L'auteur : jedaf
La course : Black Mountain Trail - Black Race
Date : 2/3/2019
Lieu : St Amans Soult (Tarn)
Affichage : 2084 vues
Distance : 33km
Matos : Speed cross 4
Objectif : Terminer
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La sonnerie délicate et persistante du smartphone me sort d’un sommeil totalement non réparateur.
La nuit s’est résumée à guetter l’approche de la sonnerie attendue et redoutée à la fois, toutes les demi-heures. On rêve sonnerie, on vit sonnerie.
3 heures, c’est la vraie. Un café, puis deux, puis trois. Les affaires sont prêtes depuis la veille. Ai-je tout pris ? Quel est l’élément qui me manquera au moment où je m’équiperai une demi-heure avant le départ ? Ai-je mes deux chaussures ? Allez, je vais vérifier. Non ! Je lutte mais non, je n’ouvrirai pas mes sacs bien rangés dans le coffre de la voiture.
3 heures 45, Nicolas arrive. Dans ses yeux je vois la trace résiduelle des chiffres électroluminescents de son smartphone qu’il a consulté lui aussi toutes les demi-heures. Je ne juge pas utile de lui demander s’il a bien dormi. Nous partons à 4 heures pour Saint-Amans-Soult via Mazamet pour une heure de route.
Nous allons une nouvelle fois défier le Black Mountain Trail. Superbe course dans la Montagne Noire, il me semble qu’elle en est à sa cinquième édition. Mon fils a participé à chacune d’entre elles sauf une qui a été annulée pour cause de très mauvaises conditions climatiques. Progressivement je l’y ai accompagné jusqu’à y participer moi-même. L’année dernière, je me suis frotté à Objectif Nore (18 kilomètres). J’y ai pris un immense plaisir et en vertu du principe « qui n’avance pas recule » je me suis inscrit cette année à la Black Race (33 kilomètres). Nicolas, pour la troisième fois parcourra les 55 kilomètres de la redoutée Coupo Cambo. Des cousins venus spécialement du Limousin feront connaissance avec Objectif Nore mais ont choisi la vague de 12 heures. Nous les retrouverons à l’arrivée… enfin les survivants.
Il est encore nuit. Nous traversons St Amans et arrivons en vue du gymnase. Le parking, à cette heure, est encore disponible. Il est 5 heures 10. La course phare, la Coupo Cambo, part à 6 heures.
Le gymnase est en effervescence. J’aime énormément ce moment. Nous faisons la queue pour récupérer nos dossards. Ici la distribution se fait en fonction des numéros. Les maillots sont sobres et très beaux avec dans le dos deux immenses haches croisées. Nous prenons un café au buffet bien garni puis Nicolas part se changer. Le moment est à la concentration. 55 kilomètres en courant (ou presque) ce n’est pas à prendre à la légère.
Je l’accompagne au sas de départ. Plus de 400 coureurs, frontales sur le front, sont en attente. Une musique profonde aux basses douloureuses s’élève et le départ est donné. Les coureurs sont partis. On peut voir dans la nuit finissante un nuage étiré de lucioles parcourir la cité avant de disparaître dans les bois. Je reverrai Nicolas dans une dizaine d’heures au plus tard. Je souhaite l’attendre à l’arrivée sinon ce sera pour moi une bien piètre performance. Mais je m’accrocherai à ma devise que jusqu’ici je n’ai jamais trahie « Je finirai et pas le dernier. »
6 heures 15. C’est fait, je me retrouve seul avec moi-même, c’est une compagnie qui ne m’enchante pas particulièrement mais un retour vers le gymnase quelques centaines de mètres plus bas et un autre café bien chaud ont tôt fait de me réconcilier.
L’ambiance s’est apaisée, les bénévoles se préparent efficacement à l’arrivée prochaine des coureurs de la Black Race. Les sacs sont soigneusement alignés et classés par numéros. Le buffet ressemble à un café de quartier où les coureurs, par groupes, discutent en sirotant leur petit noir un cake à la main. A l’approche des 7 heures je retourne à la voiture pour m’équiper de pied en cap. J’ai l’immense satisfaction de voir que j’ai bien mes deux chaussures. Il m’eut été désagréable de faire cette courses à cloche-pied. Je retourne au gymnase m’imprégner de cette atmosphère d’avant-course.
7 heures 30. Une inspiration me fait faire un crochet vers la voiture pour me suréquiper d’un coupe-vent par dessus mes trois couches de maillots et polaire. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai un pressentiment en ce qui concerne le Pic de Nore. Ici en bas il fait frais, le temps est très légèrement brumeux et un petit vent ramasse ce qu’il peut de la chaleur qui s’accroche encore à nos organismes. Nous sommes 800 alignés sur la ligne de départ, canalisés par les barrières de sécurité. Devant se pressent ceux qui ont déjà gagné. Il ne sert à rien de tenter de me placer vers la tête de la course, je n’y resterai pas longtemps, je ne ferai que gêner. Vous savez, je suis quelqu’un de très discret.
La même musique aux basses meurtrières commence à nous décoller les prothèses dentaires. Le départ est enfin donné. La délivrance. L’adrénaline qui s’accumulait ces derniers jours peut enfin s’écouler. Je me sens bien. J’ai parcouru 100 mètres. Jusqu’à présent ça va.
Nous faisons une boucle dans le village. J’ai toujours cette crainte de ne pouvoir assurer la course quand dans les premiers kilomètres je sens mon souffle tarder à s’installer. Puis le vieux diesel se met à ronronner, tranquillement.
Nous arrivons enfin à l’entrée de la pente boisée que nous ne quitterons pratiquement plus pendant la quasi totalité du parcours. Ça bouchonne. Leclerc à l’heure des soldes sur le poisson. Nous avançons au pas. Jusqu’au loin de la forêt au dénivelé prometteur nous voyons une longue file de coureurs au pas. Le chemin étroit a bien du mal à absorber 800 coureurs affamés.
La course finit par reprendre paisiblement, au pas, jusqu’à un très agréable chemin qui nous redescend dans la vallée au niveau de Soult-Berg, un vrai plaisir, le premier des 5 dénivelés est écarté.
Très vite nous reprenons les sentes dans les sous-bois et nous grimpons vers le 1er ravitaillement de la cabane des Chasseurs. Le dénivelé est important mais je l’encaisse assez bien. Je suis conscient que ma moyenne horaire est plus proche du record de l’EHPAD locale que de celle d’un député en campagne électorale. Le paysage est très beau, très bucolique, le temps reste gris mais promet d’être clair. Un peu de brume entretient une petite humidité. J’ai gardé mes 4 couches (ne rêvez pas, je ne suis pas encore incontinent) et je persiste à ne pas le regretter. Sur ce premier tronçon de parcours j’ai vu nombre de coureurs s’effeuiller, je ne serai pas surpris qu’ils perdent bientôt du temps à se rhabiller. J’ai fait la connaissance du Pic de Nore l’an passé et je crains qu’il ne soit guère moins clément aujourd’hui.
Déjà le premier ravitaillement, celui de la Cabane des Chasseurs. Une légère angoisse m’étreins. Je me souviens avoir vu que nous allions rencontrer 3 ravitaillements, or il me semble déjà que cela fait une éternité que nous montons. Me suis-je trompé de course ? Est-ce vraiment 33 kilomètres ? L’accueil est somptueux et chaleureux. Un cochon de lait à la broche nous accueille le sourire aux lèvres. Les bénévoles sont gais et serviables. Ils nous encouragent à manger des spécialités tarnaises. C’est varié, c’est copieux. Je reprends ma course avec un estomac rebondi, j’ai l’impression, comme à chaque fois, que je ne pourrai pas avancer et pourtant je sais que j’aurai besoin de toutes les calories possibles et que dans quelques kilomètres toute sensation de lourdeur digestive se sera estompée et sera remplacée par une toute autre sorte de lourdeur.
A la sortie de la Cabane des Chasseurs, Objectif Nore et la Black Race se séparent ; si les premiers vont directement vers le Pic de Nore, je redescends vers le col du Fraisse par un magnifique trajet en sentiers forestiers et monotraces. On peut trotter tranquillement en digérant sereinement les victuailles du ravitaillement.
Instantané de course : Moment poétique
Un chemin dans les sous-bois. Il coule en douces méandres, il est harmonieusement plat. Chaque balise rouge vous permet de distinguer la suivante. Aucune erreur de balisage. La brume, si déplaisante quand elle est malmenée par le blizzard balayant les sommets décharnés, est ici dans la protection des frondaisons comme un enchantement. Vous trottez. Il n’ y a plus de fatigue, il n’y a que du plaisir. La course ? Quelle course ?
Tout à coup, un piétinement, un halètement. Un souffle fétide vous talonne. Vous n’êtes plus seul, la réalité se rappelle à vous. Qui se permet ? Il est de quelle course ? La vôtre ?
Il double, il disparaît, laissant dans son sillage une odeur de déprime. Vous êtes à nouveau seul. Ce n’est plus pareil. Vous vous rappelez que dans le même instant il y a près de deux mille individus qui vous ont pris pour cible.
Sale temps pour faire de la poésie.
Très vite nous trouvons le ravitaillement du col du Fraisse. Il est temps alors de refaire le plein d’eau et de calories. J’ai le tort de ne pas compléter ma provision dorsale de liquide même si je m’hydrate abondamment et m’alimente correctement. A partir de ce ravitaillement nous allons enchaîner 3 dénivelés escarpés sur près de 10 kilomètres avant d’atteindre le mythique sommet. Si je refais ce parcours je saurai à quoi m’attendre et je m’y préparerai différemment.
Je grimpe à travers bois. Il y a moins de coureurs à présent. Il me devient de plus en plus nécessaire de m’appuyer sur les bâtons pour gravir ces redoutables sentiers face à la pente. Heureusement seul le dénivelé est un inconvénient, la terre est agréable et le sol n’est pas rocailleux. Lors du Forestrail, en nocturne début février, le parcours est exclusivement argileux, les sentiers sont extrêmement glissants et collants, les crampons des chaussures sont très vite inopérants. Les semelles s’épaississent jusqu’à tripler le poids de la chaussure. Un tel sol ici rendrait le parcours ingérable.
Je redescends enfin. Régulièrement je croque dans une barre calorique et je bois deux gorgées d’eau. La descente est longue, douce, idéale. On s’envole. Mais je commence à comprendre. Sachant que le Pic de Nore est le point culminant de la course, chaque longue et bénéfique descente présage une terrible et douloureuse remontée. Les organisateurs sont des tortionnaires aboutis.
A l’issue d’une large avenue forestière où je finis par être persuadé d’avoir de merveilleuses capacités, une rubalise nous dirige vers la droite où un signalement nous renvoie vers un toboggan à sangliers tracé verticalement dans le flanc de la forêt.
Instantané de course : Il reste 7 kilomètres
Deux ou trois commissaires de course nous orientent face à la pente. Une bannière de bois accrochée entre deux arbres est gravée de ces quelques mots : « Le vide-tripes » L’ambiance est posée. Je connais car j’ai lu et écouté les anciens. Je questionne le guide : « Il est loin le ravito ? » J’avais le secret et naïf espoir qu’il me dise : « Juste en haut ! » Mais comme un impôt abruptement prélevé il me répond : « 7 kilomètres. » Et il rajoute pour faire bon poids : « C’est court 7 kilomètres ! » Nous sommes 3 ou 4. Nous jetons de concert un regard désespéré vers le haut du vide-tripes, la nuque déjà douloureuse. On se suicide en bas ou on tente de combattre ? Que c’est long 7 kilomètres, surtout quand ils sont au milieu de 33.
On laisse la vie au guide et on entame la montée, un pas après l’autre.
A l’entrée de cette funeste attraction les organisateurs ont accroché un panneau proclamant haut et fort : « Le vide-tripes » Mon fils m’avait parlé du mur de la mort, un coureur m’avait susurré entre deux souffles rauques : « C’est particulièrement long ! » Tracé tout droit, avec une vision au-dessus de coureurs au pas, titubant, les bâtons cintrés, aussi loin que peut porter mon regard, le reste noyé dans la brume annonçant la proximité du sommet. Je me hisse sur les premiers mètres et fais une pause stratégique. Un coureur qui me suit me jette un regard de souffrance et entame son chemin de croix. « Tu veux une barre calorique ? » je lui dis. « Merci mais j’en ai. » Il sourit, grimace et part dans un cliquetis dont on ne sait s’il provient du contenu du sac ou de celui des genoux. Nous nous reverrons à la fin où nous sommes arrivés dans les mêmes temps.
Une seule méthode dans ce cas, ne plus penser. Adopter la même attitude que quand votre épouse vous entraîne dans les grands magasins un samedi après-midi. Mettre le cerveau en sommeil et gérer l’instant présent. Je choisis donc de mettre le système neuronal en veille en laissant le système de locomotion en mode automatique. Je mets le pied arrière devant le pied avant tout en m’appuyant fortement sur mes deux bâtons. Je n’aurais jamais pensé qu’il pût être nécessaire de se concentrer pour obliger le pied du bas à se positionner un peu plus haut que le pied du haut.
Ainsi allons-nous, certains progressant laborieusement, d’autre bénéficiant à chaque pas de l’appui providentiel d’un arbre. Évidemment de temps en temps un casseur de moral, sans bâtons, grimpe en mâchouillant une pâquerette et en discutant le bout de gras avec un compagnon. Haine !
C’est la quatrième ascension de la Black Race et mes jambes commencent sérieusement a être éprouvées. Ce n’est pas la course qui m’a essoufflé. J’aurais plutôt dû m’entraîner à faire des flexions pour muscler mes cuisses. Je puise largement dans ma ration d’eau. Surtout ne pas se déshydrater. Je croque régulièrement dans ma barre calorique. J’ai la sadique satisfaction de voir autour de moi des coureurs qui souffrent tout autant. Je prends quelques pauses, il ne s’agit pas de se mettre irrémédiablement dans le rouge. Je guette la fringale, la crampe fatidique. Enfin, je ne sais au bout de combien de temps, j’arrive au sommet.
Je suis loin encore du Pic de Nore mais la partie restante est douce comparativement au vide-tripes. Je rejoins une route forestière propre mais je n’ai pas encore la force d’adopter même un trot délicat. J’aspire les dernières goulées d’eau de ma réserve.
Instantané de course : Ceux qui doublent
Ceux qui me lisent le savent, j’ai une obsession. D’où viennent-ils ? Encore cette fois cela s’est reproduit.
Vous partez dans les derniers. 800 sont au départ. Vous n’êtes pas devant. Vu votre vélocité vous vous feriez 100 fois piétiner avant d’avoir passé le stand des bières. Vous vous placez donc prudemment parmi les 100 derniers, je dirais même les 50 derniers. Devant ça sent le buffle, l’hormone mâle (ou femelle, si!), le taureau en rut. Entre deux coureurs on ne glisserait pas une carte de crédit. Derrière on papote, on joue aux cartes, on fait des selfies, c’est la fête !
Ça démarre. Vous ne doublez personne, par politesse. Vous courez deux heures. La situation semble stabilisée. Et tout à coup, régulièrement vous êtes dépassé par des coureurs de votre couleur de course qui se propulsent aisément et disparaissent au fin fond de nulle part.
Que faisaient-ils avant ? Ils finissaient la partie de Tarots ? Ils se sont arrêtés boire un demi ?
Je pénètre dans un sublime sous-bois, je m’attends à voir Bambi discuter avec Blanche-Neige tellement c’est beau. Le sentier s’enroule entre les arbres sans dénivelé. Je reprends ma course et je suis tellement épuisé que je suis bêtement le chemin tracé entre les arbres, des huit, et je n’ai même pas l’idée de couper droit. Peur de la vidéo ? Non, c’est que j’ai oublié de rebrancher mon système neuronal. Le sentier rejoint une allée. 2 barrières barrent le chemin, il s’agit du pointage de la route de Nore. J’apprendrai plus tard que je cours (doux euphémisme) depuis 5 heures et 8 minutes et que je pointe à la 669ème place (sur 708 classés). Ma devise est respectée. Rien d’étonnant à ce que je sente sur mes jambes une légère lassitude, mon plus long parcours atteignait jusqu’à présent 4 heures de course et avec un dénivelé d’Arabie Saoudite.
Instantané de course : Un Ricard
Je suis seul depuis un bon moment. Je cours sereinement. Heureusement la présence continue des balises me rassurent quant à l’exactitude de mon parcours.
C’est sublime et inquiétant. J’ai connu la même chose au Forest quand je courais seul à 10 heures du soir, en hiver, dans un chemin forestier seulement éclairé par ma frontale et guidé par la fluorescence des balises.
« Je suis le dernier. » Je pense. « Ils vont ranger les arbres après mon passage. »
3 guides, un feu de bois, 2 voitures. Je suis les balises sur la droite. Ils m’encouragent. Je me retourne : « Il n’y a plus personne. Je suis tout seul ? La course est finie ? Je suis le dernier ? » « Mais non ! » ils me disent. « Il y en a d’autres. D’ailleurs il y en a un juste devant vous. » Un autre enchaîne : « Et puis la course n’est pas finie puisque nous n’avons bu qu’un tiers de la bouteille de jaune. »
Je fais mine de faire demi-tour : « J’arrive ! »
Rires, bonne humeur, je suis moins fatigué.
Bientôt j’atteins une route goudronnée. Je reconnais. C’est là que nous rejoignons Objectif Nore. C’est au bout de cette route que se situe le Pic de Nore puis ensuite le ravitaillement Portail de Nore puis la descente salvatrice jusqu’à l’arrivée.
Je mets le pied sur le goudron et là… rien ! Un brouillard épais uniformément gris. On ne distingue pas le bout de la route. Elle semble mener nulle part. Je suis seul ou presque. Un vent glacé et rasant emmène une sorte de grésil humide. Depuis longtemps déjà j’ai trouvé des congères sur les bords des chemins. Si je ne cours pas dans la neige, celle-ci s’est accumulé sur les bordures en épaisses couches. La fringale redoutée m’envahit. L’année passée j’avais trottiné jusqu’au Pic, cette année je marche avec mes bâtons et je ne sais où est ce même Pic de Nore. Heureusement la route est bien signalée. Je finis de vider ma maigre réserve d’eau, croque coup sur coup deux barres caloriques et aspire goulûment deux sachets de gel sucré. Ça va mieux. Je repars d’un meilleur pas. Ma détermination heureusement demeure intacte « Finir » c’est un certitude « et pas le dernier » c’est moins sûr. Je vois quelques coureurs dont beaucoup de dossards du 55 et du 18. L’un des coureurs me demande si c’est loin, je lui explique qu’il est sur la bonne voie.
Du bruit dans les haubans. On est déjà arrivés à Brest ?
Non, c’est le gémissement du vent dans les structures métalliques du pylône. J’y suis au pied et je ne le vois pas. Un guide, au chaud dans son 4x4, nous fait signe de suivre les balisages.
Instantané de course : Finalement j’ai bien fait
J’entends le souffle furieux du blizzard torturant les structures métalliques de la station du Pic de Nore. Je sais que j’en ai terminé. Il me reste à tourner à droite, trouver le ravitaillement du Portail de Nore, me remplir de saucisses grillées et de crêpes, boire 18 litres d’eau et me laisser couler comme une limace gluante vers l’arrivée et son buffet-bière.
Juste avant le Pic un panneau sur la gauche « Coupo Cambo ». Je le laisse. Un soulagement morbide, une sensation égoïste, je n’aurais pas pu. Redescendre vers Pradelles Cabardès à 800 mètres et remonter au même endroit 8 kilomètres plus tard ! Merci, une autre fois.
Une longue portion dans les champs sur un sentier complètement défoncé et noyé par endroit. Toujours sous le blizzard horizontal j’aperçois le barnum blanc du ravitaillement du Portail de Nore. Auront-ils des crêpes comme l’an passé ?
Il y en a. Quelle merveille ce ravitaillement. On peut se reconstituer. On y trouve toutes les spécialités régionales, des gens déguisés et accueillants (des sœurs en l’occurrence). Je mange de la saucisse et des crêpes, je bois du soda et de l’eau pétillante. Mes forces reviennent. Et je reprends la route, sachant ce qui m’attend, 6 kilomètres de pure descente.
J’arrive à la Croix de la Roque d’où l’on peut admirer toute la vallée de Saint-Amans-Soult étant sorti du brouillard d’altitude. Je cours tranquillement.
Ce qui m’étonne le plus dans les trails c’est la rapidité, j’oserai dire parfois l’inconscience avec laquelle nombre de coureurs abordent les descentes. Elles sont pourtant imprévisibles. A tout moment un rocher peut être glissant, peut se déplacer sous le pied, un lit de feuillages peut révéler un creux meurtrier pour une cheville téméraire. Je suis prudent. Je cours avec réserve. Cela fait 68 ans que j’utilise mes chevilles, je les ai gardées d’origine et je pense les conserver encore en bon état quelques années.
Peu après la Croix de Roque, alors que je me voyais finir le parcours sereinement, une crampe instantanée me paralyse la cuisse droite. Cela ne m’était jamais arrivé (non plus d’ailleurs que de courir plus de 6 heures). Je m’arrête et essaie de détendre ma jambe. Je ne peux réellement plus courir. Immédiatement un coureur s’arrête : « Ça va ? » « Une crampe, je réponds, ça ira, ça va passer. » Je le remercie. Une coureuse s’arrête à son tour. « Une crampe. » je lui dis. « Vous avez de l’eau ? Il faut boire. » Je n’en avais plus. Me croyant arrivé je n’avais pas pris soin de refaire ma réserve. Elle me tend une bouteille et me dit de la garder. Je la remercie. Je bois abondamment et en quelques minutes la douleur disparaît. Je finis la course en courant. C’est pour ça qu’on aime ces courses, l’entraide, la coopération. On ne court pas que pour soi.
« C’est encore loin ? » me demande un coureur. « Tu suis le chemin creux puis tu trouveras la route goudronnée à 300 mètres de l’arrivée. » Il semble soulagé. « Tu veux passer devant ? » me dit-il. Je lui réponds que son rythme me convient et que je le suis. Je le double sur le goudron, j’ai envie de me faire plaisir sur les derniers mètres en accélérant dans la courte montée vers le sas d’arrivée. Mais la fatigue est là. Je peux à peine sortir du sas que mes deux cuisses subissent une crampe violente. Je repère un bout de muret et m’y assieds. Quelques instants suffisent pour que les douleurs s’estompent. Je l’ai fait et pas le dernier.
Je suis très fier mais vraiment je n’aurais pas pu faire plus long.
Mauvais temps pour le buffet dès que mes jambes acceptent de m’y transporter.
Durant la course, je jurais de ne plus refaire ce trail. Le lendemain, les cuisses douloureuses, je me surprenais à en éprouver quelque nostalgie. Le surlendemain, j’avais la certitude de m’y retrouver en 2020. Ainsi que mon fils, Nicolas.
J’ai fini 664° sur 708 classés en 6 heures 39 minutes, 7° sur 9 M3H, mon fils Nicolas a couru le 55 km en 9 heures 57 minutes et a fini 214° sur 311 classés. Mes cousins ont fini le 18 kilomètres 71° sur 115 en ce qui concerne les seniors femme et 259° sur 309 en ce qui concerne les seniors homme.
2 commentaires
Commentaire de philibert69 posté le 07-03-2019 à 21:08:48
J'adore tes récits de courses de chez nous, de l'humour, une description bien ficelé. Et en plus une course bien menée bravo
Commentaire de Galopaïre posté le 08-03-2019 à 08:03:22
Belle course, je ne peux que te recommander de t'essayer l'année prochaine au 50km.
Pour ce qui est de "l'inconscience" des descendeurs sur la fin de parcours, cette dernière descente ne présente pas de piège, elle peut se faire très rapidement même si certains, moins à l'aise, ont l'impression que c'est imprudent. Attention de ne pas juger les gens uniquement par rapport à son ressenti propre, le bagage physique et technique n'est pas toujours comparable d'un coureur à l'autre.
Galopaïre qui vient sur cette course tous les ans surtout pour le plaisir qu'il prend dans la descente finale. ;-)
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