L'auteur : jedaf
La course : Forest Trail 31 - 25 km
Date : 3/2/2018
Lieu : Levignac (Haute-Garonne)
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Distance : 25km
Objectif : Terminer
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« Le Forest un jour, le Forest toujours. »
Je suis de retour.
Et ce n'est pas faute d'avoir souffert. Pas du froid, pas de la neige, pas des ours polaires, pas plus que des pingouins buveurs de sang, non, de la boue, de la boue, toujours de la boue.
Passe encore de marcher dans l'eau, passe encore d'évoluer en permanence dans le style Papadakis-Cizeron, passe encore de plonger dans l'eau glacée d'une célèbre buse sous l'objectif sadique d'un photographe jouisseur, mais être obligé de tirer sur ses jambes pour arracher son pied du sol collant en y laissant sa chaussure une fois sur deux, ça c'est dur.
Oui, je le proclame ici, oui, je recommencerai.
J'ai détesté, je me suis régalé. Je vais m'entraîner pour le Forest suivant dans le bassin d'Arcachon à marée basse, ou dans une campagne électorale où évoluer dans une boue putride est chose courante.
Bonjour, je suis le PPH (Passera Pas l'Hiver). Je vous avais fait part de mes sentiments l'an passé. Je suis V3H et j'ai encore passé un hiver et je suis là en cette soirée redoutée et attendue du 3 février 2018 à Lévignac sur Save avec 600 personnes, près de la Halle, sous la pluie évidemment, à attendre le départ, retardé de 15 minutes, assourdi pas de tonitruantes percussions et enchanté par de splendides illuminations au laser, en compagnie de mon fils, Nicolas, et de notre cousin, Cédric, que nous emmenons découvrir ce qui est devenu l'un de nos trails préférés.
Et je ne cesse de me demander pourquoi je suis là.
Ce n'est pas la grande forme, une pénible et tenace trachéite m'a perturbé depuis 3 semaines, et un reste de toux me secoue encore la gorge par moments. J'ai l'immense prétention de vouloir m'entraîner régulièrement et je n'ai quasiment pas pu le faire hormis quelques séances sur route de quelques kilomètres. Une semaine de tisanes au thym et au romarin et de pâtes fraîches m'ont redonné suffisamment de tonus pour que j'ose me lancer à l'assaut de la forêt de Bouconne. A mon niveau je n'espère qu'une chose et ceci est devenu ma devise « Je finirai et pas le dernier. » Néanmoins avant-dernier me semblerait quand même peu satisfaisant.
Les mains levées des concurrents qui commencent à battre en cadence me tirent de mes pensées et je m’apprête à trottiner. Le groupe s'ébranle, d'abord au rythme lent de la marche puis au fil d'un premier trottinement et enfin d'un tranquille pas de course, chacun sachant qu'il convient de garder ses forces pour le cœur de la forêt. Nous ne faisons désormais que nous rapprocher du moment délicieux de la dégustation de la saucisse grillée-bière.
Je suis en queue de groupe ce qui élimine déjà une bonne partie des chances d'être dans la partie haute du classement. Nicolas et Cédric me tiennent compagnie même s'ils auraient la possibilité de progresser plus rapidement. Les dépassements dans les sentes tortueuses sont quand même difficiles. Nous courons dans le bourg puis nous nous échauffons dans une longue montée goudronnée avant d'aborder une lisière de champs. On fait connaissance avec le terrain qui est plutôt agréable pour l'instant. En effet avec des chaussures à crampons un sol sec est plus difficile qu'un sol mou, maintenant, tout est dans la qualité de la mollesse du sol et là, nous ne sommes pas au bout de nos désagréments. Le problème qui viendra plus tard et qui est typique des fins de peloton c'est que les sentes que nous prendront auront été piétinées par plusieurs centaines de coureurs, le sol ressemblera plus à de la purée mousseline qu'à une délicate pelouse anglaise. D'où l'intérêt d'être plutôt près de la tête de course.
Nos frontales sont maintenant allumées et la voie est magnifiquement lumineuse tellement ces petites leds sont efficaces. Toutes ces lueurs dans les profondeurs sont magiques.
Notre cousin arrive, tranquillement. Il est vrai qu'il est Limousin et ce n'est pas à un Limousin qu'on la raconte en ce qui concerne les courses dans les bois. Quand ils chassent le sanglier, ils veillent à ralentir pour ne pas dépasser la harde. J'ai vu mon autre cousin Christian traverser des taillis de ronces, tête en avant, et y tailler son chemin à coups de dents alors que son chien peinait à le suivre. Aucune crainte pour Cédric.
La première partie du parcours est relativement agréable, la pluie a cessé, la température est clémente (relativement) pour un mois de février et les chemins s'ils sont bien sûr boueux, sont assez courants. Les sentes forestières monotraces ne sont pas très nombreuses et l'on trouve plutôt des chemins larges et faciles. Jusqu'à la buse je cours à un rythme régulier sans vraiment de difficultés. Mon fils qui a un autre entraînement que le mien est à la fête et Cédric se promène. Je cours aisément c'est vrai mais je les vois qui me précèdent sans effort en se racontant leurs souvenirs de jeunesse de la même façon qu'ils le feraient à la terrasse d'un bistrot par une tranquille soirée d'août. Je ne dis rien. Je cours.
Un curieux personnage nous dépasse, en short, sans sac à dos, une cagoule sur la tête, bleue, un chien bleu dirait-on. C'est ce qu'on appelle un destructeur de moral. Vous êtes tout à votre effort, vous n'en êtes pas encore aux affres de l'agonie mais vous vous en approchez tout doucement et vous voyez ce personnage à tête bleue, surgissant on ne sait d'où, qui vous dépasse en interpellant joyeusement ses collègues et qui disparaît dans les brumes (assez proches quand même) d'un humide horizon. Puis vous le dépassez. Il s'est arrêté. « Il est épuisé » dites-vous, « Il y a une justice » pensez-vous. Que nenni, il attendait un groupe de connaissances avec qui il plaisante haut et fort. Vous haletez en essayant de rehausser votre rythme et puis le voilà qui vous double à nouveau comme un jeune chien fou (bleu) en caracolant comme un chevreau à l'heure de la tétée. Ceci plusieurs fois. Mais comment fait-il ?
On quitte la voie rapide et on rentre à nouveau dans une sente forestière. J'aime beaucoup ces parties du trajet. Dégagées par les nombreux coureurs, elles forment des couloirs étroits, de la largeur d'un homme, parfaitement délimités par une végétation serrée des deux côtés. De temps en temps une balise fluo vous rassure sur la justesse du trajet. C'est très sinueux, c'est superbe.
On traverse un ruisseau qui baptise nos chaussures. Puis, quelques centaines de mètres plus loin une rumeur commence à grossir, quelques paroles dans la nuit et au détour d’un virage, je vois Nicolas, mon fils, qui saute en contrebas en riant et le bruit de l'eau me fait comprendre que nous y sommes. La buse, l'incontournable buse, la buse du Forest.
Je saute. Ça y est le contact est fait. A ma grande surprise le niveau de l'eau est plutôt raisonnable. Évidemment je fais un pas en avant et m'enfonce 30 cm plus profondément dans un trou forcément invisible. J'ai le bas des cuisses dans l'eau mais j'ai préservé l'essentiel de mon anatomie. Je me rapproche du bord et me colle à la paroi. Moi qui suis de petite taille, je n'ai de l'eau que jusqu'au dessus du genou alors que d'après les consignes et photos diffusées je m'attendais à parcourir cette dizaine de mètres à la nage. Je suis presque déçu.
Il est 22 heures 30, c'est la nuit, l'hiver, le froid, il a plu, l'eau est glacée. On peut vraiment se demander ce que l'on fait là et tous les coureurs qui plongent le font le sourire aux lèvres.
C'est la fête.
Les organisateurs nous encouragent, le flash illumine la scène à la manière d'un lent stroboscope. Nous veillons à être bien sur la photo que nous chercherons le lendemain sur le site officiel.
Après la sortie de la buse il nous faut gravir un talus glissant puis nous parcourons quelques centaines de mètres sur la droite et c'est un raidillon dans les bois qui nous branche sur la suite du trail. Je pense que nous devons être à mi-parcours, le site remarquable suivant est celui de la barrière horaire où un peu d'eau nous sera proposée .
Cette fois-ci je le sais mais je suis quand même surpris. Avant la buse le parcours disais-je est relativement aisé ; plutôt plat et propice à une course régulière et économe. Les muscles sont chauds. A la sortie de la buse, les muscles plongés dans l'eau glacée sont brutalement refroidis. Je me demande si le fait de porter un collant long est une bonne idée, si celui-ci n'entretient pas le froid à partir de ce moment en retenant l'eau glacée. C'est là que je commence à ressentir les jambes lourdes et les douleurs aux cuisses. D'autant plus que je ne me suis pas préparé comme je l'aurais dû les semaines précédentes, que je ne me suis pas suffisamment alimenté et que je n'ai pas bu régulièrement depuis le début du parcours. Alors quand on arrive au premier raidillon, la marche est difficile, les cuisses commencent à devenir plus douloureuses et je dois m'appuyer sur elles pour m'aider dans mon ascension. Nicolas essaie de ne pas courir par respect pour son père et Cédric nettement plus en forme que moi commence à se ressentir d'un début de mal au dos en partie dû à un long trajet routier pour être là ce soir.
Régulièrement ils m'attendent, j'ai l'impression à la lueur des leds que deux arbres de Noël avec une étoile scintillante tout aux sommets éclairent mon chemin. « Ça va ? Tu gères ? » « Mais oui ! Ne vous en faites pas ! » je réponds tout en répandant sur mon sillage un jet de salive sanguinolente comme un escargot tuberculeux.
Toute ascension voit son achèvement et nous reprenons notre trottinement sur des sentiers de moins en moins fréquentés. Le pire sont les bordures de champs cultivés où l'argile des labours est particulièrement collante. Même si je souhaite maintenir un rythme de course je n'y parviens pas, les chaussures collent au sol et il est nécessaire de les en arracher à chaque pas. Ce qui impacte directement les muscles des cuisses.
Chaque pas est un effort de course avec des chaussures alourdies par l'eau et la terre, un effort Papadakis-Cizeron latéral pour compenser la glisse et un troisième effort pour arracher sa chaussure qui fait un bruit de succion quand on la retire. Parfois un quatrième effort s'y ajoute pour remettre sa chaussure qui voulait rester obstinément enfoncée dans la glaise. En un kilomètre vous faites l'effort de quatre. Et encore je n'ai pas rencontré ici cette particularité de l'argile qui parfois fait une semelle sous la chaussure et au fil des pas cette semelle s'augmente ce qui fait que vous grandissez au fil de la course jusqu'à courir avec des échasses et devoir vous arrêter pour arracher avec un bâton ces sabots de vos splendides Salomon.
Je marche finalement sur ces tronçons pendant qu'au loin toujours papotant Nicolas et Cédric trottinent en se racontant leurs cuites de jeunesse. Ah ! Si j'avais 40 ans de moins. Quoique pour la cuite il est toujours temps.
Un bruit derrière moi, un bruit de lessiveuse, en plein lavage, ne manque plus que la mousse. Un personnage me double, trottinant courageusement. Il est vêtu d'un sac poubelle percé aux bras et à la tête. Poncho de fortune. Dessous cela doit-être une véritable boîte de Pétri et le bruit provient de sa poche à eau dans son sac à dos dissimulé sous le poncho. L'air n'en a pas été expurgé et cela doit faire des à coups considérables en courant. 25 kilomètres en sac poubelle avec ce battement permanent et il me double. Chapeau l'artiste.
Après un cheminement tortueux dans des monotraces toujours boueuses nous entrons dans un large chemin forestier. Nous sommes seuls. Un éclat délicat d'accordéon éclaire la nuit au travers de nos leds. A une croisée de chemin une jeune femme joue du piano à bretelles et son compagnon me semble-t-il de la trompette. Incongrus, étrangers au lieu, magnifiques et fantomatiques. Nous les remercions. Ce sont des petits riens qui posent une empreinte ineffaçable sur un instant de course.
Quelques centaines de mètres encore et nous apercevons un terrain dégagé et un local éclairé. Il s'agit du dernier point de contrôle, celui de la barrière horaire des 3 heures. Nous en sommes à 2 heures 15 de course. Je suis un peu déçu, je pensais que nous diminuerions notre temps passé et nous sommes déjà en retrait de 15 minutes. Les premiers ont déjà ingurgité leur saucisse mais je classe cette info dans un repli obscur de mon moi inconscient, à côté de Roswell et de la fin des impôts.
Il n'y a pas de ravitaillement comme il l'était précisé mais un point d'eau réduit à sa plus simple expression, quelques carafes métalliques de cantine et un dizaine de gobelets en plastique. Nous buvons.
Le problème avec ce type de course (nuit, froid, humidité) c'est qu'on ne ressent pas forcément la soif autant qu'on l'éprouverait le jour à la belle saison. Il font donc veiller à s'hydrater régulièrement. Ce que je n'ai pas fait de sorte que je le paie actuellement par des douleurs musculaires conséquentes.
Je regarde distraitement le préposé aux boissons. Il tourne avec 10 gobelets qui ont probablement pour vocation de servir aux 600 coureurs. Quand un gobelet a été vidé, il le rempli à nouveau avec le contenu d'une carafe et quand le gobelet n'est pas vide, il le reverse dans une carafe pour le remplir à nouveau. J'ai une pensée machiavélique à l'idée que je vais transmettre ma trachéite à la cinquantaine de coureurs qui innocemment vont boire après moi.
Nicolas et Cédric me regardent. Je lis dans leurs yeux qu'ils se demandent s'il ne serait pas plus judicieux de fabriquer un brancard de fortune avec des branchages pour me tracter jusqu'à l'arrivée, cela leur ferait gagner du temps. Jeunesse ingrate.
Nous repartons au petit trot. Nicolas remet dans le droit chemin une coureuse qui n'avait pas vu les balises. Voilà comment par galanterie on perd une place au classement général.
« 18 kilomètres » me dit le badgeur en chef. « Il vous en reste 7 » rajoute la personne qui nous oriente vers le chemin balisé. « Ce ne sont pas les plus faciles. » ajoute-t-elle, avec dans sa douce voix hivernale un soupçon de sadisme. J'aime ces infos qui vous remontent le moral d'autant plus que 1 ou 2 kilomètres plus loin des organisateurs croient nous encourager en nous lançant « Plus que 7 kilomètres ! » Je sais que je piétine mais faire du surplace pendant 20 minutes j'aurais dû m'en apercevoir.
Après le départ du poste de contrôle mon trottinement s'arrête rapidement. Dès que l'on pénètre dans les bois la boue épuise mes cuisses douloureuses. Je suis obligé de passer à la marche. Marche rapide et aisée mais marche quand même. Il faut croire que je ne suis pas le seul dans ce cas puisque au point de contrôle de nombreux éclairages progressaient dans les bois derrière nous mais seulement deux ou trois par la suite ont eu l’outrecuidance de nous dépasser même au rythme de la marche.
Passe encore le déplacement difficile dans ces sentes boueuses mais deux traversées de ruisseaux ont fini de me casser les jambes. L'année dernière ils devaient être secs mais cette année ce n'est pas le cas. On se laisse glisser sur plus de 1 mètre pour plonger ses pieds à nouveau dans l'eau glacée qui refroidit vos orteils que vous aviez mis des kilomètres à réchauffer puis il faut remonter un talus de 1 mètre de boue en plantant vos doigts dans la glaise. Épuisant. Au second ruisseau, j'étais déjà presque remonté et sur le point de me redresser quand mes assises ont joué à Papadakis-Cizeron. Nicolas et Cédric ont juste eu le temps de me saisir les bras avant que je ne plonge, cette fois-ci de la moins noble des façons, dans les 20 centimètres d’eau du ruisseau. Je n'ai récupéré la sensation des mes orteils que devant le sandwich à la saucisse.
Pour continuer, on sort du bois par une dernière montée dont on ne voit pas la fin où, arc-bouté des deux mains sur mes cuisses, je me demande vraiment si je n'ai pas un problème grave à avoir payé pour ça. Je me cale sur Cédric et Nicolas qui continuent à discuter paisiblement. De temps en temps deux phares m’éblouissent quand ils m'attendent. « Ça va ? » « Impec. » Je réponds. « Je marche pour le plaisir d'en ch.. plus longtemps. » Je pense. Tous les trois nous nous retournons, « Qu’est-ce que c’est ? » dit Nicolas. On aurait dit un sanglier grabataire, le rhinocéros asthmatique de Jumanji, une locomotive à vapeur en fin de vie. Un souffle rauque et saccadé précède un marcheur qui nous dépasse péniblement. Il finit par s’éteindre dans la nuit en laissant dans son sillage un résidu de CO2 que la forêt de Bouconne aura bien du mal à régénérer.
A moment donné on ressent les débuts d'un vent glacé annonciateur de l'arrivée sur un sommet dégagé. Nous sommes orientés vers une bordure de champ de Colza, parcours de boue exceptionnel, puis c'est la dernière descente vers le village. Je peux enfin trottiner. Le chemin plus ferme devient une voie sommairement goudronnée puis on voit les premières voitures garées. Tous les trois réunis nous courons vers le sas d'arrivée où le badge salvateur interrompra le chronomètre et nous donnera accès à la saucisse bière.
Quel délicieux moment !
4 heures 6 minutes. Je suis un peu déçu, je pensais sincèrement, par l'expérience passée, que nous aurions amélioré le temps de 2017 qui était de 3 heures et 41 minutes. Je pense que l'état du terrain a été déterminant.
Cette fois-ci nous courons immédiatement à la voiture pour nous changer à chaud. L'année précédente nous nous étions précipités sur le sandwich que nous avions dégusté à l'intérieur du hall surchauffé. Le retour au véhicule fut un moment épique, se changer sous la pluie une expérience à ne pas renouveler.
Ensuite bien secs dans des vêtements chauds nous savourons ce moment privilégié où nous avons fini l'épreuve sportive, peu importe le classement. Nous sommes les vainqueurs de notre pire ennemi. Nous-même.
Merci les organisateurs et à l'année prochaine.
Et je vous promets que je ferai moins que 3 heures 41 minutes.
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