Récit de la course : Ultimate Race Trail Marseille - 130 km 2017, par Thibaud GUEYFFIER

L'auteur : Thibaud GUEYFFIER

La course : Ultimate Race Trail Marseille - 130 km

Date : 26/5/2017

Lieu : Marseille 01 (Bouches-du-Rhône)

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Distance : 131km

Objectif : Pas d'objectif

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Le récit



15:00 sur le stade de Carcassonne d'Aix-en-Provence. Je viens de quitter l'ombre salvatrice des tribunes pour la piste rouge surchauffée. Je crois que je perds au change. 


Autours de moi un public bigarré qui détonne, des indiens Tarahumaras ("les pieds qui courent «en langue aztèque) en jupe, foulards et sandales découpées dans une tranche de pneu. Dawa Sherpa la légende tibétaine de l'ultra endurance, un jeune athlète torse nu, peau diaphane, micro sac qui doit à l'évidence avoir envie de se faire sacrifier sur l'autel de cette diagonale sudiste qui parti d'une idée folle au bord d'un bar est une cuisante réalité 


131 km, 6300m de montée, et des autorisations exceptionnelles et jamais accordées pour traverser le massif de la Sainte Victoire, le parc Naturel de la Sainte Baume et le parc national de calanques de Cassis. Mon pote Cyril Martel est à mes côtés on est tous les deux de retour d’une blessure au genou mais on n'aurait raté cette édition probablement unique pour rien au monde.


Dans le feu du cœur de l'après-midi et sous les encouragements d'un public tout du long exceptionnel la colonne s'élance. Tout semble si simple au milieu des fleurs (près de 900 espèces sur ce massif). Je fais l'ascension du Pas des Moines puis du Pic des Mouches, sommet du massif, en courant dans tous les raidillons. Je contrôle ma respiration, les ravitaillements, mon esprit est clair, mon oeil extravagant boit cette lumière qui a captivé Picasso, Renoir, Kandinsky et Cezanne. J'ai appris qu'il y est mort en la peignant pour la 80eme fois. Je préfère y mourir de bonheur pour aujourd'hui. L'euphorie est ma douce compagne et me flatte comme une traîtresse, je vois tournoyer un aigle de Bonelli dans une barre de nuages dont l'assaut sera toujours repoussé. Dans les descentes mes bâtons balancent en rythme comme deux lances et je me prends pour Achille courant vers son destin. Dans une côte je rattrape Dawa ma légende et j'ai du mal à m'en remettre.

 

Mais mon film commence à sauter je rate une balise dans la descente de Puyloubier et me trompe purement de colline. Je peste, je m'engueule, j'arrive sur le long secteur de route (17km) qui va m'amener vers le plus étendu et élevé de Provence le parc de la Sainte-Baume. Les vignobles, les châteaux se succèdent, je croise un Tarahumaras qui marche. Et je réfléchis au destin de ces athlètes d'exception qui fuient la déforestation et le cartel qui utilise leurs aptitudes exceptionnelles pour en faire des passeurs. Petite foulée bondissante, allure juvénile, la peau caramel brûlé portable autour du cou et bouteille à la main. Mais aujourd'hui nous souffrons tous, il est marqué et je n'ose imaginer comment il va s'en sortir en sandales dans les descentes techniques qui arrivent. Sainte Zacharie la nausée monte avec le soleil qui descend première pause, une soupe Thaï , un petit bout pain...je me force.


Dans cette grosse ascension qui arrive je vais réaliser que mon sac étudié contient un vrai problème. Les deux jeu de piles au lithium que j'ai embarqué et qui ont testé il y a deux ans déjà et hier ...vont me lâcher après trente minutes de pleine puissance. Il est à peine 23:20! Je croise mon pote Cyril son genou est bloqué il abandonne malheureusement mais cours un peu avec moi en boitant et me donne plein d'énergie. Les lois humaines sont rudes même pour des grands champions comme lui. J'ai presque oublié ma lampe, allez je me cale dans le faisceau d'une jeune athlète super sympa qui fait le relais après son copain du half ultimate race. Elle s'arrête dans huit km mais c'est toujours ça de pris pour la nuit. Et puis on rigole bien, on recroise notre pote indien (en photo tous les deux), on papote, on se chambre et surtout on se remonte le moral dans un passage bien violent 300m de montée en deux km. Fanny que j'ai fini par surnommer Fanny-Barbie a vraiment été adorable. Elle me propose même de me passer sa lampe pour finir. Elle rejoint son ami Ken qui a l'air tout aussi adorable qu'elle. Finalement un type de l'organisation insiste pour m'offrir une frontale. (J’ai eu une armée d'anges gardiens sur cette épreuve!). C'est l'hostellerie de la Sainte Baume ses frères Dominicains et surtout mon pote Hassen qui m'accueille. Il a lâché son match de Rudby pour venir en pleine nuit me voir.


Il s'occupe de mon sac je débraye 15min sous une couverture de survie j'ai déjà tellement sommeil. C'est reparti il court un peu avec moi et me voilà seul dans la nuit, les chouettes hululent dans la forêt, une zone en pleine montée vers le col du Saint Pilon d'un km y est entièrement debalisée. Je doute, redescend tout pour tout remonter...La nausée s'est ancrée, suivre le rare balisage bleu marine non réfléchissant accroché à la garrigue m'épuise. Je suis vide et puis pourquoi j'ai encore tellement sommeil. Les lapias de la crête deviennent interminables allez col de Fauge atteint. Dans la descente un couple et leurs deux enfants ont planté la tente et injectent en iv-flash de l'espoir au milieu de nul part. Ils me laissent dormir en dessous 15 minutes, j'ai droit à un gros duvet et même un coussin! Je tombe dans un trou j'en ressort métamorphosé et je n'ai pas de mots pour les remercier. Je cours je suis lucide, au ravitaillement une bénévole voyant que je n'arrive rien à avaler me propose un sandwich réservé normalement au staff. Gros pain blanc boulanger, tomate, fromage pesto de la vraie nourriture il est fantastique et je l'englouti!! Les anges gardent ma nuit. Le jour blanchi la boule incendiaire est de retour.



Ces16km passent sans problèmes, col de l’ange, col du Moutonier, le jour me réveille définitivement. Ce qui ne m'empêche pas de rater une intersection où le jalonneur avait quitté son poste crucial et de me trouver au bord d'une portion d'autoroute sur un km direction la Ciotat. Ces erreurs me plombent le moral à chaque fois, allez col du Moutonier et une arrivée somptueuse dans l'écrin du port de Cassis. L'eau cristalline, les marinières l'animation parfaitement millimétrée on est sur un tournage polychrome d'un film de Fellini.


Je repars trop vite, sans m'alimenter, il fait trop chaud, le col de la Candelle devient le théâtre d'un petit meurtre au paradis. Pendant dix km jusqu'au ravitaillement du col du Sugiton j'ai l'impression d'être une guêpe dans une bouteille en verre. La chaleur me rend fou, je m'asperge avec mon eau pour boire et quémande quelques gorgées aux randonneurs croisés. Je ne vois pas comment faire le km suivant je m'allonge sous des arbres rabougris pour être à l'ombre cinq minutes, juste cinq minutes. Mon jugement s'altère de plus en plus, je m'assois en plein soleil maintenant! Je croise un compagnon d'infortune on rejoint Sugiton. Le médecin me garde, réhydratation à coup de cocktail magic coca -Saint Yorres tiède degazeifié. C'est immonde et c'est ce dont j'ai besoin. Pause sur une civière au frais, je dors vingt minutes et je repars en courant euphorisé vers Callelongue. Tout ce secteur est sublime, comme dirait mon ami Seb: attention à la fracture de la rétine! Les anses inaccessibles aux bleus profonds sont protégées par des falaises de calcaire pur vertigineuses qui plongent ou se déchiquetent pour les épouser . Le Fréoul comme une forteresse de pierre donne des envies de conquête maritimes. C'est un décor de titans, de début du monde, d'epopée mythologique. Seuls quelques traces blanches et bourdonnements de hors bords ridiculement petits me rappellent à qu'elle époque je suis. 



Callelongue les anges frappent encore je rêve depuis 30km d'un Orangina glacé. Une bénévole m'en ramène une bouteille de 50cl et un verre de bar rempli de glaçons. Je suis en pleine hallucination! Le sucre ingéré me met au bord de vomir néanmoins mais je repars rasséréné pour les six derniers km et sans conteste les plus techniques, des micros marches taillées dans la roche en montée en descente, des droit-dans-la-pente dans les éboulis, des rochers polis brillants poussiéreux qui ne pardonnent qu'aux pieds montagnards. Enfin le parc de Pastré, le beau château d'Estrangin planté au milieu de ce havre, l'arche noire, ma soeur Isabelle qui m'attends pleine de sourire et d'amour depuis trois heures, le regard des gens , leurs mots...les copains recroisés à l'arrivée. 
Aujourd'hui après 26h16 je comprends que celle qu'on appelle la diagonale des fadas est surtout celle qui m'a traversé le cœur pour tout l'amour que j'y ai reçu.

 

 

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