Récit de la course : Andorra UT Vallnord / Euforia 2017, par Thibaud GUEYFFIER

L'auteur : Thibaud GUEYFFIER

La course : Andorra UT Vallnord / Euforia

Date : 7/7/2017

Lieu : Ordino (Andorre)

Affichage : 2491 vues

Distance : 233km

Objectif : Pas d'objectif

1 commentaire

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Le récit



Les pâles de l'hélicoptère jaune de la sécurité civile hachent le silence avec une folle obstination. Il glisse, indifférent, au-dessus de notre ascension du pic d'Estanyò, 1600 m au-dessus du village d'Ordino, là où tout a commencé. 
Terminé les percussions, le feu d'artifice du départ, rangées les mines absorbées des imaginaires conquérants du parfait inutile. Fini de jouer les détendus avec un postiche d'animal sur la tête pour ce japonais,  ou un mini ukulélé dans le dos pour ce catalan. Aplanies les nationalités, les différences, la courbe des âges et des égos.


Se suivent à l'Indienne sur le fil erratique de l'aventure les sacs minimalistes douteux et ceux plus lourds de prévoyance. Les pointes métalliques des bâtons cherchent dans un cliquetis rythmé à découper la folie du défi Eufòria en petits pas obstinés. Plus de 230 km et plus de deux Everest à gravir et dévaler c'est même finalement dur à imaginer...
Mais là, maintenant, on veut tous oublier ces chiffres abstraits vides de sens. Maintenant, seul compte le pas suivant sous le feu du soleil Andorrien.
Ma tête est douloureuse depuis hier et bat calée sur mon coeur lourd. Le trio altitude, chaleur, effort s'arrangent pour ne rien arranger. Ça passera, car tout passe même ici…
Le silence regagne son terrain et s'y pose en sage, je l’écoute, il m’apaise. 
Plus qu'un tronçon court et vertical et on se hisse avec mon équipier de légende François LE TARGAT sur le pic de Cabanneta. La brutale descente annonce le ton de l'épreuve et ses dangers. Les pierres lancées par les pas imprudents déclenchent le jeu des quilles de la mort. Un cri, on se retourne, une pierre de la taille d'une tête siffle.  Un premier coureur l'évite mystérieusement, un second plus bas d'écarte prestement de la trajectoire de collision mais la pierre dévie et fonce sur lui, il jette son torse en arrière et évite à 40 cm le drame. L'hélicoptère décollera sept fois dans la journée pour porter assistance, recoudre ou évacuer des coureurs. Une jeune femme aura la jambe écrasée et brisée par un bloc qui s'est détaché...
 
Troisième pic à proximité : la Serrera la vue est ici encore hallucinante, tout le sud de la France est à nos pieds. On descend 1000m dans l'herbe au milieu de laquelle lézarde un ruisseau. On se jette sur nos sandwichs maisons qu'on agrémente de la ciboulette sauvage qui tombe sous nos yeux.

On éclabousse nos visages et nos casquettes d'eau glacée et on repart pour une montée de plus de mille mètres en dent de scie vers le mythique pic de Font Blanca. Des petits tricheurs (tous français j'enrage !) se délestent de leurs sacs pour faire l'aller-retour col-pic (ce qui est parfaitement interdit). Presque tous ces mesquins resquilleurs abandonneront, cette course qui leur va si mal.

La vue est euphorisante, on goûte notre privilège posé sur un rocher le souffle court sans un mot. Photo panoramique, poinçon du bracelet sur la balise avant de descendre. Mon cerveau s'écrase sur ma boîte crânienne à chaque pas insuffisamment amorti et cette vieille copine honteuse ; la nausée, s'incruste de nouveau après une demi Powerbar grignotée. (J'ai jeté et bannis les barres et gels chimiques sucrés dès lors et je suis retourné au fruits secs bios et, comme c’est surprenant, peu à peu tout s'arrangera). On atteint une zone lacustre, les ombres de fin de journée déploient leur royaume comme une flaque d’encre qui coule.


Petit court d'eau, petite pause, je suis gris, François le voit. Je grignote quelques amandes, montée sèche plein nord. On rate de peu le coucher de soleil au pic de Creussans et on rate la balise à poinçonner également (ce qui nous disqualifie). On plonge sur la Coma d'Arcalis sous l'égide d'une lune quasi pleine d'indifférence qui se détache d'un monde redevenu noir et blanc. On croise une coureuse italienne qui nous montre le schéma du poinçon que l'on reproduit à l’épingle à nourrice (ouf on est sauvé !)
 
 
Première base vie, déjà beaucoup d'abandons. On s'alimente rééquipe nos sacs et on replonge dans une nuit anormalement douce. Le pistes ascendantes d'Arcalis se donnent sans efforts, les lacs du cirque d'Angonella scintillent et diffractent la froide magie d'une lune décomposée. Puis tout se redresse : montée sèche dans les rochers puis les blocs rocheux avant d'atteindre le sommet Brexta d'Arcalis. Pur sauvage et magnifique... Le jour se lève pour la deuxième fois.




On enchaîne pic de Cataperdis, traversées de névés, pic de les Fonts. De là on peut admirer celui qui couronne les lieux le pic del Comapedrosa, on le caressera dans trois quatre heures. Deux cent mètres d'ascension verticale, pierreuse, sans concessions et le drapeau del Comapedrosa claque dans nos oreilles. Tout paraît simple aujourd'hui mais la journée est longue, brûlante et nos avant-bras comme nos nuques prennent des teintes ultras violettes. On suit par instants le GRP, des pistes de skis, on longe la frontière hispano-andorrane, on passe des montées sévères, des sentes étroites et pierreuses au milieu des rhododendrons en fleurs. Une jeune femme qui suit son mari jour et nuit nous offre, généreusement, une part de cake salée maison. Une douceur parfumée qui s'évapore avant d'atteindre Bony de la Pia. 
 
Là le bonheur à le goût du vertige et de concert avec François on s’éclate dans une descente délicate et très technique dans un couloir. Il y a des chaînes pour sécuriser le lieu mais le jeu est de ne jamais y toucher évidemment. 1400m de descente dans les mélèzes de plus en plus denses, on dépose les cerveaux et place à l’euphorie. Et pourtant François qui a réveillé par une entorse sa cheville déjà blessé continue avec une imposante chevillière. Mais rien ne n’arrête jamais un talent qui s’igniore ! .  La descente s'accentue, s’éternise. On est maintenant vide, le chemin est étroit interminable, le jour renonce peu à peu. Mais ça y est on traverse un ruisseau et trouvons une source qui aurait des vertus aphrodisiaques et enfin nous arrivons au bâtiment des écoles de la Margineda.
 
 
C’est la deuxième base vie, on a fait 94 km plus de 10000 de montées et à bien considérer on va plutôt bien.
Une douche, (enfin !), deux mauvaises heures de « sommeil », un repas froid déprimant et on attaque une montée de 1800 m vers le pic de Monturull. La nuit est froide venteuse, quelques averses glaçantes réveillent mes avants bras brûlés par le soleil. Mais j'ai tardé à me couvrir et je suis gelé, les lèvres gercées, François lui est insensible au froid (ça sera tout du long pour moi un mystère). Je n'avance plus et mes jambes sont lourdes de ma folle descente de la veille. Pourtant le lever de soleil est magnifique, photos en contre-jour descente sur un fil de blocs vertigineux sous le soleil naissant. Si vous saviez comme ces instants font oublier tous les autres...



Mais maintenant dans les descentes herbeuses on marche ! Le manque de sommeil a racheté notre enthousiasme pour une bouchée de pain. Micro siestes de vingt minutes, allures de zombies, ça n'avance pas .... Au refuge de la Perafita on débraye ; sandwich généreux à l'omelette et tomate frottée c'est trop bon. Une jeune suédoise part s'entraîner elle discute admirative un brin avant de nous larguer dans un sillon léger, bondissant et parfumé exactement ce que nous ne pouvons plus faire.

On avance tranquille quand soudain des équipes enflammées déboulent en sens inverses. C'est la confusion le parcours qui fait un nœud à cet endroit n'est pas fléché sur la trace GPS et tout le monde y va de sa petite théorie. Un petit bout de femme venue du Danemark Hanneke
prends la tête des opérations. Elle décide que l'avis d'une femme a bien plus d'importance et engage a bien plus de réalisme et elle nous amène droit sur le bon chemin (tout le monde sourit). Nous commençons ensemble l'imposante ascension du pic de la Portella aucune trace de chemin, la roche blanche est transpercée par des petites plantes grasses, et des gentianes au bleu phosphorescent. On en profite pour débattre nutrition avec Anneke qui est Frugivore et crudivore. Je ne suis clairement pas convaincu mais bon à coup de vingt bananes par jour cette athlète reconnue et sponsorisé de 42 ans tiens tête à une bordée d'équipe qui s'usent dans son sillage c’est un fait.
La vue, là-haut est presque aussi soufflante que le vent et nous voici au sommet du 5eme 2900 de la « balade ».


Descente sur le refuge de l'Illa. On repart sous une violente averse je commence à me réveiller (il était temps) on foule la frontière des trois pays (Espagne-France-Andorre avant de toucher le coll dels Isards. De là, on fond sur notre proie dans les derniers rayons du jour : le pas de la Casa, accueil froid, couleurs criardes et immeubles en pierres. Le tourisme de détaxe à le charme qu'il mérite…
 
 
On a parcouru 141,5 km c'est la troisième base de vie et elle est surchauffée. Pour couronner l'ensemble l'intendance à un style carcéral la soupe est froide, le ravitaillement pas en place, pas de cuillère, de bol, de sel et je ne parle pas du sourire. Restons optimiste la podologue est un ange de douceur et d'humour et je m'endors sous ses doigts après une douche et un bon mot dont je ne me rappelle plus. Deux heures comateuses sous des spots que personne ne veut éteindre entrecoupées par les cris des espagnols qui arrivent (c'est fascinant comme ils peuvent crier).
On repart dans la nuit, la montée dans les herbes très hautes trouées par l'eau et des pierres cachées est un calvaire, micro sieste dans la descente on yoyottera toute la journée. Le ciel se charge, le vent devient violente dernière ascension de 1000m avant la descente sur la quatrième base vie e et celle-là restera marquée au rouge. Dans les bois il pleut, l'orage approche mais pas de quoi s'inquiéter, on en a vu d’autres. Mais dès qu'on atteint les pistes de la station de ski ça dégénère le vent devient violent la pluie redouble. On décide tacitement de passer en force et en t-shirt....
A fond dans la montée sèche rien ne se réchauffe, les herbes gorgées d'eau me glacent les pieds que je ne sens plus je tremble, claque des dents et commence à avoir du mal à contrôler l’angoisse qui monte. Arrivé au col la violence du vent est inouïe la pluie horizontale se fait grêle. Une équipe est scotchée avec une couverture de survie contre un rocher la touche SOS de leur balise ne fonctionne pas et le PC course ne répond pas…(je pense qu'il faudra en tirer une leçon sur la prochaine édition). On s'abrite derrière un bloc, François plus habitué à ces conditions reste serein et je m'accroche à cette idée. Mes gestes sont désordonnés la grêle fait cinq minutes de pause. Je m'habille en tremblant avec difficultés. Je suis transi et choqué. François m'aide à m'équiper car je n'en suis presque plus capable. Je remercie l'organisation d'avoir imposé une veste en duvet en plus de la parka goretex c'est elle qui me réchauffe enfin. On doit dégager vite maintenant et poinçonner notre bracelet plus haut. Là il y a une guérite de téléski. Une équipe à brisé la vitre pour s'y mettre à l'abri. Le vent pousse à 150km/h c'est incroyable !
 
 
On repart ensemble sur Cortals d'Encamps la quatrième base vie : on a fait 185.5km.
La pluie s'arrête, le vent nous sèche deux heures sans dormir près d'un ronfleur, un repas froid et on repart avec le début de la nuit. On s'égare dans la forêt. Off road interminable à travers les branches les buissons les blocs on retrouve la trace GPS. Je suis épuisé démoralisé de ralentir un François en pleine forme. 
Du haut du cap d'Agols on descend la petite vallée qu'ici on appelle" Vallée d'Eufòria". La descente de 1600m est technique puis usante sur un chemin empierré. Il pleuviote et je m’endors sur mes bâtons tandis que mes pieds blanchis plissés par l'eau me mettent au supplice. Micro sieste dans mon sac de survie humide et nauséabond mais tout redémarre ! (C’est incroyable l’effet de vingt petite minutes) on achève l'histoire et on coupe enfin la route. Une assistante d'un coureur qui allait partir nous donne tous ses restes : pêches plates (mon dieu que c'est bon), compotes, tucs, eau fraîche. Providentiel avant la rampe de 1800m qui nous attends. On longe la route et passe devant nous, scène surréaliste, une sorte de fille sublime en tenue de soirée plutôt très très privée. On se regarde et éclatons de rire ! On est prêt à se lancer à l'assaut du sentier annoncé comme le plus dur et vertical de l'épreuve. On dort vingt minutes avant et il passe tout seul en appui sur les aiguilles des bâtons. On se fait la photo du jour cinq.


Les lumières de la vallée s’étendent au dos de notre big Wall comme un réseau arachnéen. La lune se colore aux ocres de la terre avant de disparaitre coupée à l’horizontal pas des altos cirrus. En haut de ce « mur » on s’assied, Anneke nous rejoint, on rigole, on plante nos yeux dans ce décor. Devant nous passe des coureurs de chronos indifférents à tout, leur sérieux devient ridicule parfois mais bon là ça en devient drôle. Allez plus que huit cent mètres de montée, on passe une forêt en arête exclusivement de pins la piste centrale est bordée de genévriers le soleil la traverse comme un peigne et la lumière rebondit sur les troncs. La beauté se fait mirage et on dort une dernière fois sur un tapis d’aiguilles.
On coupe une route et on fait les beaux restes d’un papa suiveur, Kriskrolls, Babybel et surtout l’eau qu’on a plus sur nous ! (La chance nous a épargné deux déshydratations°. Dernière rampe pour toucher le sommet Casamanya le sommet est grandiose, la vue fabuleuse. Toutes les équipes des deux derniers jours se rejoignent. On sait l’instant fragile, on est tous ensemble et c’est juste beau.


La fin est une apothéose, on traverse une vaste étendue plate en calcaire avec de gros blocs en forme de lame de couteau qui se détache sur un travelling grand format. La descente très verticale équipée de chaîne est le clou du spectacle. On dévale des pentes herbeuses, une forêt, un chemin anciennement pavée mes pieds me font tellement mal que je finis par les oublier. L’euphorie sera la dernière note c’est évidence du genre, le clocher d’Ordino, la musique on hurle comme des cow-boys avec François, on hurle et les larmes montent comme la sève, les têtes sortent des voitures et hurlent aussi des ovations. 102h qu’on attends ça, et l’accueil est fantastique ! Nos bras tendus en l’air et nos bâtons à leurs bouts quittent pour longtemps le sol pour toucher désormais le ciel de l’euforia !


 


P.S. 
*150 équipes au départ triées sur le volet, 58 finishers et on sera les 26èmes.
*Le catalan a fini par casser son ukulélé sur le dernier tronçon 

1 commentaire

Commentaire de Lécureuil posté le 17-05-2019 à 13:23:43

Je découvre ton récit, bravo !

Bon on sait à quoi s'attendre avec Cheville cette année, je t'envoie un MP pour plus de conseils

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