commençons par un peu de bitume sur du plat et à priori, il semblerait que partir tranquille soit une bonne option mais c'était sans compter que le Pyrénées Tour Trail est au départ avec nous pour partager les 40 premiers km jusqu'au Pic du Midi et que, eux, ont décidé de partir vite ! Qu'à cela ne tienne, je ne me laisse pas emporter et je me force à me trainer un peu. Bien rapidement, je me rends compte qu'il ne reste pas beaucoup de lumières derrière moi.

La première montée vers la Hourquette d'Ancizan est magique, le soleil se lève, le brouillard dans la vallée forme une belle mer de nuages. Les sensations sont bonnes, je garde un œil sur le cardio qui a l'air de vouloir rester sage en ne passant jamais au dessus des 145 pulsations. Il ne me reste qu'à éliminer le spectre des barrières horaire et tout sera pour le mieux !

Ces premiers 1000 mètres de dénivelé passent tout seul et je m'engage déjà dans la descente vers le premier ravitaillement en profitant du spectacle offert par un petit lutin qui a empilé des cairns dans le ruisseau qui longe le sentier.

J'arrive au ravitaillement de Payolle à 9h15, la barrière horaire est à 10h45 (un souci de moins pour l'instant) et je pointe à la 379ème place sur 400 et des bananes au départ (c'est vraiment parti vite car je n'ai pas spécialement eu l'impression de musarder en chemin...)

Avant le départ, j'ai fait un petit déjeuner raisonnable à l'hôtel (où j'ai notamment fait la connaissance de ST AR sans savoir qu'on trainait tous les deux sur Kikourou), pourtant j'ai déjà faim. J'en profite donc pour m'empiffrer ce que je ferai consciencieusement à chaque ravito.

C'est donc le ventre plein que je repars pour affronter un vieux copain : le Pic du Midi (après le tour des lacs et l'ultra de l'an dernier, ce sera la troisième fois qu'on se rencontre en course). Mais avant ça, il faut en passer par un coin que j'avais repéré sur le profil comme un long faux plat montant. Je m'étais fait la promesse de marcher le plus possible sur ce tronçon pour ne pas risquer d'arriver entamé au pied du Pic. Cette promesse sera d'autant plus facile à tenir, qu'au vu de mon classement, je me retrouve déjà tout seul et donc sans la tentation de suivre un groupe avec un rythme trop rapide. J'en profite même pour passer un coup de fil à la petite famille qui doit me retrouver au Col de Sencours (et qui se trouve coincée dans les bouchons à Artigues où le gros du peloton traverse la route alors que j'en suis encore bien loin!)

C'est encore vaillant que quelques minutes plus tard j'atteins la route. Il ne reste plus qu'à se cracher dans les pognes pour attaquer le Pic. Je trouve un rythme semi-tranquille qui me permet néanmoins de rattraper un peu de monde (et ça c'est bon pour le moral d'autant que j'ai vite fait de me trouver super malin d'avoir commencé doucement!).

La montée est longue jusqu'au Col de Sencours mais pas plus violente que ça. Aucune douleur ne resurgit alors que l'an passé je m'en ressentais déjà à cet endroit.

Sencours apparaît, ou plus exactement se fait entendre à grands renforts d'encouragements qui retentissent bien avant ! Mes 3 enfants et ma femme viennent juste d'arriver et un petit coup d'Orangina plus tard, je repars rapidement pour régler mes comptes avec la bête qui semble encore bien haut. Chaque fois que j'ai dû y monter, j'ai vraiment peiné dans la dernière partie. Ce serait honteusement mentir que dire que tout s'est bien passé ce coup-ci mais de loin, ce fut la moins dure des trois. Je passe au sommet à 13h46 en 305 ème position (74 places de gagnées) mais surtout avec 2h15 d'avance sur la barrière horaire.

C'est au petit trot que j'aborde la descente pour une partie que je sais usante jusqu'à Pierrefitte. Au vu de ce début de course, je caresse l'espoir d'y arriver avant de devoir allumer la frontale mais l'objectif officiel reste de ne pas s'abimer en courant comme un dératé dès que le chemin devient roulant !

Mais d'abord, retour à Sencours (14h17 et 268ème place) où je me goinfre allègrement, j'essaie de ne pas m'éterniser et renonce à l'atelier Nok en espérant ne pas le regretter (ce sera la première décision illogique d'une belle série).

Le col d'Aoube (toujours aussi impressionnant vu d'en bas!), le col de Bareilles (aussi dur en montée qu'en descente!) puis la Hourquette d'Ouscouaou s'enchainent. Les paysages sont toujours aussi beaux, ce qui n'empêche pas les premières défaillances d'apparaitre autour de moi : premier vomi, premières crampes…

Enfin, il faut en passer par une crête interminable pour arriver à Hautacam et son ravitaillement ! Je prends mon mal en patience et renonce à galoper trop souvent même si j'ai hâte d'arriver d'autant que je sais que mon comité d'accueil sera au complet avec la venue d'un couple d'amis et leurs deux filles. Finalement, j'y suis à 18h48 (278ème et 3h d'avance sur la barrière horaire).

J'ai une énorme envie d'une bière car la chaleur a bien entamé le bonhomme (et aussi car j'ai toujours aimé faire un peu le malin et que ça ferait joli sur la photo...). Ma petite femme finira par me raisonner et j'échangerai cette bière contre quelques regrets.

Il reste alors 10 km de descente tout mignonne pour atteindre la base vie de Pierrefitte. J'y vais en mode balade en ne courant que lorsque je commence à en avoir assez de marcher.

Mes espoirs inavoués se réalisent et j'arrive à Pierrefitte bien avant que la nuit ne tombe (21h14, 289ème et toujours 3h d'avance). Je suis pris en charge par mon équipe et je dévore pâtes, soupe, sandwich... Ce coup-ci, je crème les pieds ou plus exactement je me fais crémer les pieds pendant que je baffre. Un T-Shirt propre et une frontale sur le nez plus tard, je repars en pleine forme (21h57 et 250 ème).

J'aborde alors la seule partie que je connais pas du tout jusqu'à Estaing. Bizarrement, je n'en garde que peu de souvenirs (en même temps, cette première nuit commence avec 1000 mètres à monter et 500 mètres à descendre caché dans les arbres). Je discute un peu en ce début de nuit avec un compagnon de route qui me suit depuis le Lac Bleu mais arrivé au Turon de Béne, il commence à boiter et j'entame seul la descente vers Estaing. A vrai dire, j'aime bien passer du temps seul la nuit, ce que je vais m'appliquer à faire jusqu'à Cauterets.

Mais d'abord, Estaing (2h28, 255ème, 4h d'avance sur la barrière). Je traine quelques minutes au ravitaillement, histoire de voir si un lit de camps se libère mais rien à faire, un lit est une denrée rare ! J'accuse un léger coup de barre mais tant pis, j'essaierai de dormir à Cauterets. Comme personne ne repart du ravitaillement, j'en profite pour m'élancer tout seul. Le chemin suit un torrent et d'un coup, … ça caille ! Arrêt pour mettre la veste car l'humidité est intenable jusqu'au Lac d'Estaing.

C'est ici que commence la montée du Col d'Ilhéou. Je l'ai faite en randonnée il y a une bonne dizaine d'année et je m'en souviens encore comme étant interminable alors avec presque 24h de course dans les pattes, je pense que ça va être affreux ! Le fait est, ce col porte bien son nom !!! C'est long, c'est dur et ça n'en finit jamais ! Seule consolation le lever de soleil approche ! Une fois en haut, j'aperçois la station du Lys un peu plus bas. Je me fais une descente à 2 à l'heure pour être sûr d'arriver à Cauterets en bon état et ne pas être tenté par l'embryon d'un soupçon d'idée d'abandon. Je profite de ma petite vitesse pour tenter à plusieurs reprises de réanimer ma montre qui a gelé dans la descente et qui ne veut plus rien savoir (étrangement, l'idée de ne pas avoir un fichier .fit de ce qui s'annonce comme ma course la plus longue me fait copieusement râler!).

Cette descente est plus simple que je ne pensais et je rejoins tous mes supporters qui se sont avancés à ma rencontre. Au moment où je commence à vouloir me plaindre de cette foutue montre, elle se remet en marche et reprend même l'activité (il ne me manquera que 7 ou 8 km).

C'est quand même avec un brin de fatigue que j'atteins le ravitaillement à 8h12 (223ème et 4h30 d'avance). L'heure n'est plus à l'hésitation, il faut que je dorme ! Mais une fois de plus, pas un lit de libre ! Je me console en mangeant tout ce qui me passe sous la main et je retrouve ST AR qui semble déjà prêt à repartir. Pour ma part la décision est prise : la voiture est garée juste à côté, je vais y dormir une petite demi-heure (ce qui est une grande première pour moi, je n'avais encore jamais réussi à dormir sur une course).

Bref, je sors de la voiture frais comme un gardon. Je pète littéralement le feu et repars sur les chapeaux de roues. La Raillère est atteinte en un rien de temps et j'attaque le sentier pour rejoindre Pont d'Espagne en doublant les touristes... jusqu'à ce que je jette un coup d'oeil au cardio : 170 pulsations ! Il est temps de siffler la fin de la récré et d'adopter un rythme un peu plus cool d'autant que j'ai déjà sifflé une bonne partie de ma réserve d'eau. Je ne suis pas trop inquiet pour l'eau, je n'en ai jamais vu autant dans les cascades qui jalonnent le sentier. D'ailleurs, le parking de Pont d'Espagne déborde aussi mais de voitures ! Premier signe de ce qui m'attend jusqu'au Lac de Gaube : la meute des randonneurs est lâchée ! La progression sur le chemin est ardue : entre les amrches et les promeneurs qui montent un peu trop doucement pour rester caler dans leurs pas. Heureusement, je me fais rattraper par une petite troupe de coureurs et je reste derrière eux pour profiter de leur sillage.

La chaleur est bien présente, j'en finis ma réserve d'eau et je refais un plein dans le ruisseau.

Le Vignemale se fait désirer mais finit par montrer le bout de son nez et avec lui le refuge des Oulettes de Gaube. Il est 13h56, je suis 209 ème à 4h15 de la barrière.

L'ambiance est festive, il faut dire que la garbure y est pour beaucoup ! Je repars avec de bonnes sensations, seul bémol, je commence à me rendre compte que les bras et les cuisses rougissent très sérieusement et que ma crème solaire est restée à Cauterets.

La montée jusqu'à la Hourquette d'Ossoue se digère aussi bien que le demi-litre de Garbure que je me suis enfilé même si la dernière partie de l'ascension semble s'éterniser un peu...Mais une fois en haut, le refuge de Bayssellance paraît tout proche !

J'appréhende un peu la suite. Je connais bien le chemin qui suit pour l'avoir monté plusieurs fois en randonnée et je sens bien qu'il ne sera pas beaucoup plus simple à descendre mais surtout je sais que le sentier va me sembler bien long ensuite jusqu'à Gavarnie.

Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs, il me faut déjà descendre jusqu'au barrage d'Ossoue et avant me ravitailler au refuge. Il est 15h51 et je suis 211ème.

Je commence la descente prudemment mais la lucidité commençant à être chose rare, je décide très intelligemment de hausser le rythme histoire d'en finir plus vite avec cette descente casse gueule. Riche idée s'il en est, je me retrouve avec une ampoule bien douloureuse (sous la corne qui a résisté à deux mois d'hydratation) à chaque talon.

Belle surprise, mon comité de soutien est venu à ma rencontre par une piste et je profite d'une petite pause aussi imprévue que bienvenue.

La suite jusqu'à Gavarnie me semblera tout de même interminable ! Le chemin est pourtant bien joli mais je commence à piocher sérieusement dans les réserves !

J'atteins finalement le ravitaillement à 19h53 en 217ème position (toujours à 4h30 de la barrière). A peine posé sur une chaise, je me mets à trembler comme une feuille au point de ne pas pouvoir tenir mon assiette. Je mettrai de longues minutes à me réchauffer. Je colle deux compeeds sur mes ampoules et je profite une fois de plus de la voiture pour dormir ¾ h. Le réveil sera beaucoup moins facile qu'à Cauterets. Je me suis endormi alors qu'il faisait encore jour, je me réveille dans la nuit noire avec un gros coup de speed en pensant avoir dormi bien trop longtemps... Finalement, je me prépare, j'ai froid au point d'enfiler tout ce que j'ai sur le dos. Je sais que ce qui m'attend est beaucoup moins facile que ne le laisse penser le profil de la course pour l'avoir fait il y a deux ans lors du Tour des Cirques.

C'est donc reparti pour un tour de frontale. Je m'accroche à l'idée que Luz n'est plus très loin...

Je repars avec tout un groupe qui fait le 120 km et à qui je dois faire beaucoup de peine car l'un d'entre eux m'arrache un sourire en me disant qu'il va prendre soin de moi pour passer la nuit. Finalement, on ne fera pas 5 minutes ensemble car, une fois le rythme repris, je crève de chaud et je dois enlever toutes me scouches pour me retrouver en T-Shirt.

Les sensations sont de mieux en mieux tout au long de la montée vers les Granges de Saugué au point que je commence à me surprendre à penser à ne pas m'arrêter à Luz. Malheureusement la descente sur Gèdre est une autre paire de manches ! J'ai un genou qui commence à peiner et les compeeds n'ont absolument aucun effet sur mes ampoules (j'hésite même à les enlever...). Forcément, la vitesse chute et tout devient interminable.

J'arrive à Gèdre à 0h28 en 230ème place et je n'ai plus que 3h30 d'avance sur la barrière horaire. Je ne traine donc pas très longtemps au ravitaillement.

La montée qui suit est affreuse et loooonnngue mais loooonnngue ! Pour ne rien arranger, toute lucidité s'est évanouit ce qui fait que je ne mange plus, je ne bois plus et j'essaie de cligner des yeux le moins possible car j'ai peur de m'endormir. Bref, je jette mes dernières forces dans la bataille en essayant d'épargner mon genou dans la descente qui suit jusqu'à Sia.

Dernière bosse jusqu'à Luz. Je suis comateux. Je m'applique à rester dans un petit groupe car je sens qu'il n'est plus prudent de continuer seul.

Finalement, Luz apparaît à 5h10. Je ne ferai qu'entrer dans le ravitaillement pour abandonner dès le bip d'entrée. Pour donner une idée de l'état dans lequel j'étais à ce moment là, mon gamin m'empêchera par 2 fois de monter dans une voiture qui, même de loin, ne ressemblait pas du tout à la mienne !

L'aventure s'arrête donc, comme prévu, au bout de 47h08 à la 220ème place pour 173 km et 9600m de dénivelé (pour un gars qui, il n'y a pas si longtemps, rêvait juste de gagner un point UTMB, c'est pas si mal!)

1 commentaire

Commentaire de jb600cbr posté le 21-10-2020 à 14:52:38

bravo pour cette belle performance !!!

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