L'auteur : Thibaud GUEYFFIER
La course : Grand Trail Gigondas - 95 km
Date : 28/4/2018
Lieu : Gigondas (Vaucluse)
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Distance : 95km
Objectif : Pas d'objectif
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4:00 du matin je regarde mes genoux qui ballottent dans ce bus qui glisse dans la nuit, un peu perdu dans mes pensées. Une heure de trajet de Gigondas à Venasque pour méditer sur ce qu'un coureur arrive à s'imposer d'inexplicable.
Ca y est on est jeté dans nuit fraîche serrés dans nos coupe-vents épaisseur cellophane sous l'Arche rouge luisante de condensation.
Top départ pour 95 km d'exploration en terre Vauclusiennes. Des milliers de lumens de frontales d'insectes papillonnent dans la nuit qui s'essouffle déjà sous la pâleur d'une lune aussi pleine que définitivement brouillée.
Je suis tellement dans mes pensées que j'en oublie la technique, chute lourde stupide au km 6 genou en sang, avant bras écorché. Ca me réveille peu à peu mais mon pied est gauche, je trébuche me tord les chevilles et peu à peu mes vieilles douleurs se réveillent unes à unes.
Voilà que ça chauffe déjà, on grimpe le col de la Ligne, avant de s’enfoncer après maintenant 25 km dans les gorges de la Nesque. On déambule dans ce superbe canyon de l’Ere secondaire de 12km dépassant parfois 400 m de profondeur. Les amples voutes calcaires immenses lisses érodées prennent des couleurs magiques sous les premiers rayons. Un truc hors du temps flotte ici ça doit venir de Neandertal qui y a longtemps trainé ou de cette chapelle troglodyte romaine complètement incongrue cachée dans ses tréfonds.
Je croise dans la remontée du canyon la première féminine qui fait la mi-course en relais, elle a fait une chute sévère et son coude est au dire du médecin de la course, vraisemblablement cassé. Mais elle a décidé de terminer le bras en écharpe car elle ne semble vraiment pas le genre à laisser tomber son équipe. Elle est surtout du genre à forcer le respect.
On voit maintenant le mont Ventoux sur une lointaine ligne d’horizon, commence une longue ascension sous un soleil pesant vers le chalet Reynard. Km 48 me voilà arrivé, un pompier insiste pour soigner mon genou pendant que je me force à avaler une soupe épaisse et une poignée de TUCs. Je redécolle mou et marqué en grignotant. L’antenne rouge et blanche du Ventoux et son écharpe de neige paraissent à portée de main. J’emboîte la pas d’un solide gaillard il doit avoir mal car il boîte légèrement mais son tempo soutenu en montée, son accent pure haute Provence et son optimisme me raniment. Et nous voilà parti sur ce décor sublunaire (où l’on répertorie cinq espèces de vipères) désormais sarclé par un vent soutenu. On est bien on a déjà dépassé la tête dela Grave et puis on est tellement bien qu’on navigue droit vers l’objectif pendant 1km 5 mais le balisage a disparu…
On a raté un changement de cap clef nous faisant basculer sur un plongeon au bas du versant nord ! Marche arrière toute, on peste sur notre erreur de concentration (le n°1 et deux feront la même faute mais ne s’imposeront pas un retour dans les clous et prendront une heure de pénalité). On retrouve notre erreur, on dévale en mode nerveux la combe puis commence une remontée complètement spectaculaire d’un amphithéâtre minéral digne de Dune (mon téléphone est HS et je n’aurai pas de photos malheureusement). Les pins à crochets déformés et rabougris par le vent, tiennent par magie sur les flancs abrupts, une constellation de névés posés comme des confettis les entourent et nous jettent leur lumière comme des miroirs. Là haut les supporters emmitouflés sous les blousons et capuches nous font un accueil de star. La route au sommet est coupé par 50 cm de neige et je regarde amusés une poignée de dingues de la p’tite reine qui passent sur les cales avec leur vélo sur l’épaule le tronçon enneigé.
On enfile une soupe qui refroidit aussitôt versée, le vent forcit, et on décampe avant d’être gelés dans nos débardeurs qui flottent. Désormais mon équipier décroche il boîte franchement et doit être très prudent dans ces gros éboulis épuisants. J’essaie de me refaire une santé dans cette dégringolade de 1500m mais je n’en mène pas large, mes sensations en descentes sont décidemment mauvaises je ne retrouve ni la fluidité, ni la confiance de mes gloires passées. En avançant malgré tout et après 16km chaos incessants je me retrouve lassé posé sur une chaise en plastique au ravitaillement de Malaucène. On a gagné 10° et je suis KO et en nage au pied d’une belle falaise de 100m les pieds ou presque dans la source Groseau,vénérée dans l’antiquité comme aujourd’hui !. Allez plus que 23 km avant l’arrivée à Gigondas. Je peine à redémarrer ; je marche le long d’un bout de route où à campé une manifestation de motards collectionneurs : des petites machines échappées d’une BD et des bêtes de courses colorées des années 60 me rayent les tympans. Allez on quitte la civilisation, la chaleur en cette fin d’après midi est accablante et mes prévisions en eau limites je commence à me rationner. On traverse des carrières naturelles à ciel ouvert qui ont déposés du sable fins et toute une palette d’ocres. Un bénévole croisé par hasard refait mon niveau en eau : carte chance ! Mais malgré tout ma fraîcheur à près de 80km a bien tiédi et puis ça relance sans cesse jusqu’au col de la chaîne. Je décide de prendre les choses sous un autre angle, j’éteins le chrono pour arrêter de guetter ces kilomètres qui n’en finissent plus de ne pas avancer et je décide juste de profiter de la chance qui arrive. On va attaquer les dentelles de Montmirail, 8km de barres calcaires vertigineuses. J’y suis allé il y a vingt ans et mon goût pour le trail est exactement né de cette traversée. Alors je mets à goûter tout : la lumière dorée sur les lames calcaires d’un single au bord du vide protégé par la forêt qui affleure. Je goûte la solitude (je le suis depuis plusieurs heures) et je comprends parfaitement plus que ce lieu ait été choisi pour abriter des lieux de cultes paléochrétiens dés le VII siècle.
Je suis sorti de ma méditation par des éclats de voix dans mon dos. C’est le médecin urgentiste de la course et son infirmier qui rejoignent Gigondas en courant ! On discute et leur vitalité c’est un coup d’adrénaline. Ils connaissent parfaitement le secteur me décrivent les montagnes comme leur jardin. Ils me montrent un point de vue incroyable sur les dentelles près d’une croix situées non loin du parcours. On attaque ensemble les derniers éperons et puis la redescente sur Gigondas et mes jambes prennent feu je déconnecte, et je retrouve tous mes repères (il était temps). Complètement euphorisé je vais rattraper six concurrents et terminer à la17ème place après 14h 30’ de course sous le soleil rougeoyant qui baigne les cerisiers et les vignes des antiques murs blancs de Gigondas !
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