Récit de la course : Ultra Trail du Mont-Blanc 2018, par razyek

L'auteur : razyek

La course : Ultra Trail du Mont-Blanc

Date : 31/8/2018

Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)

Affichage : 1580 vues

Distance : 171km

Objectif : Terminer

2 commentaires

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Ultra Trail du Mont Blanc

Vendredi 31 août 8h30 je quitte St Gervais direction l’aéroport de Genève pour récupérer mon équipe de choc qui va avoir la lourde charge de supporter mes hauts et mes bas durant les longues heures de l’UTMB. Je me sens dans un état bizarre, un peu léthargique après 3 nuits d’un sommeil quasiment absent, cela m’inquiète, me stresse même « Comment réussir à tenir 2 nuits dehors en partant déjà limite exténué ? ». De les voir me remonte le moral et m’immisce un peu plus dans le bain.
Vers 15h, SMS de l’orga.....en résumé « vous allez vous les geler grave mais tant pis vous avez payé pour ça »....c’est sûr que -11º, pluie et vent si on m’avait dit cela début janvier pas sûr que j’aurai signé. Mais là il n’est plus question de reculer.
Arrivée vers 16 h à Chamonix. Dépose du sac de délestage, petit thé dans un bar, on se réchauffe comme on peut, puis je me mets dans la foule en attente du GO. Il pleut. L’attente est longue, 45 minutes debout, je me mets progressivement dans ma bulle mais lorsqu’arrive le fameux « Conquest of Paradise » ça prend aux tripes avec une petite larmichette je l’avoue.
18h, bisous à Sev et Ben, les fauves sont lâchés.

Les premiers km sont hallucinants. Le voir à la télé surprend, le vivre pour de vrai transporte. Je profite de l’instant. Je savoure. Ce monde! Ces cris! Ces sourires! Ça tape dans les mains, je tape dans les mains des enfants, il y a foule de partout, sur la route, aux fenêtres, ça se calme sur 500 mètres puis rebelote en attaquant la forêt.
Lors de la montée du delevret, un petit ravito sauvage est proposé par des japonais, à base de bière et de barres de céréales...sympa mais sans moi, merci.
Arrive ensuite là première descente de la course en direction de St Gervais (21e km), et les trombes d’eau avec...les robinets sont ouverts. Quel bordel si ça dure comme cela durant 40 heures. La nuit prend ses marques progressivement, les frontales sont de sortie les une après les autres, je pense pouvoir attendre le ravitaillement de St Gervais pour sortir la mienne en profitant de la lumière des coureurs autour de moi. Mal m’en a pris- une ornière et le pied qui vrille. Plus de peur que de mal mais ça aurait une belle connerie de devoir arrêter là pour avoir voulu gagner une toute petite minute. Je sors donc la frontale.

La course commence vraiment après les Contamines ( 31e km) où j’ai pris le temps de me changer complètement avant d’affronter la nuit qui sera froide. On enlève le short- on met le bas long, et haut ML bien chaud également. Avec le goretex et le bonnet on pourrait se croire en hiver. Le début de course se sera fait tout en retenue, surtout ne pas se cramer, et respecter le tableau de marche prédéfini. Il faut arriver frais à Courmayeur (80e km), voire idéalement à Champex (124e km).

C’est parti jusqu’à La Croix du Bonhomme avec une belle montée de 1300 D+. Le passage à Notre Dame de le Gorge avec les feux de camp et les cloches à bestiaux qui résonnent de partout est sympa....le début de la voie romaine qui suit, rendue glissante avec la pluie, l’est moins.
La fatigue arrive par à coups sur cette montée et sur la suivante. Normal, vu l’heure je devrais dormir depuis belle lurette, il faut vraiment être taré. Mais à part ça ça va, autour de moi ça grelotte de partout, je n’ai mis qu’une fine paire de gants en soie et ça passe nickel. Pourtant j’ai les mains hyper sensibles au froid...va comprendre!!! J’essaie de toucher 2 ou 3 mots avec mes voisins pour passer le temps, pour rompre la froideur de la nuit, mais difficile de trouver des francophones à ce moment de la course. Tant pis, je reste seul dans mes pensées, et me dis que demain à cette heure ci je toucherai presque au but.

J’ai adoré l’arrivée aux Chapieux au 50e km (2h16 du matin) avec la musique techno à fond au ravito ambiance boîte de nuit, un whisky coca et je partais sur la piste.

La nuit avance, 4h39.....bienvenue en Italie : Col de la Seigne, 61e km....dans le brouillard, la frontale a du mal à transpercer la nuit. Un peu de pluie, peut être même de la neige. Je me retourne souvent pour regarder le long serpentin de lumière derrière, c’est beau et ça rassure. Descente au Lac Combal, puis enfin le jour se lève en arrivant en haut du mont Favre. Ce mont est une étape importante puisque nous en sommes au 71e km, il n’en reste donc plus que 100, youpi!!!!
Une heure plus tard je rejoins Sev et Benji au gymnase de Courmayeur, bien attaqué par cette longue nuit, et la dernière descente interminable aura littéralement explosé les quadris, le dos qui commence à morfler et le genou droit qui grince. Pourtant le moral est bon, pas question de flancher....et puis j’en connais une qui a accouché 3 fois, je peux bien aller au bout de cette coursette sans râler.
Là je prends une décision qui aura clairement un impact positif pour la suite : je m’arrête une heure. En repartant, je serai complètement requinqué. Le plat de pâtes est bien passé, mais à partir de là je ne me nourrirai plus que de compotes. Changement de tenue, massage des jambes par Severine, je repars en pleine bourre, c’est plutôt important quand on sait qu’il reste encore 20, 22, voire peut être 24 heures à tenir. Ah au fait, on m’annonce que Killian a abandonné!
Montée au refuge Bertone avec une vue magnifique sur les glaciers- il fait presque beau, on attaque une partie assez roulante jusqu’à Arnouvaz. Ceci dit je suis obligé d’alterner marche et course, ça va mais c’est pas non plus la forme olympique. À Arnouvaz il est midi, 95e km. Je viens d’entrer dans le top 500. On nous annonce l’enfer au grand col ferret, pluie, vent et température de -5º. Tenue imperméable obligatoire. Je m’exécute mais quelle galère j’ai l’impression d’être dans un sauna, j’ai les jambes compressées dans mon bas long hyper collant, c’est juste infernal. Ne voyant Sev qu’à Champex-Lac soit 5 heures plus tard, je peux clairement dire que j’ai perdu le podium sur cette partie là....ahahah, enfin disons que pour courir il y a plus confortable. Au grand col ferret, pas de pluie, température à peine négative et un vent de dingue. Mais en bon breton ça passe tout seul. Donc clairement pas de quoi fouetter un chat.
Là commence alors 20 km de descente, c’est vraiment très long, puis remontée sur Champex-Lac, j’y retrouve ma team de choc. Il est 17h45, quasi 24 heures de course, 124 km au compteur et 2ème coupure d’une heure, dont 15 mn de sieste sur les jambes de Sev. Je n’ai pas dormi mais ça fait un bien fou.
« Qui passe Champex voit Chamonix ». Si j’en crois le dicton c’est presque gagné.....Je repars en longeant le lac, logiquement à moins d’une blessure plus rien ne peut m’arrêter. Le final est décrit comme difficile, ceux qui ont déjà fait la course te le dise, en insistant bien sur les détails, histoire de te bousiller le moral : «  Bovine c’est terrible mais tu vas voir Catogne....putain Catogne!!!! ». Moi je sais qu’il reste 3 bosses, 3 bosses qui feront mal mais je sais surtout que j’irai au bout. J’attaque Bovine de jour, c’est mieux je ne vois pas les frontales tout en haut. Mais oui, Bovine c’est bestial, une grimpette bien rustique qui te donne envie de redescendre en fond de vallée. Mais voilà la giete, ça veut dire qu’on redescend, ça veut dire aussi que plus que 2 belles montées.
Ravito de Trient, 22h, 141e km... recharge de la montre, massage express des guibolles, et ça repart. Je passe en mode guerrier. Catogne c’est l’enfer, Omaha Beach et Verdun réunis, ça tombe de partout. Surtout ne pas s’arrêter, ne pas ralentir, continuer et débrancher le cerveau. 1h11 pour y monter, 35 places de gagnées, tant que je double c’est que je suis vivant. Descente prudente vers Vallorcine, il serait dommage de se casser quelque chose si près du but.
À Vallorcine je retrouve Sev. Ma montre crie famine, il reste 10% de charge. « C’est Ben qui a le chargeur, il s’est endormi dans la voiture et la voiture est à perpette ». Tant pis je ferai sans....
Je repars à 1h du mat’ pour la dernière montée vers le col des Montets, étape intermédiaire avant La Flégère, dernier sommet du périple. J’avance bien, je me sens gonflé à bloc. Arrivé au col, je vois au loin ce que j’imagine être 3 charmantes dames qui font la circulation, en tenue fluo, L’une d’entre elle me hurle un « Halte là » à l’allemande. « Euh bonsoir m’dame, je n’ai rien fait, je veux juste finir ma course ». Là je crois voir Sev ....bordel ça y est les fameuses hallucinations de la seconde nuit. « Ben dites donc monsieur, vous avez une femme extraordinaire, vous vous en rendez compte j’espère ? »...c’est Sev habillée en agent de circulation qui est venue me remettre mon chargeur de montre histoire de finir la course sans stress.
Énorme.....
À partir de là le parcours est légèrement modifié, pas de Tête aux Vents en raison d’un éboulement survenu il y a 10 jours. On reprend donc à priori le parcours de l’an dernier. C’est hyper casse pattes, casse gueules, casse chevilles, casse genoux, « casse couilles » aussi. La soit-disant petite descente avant d’attaquer la remontée vers la piste de ski de la Flégère est un monument de grand n’importe quoi. Impossible d’y courir voire même de trottiner. À croire qu’ils ont dynamité le parcours. Même en Corse je n’y ai pas vu ça...et puis enfin la piste de ski avec le point lumineux à atteindre tout en haut qui signifie qu’il ne reste plus qu’à se laisser descendre sur Chamonix.
Sauf que....ahah, dans ma tête il restait 4 km, et qu’à ce point de contrôle on me dit que « non monsieur, avec le changement de parcours il en reste 8 ». Il était sympa le monsieur il voulait même m’offrir à boire et à manger, mais là je ne pouvais que le détester. Dans ma tête à partir de Vallorcine il était évident que j’allais finir en moins de 35 heures, et lui là il me casse mon rêve...je décline aimablement sa proposition de thé chaud, le remercie et repars direct dans le noir. Le début de la descente est identique à la fin de la montée : c’est un mur. On me l’avait dit que les 3 dernières bosses étaient du pur délire, je confirme. Donc là le seul objectif sur cette descente est de freiner la chute, quel bonheur lorsqu’on a les quadriceps explosés comme jamais, que ça fait mal. Et puis progressivement la pente s’atténue, aller chercher moins de 35 heures sera compliqué mais let"s go......Usain Bolt est de sortie.....
Je ne sais pas si c’est la tête, le ciel, les hormones ou quoi mais je pense n’avoir été dans cet état là. La douleur au genou? Oubliée. Les lombaires? Quedalle. Et les quadris? Quels quadris? Ils sont frais mes quadris......14 à l’heure, 15 à l’heure, 16 à l’heure, je double des types qui arrivent à peine à marcher. « Venez sur mon dos, je vous amène »......Je vole, I’m flying.....I am the king of the woooooorldddddd......
Chamonix, 4h35, 4h40, on se calme.....un peu de monde dans les rues, quelques types qui titubent, la nuit fut longue pour certains, juste un peu plus alcoolisée que la mienne. Je l’ai fait. On l’a fait. Cette victoire c’est la victoire de plusieurs. Benjamin m’attend au détour d’une rue. Je suis content. Juste content. Pas d’émotion particulière alors que j’ai toujours penser m’écrouler sur ces derniers mètres. Content, j’ai fait le job. Un sacré job quand même, un job de fou. On finit les quelques centaines de mètres ensemble, dernier virage, je vois l’arche, je vois Sev.....on tombe dans les bras l’un de l’autre. Gros moment d’émotion.
Chamonix, 4h44, 34h et 42 minutes d’une épopée folle....les photographes te mitraillent pour l’éternité, le classement s’affiche : 310e. Yeeehhh, impensable au moment de prendre le départ.
Le job a été quand même très, très bien fait !
Je récupère alors le plus beau des trophées, la fameuse polaire finisher, celle-là je la veux dans ma tombe.

3 jours se sont écoulés depuis que j’ai franchi la ligne. J’ai cet étrange sentiment que rien de tout cela ne s’est déroulé. Ou alors tellement rapidement. D’où aussi ce besoin de mettre des mots sur cette aventure.
Ça aura été un moment fort de ma vie, un rêve qui m’aura tenu et motivé depuis tellement de temps. C’était aussi pour moi l’aboutissement de toutes ces années d’entraînement, il est temps désormais de profiter pleinement des miens sur les week-end.
Ce qu’ont fait Séverine et Benjamin sur cette course était une belle preuve d’amour, c’est du don de soi, de son temps pour que l’autre aille au bout de son délire. Quand je parlais d’une victoire à plusieurs c’est ça, savoir qu’on m’attendait à tel et tel ravitaillement est tellement important pour le moral. Merci à vous 2. Tout simplement merci.
Pour finir, cet UTMB aura été conforme à l’image que j’en avais : le royaume de la démesure. Mais quel pied! Et avec le recul, quelle fierté d’avoir accompli ce rêve. Je peux désormais tourner la page, sans regret.

2 commentaires

Commentaire de Benman posté le 08-09-2018 à 23:11:11

Bravo. Tu as corsé ton entraînement pour réussir un magnifique UTMB. La fin de dingue, c'est quand même assez magique!

Commentaire de Dahus69 posté le 09-09-2018 à 14:14:43

Félicitations, et tu as fait une belle dernière descente !

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